PRINT POÈTES 2013 : PABLO NERUDA
Cette année 2013 marque le quarantième anniversaire de la disparition du poète chilien
Pablo Neruda (1904-1973)
Le Printemps des Poètes lui rend hommage.
- Pablo Neruda (1904-1973), dont le nom de naissance est Ricardo Eliecer Neftalí Reyes Basoalto, a emprunté son pseudonyme moins chantant mais plus facile à retenir, au poète tchèque Jan Neruda.
C'est sans doute, dans le domaine artistique, le chilien le plus connu dans le monde. Son premier recueil de poèmes s'intitule Crepusculario (Crépusculaire), qu'il écrit à l'âge de dix-neuf ans, puis un an plus tard, c'est le célèbre Veinte poemas de amor y una canción desesperada (Vingt Poèmes d'amour et une chanson désespérée).
Poète, écrivain, homme politique engagé, il est nommé en 1935 consul en Espagne, à la veille de la guerre civile (1936-1939) dans ce pays. Il y rencontre entre-autres les grands poètes espagnols Federico García Lorca, Rafael Alberti, Jorge Guillén. La défaite des républicains met fin aux espoirs démocratiques, commence la dictature du Général Franco.
Antonio Machado n'a pas survécu à la défaite
Machado dort à Collioure
Trois pas suffirent hors d'Espagne
Et le ciel pour lui se fît lourd
Il s'assit dans cette campagne
Et ferma les yeux pour toujours.
(extrait de "Les poètes", Louis Aragon)
et Federico García Lorca avait été assassiné par les franquistes :
Lorca Maïakovski Desnos Apollinaire
Leurs ombres longuement parfument nos matins
Le ciel roule toujours les feux imaginaires
De leurs astres éteints
Contre le chant majeur la balle que peut-elle
Sauf contre le chanteur que peuvent les fusils
La terre ne reprend que cette chair mortelle
Mais non la poésie.
(extrait de "Les poètes", Louis Aragon)
Voir plus bas un poème du recueil "L'Espagne au coeur".
Au Chili, quelques année plus tard, il est contraint à l'exil en 1946 sous la dictature d'un autre militaire, le Général Videla, pourtant élu avec le soutien des forces de gauche, qu'il a trahies.
A partir de 1958, il soutient Salvador Allende, candidat de l'Union de la gauche à la présidence de la République, qui sera élu en 1970 et qui le nommera ambassadeur.
En 1971, Pablo Neruda est le troisième Chilien a obtenir le Prix Nobel de littérature (la poétesse Gabriela Mistral l'avait obtenu en 1945 et l'écrivain Miguel Ángel Asturias en 1967).
En 1970, il est nommé ambassadeur du Chili du président socialiste Allende.
Le Coup d'État du 11 septembre 1973, avec l'assassinat de Salvador Allende met un point final à sa vie. Il meurt ce même mois de septembre et les causes de sa mort sont toujours controversées.
Commence alors au Chili la dictature du Général (encore !) Pinochet, avec la terrible répression qu'on connaît.
Quelques oeuvres parmi les plus remarquables (ça se discute) :
- "Crepusculario" (1923)
- "Canto General" "Chant général" (1950)
- "Odas elementales" (1954-1959)
- "Cien sonetos de amor", traduit sous le titre "La Centaine d'amour" (1959)
- "Confieso que he vivido", "J'avoue que j'ai vécu" (1974, posthume)
- "Para nacer he nacido" (1978, posthume)
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passage du Canto General dédié à Rafael Alberti :
RAFAEL, antes de llegar a España me salió al camino
tu poesía, rosa literal, racimo biselado,
y ella hasta ahora ha sido no para mí un recuerdo,
sino luz olorosa, emanación de un mundo.
RAFAEL, avant d’arriver en Espagne, je vis venir à moi
ta poésie, rose intégrale, grappe biseautée,
et jusqu'à ce jour elle a été pour moi non pas un souvenir
mais une clarté parfumée, l’émanation d’un
monde.
Pablo Neruda
ici, un lien vers un document, un pdf pédagogique indispensable (niveau collège à partir de la 3e, lycée) sur Neruda et cette période : http://www4b.ac-lille.fr/~vhugoharnes/Files/fiche23.pdf
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Source Wikipedia pour la traduction en français :
En 1974, l'autobiographie de Pablo Neruda Confieso que he vivido (J'avoue que j'ai vécu), paraît à titre posthume
extrait :
"Quiero vivir en un país donde no está excomulgado. Quiero vivir en un mundo donde los seres humanos sólo, sin otras pruebas que, sin estar obsesionado por una regla, por una palabra, una etiqueta. Quiero que entremos en todas las iglesias en toda la impresión. No quiero volver a estar esperando a alguien en la puerta del Ayuntamiento para detenerlo, para expulsarlo. Quiero que todos vienen y se van con una sonrisa en el ayuntamiento. No quiero que nadie escape en góndola, nadie es perseguido por las motocicletas. Quiero que la gran mayoría, la mayoría sólo, todo el mundo puede hablar, leer, escuchar y crecer."
"Je veux vivre dans un pays où il n'y ait pas d'excommuniés. Je veux vivre dans un monde où les êtres soient seulement humains, sans autres titres que celui-ci, sans être obsédés par une règle, par un mot, par une étiquette. Je veux qu'on puisse entrer dans toutes les églises, dans toutes les imprimeries. Je veux qu'on n'attende plus jamais personne à la porte d'un hôtel de ville pour l'arrêter, pour l'expulser. Je veux que tous entrent et sortent en souriant de la mairie. Je ne veux plus que quiconque fuie en gondole, que quiconque soit poursuivi par des motos. Je veux que l'immense majorité, la seule majorité : tout le monde, puisse parler, lire, écouter, s'épanouir."
Pablo Neruda
"Confieso que he vivido" (Seix Barral, 1974), "J'avoue que j'ai vécu" (en français chez Gallimard,1975) - texte intégral en pdf (et en espagnol) de l'édition Seix Barral ici : http://nerudavive.cl/libros/libros_neruda/Confieso.pdf
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Silencio
Yo que crecí dentro de un árbol
tendría mucho que decir,
pero aprendí tanto silencio
que tengo mucho que callar
y eso se conoce creciendo
sin otro goce que crecer,
sin más pasión que la substancia,
sin más acción que la inocencia,
y por dentro el tiempo dorado
hasta que la altura lo llama
para convertirlo en naranja.
Silence
Moi qui ai grandi à l’intérieur d’un arbre
j’aurais beaucoup à dire,
mais j’ai appris tant de silence
que j’ai beaucoup à taire
et cela s’apprend en grandissant
sans autre plaisir que grandir,
sans plus de passion que la substance,
sans plus d’action que l’innocence,
et en dedans le temps doré
jusqu’à ce que la hauteur l’appelle
pour le transformer en orange.
Pablo Neruda
"Fin de Mundo" (Editorial Losada, 1969)
Fin du Monde est aussi le titre donné à l'exposition photographique sous-titrée «Pablo Neruda et la France» (organisée à Quito, capitale de l'Equateur, par le Bureau de l'UNESCO à Quito, l'Alliance Française et l'Ambassade du Chili en Equateur, avec une lecture publique de poèmes de Pablo Neruda par des poètes et écrivains équatoriens. C'était en septembre et octobre 2012, dans le cadre de la commémoration du 40ème anniversaire de la mort de Neruda )
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El deseo de irse
Ha penetrado el sol por mi ventana,
todo lo ha iluminado alegremente.
Ladra un perro y un pájaro desgrana
armoniosos gorjeos a torrentes.
De espaldas en mi lecho siento un vago
deseo de adorar las lejanías,
de perderme en la bruma de los lagos
sy cegarme en la luz de la alegría.
De irme cantando en el camino agreste
sintiendo la dulzura de las tardes,
y lleno el corazón de la celeste
llama de amor que en los caminos arde ...
Pablo Neruda (revista Corre – Vuela, N° 619, 1919 - et "Los cuadernos de Temuco" (1966)
Le désir de partir
Le soleil est entré par ma fenêtre :
il a tout illuminé par sa gaieté.
Un chien aboie, et un oiseau fait couler
à flots de subtiles harmonies.
Sur le dos, dans mon lit, je ressens un vague
désir d'adorer les lointains,
de me perdre dans la brume des lacs,
de m'éblouir aux feux de l'allégresse;
d'aller en chantant sur les chemins champêtres,
en sentant sur moi la douceur des soirs,
et le coeur empli de la céleste
flamme de l'amour qui brûle au long des chemins.
Pablo Neruda
Méfions-nous des "hoax" posthumes (à l'ère Internet bien entendu) sur Pablo Neruda,
même si certains le regretteront (?) le texte "muere lentamente" (il meurt lentement) lui est faussement attribué, explication ici :
http://entouteslettres-jb.blogspot.fr/2011/01/si-de-pablo-neruda-il-meurt-lentement.html
Muere lentamente quien no viaja,
quien no lee,
quien no oye música,
quien no encuentra gracia en sí mismo.
etc
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Il meurt lentement
celui qui ne voyage pas,
celui qui ne lit pas,
celui qui n’écoute pas de musique,
celui qui ne sait pas trouver
grâce à ses yeux.
etc ..., donc : Pablo Neruda
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Cien sonetos de amor, La Centaine d'amour, est une suite numérotée de 100 sonnets, comme autant de lettres d'amour adressées par l'auteur à la même femme (Matilde Urrutia). On s'étonnera peut-être que ces vers ne riment pas, mais Neruda s'en est expliqué :
"Dans les Cent sonnets d’amour, le plus difficile a été de retirer les rimes de ces sonnets, pour qu’ils ne soient ni de bronze ni d’argent, mais de bois. C’est exactement pour cela que j’ai supprimé la rime, cette rime au son diabolique en espagnol". (cité par Delphine Rumeau dans son étude de la poésie de Pablo Neruda : "Dépolir les bijoux de la tradition lyrique : les sonnets de bois de Pablo Neruda", publiée en septembre 2009 dans la revue Silène du Centre de recherches en littérature et poétique comparées de Paris Ouest-Nanterre-La Défense. Texte consultable ici (en pdf) : http://www.revue-silene.com/images/30/extrait_132.pdf
Quelques passages :
Cien sonetos de amor
A Matilde Urrutia
Soneto I
Matilde, nombre de planta o piedra o vino,
de lo que nace de la tierra y dura,
palabra en cuyo crecimiento amanece,
en cuyo estío estalla la luz de los limones.
En ese nombre corren navíos de madera
rodeados por enjambres de fuego azul marino,
y esas letras son el agua de un río
que desemboca en mi corazón calcinado.
Oh nombre descubierto bajo una enredadera
como la puerta de un túnel desconocido
que comunica con la fragancia del mundo!
Oh invádeme con tu boca abrasadora,
indágame, si quieres, con tus ojos nocturnos,
pero en tu nombre déjame navegar y dormir.
Sonnet I
Matilde, nom de plante ou de pierre ou de vin,
nom de ce qui est né de la terre, et qui dure,
la croissance d’un mot a fait lever le jour,
dans l’été de ton nom éclatent les citrons.
Sur ce nom vont courant les navires de bois
entourés par l'essaim bleu marine du feu,
les lettres de ton nom sont l'eau d'une rivière
qui viendrait se jeter en mon coeur calciné.
Oh ce nom découvert sous un volubilis,
nom semblable à l'entrée d'un tunnel inconnu
qui communique avec tous les parfums du monde !
Oh-envahis moi de ta bouche qui me brûle,
cherche en moi, si tu veux, de tes yeux de nuit, mais
laisse-moi naviguer et dormir sur ton nom.
Pablo Neruda
traduction de Jean Marcenac et André Bonhomme pour l'édition bilingue Gallimard/Poésie représentée sur la photo du haut de page
Soneto V
No te toque la noche ni el aire ni la aurora,
sólo la tierra, la virtud de los racimos,
las manzanas que crecen oyendo el agua pura,
el barro y las resinas de tu país fragante.
Desde Quinchamalí donde hicieron tus ojos
hasta tus pies creados para mí en la Frontera
eres la greda oscura que conozco:
en tus caderas toco de nuevo todo el trigo.
Tal vez tú no sabías, araucana,
que cuando antes de amarte me olvidé de tus besos
mi corazón quedó recordando tu boca
y fui como un herido por las calles
hasta que comprendí que había encontrado,
amor, mi territorio de besos y volcanes.
Sonnet V
Que ne t’atteigne pas l’air, l’aurore, la nuit,
mais seulement la terre, et le vertu des grappes,
et la pomme qui pousse en attendant l’eau pure,
la résine et la boue de ta terre odorante.
Depuis Quinchamali où tes yeux furent faits,
jusqu’à tes pieds créés pour moi sur la Frontière,
tu es la glaise obscure et que je reconnais :
tout le blé je le touche à nouveau sur tes hanches.
Et peut-être l’ignorais-tu, mon Araucane,
lorsque avant de t’aimer j’oubliai tes baisers
qu’il me restait au cœur mémoire de ta bouche
et j’allai par les rues pareil à un blessé
pour comprendre à la fin que j’avais découvert
mon territoire, amour, de baisers, de volcans.
Pablo Neruda
traduction de Jean Marcenac et André Bonhomme pour l'édition bilingue Gallimard/Poésie représentée sur la photo du haut de page
Soneto XVII
No te amo como si fueras rosa de sal,topacio
o flecha de claveles que propagan el fuego:
te amo como se aman ciertas cosas oscuras,
secretamente, entre la sombra y el alma.
Te amo como la planta que no florece y lleva
dentro de sí, escondida, la luz de aquellas flores,
y gracias a tu amor vive oscuro en mi cuerpo
el apretado aroma que ascendió de la tierra.
Te amo sin saber cómo, ni cuándo, ni de dónde,
te amo directamente sin problemas ni orgullo:
así te amo porque no sé amar de otra manera, .
sino así de este modo en que no soy ni eres,
tan cerca que tu mano sobre mi pecho es mía,
tan cerca que se cierran tus ojos con mi sueño.
Sonnet XVII
Je ne t'aime pas comme si tu étais rose de sel ou topaze
ou flèche d’oeillets que propage par le feu:
Je t’aime comme l’on aime certaines choses obscures,
En secret, entre l’ombre et l’âme.
Je t’aime comme la plante qui ne fleurit pas et porte
cachée en elle-même, la lumière de ces fleurs,
Et grâce à ton amour vit obscurément dans mon corps
l'arôme intense qui est monté de la terre.
Je t’aime sans savoir comment, ni quand, ni d’où,
Je t’aime directement sans problèmes ni orgueil:
Je t’aime ainsi car je ne sais aimer autrement,
Sinon de cette manière où nous sommes nous-mêmes,
Aussi près que ta main sur ma poitrine est la mienne,
Aussi près que tes yeux se ferment sur mon rêve.
Pablo Neruda
traduction proposée par lieucommun
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Dans le recueil "Vingt poèmes d'amour et une chanson désespérée" les poèmes ne portent aucun titre, ils sont numérotés de I à XX.
"Los Veinte poemas de amor y una canción desesperada son un libro doloroso y pastoril que contiene mis más atormentadas pasiones adolescentes, mezcladas con la naturaleza arrolladora del sur de mí patria" ...
Pablo Neruda dans son autobiographie "J'avoue que j'ai vécu" ("Confieso que he vivido")
(Passages)
XIV
Juegas todos los días con la luz del universo.
Sutil visitadora, llegas en la flor y en el agua.
Eres más que esta blanca cabecita que aprieto
como un racimo entre mis manos cada día.
A nadie te pareces desde que yo te amo.
Déjame tenderte entre guirnaldas amarillas.
¿Quién escribe tu nombre con letras de humo entre las estrellas del sur ?
¡Ah, déjame recordarte cómo eras entonces, cuando aún no existías !
(...)
Hasta te creo dueño del universo.
Te traeré de las montañas flores alegres, copihues,
avellanas oscuras, y cestas silvestres de besos.
Quiero hacer contigo
lo que la primavera hace con los cerezos.
Tu joues tous les jours avec la lumière de l'univers ...
Tu joues tous les jours avec la lumière de l'univers.
Subtile visiteuse, tu viens sur la fleur et dans l'eau.
Tu es plus que cette blanche et petite tête que je presse
Comme une grappe entre mes mains chaque jour.
Tu ne ressembles à personne depuis que je t'aime.
Laisse-moi t'étendre parmi les guirlandes jaunes.
Qui inscrit ton nom avec des lettres de fumée parmi les étoiles du sud ?
Ah laisse-moi me souvenir comment tu étais alors, quand tu n'existais pas encore.
(...)
Je te crois même reine de l'univers.
Je t'apporterai des fleurs joyeuses des montagnes, des copihues,
des noisettes foncées, et des paniers sylvestres de baisers.
Je veux faire avec toi
ce que le printemps fait avec les cerisiers.
(...)
XVI
En mi cielo al crepúsculo eres como una nube
y tu color y forma son como yo los quiero.
Eres mía, eres mía, mujer de labios dulces
y viven en tu vida mis infinitos sueños
(...)
Tu es au crépuscule ...
Tu es au crépuscule un nuage dans mon ciel,
ta forme, ta couleur sont comme je les veux.
Tu es mienne, tu es mienne, ma femme à la lèvre douce
et mon songe infini s'établit dans ta vie.
(...)
Pablo Neruda ("Vingt poèmes d'amour et une chanson désespérée", 1998 - paru en Poésie/Gallimard)
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Du recueil de Pablo Neruda "Cien sonetos de amor", ce XXVe sonnet avec sa traduction :
Soneto XXIV
Amor, amor, las nubes a la torre del cielo
subieron como triunfantes lavanderas,
y todo ardió en azul, todo fue estrella:
el mar, la nave, el día se desterraron juntos.
Ven a ver los cerezos del agua constelada
y la clave redonda del rápido universo,
ven a tocar el fuego del azul instantáneo,
ven antes de que sus pétalos se consuman.
No hay aquí sino luz, cantidades, racimos,
espacio abierto por las virtudes del viento
hasta entregar los últimos secretos de la espuma.
Y entre tantos azules celestes, sumergidos,
se pierden nuestros ojos adivinando apenas
los poderes del aire, las llaves submarinas.
Pablo Neruda ("Cien sonetos de amor")
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traduction proposée par Lieucommun :
Sonnet XXIV
Amour, amour, à la tour du ciel les nuages
montèrent telles de triomphantes lavandières,
et tout brûla en bleu d'azur, tout fut étoile :
la mer, le navire, le jour s'exilèrent ensemble.
Viens voir les cerisiers dans leur eau constellée
viens voir la ronde clef de l'univers rapide,
Viens toucher le feu de l'azur instantané,
viens avant que ses pétales se consument.
Il n'est ici que lumière, abondance*, grappes,
espace ouvert par les vertus du vent
jusqu'à livrer les derniers secrets de l'écume.
Et parmi tant de bleus célestes, submergés,
nos yeux se perdent, devinant à peine
les pouvoirs de l'air et les clefs de la mer.
Pablo Neruda ("La Centaine d'amour" - éditions Gallimard, 1995)
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L'Espagne au coeur (publié aux éditions Denoël en 1938 avec une préface de Louis Aragon) est, comme son nom l'indique, le recueil des poèmes que Pablo Neruda a consacré à ce pays où il a été Consul du Chili, et a vécu de 1935 à la fin de la guerre civile. Il y exprime ses sentiments d'amour et de révolte, particulièrement dans le texte ci-dessous :
"Raúl*, te acuerdas ?
Te acuerdas, Rafael ?
Federico, te acuerdas ?..."
* Raúl González Tuñón, poète argentin engagé en Espagne (1905-1974)
J'EXPLIQUE CERTAINES CHOSES
Vous me demanderez :
" Mais où sont les lilas ?
Et la métaphysique couverte de coquelicots ?
Et la pluie qui souvent frappait
vos paroles, les emplissant
d'oublis et d'oiseaux ? "
Je vais vous raconter tout ce qui m'arrive.
Je vivais dans un quartier
de Madrid
avec des cloches d'horloges,
avec des arbres.
De là on voyait au loin
le visage sec de la Castille
comme un océan de cuir.
Ma maison s'appelait
La maison des fleurs, parce que de tous côtés
éclataient des géraniums ; c'était
une belle maison
avec des chiens et des enfants.
Raúl, tu te souviens ?
Te souviens-tu Rafael ?
Federico, te souviens-tu ?
Toi qui dors sous la terre,
Te souviens-tu de ma maison aux balcons
Où la lumière de juin étranglait les fleurs dans ta bouche ?
Mon frère, mon frère !
Tout
était voix fortes, sel des marchandises,
montagnes de pain palpitant,
les marchés de mon quartier d'Arguelles avec sa statue
comme un encrier pâli parmi les merlus :
L'huile coulait dans les cuillers,
un profond battement
de pieds et de mains emplissait les rues,
mètres, litres, essence
aiguë de la vie,
poissons entassés
texture des toits sous le soleil froid à
la flèche fatiguée,
L'ivoire délirant et fin des pommes de terre,
et les tomates multipliées jusqu'à la mer.
Et un matin tout était en feu,
et un matin des brasiers
sortirent de terre
dévorant les hommes.
Et depuis lors le feu,
la poudre depuis lors
et depuis lors le sang.
Des bandits avec des avions et des Maures,
des bandits avec des bagues et des duchesses,
des bandits avec des moines noirs en prières
vinrent du ciel pour tuer les enfants,
et par les rues le sang des enfants
coulait simplement comme du sang d'enfant.
Chacals que les chacals rejetteraient,
pierres que les chardons secs mordraient en crachant
vipères que les vipères haïraient !
Face à vous j'ai vu le sang
de l'Espagne se lever
pour vous noyer sous une seule vague
d'orgueil et de couteaux !
Généraux
traîtres :
regardez ma maison morte
regardez l'Espagne détruite :
mais du moindre recoin d'Espagne
sort l'Espagne,
un métal ardent
en guise de fleurs,
mais de chaque blessure de l'Espagne
sort l'Espagne,
mais de chaque enfant mort sort un fusil avec des yeux,
mais de chaque crime naissent des balles
qui trouveront un jour
la place de votre cœur.
Vous me demandez : pourquoi votre poésie
ne parle pas du songe, des feuilles,
des grands volcans de votre pays natal ?
Venez voir le sang dans les rues
venez voir
le sang dans les rues
venez voir le sang
dans les rues !
(traduction, mise en strophes et ponctuation adaptée
proposées par lieucommun)
texte original :
EXPLICO ALGUNAS COSAS
Preguntaréis : Y dónde están las lilas ?
Y la metafísica cubierta de amapola s?
Y la lluvia que a menudo golpeaba
sus palabras llenándolas
de agujeros y pájaros ?
Os voy a contar todo lo que me pasa.
Yo vivía en un barrio
de Madrid, con campanas,
con relojes, con árboles.
Desde allí se veía
el rostro seco de Castilla
como un océano de cuero.
Mi casa era llamada
la casa de las flores, porque por todas partes
estallaban geranios: era
una bella casa
con perros y chiquillos.
Raúl, te acuerdas ?
Te acuerdas, Rafael ?
Federico, te acuerdas
debajo de la tierra,
te acuerdas de mi casa con balcones en donde
la luz de junio ahogaba flores en tu boca ?
Hermano, hermano !
Todo
eran grandes voces, sal de mercaderías,
aglomeraciones de pan palpitante,
mercados de mi barrio de Argüelles con su estatua
como un tintero pálido entre las merluzas :
el aceite llegaba a las cucharas,
un profundo latido
de pies y manos llenaba las calles,
metros, litros, esencia
aguda de la vida,
pescados hacinados,
contextura de techos con sol frío en el cual
la flecha se fatiga,
delirante marfil fino de las patatas,
tomates repetidos hasta el mar.
Y una mañana todo estaba ardiendo
y una mañana las hogueras
salían de la tierra
devorando seres,
y desde entonces fuego,
pólvora desde entonces,
y desde entonces sangre.
Bandidos con aviones y con moros,
bandidos con sortijas y duquesas,
bandidos con frailes negros bendiciendo
venían por el cielo a matar niños,
y por las calles la sangre de los niños
corría simplemente, como sangre de niños.
Chacales que el chacal rechazaría,
piedras que el cardo seco mordería escupiendo,
víboras que las víboras odiaran!
Frente a vosotros he visto la sangre
de España levantarse
para ahogaros en una sola ola
de orgullo y de cuchillos !
Generales
traidores:
mirad mi casa muerta,
mirad España rota:
pero de cada casa muerta sale metal ardiendo
en vez de flores,
pero de cada hueco de España
sale España,
pero de cada niño muerto sale un fusil con ojos,
pero de cada crimen nacen balas
que os hallarán un día el sitio
del corazón.
Preguntaréis por qué su poesía
no nos habla del sueño, de las hojas,
de los grandes volcanes de su país natal ?
Venid a ver la sangre por las calles,
venid a ver
la sangre por las calles,
venid a ver la sangre
por las calles !
Pablo Neruda ("Espagne au coeur" - éditions Denoël, 1938)
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Le recueil Los versos del capitan (Les vers du capitaine), a été initialement imprimé anonymement en Italie par son ami Paolo Ricci. Pablo Neruda a signé ce recueil dans l'édition chilienne de 1963.
El tigre
Soy el tigre.
Te acecho entre las hojas
anchas como lingotes
de mineral mojado.
El río blanco crece
bajo la niebla. Llegas.
Desnuda te sumerges.
Espero.
Entonces de un salto
de fuego, sangre, dientes,
de un zarpazo derribo
tu pecho, tus caderas.
Bebo tu sangre, rompo
tus miembros uno a uno.
Y me quedo velando
por años en la selva
tus huesos, tu ceniza,
inmóvil, lejos
del odio y de la cólera,
desarmado en tu muerte,
cruzado por las lianas,
inmóvil en la lluvia,
centine
la implacable de mi amor asesino.
Le tigre
Je suis le tigre.
je te guette derrière les feuilles
aussi grandes que des lingots
de minerai mouillé.
le fleuve blanc grandit
sous la brume. Tu arrives.
Nue, tu plonges.
J'attends.
Alors d'un bond,
feu, sang et dents,
ma griffe arrache
ta poitrine, tes hanches.
Je bois ton sang, je brise
tes membres, un à un.
Et je reste dans la forêt
à veiller durant des années tes os, ta cendre,
immobile, éloigné
de la haine et de la colère,
désarmé par ta mort,
traversé par les lianes,
immobile sous la pluie,
sentinelle
implacable de mon amour assassin.
Pablo Neruda
traduction proposée par lieucommun
poème situé dans le chapitre "El deseo" (le désir) du recueil "Los versos del capitan" initialement publié anonymement en Italie en 1952, puis au Chili en 1963 - édition Gallimard en français, 1984)
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Louis Aragon a écrit ce long poème en hommage à Pablo Neruda :
Romancero De Pablo Neruda
I
Je vais dire la légende
De celui qui s'est enfui
Et fait les oiseaux des Andes
Se taire au coeur de la nuit
Quand d'abord nous l'entendîmes
L’air était profond et doux
Un instrument anonyme
Préludait on ne sait d'où
Naïfs entre deux éclipses
Des paroles pour complot
Sans craindre l'apocalypse
Nous jouions avec les mots
Le ciel était de velours
lncompréhensiblement
Le soir tombe et les beaux jours
Meurent on ne sait comment
Si bas que volât l'aronde
Dans le ciel de par ici
La plus belle voix du monde
Effaçait les prophéties
Comment croire comment croire
Au pas pesant des soldats
Quand j'entends la chanson noire
De Don Pablo Neruda
II
A Madrid il est consul
En trente-six quand le feu
Change sur la péninsule
En ciel rouge le ciel bleu
Le sang couvre dans Grenade
Le parfum des orangers
Quand s'éteint la sérénade
Du rouge-gorge égorgé
C'est la fin des pigeon-vole
Le vent nouveau maria
Dans la romance espagnole
Au Cid Pasionaria
Une voix américaine
S'est mêlée aux musiciens
Et dit l’amour dit la haine
Dit la mort des miliciens
Toi qui racontais aux mères
Comment meurent leurs enfants
Neruda la graine amère
Mûrit dans l'air étouffant
Te voici tel que toi-même
Là-bas le Chili t'attend
Il grandit dans l'anathème
Le chanteur de quarante ans
III
Le feu la fumée enfante
Qui semble naître du toit
Le peuple pour qui tu chantes
A des yeux noirs comme toi
Les maisons disent la terre
Et les oiseaux à leur front
Malaisément pourraient taire
Ce que les hommes y font
Rien désormais ne sépare
Des lèvres le mot chanté
Toute chose se compare
A la seule liberté
Lorsque la musique est belle
Tous les hommes sont égaux
Et l'injustice rebelle
Paris ou Santiago
Nous parlons même langage
Et le même chant nous lie
Une cage est une cage
En France comme au Chili
IV
Mais une atroce aventure
S'abat sur ce pays-là
Ramenant la dictature
Du Président Videla
Neruda qui le dénonce
Etait hier son ami
Le Président en réponse
Au cachot le voudrait mis
L'ambassade du Mexique
L'a recueilli quelque temps
Mes seigneurs quelle musique
A fait le gouvernement
Il a donné sa parole
Que Pablo pouvait partir
A I'étranger qu'il s'envole
Nul ne veut le retenir
L'auto quand à la frontière
Elle parvient cependant
Halte-là machine arrière
Par ordre du Président
Depuis ce temps-là mystère
Les chiens l'ont en vain pisté
Qui sait où Pablo se terre
Pourtant on l'entend chanter
V
Sous le fouet de la famine
Terre terre des volcans
Le gendarme te domine
Mon vieux pays Araucan
Pays double où peuvent vivre
Des lièvres et des pumas
Triste et beau comme le cuivre
Au désert d’Atacama
Avec tes forêts de hêtres
Tes myrtes méridionaux
Ô mon pays de salpêtre
D'arsenic et de guano
Mon pays contradictoire
Jamais libre ni conquis
Verras-tu sur ton histoire
Planer l'aigle des Yankees
Entrez entrez dans la danse
Volcans mes frères volcans
L'étoile d'indépendance
Luit pour le peuple Araucan
VI
Absent et présent ensemble
Invisible mais trahi
Neruda que tu ressembles
A ton malheureux pays
Ta résidence est la terre
Et le ciel en même temps
Silencieux solitaire
Et dans la foule chantant
Noire et blanche l'existence
L'insomnie a pour loyer
Les nuits de la résistance
Ont l'air de manteaux rayés
Mais voici le matin blême
Cela ne peut plus durer
La Grèce et Jérusalem
La Chine déchirée
Déjà le monde entier forme
Un rêve pareil au tien
Et c'est un soleil énorme
Qu'une main d'enfant retient
Louis Aragon
Jean Ferrat a mis en musique des passages de ce poème en 1964 :
Complainte De Pablo Neruda
Je vais dire la légende
De celui qui s'est enfui
Et fait les oiseaux des Andes
Se taire au cœur de la nuit
Le ciel était de velours
Incompréhensiblement
Le soir tombe et les beaux jours
Meurent on ne sait comment
Refrain
Comment croire comment croire
Au pas pesant des soldats
Quand j'entends la chanson noire
De Don Pablo Neruda
Lorsque la musique est belle
Tous les hommes sont égaux
Et l'injustice rebelle
Paris ou Santiago
Nous parlons même langage
Et le même chant nous lie
Une cage est une cage
En France comme au Chili
Refrain
Sous le fouet de la famine
Terre terre des volcans
Le gendarme te domine
Mon vieux pays araucan
Pays double où peuvent vivre
Des lièvres et des pumas
Triste et beau comme le cuivre
Au désert d'Atacama
Refrain
Avec tes forêts de hêtres
Tes myrtes méridionaux
O mon pays de salpêtre
D'arsenic et de guano
Mon pays contradictoire
Jamais libre ni conquis
Verras-tu sur ton histoire
Planer l'aigle des Yankees
Refrain
Absent et présent ensemble
Invisible mais trahi
Neruda que tu ressembles
À ton malheureux pays
Ta résidence est la terre
Et le ciel en même temps
Silencieux solitaire
Et dans la foule chantant
Refrain
Poème de Louis Aragon (recueil "Le Nouveau Crève-cœur", NRF Gallimard, 1948, chapitre "Le romancero de Pablo Neruda"), mise en musique de passages et création de la chanson par Jean Ferrat.
Le poème est chanté in-extenso par Véronique Pestel sur une musique et avec un tempo différents, remarquable interprétation qu'elle accompagne au piano, à écouter ici : http://www.youtube.com/watch?v=pzmhA04axQk
Le nouveau sonnet à Hélène est une oeuvre de jeunesse de l'auteur
Pablo Neruda ("Crepusculario", 1920, publié en 1923)
Crépusculaire
Quand tu seras vieille ma jolie – Ronsard te l’a déjà dit -
Tu te souviendras des vers que je te disais.
Tes seins seront tristes d’avoir allaité tes fils,
les derniers rejetons de ta vie désolée.
Je serai si loin que tes mains de cire
laboureront le souvenir de mes ruines désertes,
Tu comprendras qu’il peut neiger au Printemps
et qu’au Printemps les neiges sont plus rudes.
Je serai si loin que l’amour et la peine
qu’avant je déversais dans ta vie comme d’une amphore pleine,
seront condamnés à mourir entre mes mains...
Et ce sera tard parce que mon adolescence est morte.
Tard parce que les fleurs ne livrent qu’une fois leur parfum
et parce que, même si tu m’appelles, je serai si loin !
traduction du poème ici (elle a été légèrement modifiée par lieucommun) :
http://www.revue-silene.com/images/30/extrait_132.pdf
image du poème manuscrit de l'auteur, empruntée ici : http://repositoriodigital.uct.cl:8080/xmlui/bitstream/handle/123456789/194/NST_0717-4268_03_3_art7.PDF?sequence=1
Bodas de perla
Bonjour,
J'aimerais offir une carte à mes beaux parents pour son anniversaire de mariage. Ils ne comprennet pas l'espagnol, alors j'aimerais savvoir si vous avez si le poème "Bodas de perla" a été traduit.
Merci bcp