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lieu commun
27 février 2007

Louis Aragon - Le fou d'Elsa

Louis Aragon (1897-1982) appartient au surréalisme, dont il est un des fondateurs, avec André Breton et Philippe Soupault.
Il adhère au Parti communiste et s'engage dans la Résistance contre le nazisme pendant la Seconde guerre mondiale.
Son amour pour Elsa Triolet, romancière (1896-1970), traverse et illumine son oeuvre poétique. Un des recueils d'Aragon s'intitule Le Fou d'Elsa (1963). On peut citer d'autres recueils : Cantique à Elsa (1942) - Les Yeux d'Elsa (1942) -  Elsa (1959) - Il ne m'est Paris que d'Elsa (1964)...
Aragon est aussi écrivain romancier (Le Paysan de Paris - Les beaux quartiers - Les Communistes, Les Voyageurs de l'Impériale ...)
On trouvera des poèmes d'Aragon dans d'autres catégories : chanson - lettera amorosa.


arbre_en_feu_paysage

Photo et photomontage : Lieucommun (voir autre photo plus bas)

Elsa

Suffit-il donc que tu paraisses
De l'air que te fait rattachant
tes cheveux ce geste touchant
Que je renaisse et reconnaisse,
Un monde habité par le chant
Elsa mon amour ma jeunesse.

Eau forte et douce comme un vin,
Pareille au soleil des fenêtres,
Tu me rends la caresse d'être,
Tu me rends la soif et la faim
de vivre encore et de connaître
Notre histoire jusqu'à la fin.

C'est miracle que d'être ensemble,
Que la lumière sur ta joue,
Qu'autour de toi le vent se joue,
Toujours si je te vois, je tremble,
Comme à son premier rendez-vous
Un jeune homme qui me ressemble.

M'habituer m'habituer,
Si je ne le puis qu'on me blâme,
Peut-on s'habituer aux flammes
Elles vous ont avant tué,
Ah crevez les yeux de l'âme
S'ils s'habituaient aux nuées

Pour la première fois ta bouche,
Pour la première fois ta voix,
D'une aile à la cime des bois
L'arbre frémit jusqu'à la souche,
C'est toujours la première fois
Quand ta robe en passant me touche.

Prends ce fruit lourd et palpitant,
Jettes-en la moitié véreuse,
Tu peux mordre la part heureuse,
Trente ans perdus et puis trente ans,
Au moins que ta morsure creuse
C'est ma vie et je te la rends.

Ma vie en vérité commence
Le jour où je t'ai rencontrée
Toi dont les bras ont su barrer
Sa route atroce à ma démence
Et qui m'a montré la contrée
Que la bonté seule ensemence

Tu vins au coeur du désarroi
Pour chasser les mauvaises fièvres
Et j'ai flambé comme un genièvre
À la Noël entre tes doigts.
Je suis né vraiment de ta lèvre,
Ma vie est à partir de toi.

Louis Aragon ("Le roman inachevé") - Ce poème a été mis en musique et chanté par Léo Ferré, Marc Ogeret... Les passages en italique ont été retirés pour la chanson. Poème déjà rangé dans  "LETTERA AMOROSA" : POÉSIES "hors classe"  p 3.


Il n'y a pas d'amour heureux

Rien n'est jamais acquis à l'homme Ni sa force
Ni sa faiblesse ni son coeur Et quand il croit
Ouvrir ses bras son ombre est celle d'une croix
Et quand il croit serrer son bonheur il le broie
Sa vie est un étrange et douloureux divorce
Il n'y a pas d'amour heureux

Sa vie Elle ressemble à ces soldats sans armes
Qu'on avait habillés pour un autre destin
A quoi peut leur servir de se lever matin
Eux qu'on retrouve au soir désoeuvrés incertains
Dites ces mots Ma vie Et retenez vos larmes
Il n'y a pas d'amour heureux

Mon bel amour mon cher amour ma déchirure
Je te porte dans moi comme un oiseau blessé
Et ceux-là sans savoir nous regardent passer
Répétant après moi les mots que j'ai tressés
Et qui pour tes grands yeux tout aussitôt moururent
Il n'y a pas d'amour heureux

Le temps d'apprendre à vivre il est déjà trop tard
Que pleurent dans la nuit nos coeurs à l'unisson
Ce qu'il faut de malheur pour la moindre chanson
Ce qu'il faut de regrets pour payer un frisson
Ce qu'il faut de sanglots pour un air de guitare
Il n'y a pas d'amour heureux

Il n'y a pas d'amour qui ne soit à douleur
Il n'y a pas d'amour dont on ne soit meurtri
Il n'y a pas d'amour dont on ne soit flétri
Et pas plus que de toi l'amour de la patrie
Il n'y a pas d'amour qui ne vive de pleurs
Il n'y a pas d'amour heureux
Mais c'est notre amour à tous les deux

Lyon, Janvier 1943
Louis Aragon ("La Diane française")

La syntaxe particulière du texte original est ici respectée : pas de ponctuation et des majuscules qui découpent certains vers.
Ce poème a été mis en musique par Georges Brassens (voir la catégorie Brassens chante les poètes).
Il sera aussi rangé dans  "LETTERA AMOROSA" : POÉSIES "hors classe"


On trouvera à cette adresse le contexte historique du poème qui suit : http://perso.orange.fr/d-d.natanson/resistance_juive.htm

L'affiche rouge

Vous n'aviez réclamé la gloire ni les larmes
Ni l'orgue ni la prière aux agonisants.
Onze ans déjà que cela passe vite onze ans
Vous vous étiez servi simplement de vos armes
La mort n'éblouit pas les yeux des Partisans
Vous aviez vos portraits sur les murs de nos villes
Noirs de barbe et de nuit hirsutes menaçants
L'affiche qui semblait une tache de sang
Parce qu'à prononcer vos noms sont difficiles
Y cherchait un effet de peur sur les passants

Nul ne semblait vous voir Français de préférence
Les gens allaient sans yeux pour vous le jour durant
Mais à l'heure du couvre-feu des doigts errants
Avaient écrit sous vos photos MORTS POUR LA FRANCE
Et les mornes matins en étaient différents

Tout avait la couleur uniforme du givre
A la fin février pour vos derniers moments
Et c'est alors que l'un de vous dit calmement 
Bonheur à tous Bonheur à ceux qui vont survivre
Je meurs sans haine en moi pour le peuple allemand

Adieu la peine et le plaisir Adieu les roses,
Adieu la vie adieu la lumière et le vent
Marie-toi sois heureuse et pense à moi souvent
Toi qui va demeurer dans la beauté des choses
Quand tout sera fini plus tard en Erivan

Un grand soleil d'hiver éclaire la colline
Que la nature est belle et que le coeur me fend
La justice viendra sur nos pas triomphants
Ma Mélinée ô mon amour mon orpheline
Et je te dis de vivre et d'avoir un enfant

Ils étaient vingt et trois quand les fusils fleurirent
Vingt et trois qui donnaient leur coeur avant le temps
Vingt et trois étrangers et nos frères pourtant
Vingt et trois amoureux de vivre à en mourir
Vingt et trois qui criaient La France en s'abattant

Louis Aragon ("Le Roman Inachevé" - Gallimard, 1955)


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23 février 2007

Jacques Prévert - poésies supplémentaires

Des textes de Jacques Prévert, en attendant une courte présentation biographique. D'autres textes se trouvent dans les catégories pour la classe, répertoriées dans l'INDEX (en construction). Les dates ne sont là que pour le rangement (difficile).

Quartier libre

J'ai mis mon képi dans la cage
et je suis sorti avec l'oiseau sur la tête
Alors
on ne salue plus
a demandé le commandant
Non
on ne salue plus
a répondu l'oiseau
Ah bon
excusez-moi je croyais qu'on saluait
a dit le commandant
Vous êtes tout excusé tout le monde peut se tromper
a dit l'oiseau.

Jacques Prévert ("Paroles")


Pater Noster

Notre Père qui êtes aux cieux
Restez-y
Et nous nous resterons sur la terre
Qui est quelquefois si jolie
Avec ses mystères de New York
Et puis ses mystères de Paris
Qui valent bien celui de la Trinité
Avec son petit canal de l'Ourcq
Sa grande muraille de Chine
Sa rivière de Morlaix
Ses bêtises de Cambrai
Avec son océan Pacifique
Et ses deux bassins aux Tuileries
Avec ses bons enfants et ses mauvais sujets
Avec toutes les merveilles du monde
Qui sont là
Simplement sur la terre
Offertes à tout le monde
Éparpillées
Émerveillées elles- mêmes d'être de telles merveilles
Et qui n'osent se l'avouer
Comme une jolie fille nue qui n'ose se montrer
Avec les épouvantables malheurs du monde
Qui sont légion
Avec leurs légionnaires
Avec leurs tortionnaires
Avec les maîtres de ce monde
Les maîtres avec leurs prêtres leurs traîtres et leur reîtres
Avec les saisons
Avec les années
Avec les jolies filles et avec les vieux cons
Avec la paille de la misère pourrissant dans l'acier des canons.

Jacques Prévert ("Paroles")


22 février 2007

Christian Bobin - "Letteras amorosas"

"La certitude d'avoir été, un jour, aimé, c'est l'envol définitif du cœur dans la lumière".

livre_paroles_bonheur_blogcitation de Christian Bobin dans "Paroles de bonheur" - Albin Michel.
Voir ci-dessous un passage plus long de "L'éloignement du monde".


Christian Bobin est né en 1951.
Il écrit des textes courts, petites histoires poétiques, images de la vie et de l'amour, de l'amour de la vie.
Le dernier ouvrage paru est Une bibliothèque de nuages, en septembre 2006.


Nous n'habitons pas des régions.

Nous n'habitons même pas la Terre.
Le coeur de ceux que nous aimons est notre vraie demeure.

Qui n'a pas connu l'absence ne sait rien de l'amour

Christian Bobin


Tu sais ce que c'est la mélancolie ? Tu as déjà vu une éclipse ?
Et bien c'est ça : la lune qui se glisse devant le coeur, et le coeur qui ne donne plus sa lumière.
La nuit en plein jour.
La mélancolie c'est doux et noir.

Christian Bobin ("La folle allure")


J'ai tout misé sur un amour qui ne peut pas entrer dans ce monde même s'il en éclaire chaque détail.

Christian Bobin


On ne peut pas penser quand on est amoureux.
On est trop occupé à brûler sa maison.

On ne garde aucune pensée pour soi.
On les envoie toutes vers l'être aimé.
Comme des colombes, comme des étoiles, comme des rivières.

Quand on est amoureux on est ivre.
Comme cet homme hier dans la rue.

Il avançait, étourdi de boisson.
La voix forte, le geste ample.
Il s'entretenait avec lui-même.

Il a soudain fouillé dans son manteau, en a sorti de l'argent
Qu'il a jeté par poignées sur la route.

Puis s'en est allé.
Dédaigneux de sa fortune. Délié de soi.
Déprit de tout royaume.

Oui l'on est un peu comme ça lorsqu'on est amoureux.
On vide ses poches, on perd son nom.

On découvre avec ravissement la certitude de n'être rien.

Christian Bobin


La part manquante (extrait)image_caf__part_manquante

Ce qu'on apprend dans les livres, c'est-à-dire "je vous aime".

Il faut d'abord dire "je". C'est difficile, c'est comme se perdre dans la forêt, loin des chemins, c'est comme sortir de la maladie, de la maladie des vies impersonnelles, des vies tuées.

Ensuite il faut dire "vous". La souffrance peut aider - la souffrance d'un bonheur, la jalousie, le froid, la candeur d'une saison sur la vitre du sang. Tout peut aider en un sens à dire "vous", tout ce qui manque et qui est là, sous les yeux, dans l'absence abondante.

Enfin il faut dire "aime". C'est vers la fin des temps déjà, cela ne peut être dit qu'à condition de ne pas l'être. La dernière lettre est muette, elle s'efface dans le souffle, elle s'en va comme l'air bleu sur la page, dans la gorge.

"Je vous aime." Sujet, verbe, complément. Ce
qu'on apprend dans les livres c'est la grammaire du silence, la leçon de lumière. Il faut du temps pour apprendre. Il faut tellement de temps pour s'atteindre.

La part manquante (autre extrait)

Aucun homme ne s'aventure dans ces terres désolées de l'amour. Aucun homme ne sait répondre à la parole silencieuse. Les hommes retiennent toujours quelque chose auprès d'eux. Jusque dans les ruines, ils maintiennent une certitude - comme l'enfant garde une bille dans sa poche. Quand ils attendent, c'est quelque chose de précis qu'ils attendent. Quand ils perdent, c'est une seule chose qu'ils perdent. Les femmes espèrent tout, et puisque tout n'est pas possible, elles le perdent en une seule fois - comme une manière de jouir de l'amour dans son manque. Elles continuent d'attendre ce qu'elles ne croient plus. C'est plus fort qu'elles. C'est bien plus fort que toute pensée.

Christian Bobin ("La part manquante »)  Photo : Lieucommun


J'ai trouvé

J'ai trouvé, mon amour, le nom le plus secret et le plus clair pour dire ce qu'est ta vie dedans ma vie : l'air.

Tu es l'air qui ne me fait jamais défaut, cet air si nécessaire à la pensée et au rire,
cet air qui rafraîchit mon coeur et fait de ma solitude une place battue par tous les vents.

Christian Bobin ("L'éloignement du monde" texte déjà rangé dans : POÉSIES pour la CLASSE - LETTERA AMOROSA page 1


Une petite sentinelle de silence veille
jour et nuit sur notre coeur.
Les mots d'amour lui apportent à manger.
Légèreté de l’oiseau qui n'a pas besoin pour chanter de posséder la forêt, pas même un seul arbre.
La certitude d'avoir été, un jour, aimé, c'est l'envol définitif du cœur dans la lumière.

Christian Bobin ("L'éloignement du monde »)

Tous rangés (sauf "J'ai trouvé") dans : "LETTERA AMOROSA" : POÉSIES "hors classe"


21 février 2007

Lettera amorosa chantée - Les feuilles mortes

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Aquarelle : pont ferroviaire sur la Seine à Limay -Yvelines (Photo et labo : Lieucommun)

Voici, non pas une poésie, mais une chanson, un classique.

Jacques Prévert a écrit les paroles des Feuilles mortes en 1945, sur une musique que Joseph Kosma avait composée pour un ballet.  La chanson a été interprétée par une multitude d'artistes, français (et étrangers) : Yves Montand, Cora Vaucaire, Juliette Gréco, Édith Piaf, Dalida…

Les feuilles mortes

Oh, je voudrais tant que tu te souviennes,
Des jours heureux quand nous étions amis,
Dans ce temps là, la vie était plus belle,
Et le soleil plus brûlant qu'aujourd'hui.
Les feuilles mortes se ramassent à la pelle,
Tu vois je n'ai pas oublié.
Les feuilles mortes se ramassent à la pelle,
Les souvenirs et les regrets aussi,
Et le vent du nord les emporte,
Dans la nuit froide de l'oubli.
Tu vois, je n'ai pas oublié,
La chanson que tu me chantais...
C'est une chanson, qui nous ressemble,
Toi qui m'aimais, moi qui t'aimais.
Nous vivions, tous les deux ensemble,
Toi qui m'aimais, moi qui t'aimais.
Et la vie sépare ceux qui s'aiment,
Tout doucement, sans faire de bruit.
Et la mer efface sur le sable,
Les pas des amants désunis.
Nous vivions, tous les deux ensemble,
Toi qui m'aimais, moi qui t'aimais.
Et la vie sépare ceux qui s'aiment,
Tout doucement, sans faire de bruit.
Et la mer efface sur le sable,
Les pas des amants désunis...

Jacques Prévert, sur une musique de Joseph Kosma (pas Vladimir)


Ci-dessous, la chanson que Serge Gainsbourg a écrite et composée en hommage aux "Feuilles Mortes". Je l'ai entendue hier matin (20 février 2007) dans l'émission "Le Fou du Roi" sur France Inter, interprétée en direct par Valérie Leulliot (elle était la chanteuse du groupe "Autour de Lucie").

La Chanson de Prévert

Oh je voudrais tant que tu te souviennes
Cette chanson était la tienne
C'était ta préférée, je crois
Qu'elle est de Prévert et Kosma

Et chaque fois les feuilles mortes
Te rappellent à mon souvenir
Jour après jour les amours mortes
N'en finissent pas de mourir

Avec d'autres bien sûr je m'abandonne
Mais leur chanson est monotone
Et peu à peu je m'indiffère
A cela il n'est rien à faire

Car chaque fois les feuilles mortes
Te rappellent à mon souvenir
Jour après jour les amours mortes
N'en finissent pas de mourir

Peut-on jamais savoir par où commence
Et quand finit l'indifférence
Passe l'automne vienne l'hiver
Et que la chanson de Prévert

Cette chanson, Les Feuilles Mortes
S'efface de mon souvenir
Et ce jour là, mes amours mortes
En auront fini de mourir

Serge Gainsbourg (paroles et musique)


20 février 2007

Le poids des mots

Ceci n'est pas une critique littéraire, je ne suis pas armé pour. C'est un cri de douleur.Bienveillantes_balance_blog
J'ai été victime d'un acte de bienveillance : on m'a offert le Goncourt 2006, cerclé d'un bandeau rouge. J'aurais dû me méfier.
C'est un pavé douloureux de 894 pages (plus le glossaire).
Insupportable ... l'horreur quotidienne documentée. Des victimes ordinaires et des bourreaux ordinaires, avec des états d'âme ordinaires de bourreaux entre deux massacres qui deviennent ordinaires. Le texte est dense, étouffant, un combat permanent pour garder une distance, ne pas entrer dans le "je" de la narration, mais perdu d'avance, Les Bienveillantes aspire le lecteur, qui devient salaud ordinaire, avec des états d'âme quand même.
Insupportable. J'ai lâché l'affaire. Certains disent qu'il leur est tombé des mains. Trop lourd. Et c'est douloureux, 1,2 kg sur le pied. Pourtant je le pratiquais à petites doses,
quelques pages par jour, à bout de bras. Mais à force ...
Trop lourd. Comment le jury du Goncourt, dont l'âge moyen mérite le respect, a-t-il pu en venir à bout ...
Les Bienveillantes, de Jonathan Littell, est un roman (?) trop douloureux.
Ne l'offrez à personne.

Il y a bien d'autres romans à offrir, et n'oubliez pas que le prix du livre (depuis la loi Lang de 1981) est le même partout. Dans les librairies, on vous conseille, vous voyez les ouvrages en vrai, le choix est grand (on y trouve des recueils de poésie que les grandes surfaces n'ont malheureusement pas la place de présenter, par exemple), et il n'y a aucun frais de port.

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20 février 2007

À Mireille, dite " Petit Verglas "

Ne tremblez pas, mais je dois le dire elle fut assassinée au couteau par un fichu mauvais garçon, dans sa chambre, là-bas derrière le Panthéon, rue Descartes, où mourut Paul Verlaine.

Ô ! oui, je l'ai bien aimée ma petite " Petit Verglas " à moi si bonne et si douce et si triste. Pourquoi sa tristesse ? Je ne l'avais pas deviné, je ne pouvais pas le deviner.

Non, je l'ai su après tu me l'avais caché que ton père était mort sur l'échafaud, Petit Verglas ! J'aurais bien dû le comprendre à tes sourires.

J'aurais dû le deviner à tes petits yeux, battus de sang, à ton bleu regard indéfinissable, papillotant et plein de retenue.

Et moi qui avais toujours l'air de te dire " Mademoiselle, voulez-vous partager ma statue ? " Ah ! J'aurais dû comprendre à tes sourires, tes yeux bleus battus et plein de retenue.

Et je t'appelais comme ça, le Petit Verglas, que c'est bête un poète ! Ô petite chair transie ! Moi, je l'ai su après que ton père était mort ainsi... Pardonne-moi, Petit Verglas. Volez, les anges !

Paul Fort

Ce poème de Paul Fort n'est pas chanté par Brassens, mais dit simplement, sans aucune musique d'accompagnement. On ignore (Paul Fort l'a-t-il inventée), qui était "Petit-Verglas". On trouvera plus loin deux autres poèmes de Paul Fort que Brassens a préféré enregistrer sans mélodie ni musique : "L'enterrement de Verlaine", et "Germaine Tourangelle". Par contre, "La marine" et "Le petit cheval" ont été mis en musique.


 

20 février 2007

À mon frère, revenant d'Italie

Ainsi, mon cher, tu t'en reviens
Du pays dont je me souviens
Comme d'un rêve,
De ces beaux lieux où l'oranger
Naquit pour nous dédommager
Du péché d'Ève.

Tu l'as vu, ce ciel enchanté
Qui montre avec tant de clarté
Le grand mystère ;
Si pur, qu'un soupir monte à Dieu
Plus librement qu'en aucun lieu
Qui soit sur terre.

Tu les as vus, les vieux manoirs
De cette ville aux palais noirs
Qui fut Florence,
Plus ennuyeuse que Milan
Où, du moins, quatre ou cinq fois l'an,
Cerrito danse.

Tu l'as vue, assise dans l'eau,
Portant gaiement son mezzaro,
La belle Gênes,
Le visage peint, l'oeil brillant,
Qui babille et joue en riant
Avec ses chaînes.

Tu l'as vu, cet antique port,
Où, dans son grand langage mort,
Le flot murmure,
Où Stendhal, cet esprit charmant,
Remplissait si dévotement
Sa sinécure.

Tu l'as vu, ce fantôme altier
Qui jadis eut le monde entier
Sous son empire.
César dans sa pourpre est tombé :
Dans un petit manteau d'abbé
Sa veuve expire.

Tu t'es bercé sur ce flot pur
Où Naple enchâsse dans l'azur
Sa mosaique,
Oreiller des lazzaroni
Où sont nés le macaroni
Et la musique.

Qu'il soit rusé, simple ou moqueur,
N'est-ce pas qu'il nous laisse au coeur
Un charme étrange,
Ce peuple ami de la gaieté
Qui donnerait gloire et beauté
Pour une orange ?

Catane et Palerme t'ont plu.
Je n'en dis rien ; nous t'avons lu ;
Mais on t'accuse
D'avoir parlé bien tendrement,
Moins en voyageur qu'en amant,
De Syracuse.

Ils sont beaux, quand il fait beau temps,
Ces yeux presque mahométans
De la Sicile ;
Leur regard tranquille est ardent,
Et bien dire en y répondant
N'est pas facile.

Ils sont doux surtout quand, le soir,
Passe dans son domino noir
La toppatelle.
On peut l'aborder sans danger,
Et dire : " Je suis étranger,
Vous êtes belle. "

Ischia ! C'est là, qu'on a des yeux,
C'est là qu'un corsage amoureux
Serre la hanche.
Sur un bas rouge bien tiré
Brille, sous le jupon doré,
La mule blanche.

Pauvre Ischia ! bien des gens n'ont vu
Tes jeunes filles que pied nu
Dans la poussière.
On les endimanche à prix d'or ;
Mais ton pur soleil brille encor
Sur leur misère.

Quoi qu'il en soit, il est certain
Que l'on ne parle pas latin
Dans les Abruzzes,
Et que jamais un postillon
N'y sera l'enfant d'Apollon
Ni des neuf Muses.

Il est bizarre, assurément,
Que Minturnes soit justement
Près de Capoue.
Là tombèrent deux demi-dieux,
Tout barbouillés, l'un de vin vieux,
L'autre de boue.

Les brigands t'ont-ils arrêté
Sur le chemin tant redouté
De Terracine ?
Les as-tu vus dans les roseaux
Où le buffle aux larges naseaux
Dort et rumine ?

Hélas ! hélas ! tu n'as rien vu.
Ô (comme on dit) temps dépourvu
De poésie !
Ces grands chemins, sûrs nuit et jour,
Sont ennuyeux comme un amour
Sans jalousie.

Si tu t'es un peu détourné,
Tu t'es à coup sûr promené
Près de Ravenne,
Dans ce triste et charmant séjour
Où Byron noya dans l'amour
Toute sa haine.

C'est un pauvre petit cocher
Qui m'a mené sans accrocher
Jusqu'à Ferrare.
Je désire qu'il t'ait conduit.
Il n'eut pas peur, bien qu'il fît nuit ;
Le cas est rare.

Padoue est un fort bel endroit,
Où de très grands docteurs en droit
Ont fait merveille ;
Mais j'aime mieux la polenta
Qu'on mange aux bords de la Brenta
Sous une treille.

Sans doute tu l'as vue aussi,
Vivante encore, Dieu merci !
Malgré nos armes,
La pauvre vieille du Lido,
Nageant dans une goutte d'eau
Pleine de larmes.

Toits superbes ! froids monuments !
Linceul d'or sur des ossements !
Ci-gît Venise.
Là mon pauvre coeur est resté.
S'il doit m'en être rapporté,
Dieu le conduise !

Mon pauvre coeur, l'as-tu trouvé
Sur le chemin, sous un pavé,
Au fond d'un verre ?
Ou dans ce grand palais Nani ;
Dont tant de soleils ont jauni
La noble pierre ?

L'as-tu vu sur les fleurs des prés,
Ou sur les raisins empourprés
D'une tonnelle ?
Ou dans quelque frêle bateau.
Glissant à l'ombre et fendant l'eau
À tire-d'aile ?

L'as-tu trouvé tout en lambeaux
Sur la rive où sont les tombeaux ?
Il y doit être.
Je ne sais qui l'y cherchera,
Mais je crois bien qu'on ne pourra
L'y reconnaître.

Il était gai, jeune et hardi ;
Il se jetait en étourdi
À l'aventure.
Librement il respirait l'air,
Et parfois il se montrait fier
D'une blessure.

Il fut crédule, étant loyal,
Se défendant de croire au mal
Comme d'un crime.
Puis tout à coup il s'est fondu
Ainsi qu'un glacier suspendu
Sur un abîme...

Mais de quoi vais-je ici parler ?
Que ferais-je à me désoler,
Quand toi, cher frère,
Ces lieux où j'ai failli mourir,
Tu t'en viens de les parcourir
Pour te distraire ?

Tu rentres tranquille et content ;
Tu tailles ta plume en chantant
Une romance.
Tu rapportes dans notre nid
Cet espoir qui toujours finit
Et recommence.

Le retour fait aimer l'adieu ;
Nous nous asseyons près du feu,
Et tu nous contes
Tout ce que ton esprit a vu,
Plaisirs, dangers, et l'imprévu,
Et les mécomptes.

Et tout cela sans te fâcher,
Sans te plaindre, sans y toucher
Que pour en rire ;
Tu sais rendre grâce au bonheur,
Et tu te railles du malheur
Sans en médire.

Frère*, ne t'en va plus si loin.
D'un peu d'aide j'ai grand besoin,
Quoi qu'il m'advienne.
Je ne sais où va mon chemin,
Mais je marche mieux quand ma main
Serre la tienne.

Alfred de Musset 1810-1857 ("Poésies nouvelles")
Les passages en italique sont absents de la chanson.

*Texte original de Musset : "Ami, ne t'en va plus si loin."


20 février 2007

Ballade à la lune - Alfred de Musset

1. C'était, dans la nuit brune,
Sur le clocher jauni,
La lune
Comme un point sur un i.

2. Lune, quel esprit sombre
Promène au bout d'un fil,
Dans l'ombre,
Ta face et ton profil ?

3. Es-tu l'oeil du ciel borgne ?
Quel chérubin cafard
Nous lorgne
Sous ton masque blafard ?

N'es-tu rien qu'une boule,
Qu'un grand faucheux bien gras
Qui roule
Sans pattes et sans bras ?

5. Es-tu, je t'en soupçonne,
Le vieux cadran de fer
Qui sonne
L'heure aux damnés d'enfer ?

6. Sur ton front qui voyage.
Ce soir ont-ils compté
Quel âge
A leur éternité ?

4*. Est-ce un ver qui te ronge
Quand ton disque noirci
S'allonge
En croissant rétréci ?

7. Qui t'avait éborgnée,
L'autre nuit ? T'étais-tu
Cognée
A quelque arbre pointu ?

8. Car tu vins, pâle et morne
Coller sur mes carreaux
Ta corne
À travers les barreaux.

Va, lune moribonde,
Le beau corps de Phébé
La blonde
Dans la mer est tombé.

Tu n'en es que la face
Et déjà, tout ridé,
S'efface
Ton front dépossédé.

Rends-nous la chasseresse,
Blanche, au sein virginal,
Qui presse
Quelque cerf matinal !

Oh ! sous le vert platane
Sous les frais coudriers,
Diane,
Et ses grands lévriers !

Le chevreau noir qui doute,
Pendu sur un rocher,
L'écoute,
L'écoute s'approcher.

Et, suivant leurs curées,
Par les vaux, par les blés,
Les prées,
Ses chiens s'en sont allés.

Oh ! le soir, dans la brise,
Phoebé, soeur d'Apollo,
Surprise
A l'ombre, un pied dans l'eau !

Phoebé qui, la nuit close,
Aux lèvres d'un berger
Se pose,
Comme un oiseau léger.

9. Lune, en notre mémoire,
De tes belles amours
L'histoire
T'embellira toujours.

10. Et toujours rajeunie,
Tu seras du passant
Bénie,
Pleine lune ou croissant.

T'aimera le vieux pâtre,
Seul, tandis qu'à ton front
D'albâtre
Ses dogues aboieront.

T'aimera le pilote
Dans son grand bâtiment,
Qui flotte,
Sous le clair firmament !

Et la fillette preste
Qui passe le buisson,
Pied leste,
En chantant sa chanson.

Comme un ours à la chaîne,
Toujours sous tes yeux bleus
Se traîne
L'océan montueux.

11. Et qu'il vente ou qu'il neige
Moi-même, chaque soir,
Que fais-je,
Venant ici m'asseoir ?

12. Je viens voir à la brune,
Sur le clocher jauni,
La lune
Comme un point sur un i.

Peut-être quand déchante
Quelque pauvre mari,
Méchante,
De loin tu lui souris.

Dans sa douleur amère,
Quand au gendre béni
La mère
Livre la clef du nid,

Le pied dans sa pantoufle,
Voilà l'époux tout prêt
Qui souffle
Le bougeoir indiscret.

Au pudique hyménée
La vierge qui se croit
Menée,
Grelotte en son lit froid,

Mais monsieur tout en flamme
Commence à rudoyer
Madame,
Qui commence à crier.

" Ouf ! dit-il, je travaille,
Ma bonne, et ne fais rien
Qui vaille;
Tu ne te tiens pas bien. "

Et vite il se dépêche.
Mais quel démon caché
L'empêche
De commettre un péché ?

" Ah ! dit-il, prenons garde.
Quel témoin curieux
Regarde
Avec ces deux grands yeux ? "

Et c'est, dans la nuit brune,
Sur son clocher jauni,
La lune
Comme un point sur un i.

Alfred de Musset (En italique, les passages que Brassens n'a pas repris pour la chanson. * Brassens a également modifié l'ordre des strophes (strophe 4) par rapport au texte de Musset)

20 février 2007

Ballade des dames du temps jadis

(indications en italique pour la chanson)  

Dites moi où, n'en quel pays
Est Flora la belle Romaine;
Archipiada ni Thaïs
Qui fut sa cousine germaine;
Écho, parlant quand bruit on mène
Dessus rivière ou sus étang,
Qui beauté eut trop plus qu' humaine?
Mais où sont les neiges d'antan ? (bis pour les deux derniers vers)

Où est la très sage Héloïs,
Pour qui fut châtré fut et puis moine
Pierre Esbaillart à Saint Denis ?
Pour son amour eut cette essoine*.
Semblablement où est la reine
Qui commanda que Buridan
Fût jeté en un sac en Seine ?
Mais où sont les neiges d'antan ? (idem)

La reine Blanche comme lys
Qui chantait a voix de sirène,
Berthe aux grands pieds, Biétris, Alis,
Aremburgis qui tint le Maine,
Et Jeanne, la bonne Lorraine
Qu'Anglais brûlèrent à Rouen;
Où sont-ils, , Vierge souveraine ? (ce "où" est omis dans la chanson)
Mais où sont les neiges d'antan ? (idem)

Prince, n'enquerrez de semaine
Où elles sont, ni de cet an,
Qu' à ce refrain ne vous ramène :
Mais où sont les neiges d''antan ? (idem)

François Villon  essoine* : peine


20 février 2007

Gastibelza - Victor Hugo

Gastibelza

1.Gastibelza, l'homme à la carabine
Chantait ainsi :
Quelqu'un a-t-il connu doña Sabine ?
Quelqu'un d'ici ?
Chantez, dansez, villageois ! la nuit gagne
Le mont Falù*,
Le vent qui vient à travers la montagne
Me rendra fou.

2.Quelqu'un de vous a-t-il connu Sabine
Ma señora ?
Sa mère était la vieille maugrabine
D'Antequera,
Qui chaque nuit criait dans la Tour Magne
Comme un hibou,
Le vent qui vient à travers la montagne
Me rendra fou.

3.Vraiment, la reine eût, près d'elle, été laide
Quand, vers le soir,
Elle passait sur le pont de Tolède
En corset noir.
Un chapelet du temps de Charlemagne
Ornait son cou,
Le vent qui vient à travers la montagne
Me rendra fou.

4.Le roi disait, en la voyant si belle
À son neveu :
"Pour un baiser, pour un sourire d'elle,
Pour un cheveu,
Infant don Ruy, je donnerais l'Espagne
Et le Pérou !"
Le vent qui vient à travers la montagne
Me rendra fou.

5.Je ne sais pas si j'aimais cette dame
Mais je sais bien,
Que, pour avoir un regard de son âme
Moi, pauvre chien,
J'aurais gaiement passé dix ans au bagne
Sous les verrous,
Le vent qui vient à travers la montagne
Me rendra fou.

6.Quand je voyais cette enfant, moi le pâtre
De ce canton,
Je croyais voir la belle Cléopâtre
Qui, nous dit-on,
Menait César, empereur d'Allemagne
Par le licou,
Le vent qui vient à travers la montagne
Me rendra fou.

7.Dansez, chantez, villageois, la nuit tombe
Sabine, un jour,
A tout vendu, sa beauté de colombe,
Tout son amour,
Pour l'anneau d'or du comte de Saldagne,
Pour un bijou,
Le vent qui vient à travers la montagne
M'a rendu fou.

Falù* se prononce "Falou"  -  Georges Brassens - librement adapté du poème "Guitare" de Victor Hugo (recueil "Les Rayons et les Ombres", chap XXII, 1837)

Texte original du poème (mise à jour, 3 janvier 2016 ! ... voir plus bas)
Les strophes manquantes sont situées par rapport au texte de la chanson (numérotés) /

entre les strophes 2 et 3 :

Dansez, chantez ! Des biens que l'heure envoie
Il faut user.
Elle était jeune et son œil plein de joie
Faisait penser
A ce vieillard qu'un enfant accompagne.
Jetez un sou !
Le vent qui vient à travers la montagne
Me rendra fou !

entre les strophes 5 et 6 :

Un jour d'été que tout était lumière,
Vie et douceur,
Elle s'en vint jouer dans la rivière
Avec sa sœur,
Je vis le pied de sa jeune compagne
Et son genou.
Le vent qui vient à travers la montagne
Me rendra fou !

entre les strophes 7 et 8 :

Sur ce vieux banc souffrez que je m'appuie,
Car je suis las.
Avec ce comte elle s'est donc enfuie !
Enfuie, hélas !
Par le chemin qui va vers la Cerdagne,
Je ne sais où.
Le vent qui vient à travers la montagne
Me rendra fou !

... et cette ultime strophe du poème que je ne connaissais pas et que j'avais donc omise,
quel dommage et quelle erreur !
ce qui me vaut une remise en place de Bernard (merci Bernard!) en ce début janvier 2016.
Quelques années après la voici elle aussi remise en place.
Elle apporte un élément indispensable, et on comprend pourquoi le poète est rendu fou, au présent.
Quant à moi, je mérite certainement le pilori, mais pas la dague au clou, par pitié :

Je la voyais passer de ma demeure,
Et c'était tout.
Mais à présent je m'ennuie à toute heure,
Plein de dégoût,
Rêveur oisif, l'âme dans la campagne,
La dague au clou ... -
Le vent qui vient à travers la montagne
M'a rendu fou ! 


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