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lieu commun
1 avril 2008

Andrée Sodenkamp

Andrée Sodenkamp (1906-2004). Poète belge de langue française.

Le printemps

Le printemps garde encor
au bord de la colline
sa face de bois mort.
Un petit arbre neuf, une églantine
blanchi de bas en haut.
L'éclat monte des eaux.
Tout va briller, s'ouvrir
le monde est en soupir
un saule aux clairs cheveux
est si clair qu'il s'efface.
Et le ciel bleu, par place
a des corbeaux heureux.

Andrée Sodenkamp

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Les loups

C'était un beau soir de tempête,
Tant de loups assemblés étaient bons pour mon âme.
J'appelais par-delà la neige de la mort
des êtres bien-aimés encore chauds de fourrure.
C'était un beau soir de tempête.
Les arbres criaient,
le ciel balayé ne pouvait les suivre.
Mon âme ouverte ressemblait à la gueule du loup.
Je marchais avec la tempête,
très vite, par-delà mes horizons vivants
et je mordais comme les loups
la chair blessée des vieux chagrins.

Andrée Sodenkamp

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Je suis ton grain pesé

Je suis ton grain pesé, ta paille remuée
Ton pain sorti du four et la lampe allumée
Qui marque ta maison.

Pourquoi chercher ailleurs l'oubli qui me ressemble ?
L'amour est sans repos.
Si tu meurs avant moi, nous partirons ensemble,
Mon plaisir dans tes os.

Andrée Sodenkamp

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La fenêtre est un livre d'images

La fenêtre a chassé la nuit
de ses vitres qui s'ensoleillent
et cette lune de minuit
qu'on te vola dans ton sommeil.

Elle raconte le vieil arbre
qui ruisselle soudain d'oiseaux,
la rose ouverte et puis les larmes
que va pleurer un soir si beau.

Elle capte pour t'enchanter
le printemps comme une musique,
les voiliers d'air faits de nuées
qui s'en iront vers l'Amérique.

Quelquefois passe une hirondelle
plus bleue encor que le ciel bleu
et les autos moins vives qu'elle.
Les compter te paraît un jeu.

T'offrant le monde en ta maison,
La fenêtre est livre d'images.
Tu peux feuilleter les saisons
sans avoir à tourner la page.

Andrée Sodenkamp

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Je suis du temps ...

Je suis du temps des lents et vieux romans d'amour,
des Grands Meaulnes poussant des portes solennelles.
On se mangeait le coeur en guettant sur la tour
un pays balancé de bois et d'hirondelles.

C'étaient les temps heureux des grandes fautes tendres
des confessionnaux pleins de voix murmurées,
et de chagrins si beaux qu'on ne pouvait attendre
pour les souffrir déjà de n'être plus aimée.

Andrée Sodenkamp

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Attention, les deux textes qui suivent sont destinés aux très grandes classes  :

Don Juan
 
Tu ne fus rien, pas même un cœur de peu de temps.
Un jeu de femmes nues sur ta pensée d’amant
Mêle de lourds cheveux ouverts comme un automne
La roue du paon qui tourne en ton cœur monotone.
 
On te respire comme un lit. Tu crois qu’on t’aime.
On te boit, ô Juan, sur ta bouche d’oubli.
On se couche sur toi pour rêver à soi-même,
On te perd, on te gagne aux dés, comme un pari.
 
Tu es tout ocellé de tristes bouches peintes,
Tu es tout traversé d’appels et sourd de plaintes
Qui ont crié sur toi comme à travers la mer.
Un jour, tu seras vieux, ta chair sera la terre
Où dorment trop de mortes.
Tu seras ce hochet du plaisir qu’on emporte ...
 
Sais-tu, malgré ton feu, combien court est ton temps,
Que des femmes sont nées dont tu n’es pas l’amant,
Que blessé mille fois aux dents de tes mortelles,
Tu t’en iras, Juan, juste avant la plus belle.

Andrée Sodenkamp

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Femmes des longs matins

Femmes des longs matins, mes belles amoureuses
Dont le nom s'attardait à la bouche des morts
Qui faisiez du malheur une brûlante rose
Et déchiriez le temps entre vos ongles d'or.

Est-ce la Nonne ardente et que Juan oublie
Ou dans ses jupons fous, l'innocente Manon,
Cléopâtre tapie au creux des pierreries
Qui retient son amant, au poing, comme un faucon ?

Voici celle qui vint de la France en Écosse,
Éblouie comme l'aigle au soleil des plaisirs,
L'abeille qui foudroie en son plein ciel des noces
Et met le goût du sang aux saveurs du désir.

Nous sommes belles par vos seins levés dans l'ombre *
Par vos hanches donnant le merveilleux danger
Et dans l'odeur d'amour ouverte sur vos tombes
Nous régnons sur l'amant qui a les yeux fermés.

Andrée Sodenkamp - * "vos" est bien le pronom exact



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