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15 mai 2009

Charles BAUDELAIRE, Pierre BÉARN - PRINT POÈTES 11 : PAYSAGES en français

La poésie de Charles Baudelaire (1821-1867) s'écarte du modèle classique respecté jusqu'ici. La forme des "Fleurs du mal" n'est pas totalement nouvelle, mais c'est sur le fond qu'il libère la poésie des barrières éthiques et morales de son temps, n'hésitant pas à inviter la laideur et le vice dans les rimes de ce recueil, ce qui lui vaudra quelques ennuis pour "offense à la morale religieuse" et "outrage à la morale publique et aux bonnes mœurs". Une amende et surtout l'obligation de retirer les textes les plus dérangeants. Ce jugement ne sera "cassé" qu'un siècle plus tard, en 1949... On citera un deuxième ouvrage remarquable par sa liberté d'écriture : "Petits poèmes en prose ou Le Spleen de Paris ", qui ne sera hélas publié qu'à titre posthume.

On ne trouvera évidemment dans le choix de textes pour la classe qui suit, que les poèmes les plus "raisonnables", approchant le thème du paysage.

L'étranger

- Qui aimes-tu le mieux, homme énigmatique, dis ? ton père, ta mère, ta sœur ou bien ton frère ?
- Je n'ai ni père, ni mère, ni sœur, ni frère.
- Tes amis ?
- Vous vous servez là d'une parole dont le sens m'est resté jusqu'à ce jour inconnu.
- Ta patrie ?
- J'ignore sous quelle latitude elle est située.
- La beauté ?
- Je l'aimerais volontiers, déesse et immortelle.
- L'or ?
- Je le hais comme vous haïssez Dieu.
- Eh! qu'aimes-tu donc, extraordinaire étranger ?
- J'aime les nuages... les nuages qui passent... là-bas... là-bas... les merveilleux nuages !

Charles Baudelaire ("Petits poèmes en prose ou Le Spleen de Paris " publication posthume en 1869)

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L'Homme et la mer

Homme libre, toujours tu chériras la mer !
La mer est ton miroir, tu contemples ton âme
Dans le déroulement infini de sa lame
Et ton esprit n'est pas un gouffre moins amer.

Tu te plais à plonger au sein de ton image ;
Tu l'embrasses des yeux et des bras, et ton cœur
Se distrait quelquefois de sa propre rumeur
Au bruit de cette plainte indomptable et sauvage.

Vous êtes tous les deux ténébreux et discrets ;
Homme, nul n'a sondé le fond de tes abîmes ;
Ô mer, nul ne connaît tes richesses intimes,
Tant vous êtes jaloux de garder vos secrets !

Et cependant voilà des siècles innombrables
Que vous vous combattez sans pitié ni remords,
Tellement vous aimez le carnage et la mort,
Ô lutteurs éternels, Ô frères implacables !

Charles Baudelaire ("Les Fleurs du Mal" - 1857)

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L'invitation au voyage

Mon enfant, ma soeur,
Songe à la douceur
D’aller là-bas vivre ensemble !
Aimer à loisir,
Aimer et mourir
Au pays qui te ressemble !
Les soleils mouillés
De ces ciels brouillés
Pour mon esprit ont les charmes
Si mystérieux
De tes traîtres yeux,
Brillants à travers leurs larmes.

Là tout n’est qu’ordre et beauté,
Luxe, calme et volupté.

Des meubles luisants,
Polis par les ans,
Décoreraient notre chambre ;
Les plus rares fleurs
Mêlant leurs odeurs
Aux vagues senteurs de l’ambre,
Les riches plafonds,
Les miroirs profonds
La splendeur orientale,
Tout y parlerait
A l’âme en secret
Sa douce langue natale.

Là tout n’est qu’ordre et beauté,
Luxe calme et volupté.

Vois sur ces canaux
Dormir ces vaisseaux
Dont l’humeur est vagabonde ;
C’est pour assouvir
Ton moindre désir
Qu’il viennent du bout du monde.
– Les soleils couchants
Revêtent les champs,
Les canaux, la ville entière,
D’hyacinthe et d’or ;
Le monde s’endort
Dans une chaude lumière.

Là tout n’est qu’ordre et beauté,
Luxe calme et volupté.

Charles Baudelaire ("Les Fleurs du Mal" - 1857)

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Harmonie du soir

Voici venir les temps où vibrant sur sa tige
Chaque fleur s'évapore ainsi qu'un encensoir ;
Les sons et les parfums tournent dans l'air du soir ;
Valse mélancolique et langoureux vertige !

Chaque fleur s'évapore ainsi qu'un encensoir ;
Le violon frémit comme un c
œur qu'on afflige ;
Valse mélancolique et langoureux vertige !
Le ciel est triste et beau comme un grand reposoir.

Le violon frémit comme un c
œur qu'on afflige,
Un c
œur tendre, qui hait le néant vaste et noir !
Le ciel est triste et beau comme un grand reposoir ;
Le soleil s'est noyé dans son sang qui se fige.

Un c
œur tendre, qui hait le néant vaste et noir,
Du passé lumineux recueille tout vestige !
Le soleil s'est noyé dans son sang qui se fige...
Ton souvenir en moi luit comme un ostensoir ! 

Charles Baudelaire ("Les Fleurs du Mal" - 1857)

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Le coucher du soleil romantique

Que le soleil est beau quand tout frais il se lève,
Comme une explosion nous lançant son bonjour !
- Bienheureux celui-là qui peut avec amour
Saluer son coucher plus glorieux qu'un rêve !

Je me souviens ! J'ai vu tout, fleur, source, sillon,
Se pâmer sous son oeil comme un cœur qui palpite...
- Courons vers l'horizon, il est tard, courons vite,
Pour attraper au moins un oblique rayon !

Mais je poursuis en vain le Dieu qui se retire ;
L'irrésistible Nuit établit son empire,
Noire, humide, funeste et pleine de frissons ;

Une odeur de tombeau dans les ténèbres nage,
Et mon pied peureux froisse, au bord du marécage,
Des crapauds imprévus et de froids limaçons.

Charles Baudelaire ("Les Fleurs du Mal" - 1857)

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Le soleil

Le long du vieux faubourg, où pendent aux masures
Les persiennes, abri des secrètes luxures,
Quand le soleil cruel frappe à traits redoublés
Sur la ville et les champs, sur les toits et les blés,
Je vais m'exercer seul à ma fantasque escrime,
Flairant dans tous les coins les hasards de la rime,
Trébuchant sur les mots comme sur les pavés,
Heurtant parfois des vers depuis longtemps rêvés.

Ce père nourricier, ennemi des chloroses,
Eveille dans les champs les vers comme les roses ;
Il fait s'évaporer les soucis vers le ciel,
Et remplit les cerveaux et les ruches de miel.
C'est lui qui rajeunit les porteurs de béquilles
Et les rend gais et doux comme des jeunes filles,
Et commande aux moissons de croître et de mûrir
Dans le c
œur immortel qui toujours veut fleurir !

Quand, ainsi qu'un poète, il descend dans les villes,
Il ennoblit le sort des choses les plus viles,
Et s'introduit en roi, sans bruit et sans valets,
Dans tous les hôpitaux et dans tous les palais.

Charles Baudelaire ("Les Fleurs du Mal" - 1857)

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Paysage

Je veux, pour composer chastement mes églogues,
Coucher auprès du ciel, comme les astrologues,
Et, voisin des clochers, écouter en rêvant
Leurs hymnes solennels emportés par le vent.
Les deux mains au menton, du haut de ma mansarde,
Je verrai l'atelier qui chante et qui bavarde ;
Les tuyaux, les clochers, ces mâts de la cité,
Et les grands ciels qui font rêver d'éternité.

Il est doux, à travers les brumes, de voir naître
L'étoile dans l'azur, la lampe à la fenêtre,
Les fleuves de charbon monter au firmament
Et la lune verser son pâle enchantement.
Je verrai les printemps, les étés, les automnes ;
Et quand viendra l'hiver aux neiges monotones,
Je fermerai partout portières et volets
Pour bâtir dans la nuit mes féeriques palais.
Alors je rêverai des horizons bleuâtres,
Des jardins, des jets d'eau pleurant dans les albâtres,
Des baisers, des oiseaux chantant soir et matin,
Et tout ce que l'Idylle a de plus enfantin.
L'Émeute, tempêtant vainement à ma vitre,
Ne fera pas lever mon front de mon pupitre ;
Car je serai plongé dans cette volupté
D'évoquer le Printemps avec ma volonté,
De tirer un soleil de mon c
œur, et de faire
De mes pensers brûlants une tiède atmosphère.

Charles Baudelaire ("Les Fleurs du Mal" - 1857)



Pierre Béarn (1902-2004), poète et romancier français, a traversé le XXe siècle entier. Il est connu des écoliers pour ses recueils de fables.

Homme, / qui que tu sois / tu n’emporteras rien / avec toi. Pierre Béarn

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Usine de campagne

 

Usine ourlant de laideur grise un champ de blé
si honteuse dans sa logique
de dresser là ses murs de briques
qu’on la prendrait pour un grand vaisseau naufragé.

Sa cheminée trop haute et qui semble vétuste
distille une fumée d’hiver
que le vent aussitôt conquiert
pour tracer dans le ciel un fin chemin d’arbustes.

Le lierre et les orties cernent les alentours
et la mousse attendrit ses tuiles
en leur donnant un air fertile
de jachère attendant l’époque des labours.

Mais dans l’été qui dort son haleine est trop forte
pour les papillons audacieux
et les blés ont pris l’air soucieux
des arbres quand ils voient tomber leurs feuilles mortes.

Pierre Béarn ("Couleurs d'usine" - éditions Seghers, 1951)



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