Paul Vincensini, qui se disait archiviste
du vent, est né en 1930. Il a disparu en 1985, mais vous le trouverez
encore à cette adresse .
"Quand je dis "archiviste du
vent", je parle non de titre honirifique mais de fonction.
Il me faut préciser cependant qu'étant déjà - et de longue date -
affecté à la Poussière, les multiples tâches que cela implique font que
je ne suis mis à la disposition du vent qu'à titre de vacataire [...].
Je m'y suis formé à l'École des Mouches. [...]
"
Paul Vincensini
Ses recueils sont
pour la plupart aujourd'hui épuisés, mais la presque totalité de ses textes est rassemblée dans l'ouvrage qui reprend le titre de l'un de ses
recueils : "Archiviste du vent", au cherche midi éditeur (première
parution en 1986).
L'humour de Paul Vincensini est souvent noir, voire
désespéré, et grinçant, mais toujours proche et imagé. Les quelques textes
choisis ici nous semblent parmi les plus adaptés au thème et aux élèves.
"Archiviste du vent" est à se procurer (autour de 10 € en
librairie, et 160 pages de poèmes), pour dénicher d'autres textes selon vos projets et mesurer
la diversité de l'humour de son auteur.
La plupart des poèmes qui suivent ne sont pas titrés. Les titres sont proposés par le blog :
Le champ de blé
Ne réveillez pas ce grand champ de blé né de mon souffle.
Paul Vincensini ("Le point mort" - Éditions Chambelland, 1969)
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On se reconnaîtra peut-être dans les paysages de Paul Vincensini, familiers et vivants :
Le vent
Le vent seul
Fait ce qu'il est
Ce qu'il veut
Le vent qui fait commerce à la criée
D'herbes noires
Et de pierres brûlées
Paul Vincensini ("Archiviste du vent" poème inédit - Le cherche midi éditeur, 1986)
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L'ombre est bleue (c'est le titre du recueil)
Ce chemin bleu dans l'ombre
Etait si beau
Que je t'ai gardée en souvenir de lui
Paul Vincensini ("L'ombre est bleue", dans le recueil "Quand même suivi de L'ombre est bleue et de Le chemin des oiseaux", Éditions
St-Germain-des-Prés, 1976)
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Le chemin
Attention Promeneurs Danger
Le chemin se tourne sur le côté
Et dort à poings fermés
Contre le flanc de la colline
Paul Vincensini ("Le
chemin des oiseaux", dans le
recueil "Quand même suivi de L'ombre est bleue et de Le
chemin des oiseaux", Éditions
St-Germain-des-Prés, 1976)
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L'arbre
Par la violence de son vertige
L'arbre a jailli du sol vaincu
Dans l'air où les oiseaux pleuraient
Une fleur au travail
Une abeille au galop
Un couteau dans son poitrail
Le sang du cheval blanc coule au trot
La chaleur arrondit la montagne
Mais glisse sur le tronc de l'arbre
Les feuilles et les tiges
Comme caillou dans la main
Une rivière suffit au rocher
Pour qu'il devienne enfant
La nuit le vent peuple l'arbre
De vieilles femmes aux dessous blancs
Mais à l'aurore ce sont déjà des fleurs
Qui se travaillent en fruits
Tout oiseau qui a touché à l'arbre
Doit mourir de son chant
Ses poussières et son chant
restent propriété de l'arbre
Paul Vincensini ("Des paniers pour les sourds" - Éditions Chambelland, 1969)
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Moisson
Dans un champ de blé
Avance une chevelure
Qui lui ressemble
Celle qui la porte
N'a d'yeux que pour les oiseaux
Qui fuient à son approche
Et moi
Je ne vois qu'elle
Paul Vincensini ("De bleu et d'ombre" -
Éditions
St-Germain-des-Prés)
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Petite nuit
Quand il fait nuit
La nuit se prend dans ses bras
Et dort sur son épaule
Comme un lilas
Paul Vincensini ("Qu'est-ce qu'il n'y a ?" - Collection "L'enfant
la Poésie", éd. Saint-Germain-des-Prés,1975)
Le vent
La nuit
Il y a des arbres
Où le vent s'arrête
Sans bruit, se déshabille
Et au matin les gens de la vallée
Disent avec un sourire
Cette nuit le vent s'est calmé
Paul Vincensini ("Qu'est-ce qu'il n'y a ?" -
Collection "L'enfant
la Poésie", éd. Saint-Germain-des-Prés,1975)
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Plein ciel
L'oiseau seul
A tout le ciel
Pour s'étirer dans tous les sens
Paul Vincensini ("Quand même", dans le recueil "Quand
même suivi de L'ombre est bleue et de Le chemin des
oiseaux", Éditions
St-Germain-des-Prés, 1976)
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Moi au printemps j'ai tout
Moi j'ai tout en même temps
A ma petite fenêtre
Les genêts les oiseaux
Les coquelicots
Et la lune
Paul Vincensini ("Toujours et Jamais", Culture et pédagogie, Grignan, 1982)
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Hiver
Le vent d’hiver dérange tout
Les Poisseaux
Les Oisons
La rivière dans les arbres
Le froid fait peur à tout le monde
Mais au coeur de la pierre
Il fait chaud
Et on entend une musique
Paul Vincensini ("Pour un musée des amusettes" - L'École des Loisirs, 1976)
Renée Vivien (1877-1909), née de mère américaine et de père anglais, a écrit toute son oeuvre en français. C'est une poète parnassienne (théorie de l'art pour l'art excluant à priori tout lyrisme et sentimantalisme excessif). Théorie avec laquelle elle aura pris ses distances, en femme libre et amoureuse.
Ses paysages sensuels s'habillent de couleurs et adoptent les formes féminines des amoureuses, présentes ou évoquées dans chacun des poèmes de ses recueils :
Roses
du soir
Des roses sur la mer, des roses dans le soir,
Et
toi qui viens de loin, les mains lourdes de roses !
J'aspire ta
beauté. Le couchant fait pleuvoir
Ses fines cendres d'or et ses
poussières roses...
Des roses sur la mer, des roses dans le soir.
Un
songe évocateur tient mes paupières closes.
J'attends, ne sachant
trop ce que j'attends en vain,
Devant la mer pareille aux boucliers
d'airain,
Et te voici venue en m'apportant des roses...
Ô
roses dans le ciel et le soir ! Ô mes roses !
Renée Vivien ("Évocations", 1903 - réédition dans "Renée Vivien - Œuvres poétiques, 1901-1903", éditions Paléo, 2007)
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Chanson
Le soir verse les demi-teintes
Et favorise les hymens
Des véroniques, des jacinthes,
Des iris et des cyclamens.
Charmant mes gravités meurtries
De tes baisers légers et froids,
Tu mêles à mes rêveries
L’effleurement blanc de tes doigts.
Renée Vivien ("Études et préludes", 1901 - réédition dans "Renée Vivien - Œuvres poétiques, 1901-1903", éditions Paléo, 2007)
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Les Arbres
Dans l'azur de l'avril, dans le gris de l'automne,
Les arbres ont un charme inquiet et mouvant.
Le peuplier se ploie et se tord sous le vent,
Pareil aux corps de femme où le désir frissonne.
Sa grâce a des langueurs de chair qui s'abandonne,
Son feuillage murmure et frémit en rêvant,
Et s'incline, amoureux des roses du Levant.
Le tremble porte au front une pâle couronne.
Vêtu de clair de lune et de reflets d'argent,
S'effile le bouleau dont l'ivoire changeant
Projette des pâleurs aux ombres incertaines.
Les tilleuls ont l'odeur des âpres cheveux bruns,
Et des acacias aux verdures lointaines
Tombe divinement la neige des parfums.
Renée Vivien ("Études et préludes", 1901 - réédition dans "Œuvres poétiques, 1901-1903", éditions Paléo, 2007)
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À la bien-aimée
Vous êtes mon palais, mon soir et mon automne,
Et ma voile de soie et mon jardin de lys,
Ma cassolette d’or et ma blanche colonne,
Mon parc et mon étang de roseaux et d’iris.
Vous êtes mes parfums d’ambre et de miel, ma palme
Mes feuillages, mes chants de cigales dans l’air,
Ma neige qui se meurt d’être hautaine et calme,
Et mes algues et mes paysages de mer.
Et vous êtes ma cloche au sanglot monotone,
Mon île fraîche et ma secourable oasis …
Vous êtes mon palais, mon soir et mon automne,
Et ma voile de soie et mon jardin de lys.
Renée Vivien ("À l’heure des mains jointes", éditions Alphonse Lemerre,1906)
Des poètes suisses de langue française sont présents dans cette catégorie : Nicolas Bouvier, Blaise Cendrars, Philippe Jaccottet, Charles-Ferdinand Ramuz, et Alexandre Voisard ci-dessous.
Alexandre Voisard, poète et écrivain, est né en 1930 à Porrentruy, dans le Jura suisse. Il vit aujourd'hui dans le Jura français, juste de l'autre côté de la frontière. Il a obtenu le Prix de poésie Max Jacob en 1996 pour son recueil Le repentir du peintre (éditions Empreintes). L'un des derniers ouvrages en date est Fables des orées et des rues, (éditions Bernard Campiche, 2003).
Écrit sur un mur (titre du recueil, début et passages)
L’amour a les cheveux du monde, la voix de tous les jours, et les flèches du soleil. Il court quand il veut, si les saisons de miel s’arrêtent de tourner ou si la folie monte la garde aux carrefours. L’amour s’as- sied où il peut, sur les murs de la mélancolie ou sur les chevaux maigres de la pluie. L’amour ne voit pas ce qu’il fait, il caresse les rivières et bâtit son aurore à midi. L’amour s’endort sur les clous des étoiles. L’amour n’a pas de nom.
[...]
L’amour fera le tour de la terre sur un grand cheval en roses rouges, apprendra à connaître la flore de chaque pays et ouvrira les brèches dans les murailles du vent. Des petits oiseaux gris et curieux le suivront sur les océans avec de la douceur au coin de l’œil. L’amour descendra lentement hors des jour- nées d’avril et il fera le tour du monde sur une rose rouge.
[...]
Je n’ai pas chanté les rivières et les épines du monde pour qu’on croie à ma folie. J’ai souffert quelque fois de l’atrocité de mes mains pâles en face du soleil. J’ai crié souvent à cause de la solitude qui ne m’apportait pas le fruit tant attendu de l’amour et du temps. J’ai chanté pour qu’on me reconnaisse entre les millions d’amoureux. Ce que je chante et que je cherche, je le trouverai peut-être pendant la fête humide du sommeil.
Je marcherai longtemps sous les rues des étoiles, avec des pas serrés sur la croix de la nuit. Je ne pourrai pas croire à la multiplication des jours et les anges glacés de la solitude glisseront doucement contre les parois du vent. Mon regard naîtra comme une perle avec l’habitude de l’aube. Que de jours sans blessure à jeter encore à la mer !
Le printemps n’est pas ce jeu de hasard et d’amour où le soleil exerce ses ongles sur l’ardoise. Pourquoi faut-il tant de courage pour s’abaisser vers le rosier maigre des secrets? Le printemps n’entre pas dans la forêt des hommes, il marche très lentement entre les ruisseaux ouverts. Que se dresse enfin l’ombre, faisant crier l’écorce, qu’une main plonge au profond du printemps, où gît tant d’or timide et sans raison.
Que ferons-nous si le printemps s’arrête de tourner autour de nous et si l’oiseau du temps quitte soudain nos épaules ? Comme tout serait facile si les rideaux s’ouvraient sur une cage toute neuve au coin du paysage de verre. Un seul pas à marquer dans le sable délicat. Un seul pas, et ce n’est pas le pire de nos jeux d’enfants tristes.
[...]
Tous ils viennent s’accouder à cette fenêtre rose. Les paysages qu’on voit de là-haut n’ont aucune histoire et ne ressemblent à aucun paradis: on ne voit que les arbres du silence, debout et pantelants de solitude, à bout de souffle. Quelquefois aussi on voit les oiseaux de la mer qui cherchent les petites îles où mourir.
[...]
Plus qu’un seul oiseau à attendre dans la haie. Celui-là aura le plus beau chant et viendra se poser à côté de la dernière rose. Il aura traversé tous les déserts et connu toutes les sortes de sable. Il ne craindra pas les grèves déchirées où nos rêves prenaient contact avec l’océan et les parfums des îles. Tous les chèvrefeuilles le salueront et la pluie n’aura plus à se baisser pour rencontrer son front.
[...]
Alexandre Voisard ("Écrit sur un mur", Éditions du Provincial, Porrentruy - Suisse, 1954)
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La quasi totalité des extraits proposés ci-dessous, jusqu'à la fin du paragraphe consacré à Alexandre Voisard, ont été empruntés au site de son éditeur, qui a la générosité de les mettre en ligne. D'autres textes non reproduits sur ce blog sont visibles ici (copier-coller le lien dans un navigateur) :
http://www.campiche.ch/
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Le muguet perdu (première partie)
Nous avions arpenté la forêt insoucieusement tout l'après-midi, sur des sentiers de framboisiers, quand à l'orée d'une clairière la présence odorante d'une touffe de muguet nous étreignit. Nous fîmes un petit bouquet de cette fleur si belle, que nous connaissions un peu pour l'avoir rencontrée une seule fois dans quelque jardin très châtié. Quelle surprise heureuse nous réservions à maman et quelle joie en nous aussitôt tandis que, vautrés parmi les aspérules et grisés de tant de parfums, nous dévorions notre part de brioche ! Plus tard, à l'instant de pousser la lourde porte d'entrée de la demeure familiale, l'un de nous s'écria : "On a oublié le bouquet..." Consternés, nous retournâmes sur nos pas jusqu'à la haie qui avait hébergé notre agape. Nous eûmes beau fouiller et refouiller le sous-bois en tous sens avec des yeux d'épervier, le muguet resta introuvable. S'était-il enfui ?
[...]
Alexandre Voisard (recueil "Le Muguet perdu", inclus dans "Sauver sa trace", Éditions Bernard Campiche, 2000)
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Certaines des "Fables des orées et des rues", qui suivent, surprendront le lecteur par l'audace du propos, et au détour d'une phrase par la rencontre abrupte d'un terme choisi. Il faudra veiller à la présentation de ces petites histoires, mais d'évidence, elles ne sont pas destinées à un trop jeune public :
L'artiste à l'œuvre
De bas en haut
celui qu'on nommait l'Artiste
a léché l'étendard de la survie
de long en large
il en a baisé tous les ourlets
dans le désarroi des oiseaux migrants
il s'en remet pour l'avenir
aux liturgies de la flore
aux jurisprudences de la faune
grâce auxquelles le papier ne tremblera
plus sous le crayon insurgé.
Alexandre Voisard ("Fables des orées et des rues", Éditions Bernard Campiche, 2003)
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Légende des ingénieurs
Ils effacent les montagnes
ils enfouissent les collines
ils exilent fleuves et ruisseaux
à chacun ils assignent son lit
ils n’entendent que d’une oreille
et ne parlent que leur jargon lourd
ils ne sont pas innombrables
et pourtant on ne les recense pas
comme les honnêtes trafiquants de foire
adressez-leur un compliment
ils vous tendent l’autre joue
ils ont refait le monde.
Alexandre Voisard ("Fables des orées et des rues", Éditions Bernard Campiche, 2003)
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Le pasteur égaré
Tandis que son troupeau halète
aux abords de ruisseaux en déroute
le bon pasteur qui n’est saint qu’en légende
s’enivre à même le pin de parfums de résine
perd son chemin comme le firent les eaux
on ne s’étonne guère de voir dans les villes
errer toujours plus d’orphelins et de hères
toquer de la corne à la lucarne de nos livres
inondés de larmes anonymes.
Alexandre Voisard ("Fables des orées et des rues", Éditions Bernard Campiche, 2003)
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Un goûter à l'orée
Nous voici réfugiés sous les sapins
piquant le lard avec la mie
pendant que nous pensons à toute autre chose
par exemple à ce qui se passe
en haut dans le bordel des nids
et que récompense la foudre
jusqu’en bas dans la débâcle des racines
tandis que nous frottons la graisse sur nos dents
non nous ne songeons à rien d’autre
n’imaginant même pas le prochain orage
se levant dans nos ventres surpris.
Alexandre Voisard ("Fables des orées et des rues", Éditions Bernard Campiche, 2003)
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La première partie des "Carnets & chroniques" d'Alexandre Voisard porte un joli titre : "Au rendez-vous des alluvions", brèves notes datées d'observation, de poésie et d'humour, qui se rapprochent des poèmes courts, tankas et haïkus. Le découpage est en principe celui des textes originaux. En voici un choix difficile (il n'y a dans ce livre rien à jeter), pour rester dans le thème :
Au rendez-vous des alluvions (extraits choisis par le blog)
Première neige dans le voisinage, petite tache jaune
timide. Surprise : une renoncule, qui n’est tout de
même jamais précoce, égarée dans le temps, prenant
dans l’almanach champêtre la place de la pâquerette.
9/3/87
Neige sur les arbres en fleurs. Dans la giboulée, on
ne distingue plus les pétales blancs qui se confondent
avec la neige, tout étant emporté d’un seul
mouvement par le vent.
3/5/87
Passage de grives auxquelles la contrée convient.
Mauvis et litornes campent depuis près de deux
semaines. Éclairs blancs, éclats roux dans la grisaille
des brumes et des haies.
27/12/89
Les fautes d’accord du merle, sur le coup de trois
heures, font sursauter les feuilles du cerisier. Même
si la brise ne s’y mêle qu’à peine…
27/6/92
Le bai tout frais du chevreuil ranime dans mon oeil
une gamme oubliée.
28/6/92
Débusquée, arrachée à son humus, la chanterelle ne
chante plus. Oh mais comme ses lamelles d’or irradient
dans ma paume…
29/6/92
Le rouge du sureau, au-dessus de la mer des orties,
braille et fait tache.
30/6/92
L’épervier au fond de la forêt se fait ermite. Mangera-t-il ?
Je l’ai vu sombre et impassible.
1/7/92
Si le coudrier te gifle au passage, garde ton sangfroid,
n’insulte pas la forêt. Fais comme si le nuage
venait te souhaiter le bonjour.
6/7/92
Quoi qu’insinue l’ombre de l’épervier, l’alouette ne
choisit pas entre la terre et le ciel.
7/7/92
La transparence d’un chant d’oiseau à elle seule fait
la légèreté du ciel et la liberté de l’air.
11/7/92
Le soir s’ankylose jusqu’à s’empourprer de confusion :
c’est ainsi qu’il te raille.
17/7/92
Que de chemins perdus sous l’entêtement des
feuilles mortes. Que d’allées et venues niées par les
tassements !
31/7/92
Une bonne bise (ici on la dit bonne par antiphrase,
pour signifier son intensité) fait taire les rumeurs les
plus têtues, dans les fourrés comme dans les cimes.
5/8/92
Plus la mûre se fait belle, plus l’épine est méchante …
24/8/92
L’arbre en plein champ
qui si longtemps
nous dansa sur le ventre
n’est plus qu’une tache
dans la brume
tempi passati.
7/10/92
J’avais appris à parler au pré. Je parlais herbe comme
une langue vivante. Aujourd’hui c’est la bise qui me
répond, par vociférations et huées.
12/10/92
Plus son ombre s’amoindrit, plus le chêne me tance,
infiniment. Qu’y puis-je, ô roi de la forêt ?
15/10/92
Merle aux rameaux
prend des airs
merle et demi
fait des trous
dans les pommes.
16/10/92
La sirène de midi
jusqu’au fond des bois
au fond de toi
réveille des tumultes
rabroue les oiseaux plaintifs.
1/11/92
Alexandre Voisard ("Fables des orées et des rues", Éditions Bernard Campiche, 2003)
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Dans le tome IV des Poésies d'Alexandre Voisard, toujours aux Éditions Bernard Campiche, qui édite ainsi l'œuvre complète de l'auteur, on trouve le recueil "Le Déjeu", dont voici deux passages :
[...]
La longue nuit soupçonneuse
en a fini de dévorer
toute pensée hivernale
l’ancêtre n’ira plus aux bois
que pour peser les dernières ramilles
à l’aune de ce filet de mémoire
qui le tient encore d’aplomb
prêt à inaugurer chaque renouveau
d’un coup de langue leste
à l’arête du bourgeon échoué
en sa main.
[...]
L’arbre que terrasse la tempête
ne dit ni hélas ni merci
il s’allonge sur son secret
à son mystère il donne congé
l’au-delà convient aux fuyards
tout est bien.
Alexandre Voisard ("Le Déjeu", dans l'intégrale "Poésie IV", Éditions Bernard Campiche, 1997)
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Encore dans le tome IV des Poésies, le recueil "Louange à qui rêve debout" :
Solitaire au bout du rameau
tremble la tendre feuille
elle est à la fois
le commencement
et l’achèvement
et c’est pourquoi
elle ne se dérobera pas
à l’insulte et aux morsures
de qui se croit
immortel.
[...]
Une fois le jour
accoudé à la colline
tu deviseras avec le merle
tu verras l’air
s’empourprer de mots rares.
[...]
Si dans ta main la plume de geai
se rebelle autant qu’au bonnet du chasseur
rapproche-toi du chemin des écoliers
pour te remémorer comment
l’encre chantait dans l’encrier
ce chant qui te guérit
à jamais des limaces arithmétiques
ne t’étonne pas d’avoir enfant déjà
souffert ce qu’endure
un poète aujourd’hui.
[...]
Si dans ta main la plume de geai
se rebelle autant qu’au bonnet du chasseur
rapproche-toi du chemin des écoliers
pour te remémorer comment
l’encre chantait dans l’encrier
ce chant qui te guérit
à jamais des limaces arithmétiques
ne t’étonne pas d’avoir enfant déjà
souffert ce qu’endure
un poète aujourd’hui.
Alexandre Voisard ("Louange à qui rêve debout", dans l'intégrale "Poésie IV", Éditions Bernard Campiche, 1997)
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Et toujours dans ce tome IV des Poésies, des passages de "Papiers dans la fente du mur" :
(avant l’orage, après des vocalises)
À peine l’homme sauvage
a-t-il tourné la tête
que le vent d’occident
revient sur ses pas
insultant le sable et la paille
raillant les joyeux présages
d’une saison qui tourne à l’aigre
comme l’amanite sous ses masques.
[...]
L’ombre et la lumière
ne jouent pas l’une contre l’autre
fortune et infortune
il suffit d’un nuage prédateur
pour que s’allume
au noir du noyau de charbon
l’intuition astrale
d’une possible parole.
[...]
(Marcher à côté du chêne
n’accélère pas la course
du lierre sur l’écorce
mais la sandale s’use
de sabbat en sabbat
sous la verdure débordante.)
Alexandre Voisard ("Papiers dans la fente du mur", dans l'intégrale "Poésie IV", Éditions Bernard Campiche, 1997)
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