Venía hacia mí por la sonrisa Por el camino de su gracia Y cambiaba las horas del día El cielo de la noche se convertía en el cielo del amanecer El mar era un árbol frondoso lleno de pájaros Las flores daban campanadas de alegría Y mi corazón se ponía a perfumar enloquecido (…)
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traduction (adaptée) par le blog lieucommun :
Ballade de ce qui ne revient pas
Elle venait vers moi par le chemin de son sourire Par le sentier de sa grâce Elle changeait les heures du jour Le ciel de la nuit devenait ciel d'aurore La mer était un arbre au feuillage plein d'oiseaux Les fleurs lançaient des chants joyeux Et mon coeur affolé s'emplissait de parfums (…)
Pablo Neruda (1904-1973) est le poète chilien le plus connu dans le monde. Dans le recueil "Vingt poèmes d'amour et une chanson désespérée" les poèmes ne portent aucun titre, ils sont numérotés de I à XX.
(Passages de 3 poèmes consécutifs du recueil)
XIV
"Juegas todos los días con la luz del universo" ...
Tu joues tous les jours avec la lumière de l'univers ...
Tu joues tous les jours avec la lumière de l'univers. Subtile visiteuse, tu viens sur la fleur et dans l'eau. Tu es plus que cette blanche et petite tête que je presse Comme une grappe entre mes mains chaque jour.
Tu ne ressembles à personne depuis que je t'aime. Laisse-moi t'étendre parmi les guirlandes jaunes. Qui inscrit ton nom avec des lettres de fumée parmi les étoiles du sud ? Ah laisse-moi me souvenir comment tu étais alors, quand tu n'existais pas encore.
(...)
Je te crois même reine de l'univers. Je t'apporterai des fleurs joyeuses des montagnes, des copihues, des noisettes foncées, et des paniers sylvestres de baisers.
Je veux faire avec toi ce que le printemps fait avec les cerisiers.
XV
"Me gustas cuando callas porque estas como ausente" ...
Je t'aime quand tu te tais ...
Je t'aime quand tu te tais, parce que tu es comme absente, et tu m'entends au loin, et ma voix ne t'atteint pas. On dirait que tes yeux se sont envolés, et on dirait qu'un baiser t'a clos la bouche
(...)
Je t'aime quand tu te tais et que tu es comme distante. Et tu es comme plaintive, papillon que l'on berce. Et tu m'entends au loin, et ma voix ne t'atteint pas : laisse-moi me taire avec ton silence.
Laisse-moi aussi te parler avec ton silence, clair comme une lampe, simple comme un anneau. Tu es comme la nuit, silencieuse et constellée. Ton silence est d'étoile, si lointain et si simple.
Je t'aime quand tu te tais, parce que tu es comme absente, distante et dolente, comme si tu étais morte. Un mot alors, un sourire suffisent, et je suis heureux, heureux que ce ne soit pas vrai.
XVI
"En mi cielo al crepúsculo, eres como una nube" ...
Tu es au crépuscule ...
Tu es au crépuscule un nuage dans mon ciel, ta forme, ta couleur sont comme je les veux. Tu es mienne, tu es mienne, ma femme à la lèvre douce et mon songe infini s'établit dans ta vie.
(...)
Tu es prise au filet de ma musique, amour, aux mailles de mon chant larges comme le ciel. Sur les bords de tes yeux de deuil mon âme est née. Et le pays du songe avec ces yeux commence.
Pablo Neruda ("Vingt poèmes d'amour et une chanson désespérée", 1998 - paru en Poésie/Gallimard)
Gabriela Mistral (1889-1957), est une poètesse chilienne, contemporaine de Pablo Neruda, qu’elle a côtoyé en Europe.
Ses premiers poèmes, dont "Junto al Mar"(Au bord de la mer) sont publiés en 1904 dans un journal chilien local. Son pseudonyme, Mistral est emprunté au poète provençal français Frédéric Mistral. Elle reçoit en 1945 le Prix Nobel de Littérature.
¿ En dónde tejemos la ronda ?
¿ En dónde tejemos la ronda ? ¿ La haremos a orillas del mar ? El mar danzará con mil olas, haciendo una trenza de azahar. ¿ La haremos al pie de los montes ? El monte nos va a contestar. ¡Será cual si todas quisiesen, las piedras del mundo, cantar ! ¿ La haremos, mejor, en el bosque ? La voz y la voz va a trenzar, y cantos de niños y de aves se irán en el viento a besar. ¡Haremos la ronda infinita! ¡ La iremos al bosque a trenzar, la haremos al pie de los montes y en todas las playas del mar !
Gabriela Mistral
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Où ferons-nous la ronde ?
Où ferons-nous* la ronde ? La ferons-nous au bord de la mer ? La mer dansera de toutes ses vagues, tressant des fleurs d’oranger. La ferons-nous au pied de la montagne ? La montagne nous répondra : Ce sera comme si les pierres du monde entier Se mettaient à chanter. Mieux, la ferons-nous dans la forêt ? Des chants d’enfants et d’oiseaux tresseront des baisers dans le vent. Nous ferons une ronde infinie : Nous irons la danser dans la forêt, nous la ferons au pied de la montagne, et sur toutes les plages du monde.
Gabriela Mistral ("Désolation" - 1922) - (traduction proposée par le blog lieucommun) - * traduction littérale : "où tresserons-nous ..."
Dans le texte suivant, l'auteur décrit "trois arbres" de
Patagonie, cette région à l'extrème pointe de l'Amérique du Sud, à la
frontière du Pôle sud. Terre de glace et "terre de feu" (les volcans),
avec à l'ouest des forêts millénaires. C'est en Patagonie que se
trouve la ville d' Ushuaïa (l'émission de télévision sur la nature
sauvage lui a emprunté son nom : "baie qui pénètre vers le couchant"
dans la langue des indiens).
Trois arbres
Trois arbres tombés sont restés au bord du sentier. Oubliés du bûcheron, ils s'entretiennent*, fraternellement serrés, comme trois aveugles.
Le soleil couchant verse son sang vif dans les troncs éclatés, les vents emportent le parfum de leur flanc ouvert.
L'un, tout tordu, tend un bras immense, frissonnant de feuillage, vers l'autre et ses blessures sont pareilles à des yeux pleins de prière.
Le bûcheron les a oubliés. La nuit viendra. Je resterai avec eux. Je recueillerai dans mon cœur leurs douces résines, elles me tiendront lieu de feu. Muets, pressés les uns contre les autres, que le jour nous trouve monceau de douleur**.
Gabriela Mistral ("Paysages de Patagonie, dans le recueil "Désolation" - 1922).
* dans le sens de converser - ** traduction de Mathilde Pomès : "deuil" - lieucommun a préféré traduire par "douleur". Traduction de Mathilde Pomès, auteure de "Gabriela Mistral" (collection Poètes d'aujourd'hui - éd Pierre Seghers - 1963)
Les Inuits vivent dans les régions arctiques de la
Sibérie, de l'Amérique du Nord (l'Alaska, les Territoires du
Nord-Ouest, le Nunavut, le Québec, le Labrador) ainsi que du Groenland
('île la plus étendue de la planète après l'Australie, c'est un
territoire autonome rattaché au Danemark). Les Eskimo (ou "esquimaux") préfèrent qu'on les nomme "Inuit" (pluriel du mot "Inuk", qui signifie "l'homme par excellence").
En 1935 et 1936, à l'est du Groenland, l'explorateur Paul-Émile Victor a collecté des récits, des chants et des poèmes traditionnels, réunis sous le titre "Poèmes eskimo" (Seghers jeunesse - 2005).
Le corbeau
Je suis montée sur le rocher Sur le rocher de Krartoudouk*. Comme un corbeau est ce rocher Comme un corbeau posé sur le terre. Derrière ce rocher j'ai vu les glaces J'ai vu les glaces jusqu'au loin Et je me suis assise sur ce rocher Qui a l'air d'un corbeau.
poème anonyme (Krartoudouk* = corbeau)
Chant d'Anudadak
Je marchais au bord d'un lac il y avait un renard qui grapillait des baies il est venu vers moi, je lui ai pris la queue et il m'a tiré jusqu'au sommet d'une montagne ça soufflait un peu de l'intérieur il y avait un petit vent.
Paroles d'un chant de la chamane Kaga (collectées par Paul-Émile Victor - expédition à Ammassalik, 1935)
Salah Al Hamdani est né en 1951 à Bagdad. Exilé
depuis 30 ans en France. il écrit en arabe et en français, des pièces
de théâtre, des récits, des nouvelles et des poèmes (Bagdad mon amour, 2003 - Ce qu’il reste de lumière, 1999 - Au large de Douleur, 2000 - Le Doute, 1992).
Seul le vieux tapis fleurissait le sol
La maison avait changé d’adresse ma photo avait changé de place la table avait été pliée derrière la porte la chaise de mon père, aussi, seul le vieux tapis fleurissait le sol
Je t’ai trouvée enfin dans un jardin nu avec ton grand châle noir l’esprit en dérive enfilée dans tes prières l’âge cousu sur le visage
J’ai cru serrer un palmier agonisant Puis dans mes bras, j’ai reconnu ma mère.
Salah Al Hamdani - écrit en 2004 ("Poèmes de Bagdad", à paraître)
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Un poème écrit après la guerre d'Irak et la chute du régime de Saddam Hussein :
Trente jours après trente ans
N’ai-je pas à nommer les choses comme une main tendue au naufragé, comme le déroulement des saisons ?
N’ai-je pas dit qu’une chose s’achève toujours au dépens de ce qui commence ?
Un flux de poussière achemine une odeur d’enfance tandis que son cortège emporte mon incertitude lentement glissant sur la racine du jour ...
Je veux venir tout près de toi, avec, dans les mots, ce que l’exilé laisse d’inachevé
L’aurore se lève sur Bagdad et sa morsure se répand sur moi
Ma mère, comme la lumière, n’a pas besoin du procès de l’obscurité mais d’un peu de silence quand son fils, l’exilé de retour, se pose sur sa branche en compagnie d’une étoile tatouée par la brume
Car il revient chez lui comme un réfugié de passage un fugitif qui cherche le partage : un sourire, un morceau de pain un coin de lit et le témoignage de la noyade du crépuscule.
Salah Al Hamdani ("Bagdad à ciel ouvert, illustrations de Salah Ghiad" - éditions Écrits des forges, 2007)
ISRAËL
Marlena Braester est une poète contemporaine israëlienne. Le recueil "Caractères" est paru en 2009.
les couleurs dansent
les couleurs dansent jusqu’au noir dans la lumière à un signe de l’air elles se jettent aveugles de tous côtés dans le vertige éblouissant elles dansent jusqu’au noir les ombres saignent soudain une couleur passe les autres rentrent en-dessous comme des pas étouffés dans les tapis de lumière puis reprennent la danse jusqu’au noir derrière les couleurs guette la lumière
Marlena Braester ("Poèmes" - Caractères, 2009)
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quelle langue parlent ces rues ?
quelle langue parlent ces rues qui viennent vers nous de leur lointain horizon éclaté ?
Marlena Braester ("Poèmes" - Caractères, 2009)
LIBAN
On trouvera des poètes libanaises d'expression française (certaines ont vécu une grande partie de leur vie en France), dans la catégorie : PRINT POÈTES 2010 : DES FEMMES POÈTES
Palestine, région du Proche-Orient aux contours incertains,
tourmentés, revendiqués, inclus, exclus, paradoxale Terre
Sainte-terre d'affrontements. La poésie de Palestine est à la fois
poésie ancienne de toute la région, avant les découpages historiques,
et poésie contemporaine de résistance et d'identité des "Territoires
palestiniens".
Mahmoud Darwich est né en Galilée en 1941. Il est mort en 2008. ” Je suis celui que l’on désigne comme "le
poète de la Palestine", et l’on requiert de moi de fixer mon lieu dans
la langue, de protéger ma réalité du mythe et de maîtriser l’une et
l’autre, pour être tout à la fois partie de l’Histoire et témoin de ce
qu’elle m’a fait subir. C’est pourquoi mon droit à un lendemain
requiert révolte contre le présent et défense de la légitimité de mon
existence dans le passé. Mon poème se retrouve ainsi changé en preuve
d’existence ou de néant"...
À ma mère
je me languis du pain de ma mère du café de ma mère des caresses de ma mère jour après jour l’enfance grandit en moi j’aime mon âge car si je meurs j’aurai honte des larmes de ma mère
si un jour je reviens fais de moi un pendentif à tes cils recouvre mes os avec de l’herbe qui se sera purifiée à l’eau bénite de tes chevilles attache moi avec une natte de tes cheveux avec un fil de la traîne de ta robe peut-être deviendrai-je un dieu oui un dieu si je parviens à toucher le fond de ton cœur
si je reviens mets-moi ainsi qu’une brassée de bois dans ton four fais de moi une corde à linge sur la terrasse de ta maison car je ne peux plus me lever quand tu ne fais pas ta prière du jour
j’ai vieilli rends-moi la constellation de l’enfance que je puisse emprunter avec les petits oiseaux la voie du retour au nid de ton attente
Mahmoud Darwich ("Ashiq min filastin, Un amoureux de Palestine" - 1966)
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Les oiseaux meurent en Galilée (passages)
pluie douce en un automne lointain les oiseaux sont bleus, bleus la terre en fête Ne dis pas : Je suis un nuage suspendu sur le port car je ne veux de mon pays tombé de la fenêtre du train que le mouchoir brodé de ma mère et les raisons d’une mort nouvelle
pluie douce en un automne étrange les fenêtres sont blanches, blanches le soleil, un verger vespéral et moi je suis une orange spoliée Pourquoi donc t’évades-tu de mon corps alors que je ne veux du pays des couteaux et du rossignol que le mouchoir brodé de ma mère et les raisons d’une mort nouvelle ?
pluie douce en un automne triste les rendez-vous sont verts, verts et le soleil argile Ne dis pas : Nous t’avons vu quand le jasmin fut piétiné vendant la mort et les calmants ma face était nuit ma mort un embryon et moi je ne veux de mon pays qui a oublié le langage des absents que le mouchoir brodé de ma mère et les raisons d’une mort nouvelle
pluie douce en un automne lointain les oiseaux sont bleus, bleus la terre en fête les oiseaux se sont envolés vers un temps irrévocables veux-tu malgré tout connaître mon pays et ce qui nous unit ?
(...)
... je ne veux de mon pays qui m’a tranché la gorge que le mouchoir brodé de ma mère et les raisons d’une mort nouvelle
(...)
Mahmoud Darwich ("Al-'Asafir tamut fi al-jalil, Les oiseaux meurent en Galilée" - 1970)
Tu Fu (712-770) est un grand poète chinois de la dynastie des Tang. Il a produit près de 1500 poèmes.
Village près d'une rivière
Eau claire, méandres qui enserrent le village. Longues jourbées d'été où tout est poésie. Sans crainte vont et viennent les couples d'hirondelles ; Les mouettes, les unes contre les autres, dans l'étang. Ma vieille épouse dessine un échiquier sur papier. Mon fils, pour pêcher, tord son hameçon d'une aiguille. Souvent malade, je cherche les plantes qui guérissent : Quoi d'autre peut-il désirer, mon humble corps ?
Tu Fu - 1938 (extrait de "L'Écriture poétique chinoise", de François Cheng)
Le haïku (prononcez
: “haïkou”) est un court poème japonais classique, comportant trois
versets de 5, 7 et 5 pieds et visant à traduire une forte émotion face
à la nature et à une saison. Mais,
même au Japon, le haïku a beaucoup évolué : on trouve maintenant des
haïkus “libres” (qui ne respectent pas la métrique) et des haïkus
politiques, érotiques, gastronomiques." (Georges Friedenkraft, dans la revue Marco Polo n° 10, d'octobre 2005).
Cù Huy Cân (1919-2005), auteur francophone bilingue, est un poète du Vietnam moderne ("Messages stellaires et terrestres" ; "Le temps des passages " ; "Écrits des Forges").
Engagé dans la lutte pour l'indépendance, il est en 1945, l’un des
signataires de la Déclaration d’indépendance du Viêt-Nam, sous la
présidence d' Hô-Chi-Minh. Il occupera différentes fonctions au sein du
gouvernement de la République Démocratique du Viêt-Nam, dont celle de
ministre de la Culture.
Je renais à toi chaque matin
Je renais à toi chaque matin Et je regarde, émerveillé, la vie avec ton regard. Je marche sur les bords de ta mer profonde Et je rentre au plus profond de moi-même En suivant ton sillage. Nos deux destinées jumelles Auront été deux vagues mêlées Sur la grande Mer. Nous écroulerons-nous en touchant les rivages ? Je m’adosse aux bords de ton soir Pour t’aimer dans tes racines Pour avoir ta rose et tes épines. Je renais à toi chaque matin. Tu es mon aube et mon aurore, Mon horizon fuyant et ma fixe horloge Qui sonne gravement les heures de mon destin. Saveur du jour, saveur de la nuit. Tu es, mon amour, saveur de sève et de fruit Que je hume et qui assouvit ma gourmandise.
Va dans le vaste monde, mon cher enfant, Va vers une vie libre ! Tant que le vent souffle en poupe.
Va vers la vaste mer, mon cher enfant, Va vers le monde libre ! Tant qu’il ne fait pas encore noir Et que le crépuscule ne rougit pas le ciel.
Lorsque les ombres s’effaceront, Que l’aigle de mer sera retourné à son nid, Que le vent soufflera vers la terre Et que le timonier sera sans boussole, Alors tu pourras revenir vers moi !
Reviens alors, mon cher enfant, Reviens de l’autre côté de la nuit ! Et lorsque ton navire sera près du rivage, Alors nous parlerons De l’amour et de ta vie demain matin.
Isaïe Spiegel (1906-1990), Juif polonais survivant d'Auschwitz, n'a cessé de témoigner de l'holocauste.
La dernière fois
Je t'ai vue, la dernière fois, dans le wagon encore ouvert,
Parmi le troupeau effaré, les visages des enfants juifs,
Je n'ai pu te tendre la main même pour le dernier voyage
Déjà le camion fermé m'emportait vers la grande route.
Et je ne savais pas que c'était le dernier,
Le dernier voyage de tous nos rêves,
Au loin les monts bleuis vers nous semblaient geler
Et près d'eux, sur le ciel, crachaient les crématoires.
Isaïe Spiegel ("Une échelle vers le ciel" - Gallimard, 1979)
Ismaïl Kadaré, né en 1936, est un grand écrivain ("Le Général de l'armée morte") et poète albanais. Il a obtenu l’asile politique en France en 1990.
Un poème en albanais, la langue officielle du pays :
Peisazh (Paysage)
Ç'janë ato plaka me të zeza që flasin një gjuhë të vdekur Sillen në fushën e ngrirë Shkelin mbi ngricë gjithkund. Korbat mbi kokat e tyre Enden kërcënueshëm. Krokama E tyre tregon se në kodin E lashtë diçka nuk punon.
Ç'janë ato plaka me të zeza që flasin një gjuhë të vdekur: Korba mbi fushën e ngrirë. Krokama të shkreta plot hutim.
Ismaïl Kadaré
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et sa traduction en français :
Paysage (Peisazh)
Qui sont ces vieilles tout en noir parlant une langue morte? Elles errent parmi les labours durcis par le gel, foulant la glace qui craque sous leurs pas. Au-dessus d'elles, menaçants, les corbeaux tournoient. Leurs croassements semblent indiquer qu'il y a quelque chose de détraqué dans le Code de l'espèce.
Qui sont ces vieilles tout en noir parlant une langue morte? Quelques corneilles foulant le gel des labours. De pauvres croassements égarés.
Ismaïl Kadaré ("Poèmes" - Éditions Fayard 1997) version française établie par Claude Durand et l’auteur avec la collaboration de Mira Mexi, Edmond Tupja et Jusuf Vrioni
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Même quand mon souvenir ...
Même quand mon souvenir affaibli, pareil aux trams d'après minuit, ne s'arrêtera plus qu'aux principaux arrêts, jamais je ne t'oublierai.
Je garderai en mémoire le crépuscule immense et silencieux de ton regard, et ce gémissement étouffé contre mon épaule comme les flocons d'une neige un peu folle.
C'est l'heure de se séparer. Je vais m'en aller loin de toi. Rien là qui puisse étonner.
Pourtant, une autre nuit, les doigts d'un autre dans tes cheveux viendront s'entrelacer aux miens, mes doigts de milliers de kilomètres de long.
Je voudrais bien savoir, je voudrais qu’on me dise pourquoi tombe le soir sur le jour par traîtrise, pourquoi le roseau chante mais pas les autres plantes, pourquoi dans sa tanière l’ours peut dormir l’hiver mais moi, qu’il pleuve ou vente, je dois aller apprendre l’histoire et la grammaire!
Je voudrais bien savoir qui a donné leur nom aux pommes et aux poires et à chaque saison; qui a fait qu’on appelle éléphant l’éléphant alors qu’il n’a pas d’ailes, bien plus lourd qu’un enfant; pourquoi a-t-on nommé ainsi le crocodile, lui qui n’a pas croqué ma petite soeur Odile?
Je voudrais bien savoir pourquoi la pauvre chèvre ne fait que bégayer, pourquoi toujours mes lèvres ont comme un goût salé quand je dis des sottises ?
Je voudrais tant savoir, je voudrais qu’on me dise pourquoi tous les regards et aussi les nuages se lisent comme un livre, pourquoi sur le visage il y a des yeux qui vivent, il y a des yeux qui vivent ?
Youna Morits (dans l'Anthologie de la poésie russe pour enfants" - Circé poésie, 2000) - source : Printemps des Poètes, site officiel
Vera Pavlova, poétesse et musicienne russe, est née à Moscou en 1963. Elle y vit toujours. "L'Animal céleste", paru en 2004 est le premier de ses recueils traduit en français :
La balance
Sur un des plateaux la joie. Sur l'autre le chagrin. Le chagrin est lourd. Voilà pourquoi la joie est plus haute.
Vera Pavlova ("L'Animal céleste" - traduit du russe par Jean-Baptiste et Hugo Para - éditions L'Escampette, 2004).
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Je voudrais t’écrire une lettre ...
Je voudrais t’écrire une lettre dans laquelle il n’y aurait pas un mot de reproche, de rancune, d’insolence, pas de coquetterie, de caprice, de bravade, pas de flatterie, de mensonge, d’entourloupe, pas la moindre billevesée, pas de vaine philosophie… Je voudrais t’écrire une lettre dans laquelle il n’y aurait pas un mot.
Vera Pavlova ("L'Animal céleste" - traduit du russe par Jean-Baptiste et Hugo Para - éditions L'Escampette, 2004).
On peut lire ce poème de Vera Pavlova dans "Poètes russes d’aujourd’hui" - Éditions La Différence, en collaboration avec l'université Natalia Nesterova de Moscou, 2005) - Cette anthologie bilingue est préfacée par Konstantin Kedrov : "Par la diversité de ses courants, de ses écoles, la poésie russe contemporaine est aussi foisonnante que celle du début du siècle dernier".
"la plus belle victoire sur le temps et la pesanteur c'est peut-être de passer sans laisser de trace de passer sans laisser d'ombre". Maria Tsetaeva
L'auteure a passé une partie de son existence à Paris. C'est en français qu'elle écrit ce texte :
Neige
Neige, neige Plus blanche que linge, Femme lige Du sort : blanche neige. Sortilège ! Que suis-je et où vais-je ? Sortirai-je Vif de cette terre
Neuve ? Neige, Plus blanche que page Neuve neige Plus blanche que rage Slave ... Rafale, rafale Aux mille pétales, Aux mille coupoles, Rafale-la-Folle !
Toi une, toi foule, Toi mille, toi râle, Rafale-la-Saoule Rafale-la-Pâle Débride, dételle, Désole, détale, À grands coups de pelle, À grands coups de balle.
Cavale de flamme, Fatale Mongole, Rafale-la-Femme, Rafale : raffole.
Marina Tsetaeva (cité par Eveline Amoursky - texte emprunté au site : www.espritsnomades.com )
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Poèmes à Blok(extrait)
Ton nom - un oiseau dans la main, Ton nom - sur la langue un glaçon. Un seul mouvement de lèvres. Quatre lettres*. La balle saisie au bond, Dans la gorge un grelot d'argent.
Une pierre jetée dans l'étang Sangloterait ainsi quand on t'appelle. Dans le piaffement léger des sabots la nuit Ton nom, son éclat, retentit. Le chien du fusil qui claque à la tempe Le dit.
Ton nom - ah, impossible! Ton nom - le baiser sur les yeux, Sur le tendre froid des paupières.
Ton nom - le baiser sur la neige. Gorgée d'eau bleue qui sourd, glaciale, Avec ton nom - le sommeil est profond.
* BLOK, à qui est adressé ce texte Marina Tsvetaïeva ("Marina Tsvetaïeva par Véronique Lossky" - Poètes d'Aujourd'hui, Seghers 1990)
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Ma journée est absurde ...
Ma journée est absurde non-sens J'attends du pauvre une aumône, Je donne au riche généreusement.
J'enfile dans l'aiguille un rayon, Je confie ma clef au brigand Et je farde mes joues de blanc.
Le pauvre ne me donne pas de pain, Le riche ne prend pas mon argent, Dans l'aiguille le rayon ne passe pas.
Il entre sans clef, le brigand, Et la sotte pleure à seaux Sur sa journée de non-sens.
L’ovale allongé, sévère, Les plis de la robe noire … Jeune grand-mère ! Qui baisait Vos lèvres hautaines ? Ces mains qui dans les salles de Chopin … De chaque côté du visage glacé Les boucles en spirales. Le regard sombre, droit et exigeant, Le regarde prêt de la bataille. Les jeunes femmes ne regardent pas ainsi. Jeune grand-mère, qui êtes-vous ? Que d’occasions vous avez emportées, Que de choses impossibles aussi Dans le sein affamé de la terre, Polonaise de vingt ans ! Le jour était innocent, le vent frais. Les sombres étoiles mouraient. Grand-mère! Ce cruel tourment Dans mon coeur, serait-ce vous ? ...
Le lac se couvrait de glace, le froid devenait plus âpre, Par un jour sombre d’automne, j’aperçus un caneton.
Sans ami, seul, il nageait, barbotant dans les glaçons, Luttant seul contre le gel qui figeait les eaux profondes.
Il désirait s’envoler mais il ne pouvait le faire. La mort froide le guettait, l’oiseau voulait vivre, vivre.
Je voulus aller vers lui, il ne me comprenait pas. Il s’enfuyait, déchirant la glace fragile encore ...
Il est resté seul ainsi, mourant sur le lac gelé Et sa mort m’a rappelé le passé de mon pays..
Antonina Kimitval (dans la revue "Europe", n° 607-608 de nov-déc 1979 : "Le livre, l'enfant dans le monde" - Les Éditeurs Français Réunis, 1979)
ROUMANIE
Magda Isanos (1916-1944).
Le poème de la femme qui aimait le printemps(extrait)
Le printemps viendra. Les fleurs porteront au sommet La lumière qui brille Du soleil Et de la grande Saison rêveuse. "Pousse, fleur", Murmurera la lumière de mai. Des ailes S'ouvriront à l'instant juste, Et chaque chose se prolongera dans l'ombre secrète. On aura beau changer d'habit pour l'amour, La fleur, l'homme et l'élan N'en resteront pas moins éphémères.
Magda Isanos ("Poésies" traduction d'Alain Bosquet, 1943) - source : site officiel du Printemps des Poètes ; "Couleur femme"
TURQUIE
Orhan Veli Kanik (1914 - 1950) est né à Istanbul. C'est un poète populaire. Il a traduit en turc des poètes français, et a été Influencé par différentes écoles et mouvements poétiques, le dernier étant le Surréalisme.
J’écoute Istanbul(extrait)
Les yeux fermés, j’écoute Istanbul Tout d’abord, le souffle du vent Et le feuillage qui tangue Lentement dans les arbres ; Loin, très loin, les cloches des Porteurs d’eau qui chantent, Les yeux fermés, j’écoute, Istanbul.
Les yeux fermés, j’écoute Istanbul Un oiseau passe, Des oiseaux passent, leurs cris, leurs cris, Filets qu’on retire des pêcheries, Orteil d’une femme qui barbotte dans l’eau, Les yeux fermés, j’écoute, Istanbul
(...)
Les yeux fermés, j’écoute Istanbul Sur le trottoir passe une élégante, De dépit, elle chante, chante, passe ; Quelque chose tombe de ta main Par terre Une rose, sûrement. Les yeux fermés, j’écoute Istanbul.
Les yeux fermés, j’écoute Istanbul autour de ta taille volette un oiseau ; Je sais si ton front est moite ou froid Si tes lèvres sont humides et sèches ; Ou si une lune blanche s’élève au-dessus du pistachier Mon cœur qui bat me parle… Les yeux fermés, j’écoute Istanbul.
Constantin Cavafy (1863-1933), ou Konstandínos Kaváfis, est considéré comme l'un des plus importants poètes grecs modernes, avec le poète contemporain Yannis Ritsos. Il est pourtant né et a passé la plupart de sa vie en Égypte, à Alexandrie, où il est né et où il repose.
Il n'a rien publié de son vivant, se contentant de distribuer des feuillets imprimés de ses poèmes.
J'ai regardé si fixement la beauté ...
J'ai regardé si fixement la beauté que mes yeux sont tout pleins d'elle. Lignes du corps, lèvres empourprés, membres voluptueux, chevelures évoquant celles des statues grecques, toujours belles, même quand elles sont en désordre et tombent un peu sur les fronts blancs. Visages de l'amour, tels que les désirait mon art… Visages rencontrés furtivement dans mes nuits, dans les nuits de ma jeunesse…
Jour vert ardent, bonne pente parsemée Clochettes et bêlements, myrtes et coquelicots... La jeune fille tricote les objets de sa dot Le jeune homme tresse des paniers Et les boucs, le long du rivage Lèchent le sel blanc.
Yannis Ritsos
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Des filles grêles
Des filles grêles Sur le rivage Récoltent le sel Courbées, elles ne voient pas la mer Une voile Une voile blanche leur fait signe du large Elles ne l'ont pas aperçue et la voile noircit de tristesse
Tu es mon dernier fils et ton absence pèse Et va peser encore pendant des siècles Plus noire que la nuit je m'en vais devenir Et me mettre à errer telle un spectre J'entends au dehors comme une plainte La plainte déchirante de notre chien Je m'en vais errer et les montagnes les vallons Les plaines les torrents m'interrogeront. A mon passage les sources feront silence Des incendies s'allumeront à ma poitrine Les étoiles la lune le soleil m'interrogeront Et je n'aurai le coeur de leur répondre
(...)
J'ai reçu ta lettre si amère Comme tes nouvelles sont navrantes O reviens mon enfant je t'attends Reviens et moi l'infortunée j'ouvrirai mes ailes Pour t'en recouvrir tendrement Mon coeur ressentira une douceur infinie Quand il t'aura près de lui, mon fils Que de fois j'aurai nourri la mort L'aurai nourri jusqu'à satiété Dans ma vieillesse pour me contenter Je n'attends plus qu'un signe de toi.
Costas Kalatzis
ITALIE
Giacomo Leopardi (1798-1837), est un grand poète et philosophe italien.
À Silvia(extraits)
Silvia, te souvient-il encore Du temps de cette vie mortelle, Quand la beauté brillait Dans tes yeux fugitifs et riants, Et que, pensive et gaie, tu gravissais Le seuil de la jeunesse ?
Sonnaient les calmes Voûtes, et les rues alentour, À ta chanson sans fin, Alors qu’assise à ton œuvre de femme Tu t’appliquais, heureuse De ce vague avenir que tu rêvais en toi. C’était mai plein d’odeurs, et tu aimais Passer ainsi le jour.
(...)
Je tendais mon oreille au son de ta voix Et de ta main rapide Qui parcourait l’âpre toile. Je contemplais le ciel serein, Les rues dorées et les vergers, Là-bas la mer, au loin, et là les monts,
(...) Avant que l’hiver même eût desséché les feuilles, Toi, frappée, vaincue d’un mal obscur, Tu périssais, fillette. Et tu n’as point connu La fleur de tes années, Ton cœur ne s’est ému Sous la tendre louange de tes cheveux de jais, De tes yeux amoureux et craintifs, Et près de toi tes amies, aux jours de fête, D’amour n’ont pas parlé.
... Ah ! comme, Comme tu t’es enfuie, Chère compagne de mon jeune âge, Mon espérance pleine de larmes ! C’est donc cela, le monde ? Cela, l’amour, Et les plaisirs, les aventures, les travaux Dont nous avions tant devisé ensemble ? (...)
Giacomo Leopardi ("Chants", traduction de Michel Orcel)
Même quand il semble que la journée a passé comme une aile d’hirondelle, comme une poignée de poussière jetée et qu’il n’est pas possible de ramasser et que la description le récit ne trouvent nécessité ni écoute, il y a toujours un mot un petit mot pour dire qu’il n’y a rien à dire.
Patrizia Cavalli ("Mes poèmes ne changeront pas le monde"- traduction de Danièle Faugeras et Pascale Janot - Éditions des Femmes, 2007)
Tu veux embrasser ton enfant qui ne veut pas : il aime regarder la vie, dehors. Alors tu es déçue, mais tu souris : ce n'est pas l'angoisse de la jalousie même si déjà il ressemble à l'autre homme qui pour "regarder la vie, dehors" t'a laissée ainsi ...
Sandro Penna ("Une ardente solitude" - traduit par Bernard Simeone, éditions La Différence, 1989)
Sarah Kirsch, née en 1935, est considérée comme la plus grande poétesse actuelle de langue allemande.
source de la présentation et du poème : site officiel du Printemps des Poètes ; "Couleur femme"
Sur les lieux
La neige pénètre les contours des forêts Forêts nordiques de hêtres en ce temps Courbée la neige qui tombe Se coule au corps noir de la forêt. Rouges les feuilles sur les racines Au-dessus des cimes le ciel couleur de soupe au lait Les flocons ont des allures de suie. Tandis que les cristaux se modifient Que des semaines durant ils tombent à terre Dressent des remparts à mi-hauteur du coeur.
texte original :
Ort und Stelle
Es schneit in die Konturen der Wälder Nördliche Buchenwälder zu der Zeit Gebogen paBt der Schneefall Schwarzgrauem Waldleib sich an. Rot das Laub auf den Wurzeln Über den Kronen im Milchsuppenhimmel Erscheinen die Flocken wie RuB Indem die Kristalle sich wandeln Wochenlang niederstürzen Türmen sie Wälle halb vor das Herz.
Sarah Kirsch ("Chaleur de la neige" / "Schneewärme" - bilingue - éditions Le dé bleu, traduit de l'allemand par Jean-Paul Barbe)
Les textes des poètes femmes de BELGIQUE - SUISSE et LUXEMBOURG, dont les titres seuls sont indiqués, sont à lire dans l'autre catégorie "couleur femme", ici : PRINT POÈTES 2010 : DES FEMMES POÈTES
BELGIQUE
Marie Gevers
Chanson pour apprendre aux cinq sens à aimer la pluie
Repas du matin
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Renée Brock
Îles de Lérins
Jamais ...
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Anne-Marie Kegels
Automne
La Fenêtre
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Madeleine Ley
La girafe
En rêve j'ai trouvé
L’araignée
Grand-père
Le petit lapin
Le ruisseau
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Jeanine Moulin
Dialogue
La poésie comme elle s'écrit
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Marie-Claire d'Orbaix
Sirène
Touffe de mots
Les aînées
Le printemps
Les loups
Je suis ton grain pesé
La fenêtre est un livre d'images
Je suis du temps ...
Don Juan
Femmes des longs matins
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Lucie Spède
Définition
Le mille-pattes
Oh dodo
Météo
Le monde à l'envers
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Liliane Wouters
À l'enfant que je n'ai pas eu ...
Ma tête dans le vent ...
Le bois sec
Que m'importent lieu, durée ...
SUISSE
Marguerite Burnat-Provins
Le livre pour toi
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Pernette Chaponnière
La neige
Le sapin de noël (ou le petit sapin sous la neige)
Les feuilles mortes
L'hirondelle
LUXEMBOURG
Anise Koltz
J’avance sans filet
Le mot change
Dans ce monde
Couchée dans le désert
J'écris les yeux grand ouverts
Le mur du son
L'ailleurs des mots
À ma mère
ÎLES BRITANNIQUES
Percy Bysshe Shelley (1792-1822) est un poète romantique anglais.
La philosophie de l'amour
Les fontaines se mêlent aux rivières, Les rivières à l'océan, Les vents du Ciel s'unissent à jamais Avec une douce émotion; Rien dans le monde n'est solitaire Toutes choses par loi divine En un esprit se rencontrent, se mêlent. Pourquoi pas le mien et le tien ?
Vois, les montagnes baisent le haut Ciel, Les vagues l'une l'autre étreignent; Nulle sœur-fleur ne serait pardonnée Si elle dédaignait son frère; Du soleil la lumière étreint la terre, Les rais de lune baisent la mer : Mais que vaut donc tout cet ouvrage tendre Si toi tu ne m’embrasses pas ?
Percy Bisshe Shelley
ESPAGNE
Federico García Lorca (1898- 1936) est un poète et auteur de pièces de théâtre espagnol. Il a été l'ami de Luis Buñuel (cinéaste) et de Salvador Dalí. Il est mort fusillé au début de la Guerre civile par les troupes du Général Franco.
"Toutes les choses ont leur mystère, la poésie c'est le mystère de toutes les choses".
Chanson bête
Maman, Je voudrais être en argent.
Mon fils, Tu auras bien froid.
Maman, Je voudrais être de l'eau.
Mon fils, Tu auras bien froid.
Maman, Brode-moi sur ton oreiller.
Ah, ça oui ! tout de suite !
Federico García Lorca (Traduction proposée par Lieucommun )
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Canción tonta
Mamá. Yo quiero ser de plata.
Hijo, tendrás mucho frío.
Mamá. Yo quiero ser de agua.
Hijo, tendrás mucho frío.
Mamá. Bórdame en tu almohada.
¡Eso sí! ¡Ahora mismo!
Federico García Lorca ("Canciones" - 1928)
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Federico García Lorca ("Romancero Gitano" - 1928) (Traduction proposée par Lieucommun )
Romance de la lune lune
La lune vient à la forge avec ses volants de nards. l'enfant, les yeux grand ouverts, la regarde, la regarde.
Dans la brise qui s'émeut la lune bouge les bras, dévoilant, lascive et pure, ses seins blancs de dur métal.
Va-t-en lune, lune, lune. Si les gitans arrivaient, ils feraient avec ton cœur bagues et colliers blancs.
Petit, laisse-moi danser. Quand viendront les cavaliers, ils te verront sur l'enclume tu auras les yeux fermés.
Va-t'en lune, lune, lune. j'entends déjà leurs chevaux.
Laisse-moi, petit, tu froisses ma blancheur amidonnée.
Battant le tambour des plaines approchait le cavalier. Dans la forge silencieuse gît l'enfant, les yeux fermés.
Par l'olivette venaient, bronze et rêve, les gitans, chevauchant la tête haute et le regard somnolent.
Comme chante la zumaya*, Ay, comme elle chante dans son arbre ! Dans le ciel marche la lune tenant l'enfant par la main.
Autour de l'enclume pleurent les gitans désespérés. la brise veille, veille, la brise fait la veillée.
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Romance de la luna luna
La luna vino a la fragua con su polisón de nardos. El niño la mira, mira. El niño la está mirando.
En el aire conmovido mueve la luna sus brazos y enseña, lúbrica y pura, sus senos de duro estaño.
Huye luna, luna, luna. Si vinieran los gitanos, harían con tu corazón collares y anillos blancos.
Niño, déjame que baile. Cuando vengan los gitanos, te encontrarán sobre el yunque con los ojillos cerrados.
Huye luna, luna, luna, que ya siento sus caballos.
Niño, déjame, no pises mi blancor almidonado.
El jinete se acercaba tocando el tambor del llano. Dentro de la fragua el niño, tiene los ojos cerrados.
Por el olivar venían, bronce y sueño, los gitanos. Las cabezas levantadas y los ojos entornados.
Cómo canta la zumaya, ¡ay, cómo canta en el árbol! Por el cielo va la luna con un niño de la mano.
Dentro de la fragua lloran, dando gritos, los gitanos. El aire la vela, vela. El aire la está velando.
Federico García Lorca ("Romancero Gitano" - 1928)
FRANCE
BRETAGNE
Anjela Duval (1905-1981) n'a pas un nom à consonance celte, certes, mais ... "Anjela
Duval est cette femme qui pendant le jour cultive la terre de sa petite
ferme, Traoñ an Dour, et qui le soir sort ses cahiers et écrit des
poèmes, devenus parmi les plus aimés de la langue bretonne. Le breton
est sa langue de tous les jours, et elle a appris la langue littéraire,
qu'elle enrichit de ses mots, de sa sensibilité. Ses poèmes révèlent
son amour lucide de la nature, sa rage contre le déclin organisé du
breton, ses angoisses, son humour..." source : http://www.breizh.net/anjela/barzhonegou.php ou on trouvera ses poèmes en breton et certains traduits en français.
Voici deux poèmes dans les deux langues, traduits par Paol Keineg (adresse ci-dessus) :
Lagad an Heol
— Heol ! Perak out ken diwezhat o tiblouz ? Ha perak eo ken ruz da lagad ? Ha bet ac’h eus en noz-mañ ur gwall-hunvre, en deus graet dit leñvañ dre da hun ? — Na hun na hunvre na fall na mat. Beilhet am eus an noz-pad… Tra ma kouske ar c’hornôg dibled war ludu louet e lore me ’m eus graet tro an Douar. Ha gwelet am eus tud o vervel gant an naon. Gwelet ’m eus tud o vervel gant ar riv. Gwelet tud o vervel gant an dic’hoanag. Gwelet am eus tud o lazhañ tud, breudeur o ’n em dagañ. Gwelet ’m eus pobloù mac’het. Gwelet ur penntiern meur o kouezhañ dindan boled ur foll. Gwelet forzh tud o leñvañ : Ha chomet on bepred digas… Gwelet ’m eus, avat, tud o c’hoarzhin goap ouzh ar re zo er boan, ouzh ar re zo en dienez Ouzh ar re zo dindan ar yev. Ha neuze am eus ranket leñvañ, Ma ’z eo ruz c’hoazh va lagad. — Heol ! Sec’h bremañ da zaeroù ! Mor-Breizh, emberr, a vo dous D’az lagad ruz hag entanet…
Anjela Duval (Ur beure goañv 1964)
traduction : L’œil du Soleil
— Soleil ! Pourquoi te lèves-tu si tard ? Et pourquoi as-tu l’œil si rouge ? As-tu fait cette nuit un cauchemar, qui t’a fait pleurer dans ton sommeil ? — Ni sommeil ni rêve ni bon ni mauvais. J’ai veillé toute la nuit… Tandis que l’occident frivole dormait sur les cendres grises de ses lauriers j’ai fait le tour de la Terre. Et j’ai vu des gens mourir de faim. J’ai vu des gens mourir de froid. J’ai vu des gens mourir de désespoir. J’ai vu des gens s’entre-tuer, des frères s’étrangler. J’ai vu des peuples opprimés. J’ai vu un grand dirigeant tomber sous la balle d’un dément. J’en ai vu beaucoup qui pleuraient :
Et j’ai continué, indifférent…
J’en ai vu cependant qui se moquaient des gens dans la peine, des gens dans la misère Des gens sous le joug.
C’est alors que j’ai pleuré, C’est pourquoi mon œil est rouge.
— Soleil ! sèche tout de suite tes larmes ! La mer de Bretagne adoucira bientôt Ton œil rouge et enflammé …
— Ma vez hinon Eme ar valafenn hedro Ma vez hinon Emberr me ’z ay da vale bro — Ha me, eme ar wenanenn D’ar valafenn skañvbenn Me ’gaso va labour en-dro Ma vez hinon
Anjela Duval (Miz Mezheven 1967)
traduction :Papillon et Abeille
— S’il fait beau Dit le papillon volage S’il fait beau Je battrai bientôt la campagne. — Et moi, dit l’abeille Au papillon écervelé Je me mettrai au travail S’il fait beau.
Jean-Pierre Calloc'h, Yann-Ber Kalloc'h en breton, est un barde. Il publie ses poèmes sous le pseudonyme de Pen men (Tête de pierre) puis de Bleimor (loup de mer). source : http://calloch.jp.free.fr/Pages/fspoete.htm
Le poème qui suit, Me zo ganet e-kreiz ar mor a été mis en musique par Jef Le Penven et est devenu une chanson traditionnelle bretonne :
Me zo ganet é kreiz er mor(trois premières strophes)
Me zo ganet é kreiz er mor Tèr lèu ér méz; Un tiig gwenn duhont em-es, Er benal 'gresk etal en nor Hag el lann e hol en anvez. Me zo ganet é kreiz er mor, E bro Arvor
Me zad e oé, èl é dadeu, Ur matelod; Béùet en-des kuh ha diglod - Er peur ne gan dén é glodeu - Bamdé-bamnoz ar er mor blod. Me zad e oé, el e dadeu, Stleijour-rouédeu.
Me mamm eùé e laboura - Ha gwenn hé blèu -; Geti, en hwéz ar on taleu, Disket em-es bihannig tra, Médein ha tennein avaleu. Me mamm eùè e laboura D'hounid bara...
...
Jean Pierre Calloc'h (extrait de "Prière dans les ténèbres", dans le recueil "A genoux", Paris 1914)
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traduction :
Je suis né au milieu de la mer
Je suis né au milieu de la mer
Trois lieues au large;
J'ai une petite maison blanche là-bas,
Le genêt croît près de la porte,
Et la lande couvre les alentours.
Je suis né au milieu de la mer,
Au pays d'Armor.
Mon père était comme ses pères
Un matelot.
Il a vécu obscur et sans gloire,
- Le pauvre, personne ne chante ses gloires -
Tous les jours, toutes les nuits sur la mer souple
Mon père était comme ses pères,
Traîneur de filets.
Ma mère aussi travaille, - Malgré ses cheveux blancs -; Avec elle, la sueur à nos fronts, J'ai appris, tout petit, A moissonner et à arracher les pommes de terre; Ma mère aussi travaille Pour gagner du pain ...
Xavier Grall
(1930-1981) est un journaliste et poète breton d'expression française,
mais avec quelle force il revendique son identité ! Sa poésie est toute
entière de roc, de lande et d'océan, et d'humanité. Voici quelques
éloges de sa Bretagne.
"Latins, vous m’avez crevé les yeux ! Je suis Celte. Je suis Breton. Je suis le barde condamné. Ma démence fait ma force. Parfois, au fond de l’ivresse, flamboie la voyance."
Les vieux de chez moi ont des îles dans les yeux Leurs mains crevassées par les chasses marines Et les veines éclatées de leurs pupilles bleues Portent les songes des frêles brigantines
Les vieux de chez moi ont vaincu les récifs d'Irlande Retraités, usant les bancs au levant des chaumières Leurs dents mâchonnant des refrains de Marie Galante Ils lorgnent l'horizon blanc des provendes hauturières
Les vieux de chez moi sont fils de naufrageurs leurs crânes pensifs roulent les trésors inouïs des voiliers brisés dans les goémons rageurs et luisent leurs regards comme des louis !
Les vieux de chez moi n'attendent rien de la vie ils ont jeté les ans, le harpon et la nasse mangé la cotriade et siroté l'eau-de-vie La mort peut les prendre, noire comme pinasse
Les vieux ne bougeront pas sur le banc fatigué Observant le port, le jardin, l'hortensia Ils diront simplement aux Jeannie, aux Maria "Adieu les belles, c'est le branle-bas"
Et les femmes des marins fermeront leurs volets
Xavier Grall ("La Sône des pluies et des tombes", 1976)
Viens avec moi je te dirai le cri des sternes et le psaume des pierres levées (...) Viens avec moi je te dirai les dieux fraternels dans les chapelles bleues Viens nous inventerons un pays mystique violentes seront les femmes comme des solstices il y aura des nids chantants dans les poutres les nefs seront pleines d'hirondelles.
Angèle Vannier (1917-1980) est une romancière et poétesse française de Bretagne (elle écrit ses poèmes en français).
Pierre
Pierre je compatis à ta vie lente et dure Même le saule en pleurs ne me déchire pas Comme le verbe d’or caché sous ton armure.
J’entrerai dans ta nuit dans la nuit de Noël Et quand tu te mettras à tourner sur toi-même Tu sauras qu’une seule enfant des hommes t’aime Et se souvient d’avoir été semblable à toi.
Bruyères de mon sang pardonnez-moi l’adieu Que je vous ai donné sans détourner la tête Je suis de ce granit qui pense et qui ne peut Traduire pour Jésus sa prière muette.
Règne du minéral ouvre-moi ton église Et travaillons ensemble à refuser l’hiver Pierre levée nous prévaudrons contre l’enfer Le diable et ses petits ricanent dans la brise Et qu’ils fassent leurs dents leurs ongles sur nos chairs Qui durent lentement debout face à la mer.
La lavandière(première et dernière strophes du poème)
La lavandière est mon amie Ses cheveux roux sont des ruisseaux Ses cheveux mènent à l'amour. La lavandière est jeune fille Elle a volé ma chanson d'eau Pour laver le suil de l'auberge.
…
Lavandière lavant la vie Nous suivons le même chemin Celui de l'eau celui des mains. La lavandière est mon amie.
Angèle Vannier ("Songes de la lumière et de la brume" - éditions Savel, 1947)
FRANCE
PROVENCE - OCCITANIE
La langue d'Oc, observeront les
lecteurs attentifs, est différente à l'oral et à l'écrit selon les
régions (et même à l'intérieur d'une même région). Témoin ces textes,
de Provence et de Languedoc.
Frédéric Mistral (1830-1914) est un écrivain et
poète provençal, prix Nobel de littérature en 1904.Il fonde en 1854
avec d'autres poètes provençaux, le Félibrige, pour défendre les cultures régionales traditionnelles et la langue occitane.
"Les arbres aux racines profondes sont ceux qui montent haut" Frédéric Mistral
Sextius Michel 1827-1906) est né à Sénas (Provence). Il "monté à Paris", avec ses premiers poèmes. Il sera président des félibres (voir ci-dessus Frédéric Mistral) de Paris et maire du XVe arrondissement, de 1871 à sa mort.
Il
est le fondateur d'une des premières Caisses des écoles de Paris, pour
financer les cantines scolaires, d'une colonie de vacances, ainsi que
d'une mutualité scolaire (en 1900).
Les hirondelles(légende)
Les hirondelles ont fait leur nid dans la toiture ensoleillée d'un petit château. L'aube rit aux piaulements de la nichée.
Vivait dans ce paradis une charmante dame adorée d'un galant jouvenceau du pays. Oh ! Quels tendres embrassements !
Un jour, crime ou folie, on la trouva morte dans son lit, la jeune dame, hélas ! toute seule.
L'amant avait disparu. Revient l'été avec le ciel bleu, mais ne reviennent pas les hirondelles.
Sextius Michel ("Le long du Rhône et de la mer") ("Long dóu Rose e de la mar" - Flammarion et Roumanillo 1892)
... (lire la traduction du poème "Li dindouleto" en cliquant sur l'image ci-contre >)
Louisa Paulin (1888-1944)
a vécu dans le Tarn (naissance à Réalmont), où elle a été institutrice.
Elle écrit ses poèmes d'abord uniquement en français, puis en français
et en occitan.
“Je me suis mise à la langue d'Oc par repentir d'avoir si longtemps ignoré mon pays et peut-être de l'avoir un peu méprisé”
On ne connaît généralement de Louisa Paulin que ses poèmes en
français. Voici deux textes qu'elle a écrits dans les deux langues :
La cançon del silenci.
Vèni, ausirem, anuèit, la Cançon del silenci, la cançon que comença, quand s'escantís, la nuèit, lo cant del rossinhòl ; la cançon que s'ausís al doç cresc de l'erbeta, la cançon de l'aigueta que se pausa, un moment, al rebat d'un ramèl ; la cançon de la branca que fernís e que dança desliurada del pes amorós d'un ausèl ; la secreta conçon breçant l'ombra blavenca del lir còrfondut de promessa maienca, qu'espèra, per florir, un signe del azur.
en français :
La chanson du silence
Viens, nous entendrons, ce soir, la chanson du silence, la chanson qui commence, quand s'achève, la nuit, le chant du rossignol ; la chanson qu'on entend à la douce croissance de l'herbe, la chanson de l'eau vive qui se repose, un moment, au reflet d'un rameau ; la chanson de la branche qui frissonne et qui danse délivrée du poids amoureux d'un oiseau ; la secrète chanson berçant l'ombre bleuâtre du lis défaillant de promesse printanière, qui attend, pour fleurir, un signe de l'azur.
Louisa Paulin
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Fum
Non, non, anuèit vòli fugir l'ostal ! Vòli lo fial de lum que s'estira suls camps Quand lo lauraire aluca un fuòc d'erbassas. O fial de fum, vèni ligar un raive, Un rave que m'escapa – coma tu, lial de fum – Per fugir cap a las estelas.
Louisa Paulin ("Sorgas")
en français :
Fumée
Non, non, ce soir je veux fuir la maison ! Je veux le fil de fumée qui s'étire sur les champs Quand le laboureur allume un feu de mauvaises herbes. Ô fil de fumée, viens lier un rêve, Un rêve qui m'échappe – comme toi, fil de fumée – Pour fuir vers les étoiles.
Béatrice de Die(XIIe siècle). C'est en Provence et en langue d'oc que les poèmes de la comtesse Béatrice de Die sont chantés par les troubadours.
Voici un poème, en occitan, suivi de sa traduction en français moderne (source : www.horslesmurs.ning.com )
Estat ai en greu cossirier (extrait)
Estat ai en greu cossirier per un cavallier qu'ai agut, e vuoil sia totz temps saubut cum ieu l'ai amat a sobrier; ara vei qu'ieu sui trahida car ieu non li donei m'amor don ai estat en gran error en lieig e quand sui vestida.
Ben volria mon cavallier tener un ser en mos bratz nut, qu'el s'en tengra per ereubut sol qu'a lui fezes cosseillier; car plus m'en sui abellida no fetz Floris de Blanchaflor: ieu l'autrei mon cor e m'amor mon sen, mos huoillis e ma vida. ...
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Grande peine m'est advenue (extrait)
Grande peine m'est advenue par un chevalier que j'ai eu. je veux qu'on sache toujours que j'ai pour lui tant d'amour. à présent me voilà trahie, pour ne lui point donner d'amour quand je fus en grande folie, au lit comme toute vêtue.
Je voudrais mon chevalier tenir un soir dans mes bras nus ; il en serait comblé de joie si je lui servais de doux coussin; je suis plus amoureuse de lui qu'un jour Flore de Blanchefleur, je lui donne mom amour et ma vie, mon âme, mes yeux et mon coeur. ...
Béatrice de Die (la traduction en français est de Pierre Seghers)
FRANCE d'OUTREMER
MARTINIQUE
Marie-Magdeleine Carbet, née en 1902 en Martinique, était romancière, auteur de contes pour enfants, et poète ("Mini-poèmes sur trois méridiens" - 1977).
Le ruisseau
Le ruisseau qui glisse
Son filet d'eau claire
Parmi l'herbe lisse En sait long La lon laire En sait long Laire lon
Marie-Magdeleine Carbet
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L’acacia
Le vent Passait, pleurant. L’acacia dit : Vent d’automne Au front gris, Tu t’ennuies : Je te donne Mes feuilles. Prends, cueille Et va jouer au volant Avec ton amie La pluie. Le printemps, En son temps, M’en fera de plus jolies !
La Nouvelle-Calédonie, cet archipel d'Océanie, ancienne colonie française, a acquis un statut d'autonomie, et selon les accords de Nouméa négociés en 1998, un référendum doit décider, à partir de 2014, de son indépendance ou de son maintien dans la République française. Les kanak (en français canaques) sont les Mélanésiens autochtones. Le mot "kanak", invariable, signifie "homme". La langue officielle est le français, mais ils parlent de nombreuses langues locales indigènes (dont le drehu, dans les Îles Loyauté), la plupart étant des langues orales. Le drehu possède aujourd'hui une écriture et une grammaire et est enseigné à l’Institut National des Langues et Civilisations Orientales. On peut écouter ici un récit en drehu, une des langues kanak parlées en Nouvelle-Calédonie (à Ouvéa). Erratum: un lecteur nous signale que "la langue drehu est parlée à Lifou et non Ouvéa (où on parle le Iaai)". Vous voudrez bien accepter nos excuses. Un lien ici, qui précise que le drehu est la langue kanak qui a le plus de locuteurs : http://fr.wikipedia.org/wiki/Drehu
Déwé Gorodey, née en 1949 est une écrivaine kanak. Elle occupe des fonctions importantes dans le gouvernement Calédonien.
Araucaria
Araucaria pin colonnaire* qui troue le ciel de mon pays de son tronc s'étirant vers les souvenirs inavoués de mon peuple humilié réfugié dans le ciel des prières
pour oublier
Araucaria arbre à palabres de clans et tribus trahis sur cette terre qui est leur leurs paroles figées dans ta dure résine solide je les dirai en face car je ne veux
PAS OUBLIER
Je les écrirai là où je le pourrai du mieux que je le pourrai ici et maintenant car
j'ai beau chercher la nuit le jour je ne vois rien d'autre dans le ciel que pour éclairer ma mémoire
Le pin colonnaire, comme son nom l'indique, est un arbre qui pousse tout en hauteur et qui peut s'élever jusqu'à 50 m. Dewe Gorodey ("Sous les Cendres des Conques", 1974)
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Le passage ci-dessous est emprunté ici : http://www.ac-noumea.nc/histoire-geo/progexam/doc/placeteroledelafemme.pdf
Utê Mûrûnû, petite fleur de cocotier
Peut-être est-ce depuis ce temps là que, parfois, seule aux champs, j’entends les voix de la Terre. Ces voix de la Terre, enseignait donc ma grand-mère Utê Mûrûnû, n’étaient autres que celles de la mère, celle de la femme. Et elles s’adressaient en premier lieu à nous les femmes qui, mieux que personne, pouvions les comprendre. Porteuses de semences, nous étions lardées d’interdits, marquées de tabous comme autant de pierres pour obstruer la vie. [..] Ädi, perles noires du mariage coutumier, nous étions échangées comme autant de poteries scellant une alliance entre deux guerres. Voies et pistes inter claniques, nous survivions tant bien que mal à nos enfances et à nos pubertés trop souvent violées par des vieillards… »
Peu après le retour à la terre de notre grand-mère Utê Mûrûnû, qui s’éteignit au tout début de ce siècle, nos pères et nos grands-pères m’accompagnèrent chez nos utérins de l’autre coté, pour m’offrir à l’un de nos vieux cousins, polygame dont je devins alors la plus jeune des femmes. [….] J’étais à peine pubère et aucun garçon ne m’avait approchée. Les grands-mères, tantes et soeurs aînées qui étaient là, les premières épouses, se chargèrent de parfaire mon éducation. […] Les unes et les autres me nourrissaient, m’épouillaient, me soignaient. Les unes et les autres m’ordonnaient les tâches quotidiennes, m’emmenaient aux champs, m’initiaient au tissage et à la vannerie, m’apprenaient les récits du clan, les chants et les danses de femmes. Ce fut la plus vieille d’entre elles […] qui m’accompagna au fil des nuits dans la case de notre grand cousin.
Déwé Gorodey ("Utê Mûrûnû, petite fleur de cocotier" - Grain de sable, EDIPOP, 1994)
J'aime un pays brûlé par le soleil, Terre des vastes plaines, Des chaines de montagne déchiquetées, De la sécheresse et des inondations. J'aime ses horizons lointains, J'aime le bijou qu'est sa mer, Sa beauté et sa terreur La grande terre brune pour moi !
Soleil serpent œil fascinant mon œil et la mer pouilleuse d'îles craquant aux doigts des roses lance-flamme et mon corps intact de foudroyé l'eau exhausse les carcasses de lumière perdues dans le couloir sans pompe des tourbillons de glaçons auréolent le cœur fumant des corbeaux nos cœurs c'est la voix des foudres apprivoisées tournant sur leurs gonds de lézarde transmission d'anolis au paysage de verres cassés c'est les fleurs vampires à la relève des orchidées élixir du feu central feu juste feu manguier de nuit couvert d'abeilles mon désir un hasard de tigres surpris aux soufres mais l'éveil stanneux se dore des gisements enfantins et mon corps de galet mangeant poisson mangeant colombes et sommeils le sucre du mot Brésil au fond du marécage.
Aimé Césaire ("Les Armes miraculeuses" - éditions Gallimard, 1946 et 1970). Lieucommun a emprunté ce poème à l'Anthologie de la nouvelle poésie nègre et malgache, de Léopold Sédar Senghor (éditions Quadrige/PUF, 1948). Cet ouvrage est épuisé mais on le trouve d'occasion. Voici un autre texte d'actualité, ajouté ce 21 avril, preuve supplémentaire s'il en fallait : "J'habite une blessure sacrée"...