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29 avril 2007

Europe - Angleterre - Rudyard Kipling

Rudyard Kipling, écrivain et poète britannique (1865-1936) est l'auteur de nombreux livres d'histoires pour les enfants (Le Livre de la jungle, en 1894 et Le Second Livre de la jungle en 1895), de romans  et de poèmes (Mandalay,  If ...)
En 1907, il reçoit le Prix Nobel de littérature.
C'est la version d'If ... , écrite par Kipling en 1895, éditée en 1910, traduite par Pierre Maurois, écrivain français (1843-1926) qu'on retient généralement :

Tu seras un Homme, mon Fils (autre titre : Si ...)

Si tu peux voir détruit l'ouvrage de ta vie
Et sans dire un seul mot te mettre à rebâtir,
Ou, perdre d'un seul coup le gain de cent parties
Sans un geste et sans un soupir ;

Si tu peux être amant sans être fou d'amour,
Si tu peux être fort sans cesser d'être tendre
Et, te sentant haï sans haïr à ton tour,
Pourtant lutter et te défendre ;

Si tu peux supporter d'entendre tes paroles
Travesties par des gueux pour exciter des sots,
Et d'entendre mentir sur toi leur bouche folle,
Sans mentir toi-même d'un seul mot ;

Si tu peux rester digne en étant populaire,
Si tu peux rester peuple en conseillant les rois
Et si tu peux aimer tous tes amis en frère
Sans qu'aucun d'eux soit tout pour toi ;

Si tu sais méditer, observer et connaître
Sans jamais devenir sceptique ou destructeur ;
Rêver, mais sans laisser ton rêve être ton maître,
Penser sans n'être qu'un penseur ;

Si tu peux être dur sans jamais être en rage,
Si tu peux être brave et jamais imprudent,
Si tu sais être bon, si tu sais être sage
Sans être moral ni pédant ;

Si tu peux rencontrer Triomphe après Défaite
Et recevoir ces deux menteurs d'un même front,
Si tu peux conserver ton courage et ta tête
Quand tous les autres les perdront,

Alors, les Rois, les Dieux, la Chance et la Victoire
Seront à tout jamais tes esclaves soumis
Et, ce qui vaut bien mieux que les Rois et la Gloire,

Tu seras un Homme, mon fils.

Rudyard Kipling (Traduit par Pierre Maurois en 1918) (Bernard Lavilliers l'a mis en musique et interprété (1988).

If  ...

IF you can keep your head when all about you
Are losing theirs and blaming it on you,
If you can trust yourself when all men doubt you,
But make allowance for their doubting too;
If you can wait and not be tired by waiting,
Or being lied about, don't deal in lies,
Or being hated, don't give way to hating,
And yet don't look too good, nor talk too wise:
If you can dream - and not make dreams your master;
If you can think - and not make thoughts your aim;
If you can meet with Triumph and Disaster
And treat those two impostors just the same;
If you can bear to hear the truth you've spoken
Twisted by knaves to make a trap for fools,
Or watch the things you gave your life to, broken,
And stoop and build 'em up with worn-out tools:

If you can make one heap of all your winnings
And risk it on one turn of pitch-and-toss,
And lose, and start again at your beginnings
And never breathe a word about your loss;
If you can force your heart and nerve and sinew
To serve your turn long after they are gone,
And so hold on when there is nothing in you
Except the Will which says to them: 'Hold on!'

If you can talk with crowds and keep your virtue,
' Or walk with Kings - nor lose the common touch,
if neither foes nor loving friends can hurt you,
If all men count with you, but none too much;
If you can fill the unforgiving minute
With sixty seconds' worth of distance run,
Yours is the Earth and everything that's in it,
And - which is more - you'll be a Man, my son!

Rudyard Kipling ("Si : Tu seras un homme, mon fils")


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29 avril 2007

"L'autre" - José María de Heredia

José María de Heredia (1842-1905) est né à Cuba, d'où ce prénom accentué. Il n'a été naturalisé français qu' en 1893, mais est venu en France à l'âge de neuf ans, et a écrit toute son œuvre, textes historiques et poésie en français (un seul recueil de poèmes, Les Trophées en 1893). Il est l'un des principaux poètes, avec Leconte de Lisle, du mouvement poétique Le Parnasse (défenseurs de "l'art pour l'art").

Les conquérants

Comme un vol de gerfauts hors du charnier natal,
Fatigués de porter leurs misères hautaines,
De Palos de Moguer, routiers et capitaines
Partaient, ivres d’un rêve héroïque et brutal.

Ils allaient conquérir le fabuleux métal
Que Cipango mûrit dans ses mines lointaines,
Et les vents alizés inclinaient leurs antennes
Aux bords mystérieux du monde Occidental.

Chaque soir, espérant des lendemains épiques,
L’azur phosphorescent de la mer des Tropiques
Enchantait leur sommeil d’un mirage doré ;

Ou penchés à l’avant des blanches caravelles,
Ils regardaient monter en un ciel ignoré
Du fond de l’Océan des étoiles nouvelles.

José María de Heredia


29 avril 2007

Europe - Angleterre - Percy Bysshe Shelley

Percy Bysshe Shelley (1792-1822) est poète romantique britannique des plus célèbres.

La philosophie de l'amour

Les fontaines se mêlent aux rivières,
Les rivières à l'océan,
Les vents du Ciel s'unissent à jamais
Avec une douce émotion;
Rien dans le monde n'est solitaire
Toutes choses par loi divine
En un esprit se rencontrent, se mêlent.
Pourquoi pas le mien et le tien ?

Vois, les montagnes baisent le haut Ciel,
Les vagues l'une l'autre étreignent;
Nulle sœur-fleur ne serait pardonnée
Si elle dédaignait son frère;
Du soleil la lumière étreint la terre,
Les rais de lune baisent la mer :
Mais que vaut donc tout cet ouvrage tendre
Si toi tu ne m’embrasses pas ?

Percy Bisshe Shelley

texte original :

Love's philosophy

The fountains mingle with the river
And the rivers with the ocean,
The winds of Heaven mix for ever
With a sweet emotion ;
Nothing in the world is single;
All things by a law divine·
ln one spirit meet and mingle.
Why not I with thine ? -

See the mountains kiss high Heaven
And the waves clasp one another;
No sister-flower would be forgiven
If it disdained its brother;
And the sunlight clasps the earth
And the moonbeams kiss the sea:
What is all this sweet work worth
If thou kiss not me ?


Ode au vent d'Ouest (Ode to the Westwind)

I

Sauvage Vent d'Ouest, haleine de l'Automne,
Toi, de la présence invisible duquel les feuilles mortes
S'enfuient comme des spectres chassés par un enchanteur,

Jaunes, noires, blêmes et d'un rouge de fièvre,
Multitude frappée de pestilence: 0 toi,
Qui emportes à leur sombre couche d'hiver

Les semences ailées qui gisent refroidies,
Chacune pareille à un cadavre dans sa tombe, jusqu'à ce que
Ta sœur d'azur, déesse du Printemps fasse retentir

Sa trompe sur la terre qui rêve, et emplisse
(Chassant aux prés de l'air les bourgeons, son troupeau,)
De teintes et de senteur vivantes la plaine et les monts:

Sauvage Esprit, dont l'élan emplit l'espace;
Destructeur et sauveur, oh, écoute moi!

II

Toi, dont le courant dans les hauteurs du ciel bouleversé
Entraîne les nuages dispersés comme les feuilles mourantes de la terre,
Détachés des rameaux emmêlés des Cieux et de l'Océan,

Apportant sur leurs ailes la pluie et les éclairs;
On voit s'épandre à la surface bleue de ta houle aérienne,
Telle, emportée par le vent, la chevelure dorée

De quelque Ménade déchaînée, du bord obscur
De l'horizon jusqu'à la hauteur du zénith,
Les boucles échevelées de l'orage approche.
Toi, chant funèbre

De l'an qui meurt, pour qui cette nuit qui tombe
Sera le dôme d'un immense sépulcre,
Au-dessus duquel la cohorte de toutes tes puissances assemblées

Étendra une voûte de nuées, dont l'épaisse atmosphère
Fera jaillir la noire pluie, le feu, la grêle: oh, écoute-moi!

III

Toi qui as éveillé de ses rêves d'été
La bleue Méditerranée en sa couche,
Bercée par les remous de ses ondes de cristal

Près d'une île de ponce, au golfe de Baïes,
Voyant dans son sommeil palais et tours antiques
Trembler au sein du jour plus lumineux des vagues,

Tout tapissés de mousses glauques et de fleurs
Si suaves, que nous défaillons y songeant;
Toi, devant qui les flots unis du puissant Atlantique

Se creusent en abîmes, alors qu'aux profondeurs
Les fleurs de mer et les rameaux limoneux qui portent
Le feuillage sans sève de l'océan, reconnaissent

Ta voix soudain, et blêmissent de frayeur,
Et tremblent et se dépouillent: oh, écoute-moi!

IV

Si j 'étais feuille morte que tu pusses emporter;
Si j'étais nuage rapide et fuyais avec toi;
Vague, pour palpiter sous ta puissance,

Et partager l'impulsion de ta vigueur,
Moins libre que toi seul, indomptable!
Si même Ainsi qu'en mon enfance, je pouvais être

Le compagnon de ton vagabondage au ciel,
Comme en ce temps où dépasser ton vol céleste
Semblait à peine une vision, je n'aurais point avec toi

Ainsi lutté, te suppliant dans ma détresse.
Oh, emporte-moi, comme une vague, une feuille,un nuage!
Sur les épines de la vie, je tombe et saigne!

Le lourd fardeau des heures a enchaîné et courbé
Un être trop pareil à toi: indompté, vif et fier.

V

Fais de moi ta lyre, comme l'est la forêt:
Qu'importe si mes feuilles tombent, comme les siennes!
Le tumulte de tes puissantes harmonies

Tirera de tous deux un son profond d'automne,
Doux, malgré sa tristesse. Sois, âme farouche,
Mon âme! Sois moi-même, vent impétueux!

Chasse mes pensées mortes par-dessus l'univers,
Feuillage desséché d'où renaisse la vie!
Et par l'incantation de ces vers,

Disperse, comme d'un foyer inextinguible
Cendres et étincelles, mes paroles parmi l'humanité!
Sois par mes lèvres, pour la terre assoupie encore,

La trompette d'une prophétie! 0, Vent,
Si vient l'hiver, le printemps peut-il être loin?

Percy Bisshe Shelley, 1819

texte original :

Ode to the Westwind

I

O wild West Wind, thou breath of Autumn’s being,
Thou, from whose unseen presence the leaves dead
Are driven, like ghosts from an enchanter fleeing,

Yellow, and black, and pale, and hectic red,
Pestilence-stricken multitudes: O thou,
Who chariotest to their dark wintry bed

The winged seeds, where they lie cold and low,
Each like a corpse within its grave, until
Thine azure sister of the Spring shall blow

Her clarion o’er the dreaming earth, and fill
(Driving sweet buds like flocks to feed in air)
With living hues and odours plain and hill:

Wild Spirit, which art moving everywhere;
Destroyer and preserver; hear, oh, hear!

II   

Thou on whose stream, mid the steep sky’s commotion,
Loose clouds like earth’s decaying leaves are shed,
Shook from the tangled boughs of Heaven and Ocean,

Angels of rain and lightning: there are spread
On the blue surface of thine aëry surge,
Like the bright hair uplifted from the head

Of some fierce Maenad, even from the dim verge
Of the horizon to the zenith’s height,
The locks of the approaching storm. Thou dirge

Of the dying year, to which this closing night
Will be the dome of a vast sepulchre,
Vaulted with all thy congregated might

Of vapours, from whose solid atmosphere
Black rain, and fire, and hail will burst: oh, hear!

III

Thou who didst waken from his summer dreams
The blue Mediterranean, where he lay,
Lulled by the coil of his crystàlline streams,

Beside a pumice isle in Baiae’s bay,
And saw in sleep old palaces and towers
Quivering within the wave’s intenser day,

All overgrown with azure moss and flowers
So sweet, the sense faints picturing them! Thou
For whose path the Atlantic’s level powers

Cleave themselves into chasms, while far below
The sea-blooms and the oozy woods which wear
The sapless foliage of the ocean, know

Thy voice, and suddenly grow gray with fear,
And tremble and despoil themselves: oh, hear!

IV

If I were a dead leaf thou mightest bear;
If I were a swift cloud to fly with thee;
A wave to pant beneath thy power, and share

The impulse of thy strength, only less free
Than thou, O uncontrollable! If even
I were as in my boyhood, and could be

The comrade of thy wanderings over Heaven,
As then, when to outstrip thy skiey speed
Scarce seemed a vision; I would ne’er have striven

As thus with thee in prayer in my sore need.
Oh, lift me as a wave, a leaf, a cloud!
I fall upon the thorns of life! I bleed!

A heavy weight of hours has chained and bowed
One too like thee: tameless, and swift, and proud.

V

Make me thy lyre, even as the forest is:
What if my leaves are falling like its own!
The tumult of thy mighty harmonies

Will take from both a deep, autumnal tone,
Sweet though in sadness. Be thou, Spirit fierce,
My spirit! Be thou me, impetuous one!

Drive my dead thoughts over the universe
Like withered leaves to quicken a new birth!
And, by the incantation of this verse,

Scatter, as from an unextinguished hearth
Ashes and sparks, my words among mankind!
Be through my lips to unawakened earth

The trumpet of a prophecy! O, Wind,
If Winter comes, can Spring be far behind ?

Percy Bisshe Shelley, 1819


La concision, la sobriété ne sont pas des qualificatifs qui s'appliquent à la poésie de Shelley. Donné ici dans son intégralité, on pourra proposer des passages de ce long éloge de l'alouette.

A une Alouette

Salut à toi, Esprit joyeux !
Car oiseau jamais tu ne fus
Qui dans le ciel, et presqu'aux Cieux
Epanche en longs accents profus
Un coeur empli de sons qu'aucun art n'a conçus.


De la terre où tu prends essor,
Nuage de feu jaillissant,
Tu t'élèves plus haut encore
Loin au-dessus de l'océan
Ne cessant l'ascension, ta chanson ne cessant.


Dans le soleil crépusculaire
Et l'or de son évanescence
Où les nuées se font plus claires
Tu sembles flotter, puis t'élances
Comme une joie sans corps dont la course commence.


Même pâleur et cramoisi
S'effacent quand tu les pourfends ;
Comme une étoile en plein midi,
Nul ne te voit au firmament,
Pourtant j'entends le cri de ton enchantement ;


Ardent comme là-haut la sphère
Aux si vives flèches d'argent,
Mais dont s'estompe la lumière
Dans la clarté du matin blanc
Jusqu'à n'être vue guère, que l'on sent là pourtant.


Partout sur terre et dans les airs
Ta puissante voix retentit
Comme quand la lune à travers
Le seul nuage de la nuit
Inonde tout le ciel de lumineuse pluie.


Ce que tu es nous ignorons;
Qu'est-ce qui le mieux te décrit ?
Car les gouttes d'arc-en-ciel n'ont
Des nues jamais resplendi
Comme tombe l'averse de ta mélodie.


Ainsi le poète oublié
Dans sa lumière intérieure,
Chantant, sans en être prié,
L'hymne à ses espoirs et ses peurs
Aux hommes ébahis d'y découvrir les leurs ;


Ainsi la noble damoiselle
Au palais, dans sa haute tour,
Qui des musiques les plus belles
Berce son coeur épris d'amour
Sans savoir qu'elle charme aussi toute la cour ;


Ainsi le ver luisant doré
Dont la couleur seule est perçue
Au fond d'un vallon de rosée,
Parsemant ce halo diffus
Parmi l'herbe et les fleurs où lui est hors de vue ;


Ainsi le rosier habillé
Du feuillage vert de ses fleurs
Que le vent brûlant vient piller
Mais dont l'odorante douceur
Fera s'évanouir l'aérien détrousseur.


L'averse vernale et son bruit
Sur les herbes qui étincellent,
Les fleurs éveillées par la pluie,
Joies pures et vives, certes, mais elles
Ne surpassent jamais ta musique éternelle.


Apprends-nous donc, sylphe ou oiseau,
Les doux pensers qui sont les tiens;
Je n'ai jamais entendu mots
D'éloge à l'amour ou au vin
Déclamés en un flot de bonheur si divin.


Chants de triomphe et choeurs nuptiaux,
Si à ta voix on les compare,
Nous paraissent creux, sonnent faux
Et ne sont que vaines fanfares
Auxquelles font défaut les choses les plus rares.


Quelle est la source, quel est l'objet
De cette chantante fontaine ?
Des bois ? Des vagues ? De hauts sommets ?
Des formes de ciel ou de plaine ?
L'amour de ton espèce ? Le mépris de la peine ?


Car dans ton pur ravissement
La langueur ne trouve point place ;
Et l'ombre du désagrément
Jamais même ne te menace ;
Tu aimes, mais de l'amour ignores ce qui lasse.


En éveil, ou lorsque tu dors,
N'est-ce pas qu'en toi s'illumine
Plus de vérité sur la mort
Que les mortels n'en imaginent,
Pour que coulent de toi notes si cristallines ?


Nous voulons demain et hier,
Après eux soupirons sans cesse ;
Dans nos rires les plus sincères ,
Il est toujours quelque détresse ;
Et nos chants sont plus beaux qui parlent de tristesse.


Pourtant si nous avions pouvoir
D'oublier peur, orgueil et haine,
Si nous étions nés pour avoir
De la vie ni larmes ni peine,
Comme ta joie dès lors nous paraîtrait lointaine.


Ton art, mieux que tous les ténors
Qui touchent l'âme profonde,
Ton art, mieux que tous les trésors
Dont tant de grands livres abondent,
Servirait le poète, ô oublieux du monde !


Apprends-moi un peu du plaisir
Connu d'un coeur toujours content,
Pareil harmonieux délire
Coulerait alors dans mon chant ;
Le monde m'entendrait, comme moi je t'entends !

Percy Bisshe Shelley, 1820

texte original :

To a skylark

Hail to thee, blithe Spirit!
Bird thou never wert,
That from Heaven, or near it,
Pourest thy full heart
In profuse strains of unpremeditated art.

Higher still and higher
From the earth thou springest
Like a cloud of fire;
The blue deep thou wingest,
And singing still dost soar, and soaring ever singest.

In the golden lightning
Of the sunken sun
O'er which clouds are bright'ning,
Thou dost float and run,
Like an unbodied joy whose race is just begun.

The pale purple even
Melts around thy flight;
Like a star of Heaven
In the broad daylight
Thou art unseen, but yet I hear thy shrill delight:

Keen as are the arrows
Of that silver sphere,
Whose intense lamp narrows
In the white dawn clear
Until we hardly see -- we feel that it is there.

All the earth and air
With thy voice is loud.
As, when night is bare,
From one lonely cloud
The moon rains out her beams, and heaven is overflowed.

What thou art we know not;
What is most like thee?
From rainbow clouds there flow not
Drops so bright to see
As from thy presence showers a rain of melody.

Like a poet hidden
In the light of thought,
Singing hymns unbidden,
Till the world is wrought
To sympathy with hopes and fears it heeded not:

Like a high-born maiden
In a palace tower,
Soothing her love-laden
Soul in secret hour
With music sweet as love, which overflows her bower:

Like a glow-worm golden
In a dell of dew,
Scattering unbeholden
Its aerial hue
Among the flowers and grass, which screen it from the view:

Like a rose embowered
In its own green leaves,
By warm winds deflowered,
Till the scent it gives
Makes faint with too much sweet these heavy-winged thieves.

Sound of vernal showers
On the twinkling grass,
Rain-awakened flowers,
All that ever was
Joyous, and clear, and fresh, thy music doth surpass.

Teach us, sprite or bird,
What sweet thoughts are thine:
I have never heard
Praise of love or wine
That panted forth a flood of rapture so divine.

Chorus hymeneal
Or triumphal chaunt
Matched with thine, would be all
But an empty vaunt --
A thing wherein we feel there is some hidden want.

What objects are the fountains
Of thy happy strain?
What fields, or waves, or mountains?
What shapes of sky or plain?
What love of thine own kind? what ignorance of pain?

With thy clear keen joyance
Languor cannot be:
Shadow of annoyance
Never came near thee:
Thou lovest, but ne'er knew love's sad satiety.

Waking or asleep,
Thou of death must deem
Things more true and deep
Than we mortals dream,
Or how could thy notes flow in such a crystal stream?

We look before and after,
And pine for what is not:
Our sincerest laughter
With some pain is fraught;
Our sweetest songs are those that tell of saddest thought.

Yet if we could scorn
Hate, and pride, and fear;
If we were things born
Not to shed a tear,
I know not how thy joy we ever should come near.

Better than all measures
Of delightful sound,
Better than all treasures
That in books are found,
Thy skill to poet were, thou scorner of the ground !

Teach me half the gladness
That thy brain must know,
Such harmonious madness
From my lips would flow
The world should listen then, as I am listening now !

Percy Bisshe Shelley, 1820


Le nuage

J'apporte de fraîches averses pour les fleurs assoiffées,
Venues des mers et des fleuves;
Je répands une ombre légère sur les feuilles qui reposent
Dans leurs rêves de midi.
De mes ailes, je secoue la rosée qui éveille
Tous les charmants bourgeons,
Bercés et assoupis sur le sein de leur mère,
Quant elle danse devant le soleil.
Je brandis le fléau de la grêle,
Fouettant et blanchissant les vertes plaines plus bas,
Puis, à nouveau, je la dissous en pluie,
Et je ris quand je passe, apportant le tonnerre.

Je tamise la neige sur les monts au dessous,
Et leurs pins géants gémissent de terreur ;
Et toute la nuit, c'est là mon blanc oreiller,
Tandis que je dors, dans les bras de la tempête.
Souverain, sur les tours de mes demeures aériennes
Se tient l'éclair, mon pilote ;
Dans un antre inférieur est enchaîné le tonnerre;
Il se débat et rugit par accès ;
Au-dessus de la terre et de l'océan, d'un mouvement doux
Ce pilote me guide,
Attiré par l'amour des génies qui hantent
Les profondeurs de la mer empourprée;
Par dessus les ruisseaux, les rochers, les collines,
Par dessus lacs et plaines,
Partout où il rêve que, sous monts ou rivières,
L'esprit qu'il aime demeure;
Et moi tout ce temps, je me baigne dans le sourire bleu du firmament,
Tandis qu'il se fond en pluie.

Le soleil levant écarlate, aux yeux de météore,
Aux plumes de flammes largements ouvertes,
Bondit sur mes vapeurs flottantes,
A l'heure où s'amortit l'éclat de l'étoile du matin;
Comme à la pointe d'un roc escarpé
Qu'un tremblement de terre ébranle et fait osciller,
Un aigle perché se repose un moment
Dans la lumière de ses ailes d'or.
Et quand le soleil couchant exhale, de la mer qu'il illumine
Ses feux où s'endort l'amour,
Et que le linceul rutilant du soir
Tombe des hauteurs du ciel,
Les ailes repliées, je repose sur mon nid aérien,
Aussi tranquille qu'une tourterelle qui couve.

Cette sphère vierge, rayonnante de flammes blanches,
Que les mortels appellent Lune
Glisse et luit sur ma toison
Éparpillée par les brises de minuit ;
Et toutes les fois que ses invisibles pas
Entendus par les anges seulement,
Rompent la trame de ma mince tente,
Les étoiles regardent derrière elle à la dérobée ;
Et je ris de les voir se mouvoir en cercle et fuir,
Comme un essaim d'abeilles dorées,
Quand j'élargis l'ouverture de ma tente, dressée par le vent ;
Jusqu'à ce que les calmes rivières, les lacs et les mers,
Comme des rubans de ciel tombés de là-haut à travers moi,
Tous, miroitent sous la lune et sous les astres.

J'entoure le trône du Soleil d'une ceinture brûlante,
Et celui de la Lune d'une cordelière de perles ;
Les volcans sont obscurs, les étoiles chancellent et tournoient
Quand les tourbillons déploient ma bannière.
D'un cap à l'autre, semblable à un pont,
Par dessus une mer torrentueuse,
Insensible aux rayons du soleil, je suspends ma voûte,
Dont les montagnes sont les colonnes.
L'arche triomphale à travers laquelle je m'avance
Avec la tempête, l'ouragan, le feu et la neige,
Quand les Puissances de l'air sont enchaînées à mon trône,
Est l'arc-en-ciel aux millions de couleurs;
Cette sphère de feu là-haut tissa ses changeantes teintes,
Tandis que la Terre humide riait au-dessous.

Je suis l'enfant de la Terre et de l'eau,
Et le nourrisson du Ciel ;
Je passe à travers les mailles de l'océan et du rivage ;
Je change, mais ne puis mourir.
Car, après la pluie, quand sans la moindre tache,
Le pavillon du ciel est dégagé,
Et que le vent, avec les rayons du soleil, de leurs reflets convexes,
Bâtissent le dôme bleu de l'air,
Je ris en silence de mon propre cénotaphe ;
Et, des cavernes de la pluie,
Comme un enfant du sein maternel, comme un fantôme de la tombe,
Je me lève, et le détruis à nouveau.

Percy Bisshe Shelley, 1820

traduction :

The Cloud

I bring fresh showers for the thirsting flowers,   
From the seas and the streams ;   
I bear light shade for the leaves when laid   
In their noonday dreams.   
From my wings are shaken the dews that waken
The sweet buds every one,   
When rocked to rest on their mother’s breast,   
As she dances about the sun.   
I wield the flail of the lashing hail,   
And whiten the green plains under,
And then again I dissolve it in rain,   
And laugh as I pass in thunder.   

I sift the snow on the mountains below,   
And their great pines groan aghast;   
And all the night ’tis my pillow white,    
While I sleep in the arms of the blast.   
Sublime on the towers of my skiey bowers,   
Lightning my pilot sits,   
In a cavern under is fretted the thunder,   
It struggles and howls at fits;      
Over earth and ocean, with gentle motion,   
This pilot is guiding me,   
Lured by the love of the genii that move   
In the depths of the purple sea;   
Over the rills, and the crags, and the hills,    
Over the lakes and the plains,   
Wherever he dream, under mountain or stream   
The Spirit he loves remains;   
And I all the while bask in heaven’s blue smile,   
Whilst he is dissolving in rains.

The sanguine sunrise, with his meteor eyes,   
And his burning plumes outspread,   
Leaps on the back of my sailing rack,   
When the morning star shines dead,   
As on the jag of a mountain crag,   
Which an earthquake rocks and swings,   
An eagle alit one moment may sit   
In the light of its golden wings.   
And when sunset may breathe from the lit sea beneath,   
Its ardours of rest and of love,   
And the crimson pall of eve may fall   
From the depth of heaven above,   
With wings folded I rest, on mine airy nest,   
As still as a brooding dove.   

That orbèd maiden with white fire laden,      
Whom mortals call the moon,   
Glides glimmering o’er my fleece-like floor,   
By the midnight breezes strewn;   
And wherever the beat of her unseen feet,   
Which only the angels hear,
May have broken the woof of my tent’s thin roof,   
The stars peep behind her and peer ;   
And I laugh to see them whirl and flee,   
Like a swarm of golden bees,   
When I widen the rent in my wind-built tent,      
Till the calm rivers, lakes, and seas,   
Like strips of the sky fallen through me on high,   
Are each paved with the moon and these.   

I bind the sun’s throne with a burning zone,   
And the moon’s with a girdle of pearl ;   
The volcanoes are dim, and the stars reel and swim,   
When the whirlwinds my banner unfurl.   
From cape to cape, with a bridge-like shape,   
Over a torrent sea,   
Sunbeam-proof, I hang like a roof,   
The mountains its columns be.   
The triumphal arch through which I march   
With hurricane, fire, and snow,   
When the powers of the air are chained to my chair,   
Is the million-coloured bow ;      
The sphere-fire above its soft colours wove,   
While the moist earth was laughing below.   

I am the daughter of earth and water,   
And the nursling of the sky ;   
I pass through the pores of the ocean and shores ;
I change, but I cannot die.   
For after the rain when with never a stain,   
The pavilion of heaven is bare,   
And the winds and sunbeams with their convex gleams,   
Build up the blue dome of air,
I silently laugh at my own cenotaph,   
And out of the caverns of rain,   
Like a child from the womb, like a ghost from the tomb,   
I arise and unbuild it again.

Percy Bisshe Shelley, 1820 ("English Poetry II" - From Collins to Fitzgerald - The Harvard Classics,1909–14)


29 avril 2007

"L'autre" - Victor Hugo

De Victor Hugo (1802-1885), trop connu pour être présenté :

Chanson de grand-père

Dansez, les petites filles,
Toutes en rond.
En vous voyant si gentilles,
Les bois riront.
Dansez, les petites reines,
Toutes en rond.
Les amoureux sous les frênes
S'embrasseront.

Dansez les petites folles,
Toutes en rond.
Les bouquins dans les écoles
Bougonneront.

Dansez, les petites belles,
Toutes en rond.
Les oiseaux avec leurs ailes
Applaudiront.

Dansez, les petites fées,
Toutes en rond.
Dansez, de bleuets coiffées,
L'aurore au front.

Dansez, les petites femmes,
Toutes en rond.
Les messieurs diront aux dames
Ce qu'ils voudront

Victor Hugo ("L'art d'être grand père" 1877)


Le semeur

C'est le moment crépusculaire
J'admire assis sous un portail
Ce reste de jour dont s'éclaire
La dernière heure du travail.

Dans les terres de nuit baignées,
Je contemple, ému, les haillons
D'un vieillard qui jette à poignées
La moisson future aux sillons.

Sa haute silhouette noire
Domine les profonds labours
On sent à quel point il doit croire
A la fuite utile des jours.

Il marche dans la plaine immense,
Va, vient, lance la graine au loin,
Rouvre sa main et recommence,
Et je médite, obscur témoin,

Pendant que, déployant ses voiles,
L'ombre où se mêle une rumeur,
Semble élargir jusqu'aux étoiles,
Le geste auguste du semeur.

Victor Hugo ("Les chansons des rues et des bois" - 1865)


Et puisqu'on parle d'éloge de l'autre, ce poème servira de contre-exemple :

L'ogre

Un brave ogre des bois, natif de Moscovie,
Était fort amoureux d'une fée, et l'envie
Qu'il avait d'épouser cette dame s'accrut
Au point de rendre fou ce pauvre cœur tout brut :
L'ogre un beau jour d'hiver peigne sa peau velue,
Se présente au palais de la fée, et salue,
Et s'annonce à l'huissier comme prince Ogrousky.
La fée avait un fils, on ne sait pas de qui.
Elle était ce jour-là sortie, et quant au mioche,
Bel enfant blond nourri de crème et de brioche,
Don fait par quelque Ulysse à cette Calypso,
Il était sous la porte et jouait au cerceau.
On laissa l'ogre et lui tout seuls dans l'antichambre.
Comment passer le temps quand il neige en décembre.
Et quand on n'a personne avec qui dire un mot ?
L'ogre se mit alors à croquer le marmot.

Victor Hugo (extrait de "Bons conseils aux amants", dans le recueil "Toute la lyre", Nouvelle série XI)


Mes deux filles

Dans le frais clair-obscur du soir charmant qui tombe,
L'une pareille au cygne et l'autre à la colombe,
Belles, et toutes deux joyeuses, ô douceur
Voyez, la grande sœur et la petite sœur
Sont assises au seuil du jardin, et sur elles
Un bouquet d’œillets blancs aux longues tiges frêles,
Dans une urne de marbre agité par le vent,
Se penche, et les regarde, immobile et vivant,
Et frissonne dans l'ombre, et semble, au bord du vase,
Un vol de papillon arrêté dans l'extase.

Victor Hugo ("Les Contemplations" - 1856)


Après la bataille

Mon père, ce héros au sourire si doux,
Suivi d'un seul housard (1) qu'il aimait entre tous
Pour sa grande bravoure et pour sa haute taille,
Parcourait à cheval, le soir d'une bataille,
Le champ couvert de morts sur qui tombait la nuit.
Il lui sembla dans l'ombre entendre un faible bruit.
C'était un Espagnol de l'armée en déroute,
Qui se traînait, sanglant, sur le bord de la route,
Râlant, brisé, livide, et mort plus qu'à moitié,
Et qui disait : "A boire, à boire par pitié !"
Mon père, ému, tendit à son housard fidèle
Une gourde de rhum qui pendait à sa selle,
Et dit : "Tiens donne à boire à ce pauvre blessé."
Tout à coup, au moment où le housard baissé
Se penchait vers lui, l'homme, une espèce de Maure,
Saisit un pistolet qu'il étreignait encore,
Et vise au front mon père en criant : "Caramba !".
Le coup passa si près que le chapeau tomba,
Et que le cheval fit un écart en arrière.
"Donne lui tout de même à boire", dit mon père.

(1) Un housard, ou houssard, ou encore plus communément hussard (chaussé de housses, des sortes de bottes), est un soldat de la cavalerie légère.
Victor Hugo ("La Légende des Siècles" , deuxième série - XLIX, IV - 1877)


Ceux qui vivent, ce sont ceux qui luttent (extrait)

Ceux qui vivent, ce sont ceux qui luttent ; ce sont
Ceux dont un dessein ferme emplit l'âme et le front.
Ceux qui d'un haut destin gravissent l'âpre cime.
Ceux qui marchent pensifs, épris d'un but sublime.
Ayant devant les yeux sans cesse, nuit et jour,
Ou quelque saint labeur ou quelque grand amour.
C'est le prophète saint prosterné devant l'arche,
C'est le travailleur, pâtre, ouvrier, patriarche.
Ceux dont le coeur est bon, ceux dont les jours sont pleins.
Ceux-là vivent, Seigneur ! les autres, je les plains.
Car de son vague ennui le néant les enivre,
Car le plus lourd fardeau, c'est d'exister sans vivre.
Inutiles, épars, ils traînent ici-bas
Le sombre accablement d'être en ne pensant pas.
...
Victor Hugo ("Les Châtiments" - 1844)


29 avril 2007

"L'autre" - Max Jacob

Max Jacob (1876-1944) est écrivain, poète et peintre, ami de peintres cubistes comme Pablo Picasso, Georges Braque et Juan Gris, et de poètes, comme Guillaume Apollinaire, puis plus tard, de Jean Cocteau, Modigliani, et encore Marcel Béalu, Michel Manoll, René-Guy Cadou et Jean Rousselot.
Il est auteur de contes pour enfants, et de nombreux recueils de poésie, certains en prose ("Le Cornet à dés" est d'abord édité en 1917 à compte d'auteur).
Contraint de porter l'étoile jaune pendant l'Occupation ("Deux gendarmes sont venus enquêter sur mon sujet, ou plutôt au sujet de mon étoile jaune. Plusieurs personnes ont eu la charité de me prévenir de cette arrivée soldatesque et j’ai revêtu les insignes nécessaires"), il est arrêté par la police allemande (la Gestapo) le 24 février 1944, et meurt au camp d'internement de Drancy, en région parisienne,le 5 mars 1944.

Voici un de ses derniers textes, dédié à son ami le poète Jean Rousselot.
Max Jacob a écrit ce poème en prose au camp de Drancy. C'est par antiphrase, bien sûr, qu'il l'intitule "Amour du prochain" :

Amour du prochain

à Rousselot

Qui a vu le crapaud traverser la rue ? c'est un tout petit homme : une poupée n'est pas plus minuscule. Il se traîne sur les genoux : il a honte. on dirait...? Non ! Il est rhumatisant. Une jambe reste en arrière, il la ramène ! Où va-t-il ainsi ? Il sort de l'égout, pauvre clown. Personne n'a remarqué ce crapaud dans la rue. Jadis, personne ne me remarquait dans la rue, maintenant les enfants se moquent de mon étoile jaune. Heureux crapaud ! Tu n'as pas d'étoile jaune.

Max Jacob ("Derniers Poèmes " - Gallimard 1945 - recueil posthume)


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29 avril 2007

"L'autre" - Lucien Jacques

Lucien Jacques (1898-1961) était doué de talents multiples. On peut visiter ici le site de l'association des amis de Lucien Jacques  "peintre-poète-illustrateur-éditeur".

Bien sûr, ce poème va être difficilement accepté dans les écoles, mais observez la progression vers l'humain de ce "fumier", notre semblable ...

Credo

Je crois en l'homme, cette ordure.
Je crois en l'homme, ce fumier,
Ce sable mouvant, cette eau morte.

Je crois en l'homme, ce tordu,
Cette vessie de vanité.
Je crois en l'homme, cette pommade,
Ce grelot, cette plume au vent,
Ce boute-feu, ce fouille-merde.
Je crois en l'homme, ce lèche-sang.

Malgré tout ce qu'il a pu faire
De mortel et d'irréparable.
Je crois en lui
Pour la sûreté de sa main,
Pour son goût de la liberté,
Pour le jeu de sa fantaisie.

Pour son vertige devant l'étoile.
Je crois en lui
Pour le sel de son amitié,
Pour l'eau de ses yeux, pour son rire,
Pour son élan et ses faiblesses.

Je crois à tout jamais en lui
Pour une main qui s'est tendue.
Pour un regard qui s'est offert.
Et puis surtout et avant tout
Pour le simple accueil d'un berger.

Lucien Jacques ("Florilège poétique" - Les Cahiers de l'Artisan, 1954)


29 avril 2007

"L'autre" - Francis Jammes

Francis Jammes (1868-1938) est l'auteur de "La Prière", poème chanté par Georges Brassens (voir la catégorie BRASSENS chante les poètes) et on le retrouve dans POÉSIES PAR THÈME : l'école avec "Souvenirs d'enfance".

Voici de cet auteur plusieurs éloges, en commençant par l'animal qu'il aimait le plus, l'âne (une autre de ses poésies, comme toute son oeuvre empreinte de mysticisme, s'intitule d'ailleurs "Prière pour aller au Paradis avec les ânes").
De ce long texte, on donne généralement aux élèves le passage en couleur :

J'aime l'âne

J'aime l'âne si doux
marchant le long des houx.

Il prend garde aux abeilles
et bouge ses oreilles;

et il porte les pauvres
et des sacs remplis d'orge.

Il va, près des fossés,
d'un petit pas cassé.

Mon amie le croit bête
parce qu'il est poète.

Il réfléchit toujours.
Ses yeux sont en velours.

Jeune fille au doux coeur,
tu n'as pas sa douceur :

car il est devant Dieu
l'âne doux du ciel bleu.

Et il reste à l'étable,
résigné, misérable,

ayant bien fatigué
ses pauvres petits pieds.

Il a fait son devoir
du matin jusqu'au soir.

Qu'as-tu fait jeune fille ?
Tu as tiré l'aiguille ...

Mais l'âne s'est blessé :
la mouche l'a piqué.

Il a tant travaillé
que ça vous fait pitié.

Qu'as-tu mangé, petite ?
T'as mangé des cerises.

L'âne n'a pas eu d'orge,
car le maître est trop pauvre.

Il a sucé la corde,
puis a dormi dans l'ombre ...

La corde de ton cœur
n'a pas cette douceur.

Il est l'âne si doux
marchant le long des houx.

J'ai le cœur ulcéré:
ce mot-là te plairait.

Dis-moi donc, ma chérie,
si je pleure ou je ris ?

Va trouver le vieil âne,
et dis-lui que mon âme

est sur les grands chemins,
comme lui le matin.

Demande-lui, chérie,
si je pleure ou je ris ?

Je doute qu'il réponde : 
il marchera dans l'ombre,

crevé par la douleur,
sur le chemin en fleurs.

Francis Jammes ("De l'angélus de l'aube à l'angélus du soir" - Mercure de France, 1898)


Ce sont les travaux des hommes

Ce sont les travaux de l'homme qui sont grands :
celui qui met le lait dans les vases de bois,
celui qui cueille les épis de blé piquants et droits,
celui qui garde les vaches près des aulnes frais,
celui qui fait saigner les bouleaux des forêts,
celui qui tord, près des ruisseaux vifs, les osiers,
celui qui raccommode les vieux souliers
près d'un foyer obscur, d'un vieux chat galeux,
d'un merle qui dort et des enfants heureux ;
celui qui tisse et fait un bruit retombant,
lorsque à minuit les grillons chantent aigrement ;
celui qui fait le pain, celui qui fait le vin,
celui qui sème l'ail et les choux au jardin,
celui qui recueille les oeufs tièdes.

Francis Jammes ("De l'angélus de l'aube à l'angélus du soir" - Mercure de France, 1898)


Le facteur

Lorsque j'étais enfant, ma mère me disait :
"Si, homme, il m'avait fallu choisir un métier,
C'est un facteur rural que j'aurais voulu être."
Et moi je l'admirais quand il passait, ses guêtres,
Et ses cannes de houx cueillies dans les clairières.
Ah ! Il était pour moi le parcoureur de terres,
Le voyageur qui s'en revient de l'inconnu.
Son monde était immense, en effet, j'avais vu,
Un jour après midi que nous nous promenions,
Que la route pouvait aller jusqu'à Ozon *.

* Ozon est un village des Hautes-Pyrénées, proche de la ville de Tournay où vivaient les parents de Francis Jammes.
Francis Jammes ("De l'angélus de l'aube à l'angélus du soir" - Mercure de France, 1898)


29 avril 2007

"L'autre" - Georges Jean

Georges Jean, poète et enseignant, est né à Besançon en 1920. Il est l'auteur de recueils de poésie et d'anthologies poétiques pour les enfants.

Ville inconnue

Dans la ville des murmures
Traînent dans l'ombre
Les gens n'ont pas de visage
Les fenêtres sont fermées
Dans la gorge des passants
Le passé noue ses yeux profonds
Et la rivière des songes
Plonge au puits de solitude
Piétinements Habitudes
Un chat passe dans son ombre
Des enfants traversent la lune
Paumes ouvertes de la nuit
Derrière brûlent les étoiles
Le plâtre tombe des façades
Saga de la ville inconnue
Le vent construit l'espace
Et le Temps

Georges Jean ("Parcours immobiles" - éditions Le dé bleu, 1995)


Dans un bistrot ...

Dans un bistrot rue de Buci
Plus près de mon cœur est la ville
Une femme sans âge me regarde
Avec des yeux de porcelaine
Puis dans la saveur du matin
Les passants plus lointains que les étoiles
Marchent dans les sandales de l'aube.

Georges Jean ("Parcours immobiles" - éditions Le dé bleu, 1995)


29 avril 2007

"L'autre" - Patrick Joquel

Patrick Joquel, né en 1959, annonce la couleur : "Je suis instituteur et auteur… ou l'inverse". Et effectivement, ce professeur d’école itinérant (ZIL) depuis 1987, est l'auteur de romans et de recueils de poésie pour les enfants, aux titres évocateurs : Mammifère à lentilles, Heureux comme l’orque, Demain les hippocampes, Le bruit d’un brin de bambou, Que sais-tu des rêves du lézard, Et le ciel ?...

Une de ses dernières publications est "Poésie Maternelle" (aux éditions Magnard), guide pédagogique complet (fiches d'activités pratiques, conseils, textes) pour initier les élèves à la poésie.

Que sais-tu des rêves du lézard ? (titre proposé)livre_r_ves_l_zard

Tu ne regardes pas
la couleur des autos
tu choisis de compter
les fleurs du potager d'en face

Tu n'écoutes pas
le bavardage des moteurs
tu préfères chercher
le petit lézard du balcon
celui que le citronnier a couvé
tout l'hiver
dans son pot

Patrick Joquel ("Que sais-tu des rêves du lézard ?" - éditions Magnard , 2004)


Un silencieux brochet (titre proposé)

Un beau soir de juillet
un silencieux brochet
de son métier lassé
raccrocha son dentier

Devenu non violent
il partit au Tibet
se nourrir de sorbet

A l'automne suivant
il revint en volant
pour ouvrir un glacier
sur un fond de graviers

Patrick Joquel ("Tant de secrets" - éditions Gros Textes, 2005)


L'igloo (titre proposé)

Je vis caché
dans un trou
tout au fond
de mon igloo
J'attends
un peu de soleil
un petit
clin d'oeil
du ciel
Je guette
avec gourmandise
un amour
sur la banquise

Patrick Joquel ("Demain les hippocampes" - éditions Solos, 1998)


Pas seul au monde (titre proposé)

Tu suis des yeux
la flèche rouge de ta boussole
Loin là-bas
au delà de la montagne
un éléphant de mer t'attend
Tu vois
tu n'es pas seul au monde

Patrick Joquel ("Le bruit d'un brin de bambou" - éditions Gros Textes, 1999-2003)


29 avril 2007

"L'autre" - Jean Joubert

Jean Joubert est né en 1928. C'est un romancier et poète, auteur pour l'enfance et la jeunesse, et pour un plus large public.

Le veilleur solitaire

Il y a toujours dans la nuit de la ville
une petite fenêtre qui brille
très loin au bord du ciel
une fenêtre au loin, une lampe qui brûle,
un homme ou peut-être un enfant
penché sur la page d'un livre
où les mots brûlent et brillent.
Et le cœur de l'homme ou de l'enfant
brûle d'un sang plus vif,
s'exalte, s'illumine.

Il y a toujours au bord du ciel
un veilleur solitaire
qui cherche dans la nuit
son chemin de clarté.

Jean Joubert ("La maison du poète" - Pluie d'étoiles éditions, 1999)


 

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