Carême - PP12 - ENFANCES - TEXTES EN FRANÇAIS
- Maurice Carême -
Maurice Carême, instituteur belge (1899-1978) est présent dans chaque cahier de poésie des élèves de France et de Navarre (et de Belgique bien sûr), et ses textes se baladent un peu partout sur le blog. Explorez les catégories !
La plupart des textes se trouvent sur le site de la Fondation Maurice Carême - http://www.mauricecareme.be/fondation.php
La fillette et le poème
"Le poème, qu'est-ce que c'est ?
M'a demandé une fillette :
Des pluies lissant leurs longues tresses,
Le ciel frappant à mes volets,
Un pommier tout seul dans un champ
Comme une cage de plein vent,
Le visage triste et lassé
D'une lune blanche et glacée,
Un vol d'oiseaux en liberté,
Une odeur, un cri, une clé ?"
Et je ne savais que répondre
Jeu de soleil ou ruse d'ombre ? -
Comment aurais-je su mieux qu'elle
Si la poésie a des ailes
Ou court à pied les champs du monde ?
Maurice Carême © Fondation Maurice Carême (recueil posthume "Être ou ne pas être" - Collection La petite Belgique - éditions l'Age d'Homme, 2008)
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Alphabet
A c'est l'âne agaçant l'agnelle,
B c'est le boulevard sans bout,
C la compote sans cannelle,
D le diable qui dort debout.
E c'est l'école, les élèves,
F le furet féru de grec,
G la grive grisant la grève,
H c'est la hache et l'homme avec.
I c'est l'ibis berçant son île,
J Le jardin sans jardinier,
K le képi du chef kabyle,
L le lièvre fou à lier.
M c'est le manteau bleu des mages,
N la neige bordant le nid,
O l'oranger pris dans l'orage,
P le pain léger de Paris.
Q c'est la quille sur le quai,
R la rapière d'or du roi,
S le serpent qui s'est masqué,
T la tour au-dessus des toits.
U c'est l'usine qui s'allume,
V le vol du vent dans la voile,
W le wattman de lune,
X le xylophone aux étoiles.
Y c'est les yeux doux du yack
Oublié dans le zodiaque,
Z le zigzag brusque du zèbre
Qui s'enfuit dans les ténèbres,k
Malheureux parce qu'il est
Le dernier de l'alphabet.
Maurice Carême ("A cloche-pied" - éditions Ouvrières, 1972)
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Avez-vous vu ?
Avez-vous vu le dromadaire
Dont les pieds ne touchent pas terre ?
Avez-vous vu le léopard
Qui aime loger dans les gares ?
Avez-vous vu le vieux lion
Qui joue si bien du violon ?
Avez-vous vu le kangourou
Qui chante et n'a jamais le sou ?
Avez-vous vu l'hippopotame
Qui minaude comme une femme ?
Avez-vous vu le perroquet
Lançant très haut son bilboquet ?
Avez-vous vu la poule au pot
Voler en rassemblant ses os ?
Mais moi, m'avez-vous bien vu, moi,
Que personne jamais ne croit ?
Maurice Carême
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Fantaisie
L'homme habitait un quart de pomme ;
La femme, un huitième de poire.
Leur vieille cousine Opportune
Vaquait dans une demi-prune.
Il y avait monsieur Léon
Qui débordait d'un gros citron
Et sa soeur, madame Émérence,
Qui emplissait toute une orange.
Quant à moi, chétive fillette,
Je tenais dans une noisette
Et, comme je n'étais pas grosse,
Il arrivait, les jours de fête,
Que je m'y déplace en carrosse.
Maurice Carême
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Mon petit chat
J’ai un petit chat,
Petit comme ça.
Je l’appelle Orange.
Je ne sais pourquoi
Jamais il ne mange
Ni souris ni rat.
C’est un chat étrange
Aimant le nougat
Et le chocolat.
Mais c’est pour cela,
Dit tante Solange,
Qu’il ne grandit pas !
Maurice Carême ("La lanterne magique" - éditions Ouvrières, 1947)
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L’ogre
J’ai mangé un œuf
Deux langues de bœuf
Trois rôtis de mouton
Quatre gros jambons
Cinq rognons de veau
Six couples d’oiseaux
Sept immenses tartes
Huit filets de carpe
Neuf kilos de pain
Et j’ai encore faim
Peut-être ce soir
Vais-je encore devoir
Manger mes deux mains
Pour avoir enfin
Le ventre bien plein.
Maurice Carême ("L'Arlequin" - éditions Fernand Nathan, 1970)
Voir aussi les comptines numériques en page 1.
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Trois escargots
J'ai rencontré trois escargots
Qui s'en allaient cartable au dos
Et dans le pré trois limaçons
Qui disaient par cœur leur leçon.
Puis dans un champ, quatre lézards
Qui écrivaient un long devoir.
Où peut se trouver leur école ?
Au milieu des avoines folles ?
Et leur maître est-il ce corbeau
Que je vois dessiner là-haut
De belles lettres au tableau ?
Maurice Carême
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Un poème pour mémoriser une règle d'orthographe en s'amusant :
Le hibou
Caillou, genou, chou, pou, joujou, bijou,
Répetait sans fin le petit hibou.
Joujou, bijou, pou, chou, caillou, genou
Non, se disait-il, non, ce n' est pas tout.
Il y en a sept pourtant, sept en tout :
Bijou, caillou, pou, genou, chou, joujou.
Ce n' est ni bambou, ni clou, ni filou
Quel est donc le septième ? Et le hibou,
La patte appuyée au creux de sa joue,
Se cachait de honte à l'ombre du houx.
Et il se désolait, si fatigué
Par tous ses devoirs de jeune écolier
Qu' il oubliait, en regardant le ciel
Entre les branches épaisses du houx
Que son nom, oui, son propre nom, hibou,
Prenait, lui aussi, un X au pluriel.
Maurice Carême
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Ce qui est comique
Savez-vous ce qui est comique ?
Une oie qui joue de la musique,
Un pou qui parle du Mexique,
Un bœuf retournant l'as de pique,
Un clown qui n'est pas dans un cirque,
Un âne chantant un cantique,
Un loir champion olympique.
Mais ce qui est le plus comique,
C'est d'entendre un petit moustique
Répéter son arithmétique.
Maurice Carême
"Savez-vous ce qui est comique...?"
Imaginer encore (les rimes en ique sont nombreuses), ce qui peut être comique.
Construire d'autres poèmes avec ce qui est amusant (rimes simples encore plus nombreuses) ; ce qui est drôle, et puis toujours avec humour, ce qui est agaçant, énervant, insupportable, étonnant, possible ou impossible, incroyable, inadmissible, etc.
Ici encore on pourrait imaginer un genre de Cadavre exquis (voir André Breton plus haut) en deux étapes pour les vers du poème (dans l'exemple, la séparation est indiquée par / ), en respectant la rime dans la seconde partie du vers (avec les élèves plus grands on peut même décider du nombre de syllabes de chaque partie). On gardera le maximum de productions correctes en réorganisant peut-être le poème et on imaginera collectivement la chute, si chute il y a ("Mais ce qui est le plus agaçant... c'est ...")
ex : Ici, avec "Ce qui est agaçant", on a essayé d'imaginer, sans savoir quel serait le sujet, des situations en rapport avec le thème. Dans la consigne, si on ne décide pas du singulier ou du pluriel (ça laisse plus de champ), on accordera grammaticalement lors de la mise au point, dans chaque doublette de Cadavre exquis ou en grand groupe :
Un kangourou / qui vous fait perdre votre temps
Une tortue / qui ne se lave pas les dents
Une fleur fanée / qui prend son bain en chantant ...
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Deux petits éléphants
C’était deux éléphants
Deux petits éléphants tout blancs.
Lorsqu’ils mangeaient de la tomate
Ils devenaient tout écarlates.
Dégustaient-ils un peu d’oseille,
On les retrouvait vert bouteille.
Suçaient-ils une mirabelle,
Ils passaient au jaune de miel.
On leur donnait alors du lait,
Ils redevenaient d’un blanc frais.
Mais on les gava, près d’Angkor,
Pour le mariage d’un raja,
D’un grandsachet de poudre d’or.
Et ils brillèrent, ce jour-là,
D’un tel éclat que plus jamais,
Même en buvant des seaux de lait,
Ils ne redevinrent tout blancs,
Ces jolis petits éléphants.
Maurice Carême ("Pomme de reinette" - Fondation Maurice Carême, 1962)
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L'heure du crime
Minuit. Voici l'heure du crime.
Sortant d'une chambre voisine,
Un homme surgit dans le noir.
Il ôte ses souliers,
S'approche de l'armoire
Sur la pointe des pieds
Et saisit un couteau
Dont l'acier luit, bien aiguisé.
Puis, masquant ses yeux de fouine
Avec un pan de son manteau,
Il pénètre dans la cuisine
Et, d'un seul coup, comme un bourreau
Avant que ne crie la victime,
Ouvre le cœur d'un artichaut.
Maurice Carême ("Au clair de la lune" - éditions Hachette, Le Livre de Poche jeunesse, 2003)
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L'enfant
À quoi jouait-il cet enfant ?
Personne n'en sut jamais rien
On le laissait seul dans un coin
Avec un peu de sable blanc.
On remarquait bien, certains jours,
Qu'il arquait les bras tels des ailes
Et qu'il regardait loin, très loin,
Comme du sommet d'une tour.
Mais où s'en allait-il ainsi
Alors qu'on le croyait assis ?
Lui-même le sut-il jamais ?
Dès qu'il refermait les paupières,
Il regagnait le grand palais
D'où il voyait toute la mer.
Maurice Carême ("Mer du Nord" - album en 1968 et éditions Nathan, 1971, dessins originaux de Henri-Victor Wolvens)
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Ton poème
Ton poème, m'a dit l'enfant,
J'en ferai un petit bateau,
Et il ira si loin sur l'eau
En bavardant avec les vents,
Il contournera tant d'îlots,
Qu'il rencontrera le cobra
Qui joue de la flûte d'ébène
Pour faire danser les rajas
Dont tu parles dans ton poème.
Maurice Carême ("La cage aux grillons" - 1959, Paris, Les Editions ouvrières, 1973)
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La tranche de pain
Un enfant seul,
Tout seul avec en main
Une belle tranche de pain,
Un enfant seul
Avec un chien
Qui le regarde comme un dieu
Qui tiendrait dans sa main
La clé du paradis des chiens.
Un enfant seul
Qui mord dans sa tranche de pain,
Et que le monde entier
Observe pour le voir donner
Avec simplicité,
Alors qu'il a très faim,
La moitié de son pain
Bien beurré à son chien.
Maurice Carême ("Au clair de la lune" - éditions Hachette, Le Livre de Poche jeunesse, 2003)
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Ma gomme
Avec ma gomme, dit l’enfant
- La gomme que j’ai dans le cœur -
Je puis rayer tous les malheurs.
Avec ma gomme, dit l’enfant,
Je pourrais faire disparaître
L’univers et tous ses vivants.
Mais qui jamais sur cette terre
- Fût-il le Dieu le plus fûté -
Serait capable d’effacer
Avec sa gomme de lumière
Le beau visage de ma mère
Du livre de l’éternité !
Maurice Carême
poèmes © Fondation Maurice Carême
Merci à la Fondation Maurice Carême, pour avoir signalé les erreurs dans plusieurs textes (on trouve souvent sur Internet les poèmes de Maurice Carême grossièrement déformés. Par respect pour les auteurs, lieucommun s'efforce de proposer les textes dans leur écriture originale - http://www.mauricecareme.be/fondation.php