Canalblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
lieu commun
1 novembre 2009

Haller, Held, Hénault - PP12 - ENFANCES - TEXTES EN FRANÇAIS

- Claude Haller -

Claude Haller, enseignant poète, est né en 1932. Il a obtenu le Prix Poésie jeunesse en 1993 pour le recueil "Poèmes du Petit Matin" (réédition "Le livre de Poche", en 2010).

Dans le regard d'un enfant

J'ai vu des continents
Des îles lointaines
De fabuleux océans
Des rives incertaines
Dans le regard d'un enfant.
 
J'ai vu des châteaux
Des jardins à la française
Des bois des coteaux
De blancs rochers sous la falaise
Dans le regard d'un enfant.
 
J'ai vu les Champs-Elysées
L'Arc de Triomphe, la Tour Eiffel
Le Louvre et la Seine irisée
Comme un arc-en-ciel
Dans le regard d'un enfant.

Jacqueline Held ("Poèmes du Petit Matin")



- Jacqueline et Claude Held -

Jacqueline et Claude Held, enseignants et auteurs contemporains (ils sont tous deux nés en 1936), écrivent séparément ou ensemble des livres pour la jeunesse et les plus grands, recueils de poésies, albums, romans, théâtre.

À quoi on joue ?

− À quoi jouer ? T’as une idée ?
− Au volant ?
− On y joue tout l’temps !
− À chat perché ?
− On n’est pas assez !
− Au jeu de l’oie ? − C’est bien bêta !
− Bêta toi-même !
− Vieux chrysanthème !
− Sale asticot !
− Lourdaud, ballot !
− Ah ! C’est comme ça, Je joue sans toi !
Peau d’merlu
Tu l’auras voulu !

 

Jacqueline Held ("Un ridicule éléphant" - éd L’épi de seigle, 1998)

- -  - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -

Poèmes en forme d'énigme :

Acrobatie

Ma maison n’a pas de porte.
Ma maison n’a pas de fenêtre.
Ma maison n’a pas de plancher.
La porte, je veux bien m’en passer.
La fenêtre, je veux bien m’en passer.
Ce qui me manque le plus, peut-être,
Quand je marche, c’est le plancher.


Jacqueline et Claude Held

- -  - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -

Poème en forme de marabout-bout d'ficelle :

Ballade pour un métro (extrait, début et fin)

Ralentir :
Rat lent tire.
Tire le signal.
Signal d'alarme.
Larme à l'oeil.
Boeuf sur la langue.
Langue dans la bouche.
Bouche de métro.
Métro Alésia.
Alésia de bataille.
Bataille rangée.
Rangée d'oignons.
Oignons d'hiver.
Hiver pluvieux.
Vieux chiffons,
Ferraille à vendre,
Peaux de mouton.
Mouton-Duvernet
...

Ouf ouf
On descend à la prochaine.


Jacqueline et Claude Held

- -  - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -

Grillon de lune

Le grillon de la lune a mis ses patins d'argent est parti à quatre pattes dans l'aventure.
Il a acheté chez le marchand de lune une étoile de mer, une étoile de neige et un sifflet d'un sou.
Quand le grillon de lune siffle trois coups les cosmonautes grimpent sur leur éléphant blanc.
Quand le grillon de lune siffle deux coups les cosmonautes partent à la pêche à la lumière.
Quand le grillon de lune siffle un seul coup les parents ferment la télévision et les enfants s'endorment.

Jacqueline et Claude Held

- -  - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -

Poème en forme de comptine :

Le pissenlit

Monsieur Pissenlit l'élégant
Le lundi porte des gants.
Monsieur Pissenlit le bravache
Le mardi porte moustache.
Le mercredi porte conseil,
Le jeudi ne porte rien,
Le vendredi porte bonheur,
Le samedi porte une fleur,
Une fleur à sa boutonnière
Qu'il a cueillie en hélicoptère.


Jacqueline Held

- -  - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -

Transformations

L'enchanteur Merlin se changea en chien.
Le petit garçon ne dit rien.

L'enchanteur Merlin se changea en chat.
Le petit garçon bâilla.

L'enchanteur Merlin se changea en chinchilla.
Le petit garçon rebâilla.

L'enchanteur Merlin se changea en souris.
Le petit garçon s'endormit.

Moralité:
il n'y a plus d'enfant.

Jacqueline Held (recueil anthologique de Jean-Hugues Malineau : "Premiers poèmes pour toute ma vie" - éditions Milan, 2003)



- Gilles Hénault -

Gilles Hénault(1920-1996) est un poète et journaliste québécois.

L'enfant prodigue *

L'enfant qui jouait le voilà maigre et courbé
L'enfant qui pleurait le voilà les yeux brûlés
L'enfant qui dansait une ronde le voilà qui court après
    le tramway
L'enfant qui voulait la lune le voilà satisfait d'une
    bouchée de pain
L'enfant fou et révolté, l'enfant au bout de la ville
dans les rues étrangères
L'enfant des aventures
sur la glace de la rivière
L'enfant perché sur les clôtures
le voilà dans l'étroit chemin de son devoir quotidien
L'enfant libre et court vêtu, le voilà
travesti en panneau-réclame, en homme-sandwich
affublé de lois en carton-pâte, prisonnier de mesquines
    défenses
asservi et ligoté, le voilà traqué au nom de la justice
L'enfant du beau sang rouge et du bon sang
le voilà devenu fantôme d'opéra tragique
L'enfant prodigue *
L'enfant prodige *, le voilà devenu homme
l'homme de time is money et l'homme du bel canto
l'homme rivé à son travail qui est de river
    toute la journée
l'homme des dimanches après-midi en pantoufles
et des interminables parties de bridge
l'homme innombrable du sport de quelques hommes
et l'homme du petit compte en banque
pour payer l'enterrement d'une enfance morte
vers sa quinzième année.

Gilles Hénault ("Poèmes 1937-1993")
* Enfant prodigue : référence à une parabole de l’évangile. Par extension, se dit d'un enfant qui a fugué et s'est mal conduit puis retourne chez ses parents, qui lui pardonnent.
* Un enfant prodige est un enfant précoce, c'est-à-dire très en avance intellectuellement par rapport à ceux de son âge.



Publicité
1 novembre 2009

Higelin - PP12 - ENFANCES - TEXTES EN FRANÇAIS

- Jacques Higelin -

Jacques Higelin, est né en 1940. C'est un auteur-compositeur-interprète, également acteur de théâtre et de cinéma dans plus de vingt films, le plus connu étant "Bébert et l'Omnibus" d'Yves Robert, en 1963.

Site ici : http://www.jacqueshigelin.fr/

La croisade des enfants

Pourra-t-on un jour vivre sur la terre
Sans colère, sans mépris
Sans chercher ailleurs qu’au fond de son cœur
La reponse au mystère de la vie

Dans le ventre de l’Univers
Des milliards d’étoiles
Naissent et meurent à chaque instant
Où l’homme apprend la guerre à ses enfants


J’suis trop petit pour me prendre au sérieux
Trop sérieux pour faire le jeu des grands
Assez grand pour affronter la vie
Trop petit pour être malheureux

Verra-t-on enfin les êtres humains
Rire aux larmes de leurs peurs
Enterrer les armes, écouter leur cœur
Qui se bat, qui se bat pour la vie

Dans le ventre de l’univers
Des milliards d’étoiles
Naissent et meurent à chaque instant
Où l’homme apprend la guerre à ses enfants


J’suis trop petit pour me prendre au sérieux
Trop sérieux pour faire le jeu des grands
Assez grand pour affronter la vie
Trop petit pour être malheureux

J’suis trop petit pour me prendre au sérieux ...

Jacques Higelin , interprétation, et auteur des paroles et de la musique (Album "Aï", enregistré de 1983 à 1985)



1 novembre 2009

Hugo - PP12 - ENFANCES - TEXTES EN FRANÇAIS

- Victor Hugo -

Victor Hugo  (1802-1885) est trop important pour être présenté dans un simple paragraphe. Voir ici sa biographie et sa bibliographie considérables :

http://fr.wikipedia.org/wiki/Victor_Hugo

Ronde pour les enfants

Fillettes, les fleurs sont écloses,
Dansez, courons.
Je suis ébloui par les roses
Et par vos fronts.

Chez les fleurs vous êtes les reines ;
Nous le dirons
Aux bois, aux prés, aux marjolaines,
Aux liserons.

Avec l'oiselle l'oiseau cause,
Et s'interrompt
Pour la quereller d'un bec rose,
Aux baisers prompt.

Donnez-nous, gaités éphémères,
Futurs tendrons,
Beaucoup de baisers... - À vos mères
Nous les rendrons.

Victor Hugo ("Toute la Lyre" 1893 - posthume)

- -  - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -

J'eus toujours de l'amour pour les choses ailées ...

J'eus toujours de l'amour pour les choses ailées.
Lorsque j'étais enfant, j'allais sous les feuillées,
J'y prenais dans les nids de tout petits oiseaux.
D'abord je leur faisais des cages de roseaux
Où je les élevais parmi des mousses vertes.
Plus tard je leur laissais les fenêtres ouvertes.
Ils ne s'envolaient point ; ou, s'ils fuyaient aux bois,
Quand je les rappelais ils venaient à ma voix.
Une colombe et moi longtemps nous nous aimâmes.
Maintenant je sais l'art d'apprivoiser les âmes.

Victor Hugo ("Les Rayons et les ombres, XXXVIII, 1840)

- -  - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -
Chanson de grand-père

Dansez, les petites filles,
Toutes en rond.
En vous voyant si gentilles,
Les bois riront.
Dansez, les petites reines,
Toutes en rond.
Les amoureux sous les frênes
S'embrasseront.

Dansez les petites folles,
Toutes en rond.
Les bouquins dans les écoles
Bougonneront.

Dansez, les petites belles,
Toutes en rond.
Les oiseaux avec leurs ailes
Applaudiront.

Dansez, les petites fées,
Toutes en rond.
Dansez, de bleuets coiffées,
L'aurore au front.

Dansez, les petites femmes,
Toutes en rond.
Les messieurs diront aux dames
Ce qu'ils voudront.


Victor Hugo ("L'art d'être grand-père" 1877)

- -  - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -

Mes deux filles

Dans le frais clair-obscur du soir charmant qui tombe,
L'une pareille au cygne et l'autre à la colombe,
Belles, et toutes deux joyeuses, ô douceur
Voyez, la grande sœur et la petite sœur
Sont assises au seuil du jardin, et sur elles
Un bouquet d’œillets blancs aux longues tiges frêles,
Dans une urne de marbre agité par le vent,
Se penche, et les regarde, immobile et vivant,
Et frissonne dans l'ombre, et semble, au bord du vase,
Un vol de papillon arrêté dans l'extase.

Victor Hugo ("Les Contemplations" - 1856)

- -  - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -
Les enfants lisent, troupe blonde ...


Les enfants lisent, troupe blonde ;
Ils épellent, je les entends ;
Et le maître d'école gronde
Dans la lumière du printemps.

J'aperçois l'école entrouverte ;
Et je rôde au bord des marais ;
Toute la grande saison verte
Frissonne au loin dans les forêts.

Tout rit, tout chante ; c'est la fête
De l'infini que nous voyons ;
La beauté des fleurs semble faite
Avec la candeur des rayons.

J'épelle aussi moi ; je me penche
Sur l'immense livre joyeux ;
Ô champs, quel vers que la pervenche !
Quelle strophe que l'aigle, ô cieux !

Mais, mystère ! rien n'est sans tache.
Rien ! - Qui peut dire par quels noeuds
La végétation rattache
Le lys chaste au chardon hargneux ?

Tandis que là-bas siffle un merle,
La sarcelle, des roseaux plats,
Sort, ayant au bec une perle ;
Cette perle agonise, hélas !

C'est le poisson qui, tout à l'heure,
Poursuivait l'aragne, courant
Sur sa bleue et vague demeure,
Sinistre monde transparent.

Un coup de fusil dans la haie,
Abois d'un chien ; c'est le chasseur.
Et, pensif, je sens une plaie
Parmi toute cette douceur.

Et, sous l'herbe pressant la fange,
Triste passant de ce beau lieu,
Je songe au mal, énigme étrange,
Faute d'orthographe de Dieu.

Victor Hugo ("Les chansons des rues et des bois" 1865)

 - -  - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -

Adèle Hugo (on se souvient peut-être d'Isabelle Adjani dans le rôle titre de "Adèle H", film de Truffaut) est la seconde fille de Victor Hugo. Née en 1830 et disparue en 1915, 20 ans après lui, elle est le seul enfant de l'auteur qui lui ait survécu. Vers la fin de sa vie, il lui adresse ce poème :


À ma fille Adèle

Tout enfant, tu dormais près de moi, rose et fraîche,
Comme un petit Jésus assoupi dans sa crèche ;
Ton pur sommeil était si calme et si charmant
Que tu n'entendais pas l'oiseau chanter dans l'ombre ;
Moi, pensif, j'aspirais toute la douceur sombre
Du mystérieux firmament.

Et j'écoutais voler sur ta tête les anges ;
Et je te regardais dormir ; et sur tes langes
J'effeuillais des jasmins et des oeillets sans bruit ;
Et je priais, veillant sur tes paupières closes ;
Et mes yeux se mouillaient de pleurs, songeant aux choses
Qui nous attendent dans la nuit.

Un jour mon tour viendra de dormir ; et ma couche,
Faite d'ombre, sera si morne et si farouche
Que je n'entendrai pas non plus chanter l'oiseau ;
Et la nuit sera noire ; alors, ô ma colombe,
Larmes, prière et fleurs, tu rendras à ma tombe
Ce que j'ai fait pour ton berceau.

Victor Hugo ("Les quatre vents de l'esprit", 1881)

- -  - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -
Regardez : les enfants se sont assis en rond ...


Regardez : les enfants se sont assis en rond.
Leur mère est à côté, leur mère au jeune front
Qu'on prend pour une soeur aînée ;
Inquiète, au milieu de leurs jeux ingénus,
De sentir s'agiter leurs chiffres inconnus
Dans l'urne de la destinée.

Près d'elle naît leur rire et finissent leurs pleurs.
Et son coeur est si pur et si pareil aux leurs,
Et sa lumière est si choisie,
Qu'en passant à travers les rayons de ses jours,
La vie aux mille soins, laborieux et lourds,
Se transfigure en poésie !

Toujours elle les suit, veillant et regardant,
Soit que janvier rassemble au coin de l'âtre ardent
Leur joie aux plaisirs occupée,
Soit qu'un doux vent de mai, qui ride le ruisseau,
Remue au-dessus d'eux les feuilles, vert monceau
D'où tombe une ombre découpée.

Parfois, lorsque, passant près d'eux, un indigent
Contemple avec envie un beau hochet d'argent
Que sa faim dévorante admire,
La mère est là ; pour faire, au nom du Dieu vivant,
Du hochet une aumône, un ange de l'enfant,
Il ne lui faut qu'un doux sourire !

Et moi qui, mère, enfants, les vois tous sous mes yeux,
Tandis qu'auprès de moi les petits sont joyeux
Comme des oiseaux sur les grèves,
Mon coeur gronde et bouillonne, et je sens lentement,
Couvercle soulevé par un flot écumant,
S'entr'ouvrir mon front plein de rêves.

Victor Hugo ("Les Voies intérieures" 1837)

- -  - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -

Poème pour "croquer le marmot" !


L'ogre

Un brave ogre des bois, natif de Moscovie,
Était fort amoureux d'une fée, et l'envie
Qu'il avait d'épouser cette dame s'accrut
Au point de rendre fou ce pauvre cœur tout brut :
L'ogre un beau jour d'hiver peigne sa peau velue,
Se présente au palais de la fée, et salue,
Et s'annonce à l'huissier comme prince Ogrousky.
La fée avait un fils, on ne sait pas de qui.
Elle était ce jour-là sortie, et quant au mioche,
Bel enfant blond nourri de crème et de brioche,
Don fait par quelque Ulysse à cette Calypso,
Il était sous la porte et jouait au cerceau.
On laissa l'ogre et lui tout seuls dans l'antichambre.
Comment passer le temps quand il neige en décembre.
Et quand on n'a personne avec qui dire un mot ?
L'ogre se mit alors à croquer le marmot.

Victor Hugo (extrait de "Bons conseils aux amants", dans le recueil "Toute la lyre", Nouvelle série XI)

- -  - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -

L'enfant

Les Turcs ont passé là. Tout est ruine et deuil.
Chio, l'île des vins, n'est plus qu'un sombre écueil,
Chio, qu'ombrageaient les charmilles,
Chio, qui dans les flots reflétait ses grands bois,
Ses coteaux, ses palais, et le soir quelquefois
Un choeur dansant de jeunes filles.

Tout est désert. Mais non ; seul près des murs noircis,
Un enfant aux yeux bleus, un enfant grec, assis,
Courbait sa tête humiliée ;
Il avait pour asile, il avait pour appui
Une blanche aubépine, une fleur, comme lui
Dans le grand ravage oubliée.

Ah ! pauvre enfant, pieds nus sur les rocs anguleux !
Hélas ! pour essuyer les pleurs de tes yeux bleus
Comme le ciel et comme l'onde,
Pour que dans leur azur, de larmes orageux,
Passe le vif éclair de la joie et des jeux,
Pour relever ta tète blonde,

Que veux-tu ? Bel enfant, que te faut-il donner
Pour rattacher gaîment et gaîment ramener
En boucles sur ta blanche épaule
Ces cheveux, qui du fer n'ont pas subi l'affront,
Et qui pleurent épars autour de ton beau front,
Comme les feuilles sur le saule ?

Qui pourrait dissiper tes chagrins nébuleux ?
Est-ce d'avoir ce lys, bleu comme tes yeux bleus,
Qui d'Iran borde le puits sombre ?
Ou le fruit du tuba, de cet arbre si grand,
Qu'un cheval au galop met, toujours en courant,
Cent ans à sortir de son ombre ?

Veux-tu, pour me sourire, un bel oiseau des bois,
Qui chante avec un chant plus doux que le hautbois,
Plus éclatant que les cymbales ?
Que veux-tu ? fleur, beau fruit, ou l'oiseau merveilleux ?
- Ami, dit l'enfant grec, dit l'enfant aux yeux bleus,
Je veux de la poudre et des balles


Victor Hugo ("Les Orientales" 1829)

- -  - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -

De l'ordre des choses


Dieu fait les questions pour que l'enfant réponde

Dieu fait les questions pour que l'enfant réponde.

" Les deux bêtes les plus gracieuses du monde,
Le chat et la souris, se haïssent. Pourquoi ?
Explique-moi cela, Jeanne. " Non sans effroi
Devant l'énormité de l'ombre et du mystère,
Jeanne se mit à rire. " Eh bien ? - Petit grand-père,
je ne sais pas. jouons. " Et Jeanne repartit :
" Vois-tu, le chat c'est gros, la souris c'est petit.
- Eh bien ? " Et Jeanne alors, en se grattant la tête,
Reprit : " Si la souris était la grosse bête,
À moins que le bon Dieu là-haut ne se fâchât,
Ce serait la souris qui mangerait le chat. "

Victor Hugo ("La Légende des siècles" 1859)

- -  - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -
Chanson pour faire danser en rond les petits enfants

Grand bal sous le tamarin.
On danse et l'on tambourine.
Tout bas parlent, sans chagrin,
Mathurin à Mathurine,
Mathurine à Mathurin.

C'est le soir, quel joyeux train !
Chantons à pleine poitrine
Au bal plutôt qu'au lutrin.
Mathurin a Mathurine,
Mathurine a Mathurin.

Découpe comme au burin,
L'arbre, au bord de l'eau marine,
Est noir sur le ciel serein.
Mathurin a Mathurine,
Mathurine a Mathurin.

Dans le bois rôde Isengrin.
Le magister endoctrine
Un moineau pillant le grain.
Mathurin a Mathurine,
Mathurine a Mathurin.

Broutant l'herbe brin à brin,
Le lièvre a dans la narine
L'appétit du romarin,
Mathurin a Mathurine,
Mathurine a Mathurin.

Sous l'ormeau le pèlerin
Demande à la pèlerine
Un baiser pour un quatrain.
Mathurin a Mathurine,
Mathurine a Mathurin.

Derrière un pli de terrain,
Nous entendons la clarine
Du cheval d'un voiturin.
Mathurin a Mathurine,
Mathurine a Mathurin.

Victor Hugo ("L'art d'être grand-père" 1877)

- -  - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -

Le travail des enfants


Melancholia (passage)

Où vont tous ces enfants dont pas un seul ne rit ?
Ces doux êtres pensifs que la fièvre maigrit ?
Ces filles de huit ans qu'on voit cheminer seules ?
Ils s'en vont travailler quinze heures sous des meules ;
Ils vont, de l'aube au soir, faire éternellement
Dans la même prison le même mouvement.
Accroupis sous les dents d'une machine sombre,
Monstre hideux qui mâche on ne sait quoi dans l'ombre,
Innocents dans un bagne, anges dans un enfer,
Ils travaillent. Tout est d'airain, tout est de fer.
Jamais on ne s'arrête et jamais on ne joue.
Aussi quelle pâleur ! la cendre est sur leur joue.
Il fait à peine jour, ils sont déjà bien las.
Ils ne comprennent rien à leur destin, hélas !
Ils semblent dire à Dieu : « Petits comme nous sommes,
Notre père, voyez ce que nous font les hommes ! »
O servitude infâme imposée à l'enfant !
Rachitisme ! travail dont le souffle étouffant
Défait ce qu'a fait Dieu ; qui tue, œuvre insensée,
La beauté sur les fronts, dans les cœurs la pensée,
Et qui ferait - c'est là son fruit le plus certain ! -
D'Apollon un bossu, de Voltaire un crétin !
Travail mauvais qui prend l'âge tendre en sa serre,
Qui produit la richesse en créant la misère,
Qui se sert d'un enfant ainsi que d'un outil !
Progrès dont on demande : « Où va-t-il ? que veut-il ? »
Qui brise la jeunesse en fleur ! qui donne, en somme,
Une âme à la machine et la retire à l'homme !
Que ce travail, haï des mères, soit maudit !
Maudit comme le vice où l'on s'abâtardit,
Maudit comme l'opprobre et comme le blasphème !
O Dieu ! qu'il soit maudit au nom du travail même,
Au nom du vrai travail, sain, fécond, généreux,
Qui fait le peuple libre et qui rend l'homme heureux !

Victor Hugo ("Les Contemplations", III, 1856)

- -  - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -

De ce long poème classique de Hugo, dont l'entame est connue, on pourra proposer des passages, dont la première strophe, qui se prêtel au procédé de production d'écrit indiqué


Lorsque l'enfant paraît ...

Lorsque l'enfant paraît, le cercle de famille
Applaudit à grands cris.
Son doux regard qui brille
Fait briller tous les yeux,
Et les plus tristes fronts, les plus souillés peut-être,
Se dérident soudain à voir l'enfant paraître,
Innocent et joyeux.

Soit que juin ait verdi mon seuil, ou que novembre
Fasse autour d'un grand feu vacillant dans la chambre
Les chaises se toucher,
Quand l'enfant vient, la joie arrive et nous éclaire.
On rit, on se récrie, on l'appelle, et sa mère
Tremble à le voir marcher.

Quelquefois nous parlons, en remuant la flamme,
De patrie et de Dieu, des poètes, de l'âme
Qui s'élève en priant ;
L'enfant paraît, adieu le ciel et la patrie
Et les poètes saints ! la grave causerie
S'arrête en souriant.

La nuit, quand l'homme dort, quand l'esprit rêve, à l'heure
Où l'on entend gémir, comme une voix qui pleure,
L'onde entre les roseaux,
Si l'aube tout à coup là-bas luit comme un phare,
Sa clarté dans les champs éveille une fanfare
De cloches et d'oiseaux.

Enfant, vous êtes l'aube et mon âme est la plaine
Qui des plus douces fleurs embaume son haleine
Quand vous la respirez ;
Mon âme est la forêt dont les sombres ramures
S'emplissent pour vous seul de suaves murmures
Et de rayons dorés !

Car vos beaux yeux sont pleins de douceurs infinies,
Car vos petites mains, joyeuses et bénies,
N'ont point mal fait encor ;
Jamais vos jeunes pas n'ont touché notre fange,
Tête sacrée ! enfant aux cheveux blonds ! bel ange
À l'auréole d'or !

Vous êtes parmi nous la colombe de l'arche.
Vos pieds tendres et purs n'ont point l'âge où l'on marche.
Vos ailes sont d'azur.
Sans le comprendre encor vous regardez le monde.
Double virginité ! corps où rien n'est immonde,
Âme où rien n'est impur !

Il est si beau, l'enfant, avec son doux sourire,
Sa douce bonne foi, sa voix qui veut tout dire,
Ses pleurs vite apaisés,
Laissant errer sa vue étonnée et ravie,
Offrant de toutes parts sa jeune âme à la vie
Et sa bouche aux baisers !

Seigneur ! préservez-moi, préservez ceux que j'aime,
Frères, parents, amis, et mes ennemis même
Dans le mal triomphants,
De jamais voir, Seigneur ! l'été sans fleurs vermeilles,
La cage sans oiseaux, la ruche sans abeilles,
La maison sans enfants !

Victor Hugo ("Les feuilles d'automne", 1831)

crayon lieucommun Détournement des premiers vers de "Lorsque l'enfant paraît ..." 

Ici, une liste (contributions individuelles) a été établie à partir du simple titre de ce poème. On peut étendre le procédé à d'autres textes de Victor Hugo et à d'autres auteurs, comme le montrent les pages suivantes à cette adresse :  http://sites.radiofrance.fr/parvis/zlorsque.htm - Idée : réunir toutes les productions d'élèves pour constituer un poème répétitif (ne pas abuser de la censure !) ... 



1 novembre 2009

Hyvernaud, Jacob - PP12 - ENFANCES - TEXTES EN FRANÇAIS

- Andrée Hyvernaud -

Andrée Hyvernaud  (1910-2005), poète et écrivaine du nord de la France, est l'auteure de recueils de poésies pour la jeunesse, mais pas seulement ("Au bord des mortes eaux : poèmes. précédé de Qui mène au soir" - 1999). Elle était l'épouse du romancier Georges Hyvernaud, avec qui elle a signé plusieurs ouvrages.

Un poème cette année au rendez-vous du calendrier...  Ne tardez pas à l'utiliser !

Galette des Rois

Qui a la fève et la couronne ?
Papier d'or ou papier d'argent ?
La galette était bonne
Et la fève dedans.

Petit roi d'amour aux yeux de velours
Choisis la reine de ta cour !
Gentil Roi, bois ! Mais n'oublie pas
Que le bonheur même des Rois
Ne dure souvent qu'un seul jour ...

Andrée Hyvernaud



- Max Jacob -

Max Jacob (1876-1944) était un écrivain, un poète et un peintre, ami de peintres cubistes comme Pablo Picasso, Georges Braque et Juan Gris, et de poètes, comme Guillaume Apollinaire, puis plus tard, de Jean Cocteau, Modigliani, et encore Marcel Béalu, Michel Manoll, René-Guy Cadou et Jean Rousselot.
Il est auteur de contes pour enfants, et de nombreux recueils de poésie, certains en prose ("Le Cornet à dés" est d'abord édité en 1917 à compte d'auteur).
Voir la suite de cette présentation
ici sur le blog, avec le poème "Amour du prochain".

- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -

Souvent présentés comme deux textes différents, en réalité, il s'agit de deux strophes du même poème. La première strophe est représentée en calligramme (dans l'ouvrage "Il était une fois...les mots" - textes réunis par Yves Pinguilly et typoscénie d'André Belleguie, aux éditions La Farandole/Messidor, 1981) :

calligramme_Max_Jacob_cheval

Pour les enfants et pour les raffinés (extraits)

À Paris sur un cheval gris
À Nevers sur un cheval vert
À Issoire sur un cheval noir
Ah ! Qu'il est beau
qu'il est beau
Ah ! Qu'il est beau
Qu'il est beau!
Tiou !

[...]

Je te donne pour ta fête
Un chapeau noisette
Un petit sac en satin
Pour le tenir à la main
Un parasol en soie blanche
Avec des glands
sur le manche
Un habit doré sur tranche
Des souliers couleur orange.
Ne les mets que le dimanche.
Un collier, des bijoux !
Tiou !

Max Jacob ("Les œuvres burlesques et mystiques de Frère Matorel"- Henry Kahnweiler, 1912)

- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -

Avenue du Maine

Les manèges déménagent.
Manège, ménageries, où ?… et pour quels voyages
Moi qui suis en ménage
Depuis… ah ! il y a bel âge !
De vous goûter, manèges,
Je n'ai plus … que n'ai–je ?…
L’âge.
Les manèges déménagent.
Ménager manager
De l’avenue du Maine
Qui ton manège mène
Pour mener ton ménage !
Ménage ton ménage
Manège ton manège.
Ménage ton manège.
Manège ton ménage.
Mets des ménagements
Au déménagement.
Les manèges déménagent,
Ah ! vers quels mirages ?
Dites pour quels voyages
Les manèges déménagent.

Max Jacob ("Les œuvres burlesques et mystiques de Frère Matorel"- Henry Kahnweiler, 1912)

- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -

Souric et Mouric

Souric et Mouric,
Rat blanc, souris noire,
Venus dans l’armoire
Pour apprendre à l’araignée
À tisser sur le métier
Un beau drap de toile.

Expédiez-le à Paris,
à Quimper, à Nantes,
C’est de bonne vente !
Mettez les sous de côté,
Vous achèterez un pré,
Des pommiers pour la saison
Et trois belles vaches,
Un bœuf pour faire étalon.

Chantez, les rainettes,
Car voici la nuit qui vient,
La nuit on les entend bien,
Crapauds et grenouilles,
Écoutez, mon merle
Et ma pie qui parle,
Écoutez, toute la journée,
Vous apprendrez à chanter.

Max Jacob ("Poèmes de Morven le Gaélique" édité en 1953, posthume et en Poésie-Gallimard, 1991). Francis Poulenc a composé une musique sur les paroles de ce poème.

- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -

livre_Max_Jacob_po_mes_MorvenChanson bretonne

J'ai perdu ma poulette
Et j'ai perdu mon chat.
Je cours à la poudrette
Si Dieu me les rendra.


Je vais chez Jean le Coz
Et chez Marie Maria.
Va-t'en voir chez Hérode
Peut-être il le saura.


Passant devant la salle
Toute la ville était là
À voir danser ma poule
Avec mon petit chat.


Tous les oiseaux champêtres
Sur les murs et sur les toits
Jouaient de la trompette
Pour le banquet du roi.

Max Jacob ("Poèmes de Morven le Gaélique" édité en 1953, posthume et en Poésie-Gallimard, 1991)



1 novembre 2009

Jammes, Jean - PP12 - ENFANCES - TEXTES EN FRANÇAIS

- Francis Jammes -

Francis Jammes (1868-1938) est l'auteur de "La Prière", poème chanté par Georges Brassens (voir la catégorie BRASSENS chante les poètes) et on le retrouvera dans POÉSIES PAR THÈME : l'école avec "Souvenirs d'enfance" et aussi ici, avec ses amis les ânes : http://lieucommun.canalblog.com/archives/2007/04/29/6769130.html.

L'école est fermée

L'enfant lit l'almanach près de son panier d'œufs.

Et, en dehors des Saints et du temps qu'il fera,

elle peut contempler les beaux signes des cieux :

Chèvre, Taureau, Bélier, Poisson, et coetera.
Ainsi, peut-elle croire, petite paysanne,

qu'au-dessus d'elle, dans les constellations,

il y a des marchés, pareils avec des ânes,

des taureaux, des béliers, des chèvres, des poissons.
C'est le marché du Ciel sans doute qu'elle lit.

Et, quand la page tourne au signe des Balances,

elle se dit qu'au Ciel comme à l'épicerie

on pèse le café, le sel, et les consciences.

Francis Jammes

- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -

Le facteur

Lorsque j'étais enfant, ma mère me disait :
"Si, homme, il m'avait fallu choisir un métier,
C'est un facteur rural que j'aurais voulu être."
Et moi je l'admirais quand il passait, ses guêtres,
Et ses cannes de houx cueillies dans les clairières.
Ah ! Il était pour moi le parcoureur de terres,
Le voyageur qui s'en revient de l'inconnu.
Son monde était immense, en effet, j'avais vu,
Un jour après midi que nous nous promenions,
Que la route pouvait aller jusqu'à Ozon *.


* Ozon est un village des Hautes-Pyrénées, proche de la ville de Tournay où vivaient les parents de Francis Jammes.
Francis Jammes ("De l'angélus de l'aube à l'angélus du soir" - Mercure de France, 1898)

- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -

Ces deux poèmes (le second est le plus connu, chanté par Brassens), en forme de prières à Dieu, expriment la foi catholique de Jammes, celle qui traverse toute son œuvre :

Prière pour qu'un enfant ne meure pas

Mon Dieu, conservez-leur ce tout petit enfant,
comme vous conservez une herbe dans le vent.
Qu’est-ce que ça vous fait, puisque la mère pleure,
de ne pas le faire mourir là, tout à l’heure,
comme une chose que l’on ne peut éviter ?
Si vous le laissez vivre, il s’en ira jeter
des roses, l’an prochain, dans la Fête-Dieu claire ?
Mais vous êtes trop bon. Ce n’est pas vous, mon Dieu,
qui, sur les joues en roses, posez la mort bleue,
à moins que vous n’ayez de beaux endroits où mettre
auprès de leurs mamans leurs fils à la fenêtre ?
Mais pourquoi pas ici ? Ah ! Puisque l’heure sonne,
rappelez-vous, mon Dieu, devant l’enfant qui meurt,
que vous vivez toujours auprès de votre Mère.


Francis Jammes ("De l'angélus de l'aube à l'angélus du soir" - Mercure de France, 1898)

- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -

"La Prière" est le titre donné par Brassens à ce texte, qu'il a fortement remanié. La version donnée ci-dessous est donc assez différente du texte original qui suit, dont le titre est "Les mystères douloureux". On trouve une analyse de ce texte, chanté par Brassens, ici : Brassens - analyse de "La Prière" de Francis Jammes

La prière

Mon Dieu, conservez-leur ce tout petit enfant,
comme vous conservez une herbe dans le vent.
Qu’est-ce que ça vous fait, puisque la mère pleure,
de ne pas le faire mourir là, tout à l’heure,
comme une chose que l’on ne peut éviter ?
Si vous le laissez vivre, il s’en ira jeter
des roses, l’an prochain, dans la Fête-Dieu claire ?
Mais vous êtes trop bon. Ce n’est pas vous, mon Dieu,
qui, sur les joues en roses, posez la mort bleue,
à moins que vous n’ayez de beaux endroits où mettre
auprès de leurs mamans leurs fils à la fenêtre ?
Mais pourquoi pas ici ? Ah ! Puisque l’heure sonne,
rappelez-vous, mon Dieu, devant l’enfant qui meurt,
que vous vivez toujours auprès de votre Mère.


poème de Francis Jammes repris par Georges Brassens d'après le texte de
Francis Jammes (chapitre Rosaire, texte "Ainsi que Crusoë dans son île déserte…" )

Rosaire (deux passages)

32
(cette strophe annonce le passage 33 qui correspond au poème)


Ainsi que Crusoë dans son île déserte,
Le poète guette, à l’amère solitude,
Quel voile apportera la béatitude,
À son exil. La mer, comme une porte ouverte,
Semble donner l’espoir qu’apparaîtra soudain
Le bateau qui rira à l’horizon d’étain.
Et la fièvre prend le poète sur la grève.
Il croit voir cette voile. Il n’y a pourtant rien
Que le toujours pareil si accablant du rêve.
Le poète agonise. Il a soif, il a faim,
sa passion lui tend du fiel et du vinaigre.
Et les seuls fruits offerts au naufragé par Dieu,
ce sont les fruits des cinq mystères douloureux :

- - - - - - - -
33

Agonie
Par le petit garçon qui meurt près de sa mère
tandis que des enfants s'amusent au parterre,
et par l'oiseau blessé, qui ne sait pas comment
son aile tout-à-coup s'ensanglante et descend ;
par la soif et la faim et le délire ardent :
Je vous salue, Marie.

Flagellation
Par les gosses battus,
par l'ivrogne qui rentre,
par l'âne qui reçoit des coups de pied au ventre,
et par l'humiliation de l'innocent châtié ;
par la vierge vendue qu'on a déshabillée,
par le fils dont la mère a été insultée :
Je vous salue, Marie.

Couronnement d'épines
Par le mendiant qui n'eut d'autre couronne
que le vol des frelons, amis des vergers jaunes ;
et d'autre sceptre qu'un bâton contre les chiens ;
par le poète dont saigne le front qui est ceint
des ronces des désirs que jamais il n'atteint :
Je vous salue, Marie.

Portement de croix
Par la vieille qui, trébuchant sous trop de poids
s'écrie : "Mon Dieu !" ; par le malheureux dont les bras
ne purent s'appuyer sur une amour humaine ;
comme la croix du Fils sur Simon de Cyrène
par le cheval tombé sous le chariot qu'il traîne :
Je vous salue, Marie.

Crucifiement *
Par les quatre horizons qui crucifient le monde,
par tous ceux dont la chair se déchire ou succombe,
par ceux qui sont sans pieds, par ceux qui sont sans mains ;
par le malade que l'on opère et qui geint,
et par le juste mis au rang des assassins :
Je vous salue, Marie.

*c'est bien "Crucifiement" et non "Cruxifixion, réservé au supplice du Christ" - Les intertitres en italique sont dans le poème de Francis Jammes. On notera l'absence de la dernière strophe de "La Prière". Normal, elle a été ajoutée par Brassens et change sans aucun doute le "sens unique" du texte initial.
poème de Francis Jammes repris par Georges Brassens d'après le texte de
Francis Jammes ("Les mystères douloureux" dans "Clairières dans le ciel" suivi de "l'Eglise habillée de feuilles", Mercure de France, 1905 et "Clairières dans le ciel 1902-1906 - En Dieu - Tristesses, le Poète et sa femme, Poésie diverses, l'Eglise habillée de feuilles" réédition en Gallimard poésie 1980)



- Georges Jean -

Georges Jean , poète et enseignant, est né à Besançon en 1920. Il est l'auteur de recueils de poésie et d'anthologies poétiques pour les enfants.

"L'école est fermée", pour retourner en vacances le temps d'un poème :

L'école est fermée

Le tableau s'ennuie ;
Et les araignées
Dit-on étudient
La géométrie
Pour améliorer
L'étoile des toiles :
Toiles d'araignées,
Bien évidemment.

L'école est fermée
Les souris s'instruisent,
Les papillons lisent
Les pupitres luisent,
Ainsi que les bancs.

L'école est fermée
Mais si l'on écoute
Au fond du silence,
Les enfants sont là
Qui parlent tout bas
Et dans la lumière,
Des grains de poussière,
Ils revivent toute l'année qui passa,
Et qui s'en alla.

Georges Jean

- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -

Ici

Ici
Le feu
La musique est proche

Le bruit de la mer
Frappe les derniers murs du vent

Les oiseaux sont partis
À la limite de l'espace
La douce amertume du temps Ouvre les griffes du néant

Et dans les marées enfouies
Les coquillages du silence
Chantent dans les mains de l'enfance.

Georges Jean ("Parcours immobile" - le dé bleu, 1995)



 

Publicité
1 novembre 2009

Joquel, Khoury-Ghata - PP12 - ENFANCES - TEXTES EN FRANÇAIS

- Patrick Joquel -

Patrick Joquel, né en 1959, est un romancier pour la jeunesse et poète contemporain, qui dit lui-même porter plusieurs casquettes :
"... Casquette d’Auteur : poèmes, romans, albums, pédagogie de la poésie, anthologies poétiques... Casquette d’Enseignant : professeur des écoles dans les Alpes Maritimes, actuellement sur un poste itinérant... Casquette de randonneur : arpenteur des hauts sentiers du Mercantour ou d’ailleurs... Casquette de Petit Critique : j’aime croquer en quelques lignes mes lectures ... "(source : http://lignesdecritures.org/-Patrick-Joquel-.html)
Deux recueils de poésies parmi d'autres recueils :
Le classique "Que sais tu des rêves du lézard" (éditions Magnard, 2004), et une nouveauté : "Un bleu formidable" (Editions le Chat qui tousse), en 2011, qui rassemble des haïkus, illustrés de Johan Troïanowski.
On citera aussi un outil, guide pédagogique pratique : "Poésie maternelle" (Magnard, 2007) sans oublier "Poésie Cycles 2 et 3", (Magnard, 2001).
Et puis un site, le sien, pour faire plus ample connaissance avec cet auteur multiforme : http://www.patrick-joquel.com/

  • Sur le site de Patrick Joquel, les trois premières strophes d'un poème sans titre, tirés du recueil "Croquer l'orange", aux éditions Pluie d'étoiles (2008), et toujours illustré par Johan Troïanowski

Croquer l'orange (titre proposé - c'est celui du recueil)

1

À bord de ton croissant

tu as croqué l’orange

Un lent soleil couchant

Tu es doux comme un ange

Tu as dix doigts plumes

Tu caresses les nuages

les comètes

les orages

Tout ce qui s’allume

quand s’obscurcit la planète

2

Avec sa pelle en plastique

elle prend du sable

et le lance

loin dans la mer

Très loin

Un peu plus tard

elle remplit le seau d’eau

puis le vide

sur la plage

Tu le sais

tu en as fait autant

si loin que tu ne t’en souviens plus

Une autre vie

Aujourd’hui

tu n’as plus ni seau ni pelle

mais tu regardes encore la mer

3

Tu vis

sur un filin d’écume

Funambule

aux muscles salés

tu déambules

Ton corps sablé

croque à tous les bleus

(...)

Patrick Joquel ("Croquer l'orange" - Pluie d'étoiles - 2008)

- - - - - - - - - - - - - - - - - -

Le nénuphar 
(titre proposé)

Le nénuphar
Quelle histoire
A dit Grellule
A Libenouille
Le nénuvers
Flotte à l’emphar

Patrick Joquel

- - - - - - - - - - - - - - - - - -

J'aime le rouge (titre proposé)
 
" J'aime le rouge"
chuchote la fraise à la cerise.
" J'aime le rouge"
dit la cerise à la framboise.
"Moi aussi mais avec du noir"
 répond la coccinelle.
 "Le noir éclaire un peu plus les mystères"
murmure en s'envolant un zygène.*

* le zygène est un insecte, un papillon lde nuit, dont il existe en France de nombreuses espèces, amateurs exclusifs de différentes plantes

 

Patrick Joquel

- - - - - - - - - - - - - - - - -

des passages d'un long poème, où à l'occasion d'une balade pédestre, "un peu de notre enfance surgit en nous" :

Cinqueterre, un territoire signé des hommes (extraits - titre proposé)

(...)

On arpente un territoire abrupt
 
De la ligne de crête à celle du ressac
la terre
vieille peau rêche
s’est plissée
 
Les torrents
comme autant de traits d’union balafrent les pentes
on regarde avec effroi les traces de leurs morsures
on imagine leur furie
 
C’est pourtant là
sur les lèvres de ces oueds que des hommes ont niché des villages dont la rue principale se jette à la mer
 
Aux heures où le travail se désaltère en terrasse
un verre de blanc à la main
le regard se perd dans les mouvants horizons bleus qu’un cargo parfois souligne
et
reposées devant les portes colorées des maisons les barques voient fleurir sur leur bois peint le sel oublié de la dernière pêche
 
Comment choisit-on d’habiter l’inhabitable et pourquoi
?
 
La question reste en suspens tandis qu’on marche entre ciel et mer et d’un clocher à l’autre sur ces adrets sculptés au burin des restanques
 
La vigne bourgeonne un léger vert
sous les oliviers le paysan vient de rouler ses filets
 
On arpente ici un territoire signé des hommes
 
*
L’agave cloue le sentier à la falaise
 
Debout
on voudrait nous aussi écarter les bras
s’élever
s’envoler
tellement fort tellement léger
comme on aimerait
 
On avance ainsi chaussé de loisirs sur ces sentiers rocailleux cherchant à surprendre une ombre
 
On vient ici comme en échappée
portable éteint
 
On se repose en marchant
 
Que vient-on chercher au juste ?
 
Sur ces chemins aussi caillouteux que leurs passés on s’en va tout gonflé de silence et nos pas rebondissement d’un mot à l’autre
 
Ici vont des chemins de labeur
de femmes chargées de foin
de paniers d’olives
de hottes de vendanges
 
Ces chemins dallés aux murs fleuris nous emmènent
chemins usés par les sabots
le pied glisse
 
Et la mer
toujours
suspendue aux branches
comme pour mieux river les hommes à leurs jardins ou bien pour tenter d’en attirer quelques uns
au large
 
Hommes de terres
Hommes de vents
 
*
Le vent écume un goéland
son cri arrache un lambeau de chair au silence
il dessale un vieux paysage
 
Ressac
écume
un peu de notre enfance surgit en nous
silence et nostalgie apaisent des douleurs de vieux genoux
on joue avec la vague à mouiller deux doigts de pieds
on glane
coquilles vides
bouts de verre
petits cailloux polis
 
On oublie la rumeur de la route
le cri du train
on se nettoie les yeux de ses bureaux
de ses écrans
de ses graphiques
nul ne peut indexer aux cours des bourses internationales
nos émotions
 
Tant de beauté pour une coquille
 
On se laisse juste prendre
on se dit que ces couleurs roulées

sur la grève
avec leurs bruits d’horloge
sont intemporelles
 
Chaque vague a sa lumière
sa courbe
son fracas
son soupir

(...)

printemps 2003 entre Rio Maggiore et Sestri Levante ;
et bien sûr à mon balcon de Mouans Sartoux.(PJ)

Patrick Joquel (revue blog "Le Capital des mots" décembre 2007) - source : http://www.le-capital-des-mots.fr/

- - - - - - - - - - - - - - - - - -

Il pleut sur la ville (titre proposé)
 
Il pleut sur la ville

des mots que je n'aime pas

Je les jette au caniveau

l'eau les dissout

Un mérou les fumera

dans sa pipe

un soir au fond

de sa grotte marine

Il pleut sur la ville

      des mots

que je n'aime pas

Patrick Joquel

- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -

Que sais-tu des rêves du lézard ?(titre proposé)livre_r_ves_l_zard

Tu ne regardes pas
la couleur des autos
tu choisis de compter
les fleurs du potager d'en face

Tu n'écoutes pas
le bavardage des moteurs
tu préfères chercher
le petit lézard du balcon
celui que le citronnier a couvé
tout l'hiver
dans son pot

Patrick Joquel ("Que sais-tu des rêves du lézard ?" - éditions Magnard , 2004)

- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -

Un silencieux brochet (titre proposé)

Un beau soir de juillet
un silencieux brochet
de son métier lassé
raccrocha son dentier

Devenu non violent
il partit au Tibet
se nourrir de sorbet

A l'automne suivant
il revint en volant
pour ouvrir un glacier
sur un fond de graviers

Patrick Joquel ("Tant de secrets" - éditions Gros Textes, 2005)

- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -

L'igloo (titre proposé)

Je vis caché

dans un trou
tout au fond
de mon igloo
J'attends
un peu de soleil
un petit
clin d'oeil
du ciel
Je guette
avec gourmandise
un amour
sur la banquise

Patrick Joquel ("Demain les hippocampes" - éditions Solos, 1998)

- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -

Pas seul au monde (titre proposé)

Tu suis des yeux
la flèche rouge de ta boussole
Loin là-bas
au delà de la montagne
un éléphant de mer t'attend
Tu vois
tu n'es pas seul au monde

Patrick Joquel ("Le bruit d'un brin de bambou" - éditions Gros Textes, 1999-2003)

- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -

Le soleil(titre proposé)

Ce matin
Dans le bol bleu du ciel
Le soleil trempe un dernier croissant
Puis
Sans se presser
Ouvre la terre
Et
Lit le journal
Des fleurs et des insectes

Patrick Joquel

- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -

Question (titre proposé)

Tu m'expliques
Orion
Rigel et Bételgeuse
La dérive des continents
Le lent cheminement de l'homme
et la danse des atomes
Mais
tu ne me dis pas
où j'étais
avant de venir au monde

Patrick Joquel ("Perché sur ton planisphère" - éditions lo Païs, encres de Zaü)



- Vénus Khoury-Ghata -

Vénus Khoury-Ghata est une poète, journaliste (son premier métier) et romancière libanaise francophone, née en 1937 à Baabda, près de Beyrouth. Elle vit à Paris depuis 1972. Déjà lauréate du Prix Guillaume Apollinaire (pour "Les ombres et leurs cris" en 1979), du Prix Mallarmé ("Un faux-pas du soleil, 1982), du Prix Jules Supervielle ("Anthologie personnelle, 1997), du Grand prix de poésie de l’Académie française, du Grand prix Guillevic de poésie de Saint-Malo, et du Grand Prix de Poésie de la Société des Gens de Lettres pour l'ensemble de son œuvre, elle vient d'obtenir Le Prix Goncourt de la poésie 2011, également pour l'ensemble de son œuvre.

Quelques ouvrages parmi une quarantaine de titres :

  • romans : La Maestra (Actes Sud, 1996, prix Antigona) - Sept pierres pour la femme adultère, roman, Mercure de France, 2007 - La Maison aux orties, Actes Sud, 2006 - La fille qui marchait dans le désert (roman), Mercure de France, 2010 - Privilège des morts, roman, Balland, 2001 - Une maison au bord des larmes, roman, Balland, 1998, Babel 2005
  • poésie : À quoi sert la neige ?, poèmes pour enfants, Le Cherche Midi, 2009 - Les Obscurcis, Mercure de France, 2008 - Six poèmes nomades, avec Diane de Bournazel, Al Manar, 2005 - Compassion des pierres, La Différence, 2001 - Où vont les arbres, Mercure de France, 2011

"La langue française me tient lieu de pays"

Elle a écrit le poème À Yasmine pour sa fille. On en trouve deux versions, celle ci semble être le texte original, qu'on trouve dans l'ouvrage référencé, auquel a participé l'auteur ...

À Yasmine

Tu es mon point du jour
mon île colorée en bleu
ma clairière odorante

tu es ma neige volée
mon pétale unique
mon faune bricoleur

tu es ma robe de caresses
mon foulard de tendresse
ma ceinture de baisers

tes gestes moulin à vent
tes cils épis de blé
et le rire se pétrit dans la cuve de ta bouche
tu es mon pain joufflu
ma lisse
un nid

Vénus Khoury-Ghata - source de ce texte vérifié : le livre qui fait suite au Colloque de même titre, "Des femmes et de l'écriture: le bassin méditerranéen" - auteurs : Carmen Boustani, Edmond Jouve, Vénus Khoury-Ghata, éditions Khartala, 2006.

Voici la version modifiée, mais prudence, les deux textes sont en cours de vérification :

À Yasmine *

Tu es mon point du jour
mon île colorée en bleu
ma clairière odorante

Tu es ma neige volée
mon pétale unique
mon faune apprivoisé

Tu es ma robe de caresses
mon foulard de tendresse
ma ceinture de baisers

Tes cils épis de blé
Tes gestes moulin à vent
et l'on pétrit le rire
Dans la cuve de ta bouche

Tu es mon pain dodu
mon nid

Vénus Khoury-Ghata ("Qui parle au nom du jasmin ?", Les Editeurs Français Réunis, 1980, et dans "Anthologie personnelle " - Actes Sud, 1999)

* Yasmine Ghata, née en 1975, est aujourd'hui romancière  ("Muettes", roman, aux éditions Fayard en 2010 - "Le Târ de mon père" Fayard 2007 - "La nuit des Calligraphes, 2004).

- - - - -  - - - - - - - - - - - - - - - - - -

La Basse enfance (extrait)

Ne tournez pas les pages à l’envers
disait ma mère
les mots inversés ont le vertige
l’encre perturbée caille comme un mauvais lait

Les livres que nous feuilletions venaient de la forêt qui nous regardait lire du cri de l’écorce qui se prolongeait sous la peau des pages
Nous lisions dans l’obscurité d’août
quand le cosmos se débarrassait de son excédent d’étoiles

quand la nuit faute de marge se dilatait jusqu’à la nuit.

Vénus Khoury-Ghata ("Anthologie personnelle " - Actes Sud, 1999)

- - - - -  - - - - - - - - - - - - - - - - - -

Ma mère au tronc creux

Ma mère au tronc creux
Aux mains qui se ramifient dans la terre
Ma mère rapiéçait le feu

Mon père chargé de porter le silence
Était devenu pilier

Et la guerre lâchait ses chevaux à nos portes
La mer dans nos lits hennissait

Il y a pleins d'océans vides à louer ...

Vénus Khoury-Ghata

- - - - -  - - - - - - - - - - - - - - - - - -

Source des textes de Vénus Khoury-Ghata reproduits ci-dessous : http://www.printempsdespoetes.com/

La voie lactée ...

La voie lactée mène à l'école
Les enfants l'empruntent soir et matin
Les tabliers au passage frôlent une étoile dormante
Qui crie dans son sommeil
Et jette des étincelles
La Grande Ourse rêve d'une couette
La Petite Ourse rêve d'un jardin
Et de trèfles à quatre feuilles
Le temps est à la somnolence et à la paresse
L'instituteur dort en marchant
Les élèves sont en papier

- - - - -  - - - - - - - - - - - - - - - - - -

À quoi sert l'école ?

À enfermer entre les mêmes murs livres et enfants

- - - - -  - - - - - - - - - - - - - - - - - -

À chaque chose son temps et sa couleur

À chaque chose son temps et sa couleur
Dit le peintre
Et il ajoute une aile jaune à l'écureuil
Le cyprès qu'il peint en noir
Fait des grimaces derrière son dos
La vache est très contente
Elle aime le nuage rose dessiné sur son dos

- - - - -  - - - - - - - - - - - - - - - - - -

À quoi sert un nuage ?

À fondre en pluie dés qu'on l'essore de travers

Vénus Khoury-Ghata ("À quoi sert la neige" - Le cherche midi éditeur - Recueil sélectionné pour le prix poésie jeunesse 2010 Lire et Faire Lire)



1 novembre 2009

Krysinska, L'Anselme - PP12 - ENFANCES - TEXTES EN FRANÇAIS

- Marie Krysinska -

Marie Krysinska (1864-1908) "devient la seule femme membre actif des cercles littéraires des Zutistes, des « Hirsutes » et des « Jemenfoutistes » qui se réunissaient au cabaret du Chat noir. Elle accompagne au piano les chansons et les poèmes qu'on y déclame. Dès la première année de parution de La Revue du Chat noir, elle y publie ses propres poèmes." (source Wikipédia)

"Marie Krysinska fut peut-être chronologiquement la première à faire publier des vers libres, aux alentours de 1882 et 1883" ... (source : "Naissance du vers libre" - Mémoire de Master I - Université Stendhal (Grenoble III)– Lettres et Arts, présenté par Sabine Garcia en juin 2009)

Marion

                       À Steinlen

Marion cueille des fleurs dans les prés
Et les fleurs la voyant si belle
— C’est notre sœur — disent-elles ;
Ah ! Ah !
Marion va promener au bois
Et les oiseaux l’entendant chanter
Se taisent pour l’écouter ;
Ah ! Ah !
Marion rencontre un chevalier
Qui prend son cœur tout entier
Et puis s’en va.
Ah ! Ah !
Maintenant le joli bois est muet
Et se fanent les fleurs dans les prés
À voir Marion pleurer.
Ah ! Ah !

Marie Krysinska ("Nouveaux Rythmes pittoresques", Chansons - Alphonse Lemerre, 1894)



- Jean L'Anselme -

Jean L'Anselme, nom d'auteur de Jean-Marc Minotte (1919- 30 décembre 2011) est un poète vivant, comme on l'écrivait ici. Mais il a disparu physiquement de notre horizon l'avant-dernier jour de 2011.

Il demeure un poète atypique, comme on le dit parfois des auteurs qui déconcertent, qui n'entrent pas dans les catégories normalisées.

Merci au visiteur de lieucommun qui nous permet de rectifier, hélas, vraiment à contre-cœur, la biographie de Jean L'Anselme, et qui nous signale le  témoignage du fils de l'auteur sur Poezibao (en lire sur le site l'intégralité) :

" ...dans « L’Anselme à tous vents », il disait préférer au saule de Musset « une bière bien fraîche, avec beaucoup de mousse… autour ». Par une ultime pirouette d’humour noir, ils nous a quittés vendredi… la veille de son 92ème anniversaire !"

Quelques titres d'ouvrages de Jean L'Anselme, tous parus aux éditions Rougerie :
Ça ne casse pas trois pattes à un canard et après (2005) ; La chasse d'eau, les poèmes cons, manifeste suivi d'exemples, Le ris de veau (1995) ; Pensées et proverbes de Maxime Dicton, banalités, bêtises, paradoxes, balivernes, lieux communs et autres propos sérieux de l'auteur (1991).

Voici un passage à lire aux élèves :
"...On ne naît pas poète, on naît comme on est, c'est-à-dire comme tout le monde. N'importe qui peut être poète, je suis moi-même n'importe qui. Il n'y a d'ailleurs pas d'école où on enseigne la poésie pour en ressortir avec un CAP alors que, dans les autres domaines de l'art, il existe des conservatoires et des académies. C'est une réalité à laquelle on ne songe guère. Nous sommes donc des millions de poètes comme toi. Souvent sans le savoir ..."
et il termine presque par ceci : "À présent oublie tout ce que je viens de te dire et n'écoute pas les autres..."

Jean L'Anselme - Conseils à un jeune poète (éditorial du n° 13 de la revue Poésie Première, à lire intégralement ici : http://poesiepremiere.free.fr/Lanselme.html).

Quelques facettes de l'humour grinçant, noir ou loufoque de l'auteur :

Art poétique

Vingt fois sur le métier
dépolissez l'ouvrage,
un vers trop poli
ne peut pas être...au net.
Méfiez-vous des vers luisants !
Faites du vers dépoli
votre vers cathédrale.
un poème au pied bot
ne peut être que bancal.

Jean L'Anselme (Vers dépolis, dans le recueil "La Foire à la ferraille" - Éditeurs Français Réunis, 1974)

- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -

Congés payés

Moi dit la cathédrale je voudrais être coureur à pied pour
pouvoir lâcher mes béquilles
Moi dit le pont je voudrais être suspendu pour pouvoir sauter
A la corde
Moi dit l’imagination je voudrais être riche pour pouvoir
emmener L’Anselme en vacances
Moi dit la Seine je voudrais être mer pour avoir des enfants
qui jouent dans le sable

Jean L'Anselme ("Il fera beau demain" - Éditions Caractères / Imprimerie de poètes, 1952)

- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -

Le guépard

Le guépard est une magnifique bête de l'espèce des félidés. Mais, à l'encontre des animaux de cette famille, il ne possède pas des griffes mais des ongles, comme le chien.
Sa course est superbe; c'est un spectacle inoubliable mais fort rare car généralement on court devant.

Jean L'Anselme (Vers dépolis, dans le recueil "La Foire à la ferraille" - Éditeurs Français Réunis, 1974 et dans "La nouvelle guirlande de Julie", anthologie de Jacques Charpentreau, - Éditions Ouvrières, 1976)

- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -

Impératifs

Le poulet, une fois cuit, réclame d'être mangé sur-le-champ.
Le veau ne souffre pas d'être consommé cru, le cheval en revanche le tolère.
Le lapin demande à être écorché vif ; le lièvre préfère attendre.
Le homard exige d'être plongé vivant dans l'eau bouillante.
Et nous, plus bêtes que les bêtes, comme toujours, nous nous laissons faire par tout le monde.

Jean L'Anselme (Vers dépolis, dans le recueil "La Foire à la ferraille" - Éditeurs Français Réunis, 1974)

- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -

Un poète (titre suggéré)

- Mais qu’est-ce qu’un poète ?
- C’est quelqu’un qui ne passe jamais à la télévision parce qu’il n’est pas connu.
- Et pourquoi n’est-il pas connu ?
- Parce qu’il ne passe jamais à la télévision.

Jean L'Anselme

- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -

Monsieur X *

C'était un vieux hibou
affreux comme un pou
avec son caillou
nu comme mon genou.

Mais comme il était chou
quand il faisait joujou
avec son chien Bijou !

Jean L'Anselme

* devinette pour les élèves : pourquoi Monsieur "X" ?

- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -

L'éclair au chocolat

Dans l'éclair au chocolat
ce qui est sur le dessus
et ce qui est à l'intérieur
ça n'a pas la même couleur.
Le dessus ressemble à du chocolat
Mais pas le dedans.
On est aussi souvent chocolat
avec les gens qu'on ne connaît pas.

Jean L'Anselme (dans l'anthologie de Jacques Charpentreau, "La poésie comme elle s'écrit" - Éditions Ouvrières, 1979)

- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -

La Darne de Lieu

J'ai déjà pêché l'ablette et l'épinoche, mais jamais la Darne de Lieu. On m'en apporte pourtant sur mon assiette. La Darne de Lieu est un poisson curieux, plat pour le genre mais épais, plutôt rond de forme avec de la peau sur la tranche et non sur le desus et le dessous. Il possède une arête centrale rayonnante. Plus bizarre encore, il n'a ni tête ni queue apparentes. Malgré son nom ce n'est pas, à ce qu"on dit, un poisson noble. Comment peuvent-ils donc, en pêche sous-marine, distinguer cela d'un bifteck ?

Jean L'Anselme ("Très cher Onésime Dupan de Limouse" - éditions Rougerie, 1966)



1 novembre 2009

Le Floch, Ley - PP12 - ENFANCES - TEXTES EN FRANÇAIS

- Madeleine Le Floch -

Madeleine Le Floch est une auteure contemporaine, qui a publié en 1975 "Petits contes verts pour le printemps et pour l'hiver". Un recueil dans lequel elle joue avec les différents sens, les à-peu-près et les homonymies du vert, pour l'écriture de (quand même !) soixante-treize petits poèmes. En voici un échantillon :

livre_Madeleine_Le_Floch_contes_vertsVers exclusif *

La mer
en s'en allant
écrivait sur le sable
un poème

que le vent
jaloux
effaçait.

Madeleine Le Floch ("Petits contes verts pour le printemps et pour l'hiver" - Éditions Saint-Germain-des-Prés, 1975)

* Dans le recueil, ce texte porte le titre "Vert exclusif". Puisqu'il s'agit d'un poème que la mer écrit jalousement, est-ce une faute de frappe, ou faut-il titrer "Vers exclusifs" ?

- - - - -  - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -

Oiseau vert

Il était une fois
un oiseau
que l'on avait
enfermé
dans une cage.

Du matin au soir
il criait:
que je suis malheureux!
Ah! que je suis donc
malheureux!

Comme il chante bien
disait la petite fille.

Madeleine Le Floch ("Petits contes verts pour le printemps et pour l'hiver" - Éditions Saint-Germain-des-Prés, 1975)

- - - - -  - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -

Ver de mer

Un poisson connaissait par cœur
les noms de tous les autres poissons.
Il connaissait les algues, les courants,
les sédiments, les coquillages.
C’était un érudit.
Il exigeait d’ailleurs qu’on l’appelât «maître » !
Il savait tout de la mer
Mais il ignorait tout de l’homme.
Et un jour il se laissa prendre au bout
d’un tout petit hameçon.

Madeleine Le Floch ("Petits contes verts pour le printemps et pour l'hiver" - Éditions Saint-Germain-des-Prés, 1975)

- - - - -  - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -

Vert de lune

Une idée fixe
un soir de carnaval
se déguisa en cerf-
volant
et se laissa
monter
jusqu'à la lune
où elle germa.

Quand vous irez sur
la lune
si vous rencontrez un cerf-
volant
ou une fleur
qui a l'air de venir
d'ailleurs
méfiez-vous!

C'est peut-être
une idée fixe
qui cherche
à redescendre.

Madeleine Le Floch ("Petits contes verts pour le printemps et pour l'hiver" - Éditions Saint-Germain-des-Prés, 1975)

- - - - -  - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -

Deux poèmes sous  forme de calligrammes :

Haricot vert

L
e

ha
ri
cot
vert
était
très
comp
lexé
dep
uis
que
sa
li
gn
e
n’
ét
ai
t
pl
us
à
l
a
m
o
d
e

Madeleine Le Floch ("Petits contes verts pour le printemps et pour l'hiver" - Éditions Saint-Germain-des-Prés, 1975)

- - - - -  - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -
Vertige ("vert-tige", vous aviez deviné)

calligramme_la_fleur

Madeleine Le Floch ("Petits contes verts pour le printemps et pour l'hiver" - Éditions Saint-Germain-des-Prés, 1975)

logo_cr_ation_po_tiqueCalligrammes : voir Guillaume Apollinaire



- Madeleine Ley - 

Madeleine Ley (1901-1981) est une romancière et poétesse belge.

La girafe

Je voudrais une girafe
Aussi haute que la maison
Avec deux petites cornes
Et des sabots bien cirés
Je voudrais une girafe
Pour entrer sans escalier
Par la lucarne du grenier.

Madeleine Ley ("60 poésies 60 comptines" - éditions Le Centurion)

- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -

En rêve j'ai trouvé

En rêve j'ai trouvé
(Le joli, joli rêve !)
en rêve j'ai trouvé
la clochette enchantée
qui dit la vérité.

En rêve j'ai trouvé
(Était-ce bien un rêve ?)
en rêve j'ai trouvé
les miettes semées par le Petit Poucet !

En rêve j'ai trouvé
(L'étrange, étrange rêve !)
en rêve j'ai trouvé
la citrouille si grosse
qui se change en carosse !

Dans mon plus joli rêve,
au pied d'un blanc perron,
j'ai trouvé, Cendrillon,
ta pantoufle de verre ...

(Madeleine Ley ("Petites voix" - Éditions Stock, 1930)

logo_cr_ation_po_tique Des exemples de création poétique en CE1 à la manière de Madeleine Ley :
http://www.ac-nancy-metz.fr/petitspoetes/HTML/SALLESDEJEUX/JEURIME.html

 

- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -

Voici un dernier poème de Madeleine Ley, moins situé dans le thème de l'humour :

L’araignée

Araignée grise
Araignée d’argent
Ton échelle exquise
Tremble dans le vent.
Toile d’araignée
Émerveillement
Lourde de rosée
Dans le matin blanc !
Ouvrage subtil
Qui frissonne et ploie
Ô maison de fil
Escalier de soie.
Araignée grise
Araignée d’argent
Ton échelle exquise
Tremble dans le vent.

Madeleine Ley ("Petites voix" - Éditions Stock, 1930)



1 novembre 2009

Lamartine - PP12 - ENFANCES - TEXTES EN FRANÇAIS

- Alphonse de Lamartine -

Alphonse de Lamartine (1790-1869), est un écrivain et poète romantique et lyrique. C'est aussi un homme politique français.

La fenêtre de la maison paternelle

Autour du toit qui nous vit naître
Un pampre étalait ses rameaux;
Ses grains dorés, vers la fenêtre,
Attiraient les petits oiseaux.

Ma mère, étendant sa main blanche,
Rapprochait les grappes de miel,
Et les enfants suçaient la branche,
Qu'ils rendaient aux oiseaux du ciel.

L'oiseau n'est plus, la mère est morte ;
Le vieux cep languit jaunissant,
L'herbe d'hiver croît sur la porte,
Et moi je pleure en y pensant.

C'est pourquoi la vigne enlacée
Aux mémoires de mon berceau,
Porte à mon âme une pensée,
Et doit ramper sur mon tombeau.

Alphonse de Lamartine ("Troisièmes Méditations poétiques", 1849)



 

1 novembre 2009

Lapointe, Lavaur, Noël (Marie) - PP12 - ENFANCES - TEXTES EN FRANÇAIS

Boby_Lapointe_coffret_int_gr_33T

- Boby Lapointe -

Boby Lapointe (1922-1972) est natif de Pézenas, dans l'Hérault. Poète, chanteur ? Les deux. C'est un humoriste, un joueur de mots hors pair, qu'il sait si bien mettre en musique, dont il faut réécouter plusieurs fois les interprétations  pour saisir les astuces de langage. (photo coffret Intégrale 33 tours, présenté par son ami Georges Brassens - clic pour agrandir l'image)

On verra plus bas que Boby Lapointe est proche du mouvement Dada. Pas d'allusion ici au "Saucisson de cheval", titre d'une de ses chansons, mais plus précisément aux contraintes linguistiques qu'il s'est imposées avec le système "Bibi-binaire" de son invention.

On pourra s'amuser dans le texte qui suit, à repérer les jeux de mots et les doubles-sens :

La maman des poissons (extrait)

Si l'on ne voit pas pleurer les poissons
qui sont dans l'eau profonde
C'est que jamais quand il sont polissons
leur maman ne les gronde.

Quand ils s'oublient à fair' pipi au lit,
ou bien sur leurs chaussettes
Ou à cracher comme des pas polis,
elle reste muette

La maman des poissons
elle est bien gentille
Elle ne leur fait jamais la vie
Ne leur fait jamais de tartines
Ils mangent quand ils ont envie
Et quand ça a dîné ça r'dine
[...]
La maman des poissons
Elle a l'œil tout rond
On ne la voit jamais froncer les sourcils
Ses petits l'aiment bien, elle est bien gentille
Et moi je l'aime bien avec du citron
[...]
S'ils veulent être maquereaux
C'est pas elle qui les empêche
De s'faire des raies bleues sur le dos
Dans un banc à peinture fraîche
[...]
La maman des poissons
Elle a l'œil tout rond
On ne la voit jamais froncer les sourcils
Ses petits l'aiment bien, elle est bien gentille
Et moi je l'aime bien avec du citron

....

La maman des poissons
elle est bien gentille

Boby Lapointe - paroles et musique (éditions musicales Francis Dreyfus, 1971)

Boby Lapointe, mathématicien de talent reconnu, est l'inventeur du système numérique "Bibinaire"ou "Bibi-binaire", dont on aura un aperçu à cette adresse :
http://pagesperso-orange.fr/therese.eveilleau/pages/truc_mat/textes/bibinaire.htm.
L'ordinateur a créé des pseudo-mots (on en trouve aussi des authentiques... le hasard ?)  qui forment une suite, en fonction de ce programme et des sons que l'auteur lui a fournis. Il ne s'agissait pas de construire des phrases, il n'y a pas de liaison entre les termes obtenus :

Adéli adémo mélami adéli
Laminja olala émiléli mimé
Malila jédélo mémimo odéli
Ladémi démodé admila matimé

À l'issue de cette production, Boby Lapointe a eu l'idée d'une chanson avec des mots existants : Méli-mélodie, dont voici juste un aperçu, vu que nous avons censuré certains pas-sages (on les trouvera ailleurs) :

Méli-mélodie

Oui, mon doux minet, la mini,
Oui, la mini est la manie
Est la manie de Mélanie
Mélanie l'amie d'Amélie...
[...]

Des minous menus de Lima
Miaulant dans les dais de damas
Et dont les mines de lama
Donnaient mille idées à Léda...

Léda dont les dix dents de lait
Laminaient les mâles mollets
D'un malade mendiant malais
Dinant d'amibes amidonnées
Mais même amidonnée l'amibe
Même l'amibe malhabile
Emmiellée dans la bile humide
L'amibe, ami, mine le bide...
Et le dit malade adulé
Dont Léda limait les mollets
Indûment le mal a donné
Dame Léda l'y a aidé !
[...]

Et les minets de maux munis
Mendiant de midi à minuit
[...]
Ah la la la la ! Quel méli mélo, dis !
Ah la la la la ! Quel méli mélo, dis !

Boby Lapointe - paroles et musique, 1968 (éditions Labrador, I.N.A. 1994)

logo_cr_ation_po_tique Jouer avec les sons, inventer des mots

Choisir comme dans le quatrain original ("adéli, adémo...") des sons durs ou plus doux, suivant l'impression à produire. Lister les différentes combinaisons possibles (modèle mathématique), et essayer des arrangements pour la création d'une suite de pseudo-mots musicaux, évocateurs, drôles.

Deux options possibles :

  • Utiliser les ressemblances avec des mots existants (parfois ces mots directement) et structurer ces suites de termes comme des phrases en plaçant déterminants, pronoms, prépositions, etc  :

ex (en gardant les sons du texte original) : lamilé a matimé toute la mélami avec l'odéli démodé d'adémo

  • Ne garder de la recherche que les mots reconnus, pour créer une petite histoire, forcément absurde, à la manière de Boby Lapointe dans sa chanson Méli-mélodie. C'est un exercice similaire au jeu des allitérations (ci-dessus, "Ta Katie t'a quitté, tic tac...") avec des assonances en prime :

ex (avec les mêmes  sons) : Oh la la ! Mélanie la maline a démoli la mélodie d'Émilie à midi ! Émilie est éliminée !

Voir aussi Guillevic, Henri Michaux, Boris Vian. 



- Michel-François Lavaur -

Michel-François Lavaur, poète français et néanmoins occitan est né en 1935. Il a publié la plupart de ses textes dans des revues (Traces, pour celui qui est présenté ici).

L’éléphantastique

Ils jouaient dans la classe
avec les mots et les images.
Ils apprivoisaient
peu à peu le langage.
Ils faisaient des charades,
des rébus, des comptines,
des bouts-rimés des acrostiches
et des calligrammes.
Ils dessinaient tout un bestiaire
d’oiseaux quadrupèdes,
velus ou bicéphales,
des martaureaux et des cerfeuilles,
des serpaons et des escargorilles.
C’est ainsi qu’il est né,
avec sa trompe longue
de papillon et ses
huit pattes frêles,
l’éléphantastique.

Michel-François Lavaur (dans la revue "Traces", juillet 1990)

logo_cr_ation_po_tique Mots-valises

Brigoler : éclater de rire en plantant un clou.
dans "Ralentir : mots-valises !" (Alain Finkielkraut, éditions du Seuil)

Un mot-valise est créé par fusion de deux mots ayant une syllabe commune, la dernière du premier mot et la première du second.
Exemple ici : éléphant / fantastique = éléphantastique (orthographié ainsi pour mettre l'accent sur l'animal, mais ce mot pourrait s'écrire éléfantastique.
On observera que les monosyllabes (paon) se situent forcément en dernière position, et que c'est alors l'orthographe modifiée qui indique le mariage, puisqu'il n'y a pas de différence perceptible à l'oreille ( serpent + paon = serpaon).

En s'aidant du dictionnaire, on recherchera des mots commençant par une syllabe de préférence sonore. À partir de la liste établie, on effectuera une seconde recherche, comme pour les rimes, de mots terminés par la même syllabe (sans tenir compte de l'orthographe). Dans un troisième temps, on expérimentera les mariages de mots, selon le thème et l'effet recherché.

Si on travaille sur un thème particulier pour construire un texte cohérent, il peut être intéressant de réunir de la documentation (livres sur les animaux, les plantes, catalogue de jouets, etc.)

Parfois, plusieurs syllabes sont communes ex : musaraigne + araignée = musaraignée.
Par nécessité, on s'accordera le droit de bricoler une syllabe, à condition que les mots fusionnés soient encore facilement repérables. ex : kangourou + rossignol = kangourossignol.
Les mots composés seront pris en compte. ex : souris + rigolote = sourigolote, et chauve-souris + rigolote = chauve sourigolote.

- - - - - - - - - - -

Création arts plastiques : "Animots-valise"
Encore un mariage (on ne dira pas "de raison") entre la production d'écrit et les arts plastiques. Ici, on mesure l'étendue des possibilités, imagination et techniques pour illustrer les monstres hybrides produits à l'écrit  : découpage-collage, 3D..

Autre exemple de texte truffé de mots-valises proposé par le blog ci-dessous :

Animoches, anibeaux

Le concours de beauté approche.
On s’agite chez les petites bêtes,
anibeaux, animoches s’apprêtent.
Si le millépatant est encore en chaussettes,
L’escarbeau astique sa coquille,
la fourmignonne se maquille, se pomponne,
le ver-séduisant met ses Ray-Bans
et la coccibelle repeint ses ailes …
Qu’est-ce qu’on apprend ?
Le millépatant est maintenant
dans le cirage ?
Dommage,
le défilé commencera sans lui. …
Très vite sont éliminés
La moche tsé-tsé et ses yeux cernés,
l’affrelon, qui a piqué un fard,
le poubeau, à cause de sa poubelle,
et bien sûr la punase (on l’a sentie venir !) …
Le millépatant, épuisé,
fait son entrée en grandes pompes.
Trop tard,
la Coccibelle a raflé tous les points !

Antoine Bial (lieucommun)



- Marie Noël -

Marie Noël (1883-1967) a publié ses premiers poèmes dans La Revue des Deux Mondes. "Les Chansons et les Heures" (daté de 1922) est son ouvrage le plus connu.

Chant de nourrice

                                     pour endormir Madeleine

Dors, mon petit, pour qu’aujourd’hui finisse.
Si tu ne dors pas, si c’est un caprice,
Aujourd’hui, ce vieux long jour,
Ce soir durera toujours.

Dors, mon petit, pour que demain arrive.
Si tu ne dors pas, petite âme vive,
Demain, le jour le plus gai,
Demain ne viendra jamais.

Dors, mon petit, afin que l’herbe pousse,
Ferme les yeux, les herbes et la mousse
N’aiment pas dans le fossé
Qu’on les regarde pousser.

Dors, mon petit, pour que les fleurs fleurissent.
Les fleurs qui, la nuit, se parent, se lissent,
Si l’enfant reste éveillé,
N’oseront pas s’habiller.

Mais s’il dort, les fleurs en la nuit profonde,
N’entendant plus du tout bouger le monde,
Tout doucement, à tâtons,
Sortiront de leurs boutons.

Quand il dormira, toutes les racines
Descendront sous terre au fond de leurs mines
Chercher pour toutes les fleurs
Des parfums et des couleurs.

Les roses alors et les églantines,
Vite, fronceront avec leurs épines
Leurs beaux jupons à volants
Rouges, roses, jaunes, blancs.

Les nielles feront en secret des pinces
À leur jupe étroite et les bleuets minces
Serreront leur vert corset
Avec un petit lacet.

Les lys du jardin si nul ne les gêne
Iront laver leur robe à la fontaine,
Et le lin qui fit un vœu
Passera la sienne au bleu.

Les gueules du loup et les clématites
Monteront leur coiffe et les marguerites
Habiles repasseront
Leurs bonnets et leur col rond.

Et quand à la fin toutes seront prêtes,
En robes de noce, en habits de fête,
Alors d’un pays lointain
Arrivera le matin.

Et saluant toute la confrérie,
Le matin pour voir la terre fleurie,
Du bout de son doigt vermeil
Rallumera le soleil.

Et pour que l’enfant, mon bel enfant sage,
Voie aussi la terre et son bel ouvrage,
Il enverra le soleil
Le chercher dans son sommeil.

Viens, mon petit, viens voir, chère prunelle,
Pendant ton somme, écoute la nouvelle,
Notre jardin s’est levé …
Aujourd’hui est arrivé !

Marie Noël ("Les chansons et les heures" - Editions Crès Et Cie, 1930 et Stock, 1948)



Publicité
<< < 1 2 3 4 5 6 7 8 9 > >>
Publicité