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15 mai 2009

Anna de NOAILLES, Marie NOËL, Germain NOUVEAU - PRINT POÈTES 11 : PAYSAGES en français

La Comtesse Anna de Noailles (1876-1933) est une romancière française, mais c'est surtout par sa poésie sensible et lyrique qu'elle est connue.

"Soyez bénis, porteurs d'infinis paysages,
Esprits pleins de saisons, d'espace et de soupirs."


(extrait d'un poème d'Anna de Noailles adressé aux "Poètes romantiques")

On propose souvent le texte suivant aux élèves du Cycle 2, sans la dernière strophe.

Chaleur

Tout luit, tout bleuit, tout bruit,
Le jour est brûlant comme un fruit
Que le soleil fendille et cuit.

Chaque petite feuille est chaude
Et miroite dans l’air où rôde
Comme un parfum de reine-claude.

Du soleil comme de l’eau pleut
Sur tout le pays jaune et bleu
Qui grésille et oscille un peu.

Un infini plaisir de vivre
S’élance de la forêt ivre,
Des blés roses comme du cuivre.

Anna de Noailles ("L'ombre des jours" - Editions Calmann-Lévy, 1902)

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Autre poème, plus long, du même recueil, ici, on ne propose généralement à la classe que les strophes colorées :

Le jardin et la maison (parfois intitulé Crépuscule)

Voici l’heure où le pré, les arbres et les fleurs
Dans l’air dolent et doux soupirent leurs odeurs.

Les baies du lierre obscur où l’ombre se recueille
Sentant venir le soir se couchent sur leurs feuilles,

Le jet d’eau du jardin, qui monte et redescend,
Fait dans le bassin clair son bruit rafraîchissant;

La paisible maison respire au jour qui baisse
Les petits orangers fleurissent dans leurs caisses.

Le feuillage qui boit les vapeurs de l’étang
Lassé des feux du jour s’apaise et se détend.

Peu à peu la maison entr’ouvre ses fenêtres
Où tout le soir vivant et parfumé pénètre,

Et comme elle, penché sur l’horizon, mon coeur
S’emplit d'ombre, de paix, de rêve et de fraîcheur …

Anna de Noailles ("L'ombre des jours" - Editions Calmann-Lévy, 1902)

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Il fera longtemps clair ce soir ...

Il fera longtemps clair ce soir, les jours allongent,
La rumeur du jour vif se disperse et s'enfuit,
Et les arbres, surpris de ne pas voir la nuit,
Demeurent éveillés dans le soir blanc, et songent...

Les marronniers, dans l'air plein d'or et de splendeur,
Répandent leurs parfums et semblent les étendre;
On n'ose pas marcher ni remuer l'air tendre
De peur de déranger le sommeil des odeurs.

De lointains roulements arrivent de la ville...
La poussière, qu'un peu de brise soulevait,
Quittant l'arbre mouvant et las qu'elle revêt,
Redescend doucement sur les chemins tranquilles.

Nous avons tous les jours l'habitude de voir
Cette route si simple et si souvent suivie,
Et pourtant quelque chose est changé dans la vie,
Nous n'aurons plus jamais notre âme de ce soir.

Anna de Noailles ("L'offrande lyrique", 1912)

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On a découpé ce poème (dont le texte original ne comporte deux parties nettement séparées, marquées ici par des pointillés) en strophes, pour en faciliter l'utilisation en classe :

Matin de printemps

La pluie, enveloppante, ombrage
L'espace, les bois, la prairie,
Et forme sur le paysage
Une cage en verroterie.

C'est la pluie allègre d'avril,
Elle est mince, dansante et lâche
Comme des perles sur un fil.

Elle est joyeuse ! C'est sa tâche
De descendre en jets allongés,
De se glisser, de se loger
Dans les fentes et les entailles
Des bourgeons aux vertes écailles,
Acérés comme un dur métal.

Soudain la voici qui s'arrête
Et qui suspend ses gouttelettes
Comme une glycine en cristal.

...

Déchaînant son étourderie,
Le vent, trébuchant et dansant,
Éparpille sur la prairie
Ses lambeaux d'air réjouissants.

Le soleil renaît, résolu.
Que l'air est bon quand il a plu !

Le sol, que l'onde pénétrait,
Délivre ses parfums secrets :
Odeur de résines, de graines,
Fines essences souterraines,
Secs effluves des minéraux...

La vrille du chant d'un oiseau
Fouille le ciel et le perfore.
L'azur est peinturé d'aurore.
Jamais midi n'a tant brillé.

Tout éclate de bonne chance !
Un jardin, respirant, élance
Ses mois arômes vanillés.

Une poule, ivre de jactance.
Lasse, heureuse, les yeux cillés.
Adresse au poudroyant silence
Son long hoquet ensoleillé...

Anna de Noailles ("Les Forces éternelles", 1920)

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Mêmes raisons pour le découpage à postériori de ce poème, dont on retrouvera la forme originale en supprimant les sauts de paragraphe :

Matin d'été

Le chaud velours de l'air offre à la rêverie
Un divan duveteux où mon esprit s'ébat,
La verte crudité de la jeune prairie
Est pour l'œil ébloui un exaltant repas.

L'ombrage et le soleil quadrillent la pelouse
Où le brûlant matin se repose, encagé ;
Il semble qu'en volant, une guêpe recouse
Le merveilleux éther par ses jeux dérangé.

Mon immobile rêve a l'ampleur d'un voyage ;
J'entends le bruit mouvant et lointain de l'été :
Murmure énigmatique où tout est volupté.

Le ciel, aride et pur, est comme un bleu dallage,
Mon cœur calme bénit les dieux aériens,
Et je croise les mains, n'ayant besoin de rien
Que de penser à toi dans un clair paysage....

Anna de Noailles ("Les Forces éternelles", 1920)

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Les bords de la Marne

La Marne, lente et molle, en glissant accompagne
Un paysage ouvert, éventé, spacieux.
On voit dans l'herbe éclore, ainsi qu'un astre aux cieux,
Les villages légers et dormants de Champagne.

La Nature a repris son rêve négligent.
Attaché à la herse un blanc cheval travaille.
Les vignobles jaspés ont des teintes d'écaille
À travers quoi l'on voit rôder de vieilles gens.

Un automnal buisson porte encor quelques roses.
Une chèvre s'enlace au roncier qu'elle mord.
Les raisins sont cueillis, le coteau se repose,
Rien ne témoigne plus d'un surhumain effort
Qu'un tertre soulevé par la forme d'un corps.

Anna de Noailles ("Les Forces éternelles", 1920)



Marie Noël (1883-1967) est une poète d'inspiration religieuse, à la poésie souvent mélancolique et triste. On lui a décerné le Grand Prix de poésie de l'Académie française en 1962.

Chant de rouge-gorge

Au mois de mai j’avais le cœur si grand
Que pour l’emplir je me suis en allée
Cherchant l’amour sans savoir quelle allée,
Pour le rencontrer, quel chemin on prend …

Rouge-gorge, au fond du bois incolore,
Au bout des sentiers dont il te souvient,
Du printemps, sais-tu s’il en reste encore ?
L’hiver vient …

J’allais, j’allais. Où trouver de l’amour ?
Au bas de la côte, au faîte, derrière ?
Au fond du bois, au bout de la rivière ?
Ici, là-bas, à ce prochain détour ? ...

Rouge-gorge, au fond du bois incolore,
Au bout des sentiers dont il te souvient,
De l’été, sais-tu s’il en reste encore ?
L’hiver vient …

Quand je le vis, je n’osai pas à temps
M’en approcher ou lui faire une avance ;
Je l’attendais ouvrant mon cœur immense …
Il n’est tombé qu’une goutte dedans …

Rouge-gorge, au fond du bois incolore,
Au bout des sentiers dont il te souvient,
Du soleil, sais-tu s’il en reste encore ?
L’hiver vient …

Est-ce là tout, cette goutte, est-ce tout ?
Je voudrais bien recommencer l’année,
La goutte d’eau qui m’était destinée,
Je voudrais bien la boire encore un coup …

Rouge-gorge, au fond du bois incolore,
Au bout des sentiers dont il te souvient,
Des feuilles, sais-tu s’il en reste encore ?
L’hiver vient …

Est-ce bien tout ? ... Peut-être, dans un coin
Que j’oubliai, peut-être avant la neige,
Un peu d’amour encor le trouverai-je,
Peut-être ici, peut-être un peu plus loin…

Rouge-gorge, au fond du bois incolore,
Au bout des sentiers dont il te souvient,
Du bonheur, sais-tu s’il en reste encore ?
L’hiver vient ...

Marie Noël ("Les chansons et les heures" - Editions Crès Et Cie, 1930 et Stock, 1948)

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L'île

Solitude au vent, ô sans pays, mon Île,
Que les barques de loin entourent d’élans
Et d’appels, sous l’essor gris des goélands,
Mon Île, mon lieu sans port, ni quai, ni ville,

Mon Île où s’élance en secret la montagne
La plus haute que Dieu heurte du talon
Et repousse… Ô Seule entre les aquilons
Qui n’a que la mer farouche pour compagne.

Temps où se plaint l’air en éternels préludes,
Mon Île où l’Amour me héla sur le bord
D’un chemin de cieux qui descendait à mort,
Espace où les vols se brisent, Solitude.

Solitude, Aire en émoi de Cœur immense
Qui sans cesse jette au large ses oiseaux,
Sans cesse au-dessus d’infranchissables eaux,
Sans cesse les perd, sans cesse recommence.

Désolation royale, terre folle
Que berce l’abîme entre ses bras massifs,
Mon Île, tu tiens un Silence captif
Qu’interroge en vain la houle des paroles.

Marie Noël ("Chants et Psaumes d'automne" - Éditions Stock, 1947)

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Chant de nourrice

                                     pour endormir Madeleine

Dors, mon petit, pour qu’aujourd’hui finisse.
Si tu ne dors pas, si c’est un caprice,
Aujourd’hui, ce vieux long jour,
Ce soir durera toujours.

Dors, mon petit, pour que demain arrive.
Si tu ne dors pas, petite âme vive,
Demain, le jour le plus gai,
Demain ne viendra jamais.

Dors, mon petit, afin que l’herbe pousse,
Ferme les yeux, les herbes et la mousse
N’aiment pas dans le fossé
Qu’on les regarde pousser.

Dors, mon petit, pour que les fleurs fleurissent.
Les fleurs qui, la nuit, se parent, se lissent,
Si l’enfant reste éveillé,
N’oseront pas s’habiller.

Mais s’il dort, les fleurs en la nuit profonde,
N’entendant plus du tout bouger le monde,
Tout doucement, à tâtons,
Sortiront de leurs boutons.

Quand il dormira, toutes les racines
Descendront sous terre au fond de leurs mines
Chercher pour toutes les fleurs
Des parfums et des couleurs.

Les roses alors et les églantines,
Vite, fronceront avec leurs épines
Leurs beaux jupons à volants
Rouges, roses, jaunes, blancs.

Les nielles feront en secret des pinces
À leur jupe étroite et les bleuets minces
Serreront leur vert corset
Avec un petit lacet.

Les lys du jardin si nul ne les gêne
Iront laver leur robe à la fontaine,
Et le lin qui fit un vœu
Passera la sienne au bleu.

Les gueules du loup et les clématites
Monteront leur coiffe et les marguerites
Habiles repasseront
Leurs bonnets et leur col rond.

Et quand à la fin toutes seront prêtes,
En robes de noce, en habits de fête,
Alors d’un pays lointain
Arrivera le matin.

Et saluant toute la confrérie,
Le matin pour voir la terre fleurie,
Du bout de son doigt vermeil
Rallumera le soleil.

Et pour que l’enfant, mon bel enfant sage,
Voie aussi la terre et son bel ouvrage,
Il enverra le soleil
Le chercher dans son sommeil.

Viens, mon petit, viens voir, chère prunelle,
Pendant ton somme, écoute la nouvelle,
Notre jardin s’est levé …
Aujourd’hui est arrivé !

Marie Noël ("Les chansons et les heures" - Editions Crès Et Cie, 1930 et Stock, 1948)

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Si j'étais plante ... (extrait)

Si j'étais plante, je ne voudrais pas être de ces plantes qui ont trop affaire à l'homme. Ni avoine, ni blé, ni orge parqués, sans pouvoir en sortir, dans un champ en règle (et on ne laisse même pas aux blés leurs bleuets pour se distraire) ni surtout ces légumes soumis et rangés, ces carottes alignées, ces haricots qu'on dirige à la baguette, ces salades qu'on force à pâlir en leur serrant le cœur quand il fait si beau alentour et qu'elles voudraient bien être grandes ouvertes.

J'accepterais encore d'être herbe à tisane, serpolet ou mauve, ou sauge, pourvu que ce fût dans un de ces hauts battus des vents où ne vont les cueillir que les bergers. Mais j'aimerais mieux être bruyère, gentiane bleue, ajonc, chardon au besoin, sur une lande abandonnée, ou même un champignon pas vénéneux, mais pas non plus trop comestible, qui naît dans la mousse, un matin, au creux le plus noir du bois, qui devient rose sans qu'on le voie et meurt tout seul le lendemain sans que personne s'en mêle ...

Marie Noël ("Notes intimes" - Éditions Stock, 1959)


Germain Nouveau (1851-1920) a fréquenté Mallarmé, Jean Richepin et Charles Cros, puis Arthur Rimbaud avec qui il travaille à l'édition des Illuminations . Il sera aussi proche de Verlaine. Après avoir été interné en asile psychiatrique, Germain Nouveau termine son existence dans l'errance et le mysticisme. 

En forêt

Dans la forêt étrange, c’est la nuit;
C’est comme un noir silence qui bruit;

Dans la forêt, ici blanche et là brune,
En pleurs de lait filtre le clair de lune.

Un vent d’été, qui souffle on ne sait d’où,
Erre en rêvant comme une âme de fou;

Et, sous des yeux d’étoile épanouie,
La forêt chante avec un bruit de pluie.

Parfois il vient des gémissements doux
Des lointains bleus pleins d’oiseaux et de loups;

Il vient aussi des senteurs de repaires;
C’est l’heure froide où dorment les vipères,

L’heure où l’amour s’épeure au fond du nid,
Où s’élabore en secret l’aconit;

Où l’être qui garde une chère offense,
Se sentant seul et loin des hommes, pense.

- Pourtant la lune est bonne dans le ciel,
Qui verse, avec un sourire de miel,

Son âme calme et ses pâleurs amies
Au troupeau roux des roches endormies.

Germain Nouveau ("Premiers vers", 1872-1878 -  réédité avec d'autres recueils : "Oeuvres Poétiques violume I - Premiers vers - Dixains réalistes - Notes parisiennes - La doctrine de l' amour", avec une préface de Jacques Brenner, Gallimard 1953)



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15 mai 2009

Jean ORIZET - PRINT POÈTES 11 : PAYSAGES en français

Jean Orizet est né en 1937. Il est l'auteur de nombreux recueils et d'anthologies de poésie, et l'un des fondateurs de la revue Poésie 1, devenue Poésie1/Vagabondages (éditions le cherche midi), première revue de poésie distribuée en kiosques.

Parmi les derniers livres parus de Jean Orizet : Une anthologie de la poésie amoureuse en France (Bartillat, janvier 2008) ; Anthologie de la Poésie Française (Larousse, 2007) ; L'attrapeur de rêves, roman poétique (Melis, 2006) ; et pour les enfants de 7 à 12 ans : Les plus beaux poèmes pour les enfants (le cherche midi, 1997, paru aussi en Livre de Poche, 2004)

Deux poèmes extraits du recueil "Silencieuse entrave au temps" :

Sur la prunelle des saisons (extrait)

Sur la prunelle des saisons
le vent s’éloigne vers les collines embuées.
Je ne suis que l’apprenti
d'un paysage qui sait tout.

Jean Orizet ("Silencieuse entrave au temps", éditions Saint-Germain-des-Prés, 1972)

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En raison de leur difficulté, les trois derniers vers de ce poème sont en principe supprimés du texte proposé aux classes élémentaires :

Haute ponctuation du silence

Sur la neige émiettée de rouges-gorges
les sapins, haute ponctuation du silence,
supportent presque tout le poids de l'hiver.

Leurs branches savent retenir le soleil
ou tisser une trame de bise
pour quelque vêtement solennel

dont l'homme aime à se parer
quand il veut bannir ses phantasmes
aux grandes soldes des saisons.

Jean Orizet ("Silencieuse entrave au temps", éditions Saint-Germain-des-Prés, 1972)

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L'or sous le givre

Grise et blanche
une froide alchimie nocturne
brise l'instant

Au matin
c'est le couperet du soleil
qui tranche

Une pie cherche de l'or
sous le givre
de la branche

Jean Orizet ("Miroir oblique" - Librairie de Saint-Germain des Prés, 1969)



15 mai 2009

Louisa PAULIN, Charles PÉGUY - PRINT POÈTES 11 : PAYSAGES en français

Louisa Paulin , Loïza Paulin en occitan (1888-1944) a vécu dans le Tarn, où elle fut institutrice. Elle a d'abord écrit ses poèmes uniquement en français, puis en français et en occitan.
Je me suis mise à la langue d'Oc par repentir d'avoir si longtemps ignoré mon pays et peut-être de l'avoir un peu méprisé”.

On trouvera sur le site des éditions Vent Terral, des recueils bilingues qu'on peut commander (2 € de frais de port seulement). Mais qu'est-ce qu'on attend ? C'est ici (copier-coller) : http://www.ventterral.com/tema/ome.php?lien=tema#louisa

Chant pour le vent du Sud

O brise du Sud, viens boire la neige
Nous sommes repus de gel et de vent
Un doux pissenlit a tiré de terre
Un petit soleil tout en or vibrant.

O brise du Sud, viens boire la neige
Nous sommes repus de froid et de pluie,
Une pâquerette a tiré de terre
Un petit soleil frangé de sang vif.

O brise du Sud, qu'amour te protège,
Nous avons tous faim et soif d'être heureux
Chaque œil de bourgeon épie, tout peureux,
Ton souffle d'azur qui boira la neige.

Louisa Paulin  ("Rythmes et cadences", éditions du Languedoc, 1947) - On écoutera ce texte, chanté dans le CD "Romances Du Gai Savoir" ; "Le Tombeau de Louisa Paulin", op. 41: V. Chant pour le Vent du Sud - compositeur : Louis-Noel Belaubre ; éditions L'Empreinte Digitale, 1990)

Notez qu'on peut emprunter, si on est enseignant (en tous cas on pouvait), au CDDP du Tarn, la "Mallette pédagogique Louisa Paulin" (Dossier pédagogique 2007 accompagné de poèmes de l'auteure). On trouvera aussi d'autres poèmes d'auteurs occitans, en version bilingue.

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Silenci de l'auton

Silenci de l'auton quand lo vent s'es pausat
doç coma una pluma de palomba
escapada de la negra man del caçaire.
Silenci saure de l'auton
ont s'ausis la darrièra vèspa
e lo mai escondut al plus prigond del còr.

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Silence de l'automne

Silence de l'automne quand le vent s'est posé,
doux comme une plume de palombe
échappée de la noire main du chasseur.
Silence blond de l'automne
où l'on entend la dernière guêpe
et le plus caché au plus profond du cœur.

Louisa Paulin  ("Direm a la nòstra nena", Vent Terral, 1994, bilingue)

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À partir du texte occitan, une version non autorisée de ce poème, très légèrement différente (avec tout le respect qu'on doit à la mémoire de Louisa Paulin). Pour rétablir dans le deuxième vers l'ordre naturel adjectif-nom substantif ("negra man" peut se dire plus naturellement "main noire"), et surtout éviter la répétition dans le dernier vers, absente en occitan. Mais on chipote peut-être  : 

Silence de l'automne

Silence de l'automne quand le vent s'est posé,
doux comme une plume de palombe
échappée de la main noire du chasseur.
Silence blond de l'automne
où l'on entend la dernière guêpe
et ce qui est caché au plus profond du cœur.

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La cançon del silenci.

Vèni, ausirem, anuèit, la Cançon del silenci,
la cançon que comença,
quand s'escantís, la nuèit, lo cant del rossinhòl ;
la cançon que s'ausís al doç cresc de l'erbeta,
la cançon de l'aigueta
que se pausa, un moment, al rebat d'un ramèl ;
la cançon de la branca
que fernís e que dança
desliurada del pes amorós d'un ausèl ;
la secreta conçon breçant l'ombra blavenca
del lir còrfondut de promessa maienca,
qu'espèra, per florir, un signe del azur.

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La chanson du silence

Viens, nous entendrons, ce soir, la chanson du silence,
la chanson qui commence,
quand s'achève, la nuit, le chant du rossignol ;
la chanson qu'on entend à la douce croissance de l'herbe,
la chanson de l'eau vive
qui se repose, un moment, au reflet d'un rameau ;
la chanson de la branche
qui frissonne et qui danse
délivrée du poids amoureux d'un oiseau ;
la secrète chanson berçant l'ombre bleuâtre
du lis défaillant de promesse printanière,
qui attend, pour fleurir, un signe de l'azur.

Louisa Paulin  ("Chants d'amour et de paix" - "Les Amis de Louisa Paulin", 1998) - Aux éditions Vent Terral, les recueils de Louisa Paulin ont été réédités.

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Fum 

Non, non, anuèit vòli fugir l'ostal !
Vòli lo fial de lum que s'estira suls camps
Quand lo lauraire aluca un fuòc d'erbassas.
O fial de fum, vèni ligar un raive,
Un rave que m'escapa
– coma tu, lial de fum –
Per fugir cap a las estelas.

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Fumée

Non, non, ce soir je veux fuir la maison !
Je veux le fil de fumée qui s'étire sur les champs
Quand le laboureur allume un feu de mauvaises herbes.
Ô fil de fumée, viens lier un rêve,
Un rêve qui m'échappe
comme toi, fil de fumée
Pour fuir vers les étoiles.

Louisa Paulin ("Sorgas- Sources", Bibliothèque de la Revue du Tarn, Édouard Privat, 1940 et "Poèmes", Éditions de la Revue du Tarn, 1969) - Aux éditions Vent Terral, les recueils de Louisa Paulin ont été réédités.

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Un texte de René-Guy Cadou commence par ces mêmes vers : "C'était un petit hameau" (voir au paragraphe de cet auteur)

Le hameau

C'était un petit hameau
Qui était entouré d'eau
Comme une île.

Il était clair et tout rond,
Il n'avait qu'un petit pont
Et n'était qu'une presqu'île.

Il n'avait ni pharmacien,
Ni curé, ni médecin,
Ni notaire.

Il n'avait que des maisons
Qui faisaient un petit rond
Sur le terre.

Il n'avait que du soleil,
Que de l'espace et du ciel,
Et du rêve.

Il attendait le printemps,
Il écoutait l'eau, le vent
Et leur rire.

C'était un hameau perdu.
Son nom, personne n'a su
Me le dire.

Louisa Paulin (dans l'anthologie d'Armand Got et Charles Vildrac "La Poèmeraie" - Bourrelier-Colin, 1963 et "Poèmes", Éditions de la Revue du Tarn, 1969) - Aux éditions Vent Terral, les recueils de Louisa Paulin ont été réédités.



Charles Péguy (1873-1914) est un écrivain et poète d'inspiration mystique, catholique.

On trouvera ici le texte intégral de la "Présentation de la Beauce à Notre-dame-de-Chartres", grand poème lyrique, qui situe dans un "océan des blés" le grand vaisseau de la cathédrale de Chartres, et donne au paysage beauceron sa dimension mystique et humaine.

Présentation de la Beauce à Notre-Dame-de-Chartres

Étoile de la mer voici la lourde nappe
Et la profonde houle et l'océan des blés
Et la mouvante écume et nos greniers comblés,
Voici votre regard sur cette immense chape

Et voici votre voix sur cette lourde plaine
Et nos amis absents et nos coeurs dépeuplés,
Voici le long de nous nos poings désassemblés
Et notre lassitude et notre force pleine.

Étoile du matin, inaccessible reine,
Voici que nous marchons vers votre illustre cour,
Et voici le plateau de notre pauvre amour,
Et voici l'océan de notre immense peine.

Un sanglot rôde et court par-delà l'horizon.
A peine quelques toits font comme un archipel.
Du vieux clocher retombe une sorte d'appel.
L'épaisse église semble une basse maison.

Ainsi nous naviguons vers votre cathédrale.
De loin en loin surnage un chapelet de meules,
Rondes comme des tours, opulentes et seules
Comme un rang de châteaux sur la barque amirale.

Deux mille ans de labeur ont fait de cette terre
Un réservoir sans fin pour les âges nouveaux.
Mille ans de votre grâce ont fait de ces travaux
Un reposoir sans fin pour l'âme solitaire.

Vous nous voyez marcher sur cette route droite,
Tout poudreux, tout crottés, la pluie entre les dents.
Sur ce large éventail ouvert à tous les vents
La route nationale est notre porte étroite.

Nous allons devant nous, les mains le long des poches,
Sans aucun appareil, sans fatras, sans discours,
D'un pas toujours égal, sans hâte ni recours,
Des champs les plus présents vers les champs les plus proches.

Vous nous voyez marcher, nous sommes la piétaille.
Nous n'avançons jamais que d'un pas à la fois.
Mais vingt siècles de peuple et vingt siècles de rois,
Et toute leur séquelle et toute leur volaille

Et leurs chapeaux à plume avec leur valetaille
Ont appris ce que c'est que d'être familiers,
Et comme on peut marcher, les pieds dans ses souliers,
Vers un dernier carré le soir d'une bataille.

Nous sommes nés pour vous au bord de ce plateau,
Dans le recourbement de notre blonde Loire,
Et ce fleuve de sable et ce fleuve de gloire
N'est là que pour baiser votre auguste manteau.

Nous sommes nés au bord de ce vaste plateau,
Dans l'antique Orléans sévère et sérieuse,
Et la Loire coulante et souvent limoneuse
N'est là que pour laver les pieds de ce coteau.

Nous sommes nés au bord de votre plate Beauce
Et nous avons connu dès nos plus jeunes ans
Le portail de la ferme et les durs paysans
Et l'enclos dans le bourg et la bêche et la fosse.

Nous sommes nés au bord de votre Beauce plate
Et nous avons connu dès nos premiers regrets
Ce que peut receler de désespoirs secrets
Un soleil qui descend dans un ciel écarlate

Et qui se couche au ras d'un sol inévitable
Dur comme une justice, égal comme une barre,
Juste comme une loi, fermé comme une mare,
Ouvert comme un beau socle et plan comme une table.

Un homme de chez nous, de la glèbe féconde
A fait jaillir ici d'un seul enlèvement,
Et d'une seule source et d'un seul portement,
Vers votre assomption la flèche unique au monde.

Tour de David voici votre tour beauceronne.
C'est l'épi le plus dur qui soit jamais monté
Vers un ciel de clémence et de sérénité,
Et le plus beau fleuron dedans votre couronne.

Un homme de chez nous a fait ici jaillir,
Depuis le ras du sol jusqu'au pied de la croix,
Plus haut que tous les saints, plus haut que tous les rois
La flèche irréprochable et qui ne peut faillir...

Charles Péguy ("Présentation de la Beauce à Notre-Dame-de-Chartres")



15 mai 2009

Benjamin PÉRET, Cécile PÉRIN - PRINT POÈTES 11 : PAYSAGES en français

Benjamin Péret (1899-1959) est un poète français surréaliste ("Le Grand jeu", 1928 édité dans la collection  Poésie/Gallimard en 1969). Membre actif du Mouvement Dada (voir Breton, Desnos, Tzara...), il est celui qui a le plus exploré et pratiqué l'écriture automatique. Dans ses poèmes, il dérange avec humour le sens du texte et des mots, en toute liberté. Révolutionnaire, contre toutes les institutions, il s'engage aux côtés des Républicains en 1936 pendant la guerre civile d'Espagne.
Sur sa tombe on peut lire cette épitaphe qui lui avait sans doute tenu lieu de règle de vie : "Je ne mange pas de ce pain-là."

Les temps révolus

Le soleil de ma tête est de toutes les couleurs
C'est lui qui brûle les maisons
de paille
où vivent les seigneurs échappés des cratères
et les belles dames qui naissent chaque matin
et meurent chaque soir
comme les moustiques
Moustique de toutes les couleurs
que viens-tu faire ici
II fait un soleil de chien
et la houle secoue les montagnes
maintenant que les montagnes
nagent sur une mer de lumière
une mer sans vie sans poids sans chaleur
où je ne mettrai pas le bout de mon pied

Benjamin Péret ("Le grand jeu", 1928,  Gallimard, réédité en Poésie-Gallimard, 2001)



Cécile Périn (1877-1959) - Autre temps, autres moeurs : "Cécile Périn, née à Reims le 29 janvier 1877, fit ses études au lycée de sa ville natale. Elle eut de bonne heure le culte de l'Art, et se voua toute jeune à la poésie. De petites feuilles locales accueillirent ses premiers essais. Elle s'adonna aussi pendant quelque temps à la sculpture, mais elle dut l'abandonner après son mariage avec le poète Georges Périn"... ("Poètes d'hier et d'Aujourd'hui", Gérard Walch, Delagrave, 1916) 

Aube

Un invisible oiseau dans l’air pur a chanté.
Le ciel d’aube est d’un bleu suave et velouté.

C’est le premier oiseau qui s’éveille et qui chante.
Écoute ! Les jardins sont frémissants d’attente.

Écoute ! Un autre nid s’éveille, un autre nid,
Et c’est un pépiement éperdu qui jaillit.

Qui chante le premier ? Nul ne le sait. C’est l’aurore.
Comme un abricot mûr le ciel pâli se dore.

Qui chante le premier ? Qu’importe ? On a chanté.
Et c’est un beau matin de l’immortel été.

Cécile Périn ("Variations du coeur pensif" - Editions Sansot, 1911)

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Danse

Qui danse parmi le thym ?
Est-ce un rayon, un lutin,
Peut-être un petit lapin ?

Est-ce une abeille en maraude,
Une couleuvre qui rôde,
Un lézard couleur d'émeraude ?

Je ne sais. Mais je sais bien
Que tout danse ce matin
Parmi les touffes de thym,

Que l'esprit est une abeille,
Un subtil lézard qui veille,
Un lutin qui s'émerveille,

--Ou bien ce petit lapin
Qui joue et bondit soudain
Parmi les touffes de thym.
 

 

Cécile Périn ("Pénélope" - Editions Savel, 1950)

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Arc-en-ciel
 
On n’entend sous le feuillage
Que le bruit des gouttes d’eau,
Que la cloche du village
Et qu’un faible cri d’oiseau.
 
Un parfum de terre fraîche
Monte des prés alanguis,
Et comme un chat le vent lèche,
Tiède et souple, à petit bruit,
 
L’herbe que courbe l’averse
Et les fleurs couleur de miel,
Sous les nuages que perce
Un fugitif arc-en-ciel.

Cécile Périn ("La Coupe" - Editions Flory, 1937)

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Oasis

Le murmure des séguias
Bruit doucement dans l'air calme,
Sur l'azur limpide, il n'y a
Que le balancement des palmes.

Dans le silence vert et bleu
De l'oasis où l'eau frissonne,
Liquide aussi, mystérieux,
Le chant d'une flûte résonne,

Et de l'ombre fraîche, en écho,
Sous les palmes qu'un souffle incline,
Mille rires naissent de l'eau
Ou d'autres flûtes cristallines
.

Cécile Périn ("La Coupe" - Editions Flory, 1937).

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Chant à voix basse

Chante. La mer s'écrase au bord des rochers noirs ;

Même en dormant elle palpite.

Chante à mi-voix. Le vent frais et léger du soir

Ramène les vagues en fuite.

Sur l'immensité bleue et laiteuse, au couchant,
S'allongent des reflets de cuivre.

Et de son grand vol courbe une mouette fend
Le ciel limpide et le fait vivre.

Tout est souple, le vent, la vague, les oiseaux.
Devant tes yeux, contemplative,

Sois vibrante et sensible aux plus faibles échos,
Ne demeure jamais passive
.

Cécile Périn



 

15 mai 2009

Louis PIZE, Gisèle PRASSINOS, Raymond QUENEAU - PRINT POÈTES 11 : PAYSAGES en français

Louis Pize (1892-1976), écrivain documentaire et poète, a décrit les paysages et les hommes de son Ardèche natale, le Vivarais, les Cévennes. Il fut l'ami de Francis Jammes et de Patrice de la Tour du Pin. Son recueil "Les Muses champêtres" nous fournit ce paysage désolé en hiver :

Montagne

À travers les grandes prairies,
Le vent caché dans le brouillard
Pourchasse les feuilles flétries
Du sycomore et du fayard.

Toutes les cimes familières
Ont disparu du ciel trop bas,
Et, pour éclairer les bruyères,
Le soleil ne se lève pas.

Seuls habitants du plateau morne,
Un pauvre chien, quelques brebis …
Le pâtre, assis sur une borne,
Souffle dans ses doigts engourdis.

Louis Pize ("Les Muses champêtres", 1925)



Gisèle Prassinos, née en 1920, est écrivaine, poète et artiste peintre, tout ça au féminin très singulier, marqué de surréalisme.

Dans tes yeux il y a la mer

Dans tes yeux il y a la mer.

Sur la mer il y a la tempête.

Dans la tempête : une barque.

Dans la barque : une petite fille.

Dans la petite fille il y a ton enfant

et je vais me noyer maman

si tu ne cesses de gronder.

Gisèle Prassinos

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La neige

Il paraît que le ciel et la terre
vont se marier.
Avant l’aube le fiancé
sur sa fille
a jeté son voile de mousse
lentement et sans bruit
pour ne pas l’éveiller.

Elle sommeille encore il est tôt
mais déjà exaltés
impatients d’aller à la noce
les arbres ont mis leur gants
par milliers
et les maisons leurs chapeaux blancs.

Gisèle Prassinos ("Le ciel et la terre se marient" - Éditions ouvrières, 1979)



Jacques Prévert (1900-1977), poète surréaliste à ses débuts, ami entre-autres de Raymond Queneau, s'éloignera de ce mouvement pour une poésie "populaire", frondeuse, parfois très caustique à l'endroit des corps constitués : l'Armée, l'Église, les institutions ... Une grande partie de son œuvre poétique, en prose ou en vers libres, est accessible aux plus jeunes, avec des textes pleins d'humour et d'humanité, petites saynètes du quotidien.
Jacques Prévert est très présent dans les cahiers de récitation. "Paroles" (1945), est un des recueils de poésie les plus vendus et les plus traduits dans le monde.
Prévert est aussi auteur de théâtre et parolier ("Les feuilles mortes", pour ne citer qu'une chanson), ainsi que scénariste de films (Quai des brumes, les Visiteurs du soir, les Enfants du paradis) réalisés par Marcel Carné.

Soyez polis (2e partie du poème)

I

[...] (1ère partie du poème, non retranscrite ici)

II

Il faut aussi (1) être très poli avec la terre (2)
Et avec le soleil
Il faut les remercier le matin en se réveillant
Il faut les remercier

Pour la chaleur
Pour les arbres
Pour les fruits
Pour tout ce qui est bon à manger
Pour tout ce qui est beau à regarder
À toucher
Il faut les remercier
Il ne faut pas les embêter... les critiquer
Ils savent ce qu'ils ont à faire
Le soleil et la terre
Alors il faut les laisser faire
Ou bien ils sont capables de se fâcher
Et puis après
On est changé
En courge
En melon d'eau
Ou en pierre à briquet
Et on est bien avancé ...
Le soleil est amoureux de la terre

La terre est amoureuse du soleil
Ça les regarde
C'est leur affaire
Et quand il y a des éclipses
Il n'est pas prudent ni discret de les regarder
Au travers de sales petits morceaux de verre fumé
Ils se disputent
C'est des histoires personnelles
Mieux vaut ne pas s'en mêler
Parce que
Si on s'en mêle on risque d'être changé
En pomme de terre gelée
Ou en fer à friser
Le soleil aime la terre
La terre aime le soleil
C'est comme ça

Le reste ne nous regarde pas
La terre aime le soleil
Et elle tourne
Pour se faire admirer
Et le soleil la trouve belle
Et il brille sur elle
Et quand il est fatigué
Il va se coucher
Et la lune se lève
La lune c'est l'ancienne amoureuse du soleil
Mais elle a été jalouse
Et elle a été punie
Elle est devenue toute froide
Et elle sort seulement la nuit
Il faut aussi être très poli avec la lune
Ou sans ça elle peut vous rendre un peu fou
Et elle peut aussi
Si elle veut
Vous changer en bonhomme de neige
En réverbère
Ou en bougie
En somme pour résumer
Deux points, ouvrez les guillemets :

"Il faut que tout le monde soit poli avec le monde ou alors il y a des guerres ... des épidémies des tremblements de terre
des paquets de mer des coups de fusil ...
Et de grosses méchantes fourmis rouges qui viennent vous dévorer les pieds pendant qu'on dort la nuit."

  • (1) "aussi" fait référence à la première partie du poème. Ce mot peut et est parfois supprimé quand on ne propose que cette partie II - (2) Prévert écrit terre, soleil, lune sans majuscule (généralement ils en prennent une quand ils désignent nos objets célestes particuliers)

Jacques Prévert ("Histoires" - Éditions Gallimard, 1946 et 1963)

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Chanson pour chanter à tue-tête et à cloche-pied

Un immense brin d'herbe
Une toute petite forêt
Un ciel tout à fait vert
Et des nuages en osier
Une église dans une malle
La malle dans un grenier
Le grenier dans une cave
Sur la tour d'un château
Le château à cheval
A cheval sur un jet d'eau
Le jet d'eau dans un sac
A côté d'une rose
La rose d'un fraisier
Planté dans une armoire
Ouverte sur un champ de blé
Un champ de blé couché
Dans les plis d'un miroir
Sous les ailes d'un tonneau
Le tonneau dans un verre
Dans un verre à Bordeaux
Bordeaux sur une falaise
Où rêve un vieux corbeau
Dans le tiroir d'une chaise
D'une chaise en papier
En beau papier de pierre
Soigneusement taillé
Par un tailleur de verre
Dans un petit gravier
Tout au fond d'une mare
Sous les plumes d'un mouton
Nageant dans un lavoir
À la lueur d'un lampion
Éclairant une mine
Une mine de crayons
Derrière une colline
Gardée par un dindon
Un gros dindon assis
Sur la tête d'un jambon
Un jambon de faïence
Et puis de porcelaine
Qui fait le tour de France
À pied sur une baleine
Au milieu de la lune
Dans un quartier perdu
Perdu dans une carafe
Une carafe d'eau rougie
D'eau rougie à la flamme
À la flamme d'une bougie
Sous la queue d'une horloge
Tendue de velours rouge
Dans la cour d'une école
Au milieu d'un désert
Où de grandes girafes
Et des enfants trouvés
Chantent chantent sans cesse
À tue-tête à cloche-pied
Histoire de s'amuser
Les mots sans queue ni tête
Qui dansent dans leur tête
Sans jamais s'arrêter

Et on recommence
Un immense brin d'herbe
Une toute petite forêt ...
................................................

etc, etc, etc.

Jacques Prévert (dans "Le Cheval de Trois", recueil poétique en trois parties (textes de Jacques prévert, André Virel et André Verdet), Éditions France-Empire, 1946  -  "Chanson pour chanter à tue-tête et à cloche-pied", Édition posthume, Gallimard, 1985 - réédité en Gallimard/Jeunesse, 2001 , suivi de "Le dromadaire mécontent")

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Le paysage changeur

De deux choses lune
l'autre c'est le soleil
les pauvres les travailleurs ne voient pas ces choses
leur soleil c'est la soif la poussière la sueur le goudron
et s'ils travaillent en plein soleil le travail leur cache le soleil
leur soleil c'est l'insolation
et le clair de lune pour les travailleurs de nuit
c'est la bronchite la pharmacie les emmerdements les ennuis
et quand le travailleur s'endort il est bercé par l'insomnie
et quand son réveil le réveille
il trouve chaque jour devant son lit
la sale gueule du travail
qui ricane qui se fout de lui
alors il se lève
alors il se lave
et puis il sort à moitié éveillé à moitié endormi
il marche dans la rue à moitié éveillée à moitié endormie
et il prend l'autobus
le service ouvrier
et l'autobus le chauffeur le receveur
et tous les travailleurs à moitiés réveillés à moitié endormis
traversent le paysage figé entre le petit jour et la nuit
le paysage de briques de fenêtres à courants d'air de corridor
le paysage éclipse
le paysage prison
le paysage sans air sans lumière sans rires ni saisons
le paysage glacé des cités ouvrières glacées en plein été comme au coeur de l'hiver
le paysage éteint
le paysage sans rien
le paysage exploité affamé dévoré escamoté
le paysage charbon
le paysage poussière
le paysage cambouis
le paysage mâchefer
le paysage châtré gommé effacé relégué et rejeté dans l'ombre
dans la grande ombre
l'ombre du capital
l'ombre du profit
Sur ce paysage parfois un astre luit
un seul
le faux soleil
le soleil blême
le soleil couché
le soleil chien du capital
le vieux soleil de cuivre
le vieux soleil clairon
le vieux soleil ciboire
le vieux soleil fistule
le dégoûtant soleil du roi soleil
le soleil d'Austerlitz
le soleil de Verdun
le soleil fétiche
le soleil tricolore et incolore
l'astre des désastres
l'astre de la vacherie
l'astre de la tuerie
l'astre de la connerie
le soleil mort.

Et le paysage à moitié construit à moitié démoli
à moitié réveillé à moitié endormi
s'effondre dans la guerre le malheur et l'oubli
et puis il recommence une fois la guerre finie
il se rebâtit lui-même dans l'ombre
et le capital sourit
mais un jour le vrai soleil viendra
un vrai soleil dur qui réveillera le paysage trop mou
et les travailleurs sortiront
ils verront alors le soleil
le vrai le dur le rouge soleil de la révolution
et ils se compteront
et ils se comprendront
et ils verront leur nombre
et ils regarderont l'ombre
et ils riront
et ils s'avanceront
une dernière fois le capital voudra les empêcher de rire
ils le tueront
et ils l'enterreront dans la terre sous le paysage de misère
et le paysage de misère de profits de poussières et de charbon
ils le brûleront
ils le raseront
et ils en fabriqueront un autre en chantant
un paysage tout nouveau tout beau
un vrai paysage tout vivant
ils feront beaucoup de choses avec le soleil
et même ILS CHANGERONT L'HIVER EN PRINTEMPS*.

Jacques Prévert ("Paroles" - Les Éditions du Point du Jour, 1946 et Gallimard, 1949) - * capitales d'imprimerie dans le texte original 

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Immense et rouge

Immense et rouge
Au-dessus du Grand Palais
Le soleil d'hiver apparaît
Et disparaît
Comme lui mon cœur va disparaître
Et mon sang va s'en aller
S'en aller à ta recherche
Mon amour
Ma beauté
Et te trouver
Là où tu es.

Jacques Prévert ("Paroles" - Les Éditions du Point du Jour, 1946 et Gallimard, 1949)

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Un vent fou ...

Un vent fou venant de la mer
             hurle chante et siffle et rit
Un grand chien rouge
et fou lui aussi
léchant les murs court derrière lui
Le bleu du ciel est déporté
 par le vent noir de l'incendie
La Côte d'Azur est sur le gril
La Colombe sent le roussi
Langues de feu du Saint-Esprit

Le vent est noir le feu aussi
 et les deux larrons en foire
sont plus forts que Ruggieri

Des touristes avec leurs déesses
prennent place
 pour voir le bouquet
Des pommes de pin incandescentes
en passant leur frôlent les fesses

Tous de rire et d'être contents
Le spectacle vaut le dérangement
Et avec ça par-dessus le marché
 aucune perte humaine
pour le moment
 à déplorer

Tout seul un olivier
jette désespérément
 vers le ciel calciné
deux bras carbonisés
comme un nègre lynché.

Jacques Prévert ("Arbres" poèmes - gravures de Ribemont-Dessaignes - Gallimard, 1977)

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Le ruisseau

Beaucoup d’eau a passé sous les ponts
et puis aussi énormément de sang
Mais aux pieds de l’amour
coule un grand ruisseau blanc
Et dans les jardins de la lune
où tous les jours c’est ta fête
ce ruisseau chante en dormant
Et cette lune c’est ma tête
où tourne un grand soleil bleu
Et ce soleil c’est tes yeux.

Jacques Prévert ("Histoires" - Éditions Gallimard, 1946 et 1963) 

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La plage des sables blancs

Oubliettes des châteaux de sable
Meurtrières fenêtres de l'oubli
Tout est toujours pareil
Et cependant tout a changé
Tu étais nue dans le soleil
Tu étais nue tu te baignais
Les galets roulent avec la mer
Et toujours j'entendrai
Leur doux refrain de pierres heureuses
Leur gai refrain de pierres mouillées
Déchirant refrain des vacances
Perdu dans les vagues du souvenir
Déchirants souvenirs de l'enfance
Brûlée vive par le désir
Merveilleux souvenir de l'enfance
Éblouie par le plaisir.

Jacques Prévert ("Paroles" - Les Éditions du Point du Jour, 1946 et Gallimard, 1949)

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Exilé des vacances ...

Exilé des vacances
dans sa zone perdue
il découvre la mer
que jamais il n'a vue
La caravane vers l'ouest
la caravane vers l'est et vers la Croix du Sud

et vers l'Étoile du Nord
ont laissé là pour lui
de vieux wagons couverts de rêves et de poussière

Voyageur clandestin enfantin ébloui
il a poussé la porte du Palais des Mirages
et dans les décombres familiers de son paysage d'ombres inhospitalières
il poursuit en souriant son prodigieux voyage
et traverse en chantant un grand désert ardent

Algues du terrain vague
caressez-le doucement.

Jacques Prévert ("Grand bal de printemps" - La Guilde du Livre, Lausanne, 1951)

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Les palmes et les branches ...

Les palmes et les branches
les tiges et les feuillages
tout ça c'est les hélices de la terre
qui la font naviguer dans les mers du ciel
Au milieu un grand arbre
n'arrête pas de tourner
Et le bateau La Terre
roule par tous les temps
et pendant son voyage
on voit dans son sillage
des tas de poissons volants
qui nagent dans l'air liquide
et y volent en même temps

Et la lune c'est le phare
pour les traversées de nuit
et le soleil c'est le grand sémaphore avec
ses trois cent soixante-cinq signaux pour
tous les jours multicolores.

Jacques Prévert ("Grand bal de printemps" - La Guilde du Livre, Lausanne, 1951)

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La couleur locale

Comme il est beau ce petit paysage
Ces deux rochers ces quelques arbres
et puis l'eau et puis le rivage
comme il est beau
Très peu de bruit un peu de vent
et beaucoup d'eau
C'est un petit paysage de Bretagne
il peut tenir dans le creux de la main
quand on le regarde de loin
Mais si on s'avance
on ne voit plus rien
on se cogne sur un rocher
ou sur un arbre
on se fait mal c'est malheureux
Il y a des choses qu'on peut toucher de près
d'autres qu'il vaut mieux regarder d'assez loin
mais c'est bien joli tout de même
Et puis avec ça
le rouge des roses rouges et le bleu des bluets
le jaune des soucis le gris des petits gris
toute cette humide et tendre petite sorcellerie
et le rire éclatant de l'oiseau paradis
et ces chinois si gais si tristes et si gentils…
Bien sûr
c'est un paysage de Bretagne
un paysage sans roses roses
sans roses rouges
un paysage gris sans petit gris
un paysage sans chinois sans oiseau paradis
Mais il me plaît ce paysage-là
et je peux bien lui faire cadeau de tout cela
Cela n'a pas d'importance n'est-ce pas
et puis peut être que ça lui plaît
à ce paysage-là
La plus belle fille du monde
ne peut donner que ce qu'elle a
La plus belle fille du monde
je la place aussi dans ce paysage-là
et elle s'y trouve bien
elle l'aime bien
Alors il lui fait de l'ombre
et puis du soleil
dans la mesure de ses moyens
et elle reste là
et moi aussi je reste là
près de cette fille-là
A côté de nous il y a un chien avec un chat
et puis un cheval
et puis un ours brun avec un tambourin
et plusieurs animaux très simples dont j'ai oublié le nom
Il y a aussi la fête
des guirlandes des lumières des lampions
et l'ours brun tape sur son tambourin
et tout le monde dans une danse
tout le monde chante une chanson.

Jacques Prévert (paru dans "Le Cheval de Trois" , aux Éditions France-Empire, 1946 et dans "Spectacle", Gallimard, 1949)

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Tournesol *

Tous les jours de la semaine
En hiver en automne
Dans le ciel de Paris
Les cheminées d'usines ne fument que du gris

Mais le printemps qui s'amène, une fleur sur l'oreille
Au bras une jolie fille
Tournesol Tournesol
C'est le nom de la fleur
Le surnom de la fille
Elle n'a pas de grand nom pas de nom de famille
Et danse aux coins des rues
À Belleville à Séville

Tournesol Tournesol Tournesol
Valse des coins de rues
Et les beaux jours sont venus
La belle vie avec eux

Le génie de la Bastille fume une gitane bleue
Dans le ciel amoureux
Dans le ciel de Séville dans le ciel de Belleville
Et même de n'importe où

Tournesol Tournesol
C'est le nom de la fleur
Le surnom de la fille

Jacques Prévert ("Spectacle", Gallimard, 1949) - * texte et disposition des strophes conformes à l'original - Une chanson a adapté ce poème pour les paroles en répétant certains passages. Elle a été chantée par Yves Montand sur une musique de Joseph Kosma. 

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Sables mouvants

Démons et merveilles
Vents et marées
Au loin déjà la mer s'est retirée
Et toi
Comme une algue doucement caressée par le vent
Dans les sables du lit tu remues en rêvant
Démons et merveilles
Vents et marées
Au loin déjà la mer s'est retirée
Mais dans tes yeux entrouverts
Deux petites vagues sont restées
Démons et merveilles
Vents et marées
Deux petites vagues pour me noyer.

Jacques Prévert ("Paroles" - Les Éditions du Point du Jour, 1946 et Gallimard, 1949)

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Nuages

Je suis allée chercher mon tricot de laine et chevreau
m’a suivie
le gris
il se méfie pas comme le grand
il est encore trop petit

Elle était toute petite aussi
mais quelque chose en elle parlait déjà vieux comme le
monde
Déjà
elle savait des choses atroces
par exemple
qu’il faut se méfier
et elle regardait le chevreau et le chevreau la regardait
et elle avait envie de pleurer
Il est comme moi
dit-elle
un peu triste et un peu gai
Et puis elle eut un grand sourire
et la pluie se mit à tomber.

Jacques Prévert ("La pluie et le beau temps" - Gallimard, 1955)

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sans titre

Le vrai jardinier
se découvre
devant la pensée
sauvage.

Jacques Prévert ("Fatras" - Gallimard, 1966)

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sans titre

La pluie
ne tombe pas du ciel
l'oiseau
comme nous
est un animal terrestre.

Jacques Prévert ("Fatras" - Gallimard, 1966)



Raymond Queneau (1903-1976) a appartenu au mouvement surréaliste, dont il a été exclu, comme bien d'autres. Il est l'un des fondateurs du mouvement littéraire l'OuLiPo (ou OULIPO : Ouvroir de Littérature Potentielle). Voir plus de détails et de textes ainsi que des idées de création poétique ici : Raymond Queneau et l'OULIPO - lieucommun

Paysage de Queneau, soumis à "L'Instant fatal" :  le ciel, la mer et "les pins têtus", que "sabre" un soleil  surréaliste :

Pins, pins et sapins

Le ciel la mer saline et les rochers pleins d'eau
Le coeur de l'anémone auprès des pins têtus
La marche auprès du ciel la marche auprès de l'eau
Et la course assoiffée auprès des pins têtus ;

herbes mousses lichens et toutes les bestioles
le regard s'est perdu sous les sapins têtus
le regard qui s'égare après tant de bestioles
les peuples effarés sous les sapins têtus

le ciel la mer saline où sabre le soleil
tranche la tête plane aux sapins éperdus
se cabrant dans le ciel et se cabrant dans l'eau

tandis qu'une bestiole à l'ombre d'un lichen
cerne de son trajet le bois des pins têtus
sans qu'un regard disperse une route inutile

Raymond Queneau ("L'Instant fatal" - Gallimard, 1948 - réédité en Poésie/Gallimard sous le titre "L'Instant fatal, précédé de Les Ziaux", 1966)

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Port

Le mur qui s’allonge
Et le toit qui plonge
Les bois tout pourris
Ne sont plus ici.

La grue très oblique
Les porcs les barriques
Bien que disparus
Sont rien moins que vus.

Ce bateau sans grâce
Près du ciel s’efface
Laissant le jour gris
S’enfuir avec lui.

Raymond Queneau ("Les Ziaux", Gallimard 1943 - réédité en Poésie/Gallimard sous le titre "L'Instant fatal, précédé de Les Ziaux", 1966)

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Le poème qui suit est, parmi d'autres textes d'autres auteurs, proposé par le site du Printemps des Poètes à l'adresse: http://www.printempsdespoetes.com (copier-coller le lien)

Vesper

Le berger pique une étoile
il dit c'est celle-là
c'est celle-là qui étincelle
et qui scintille exprès pour moi
ce n'est pas telle ou telle autre
dans le grand champ picoré
quelle poule gigantesque
a pu trouer le noir papier
non ce n'est pas celle rouge
ce n'est pas la verte non plus
ce n'est pas celle qui bouge
une seule lui a plu
le berger sait que cette étoile
le mène à travers la vie
et le recouvre de son voile
lorsqu'il s'endort dans la nuit
d'ailleurs c'est une planète
mais sur la question le berger
n'a pas d'idée aussi nette
qu'en aurait un cosmonaute.

Raymond Queneau ("Battre la campagne", Gallimard 1968 - réédité en Poésie/Gallimard, avec deux autres recueils dans un même ouvrage : "Courir les rues, Battre la campagne, Fendre les flots ", 1981)



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15 mai 2009

Jeanne RAMEL-CALS, Charles-Ferdinand RAMUZ, Henri de RÉGNIER, Pierre REVERDY, Jean RICHEPIN - 11 PAYSAGES FR

Jeanne Ramel-Cals (1883-1976),  parfois sous le nom d'auteur Jane Cals, romancière, peintre et dessinatrice, journaliste et poète, illustratrice de ses ouvrages, a vécu dans le Tarn. De l'ouvrage, "Légendaire de Cordes sur Ciel", la ville de Cordes, classée dans les "Plus beaux villages de France", tire son surnom.

Robes de printemps *

La saison est venue des robes nouvelles, pour la terre et pour les humains.
Je voudrais une robe verte, comme les prés qui vont pousser ; je voudrais une robe à bouquets, comme les champs qui vont fleurir ; je voudrais aller à pieds nus, bras nus, coiffée d'un chapeau fait comme une guirlande, avec une branche enroulée ; je voudrais avoir toute la vallée autour de mes hanches, toutes les lianes des haies autour de ma tête, et des écharpes de nuées qui flotteraient jusqu'à la lune.

Jeanne Ramel-Cals ("La ronde", éditions Fayard, 1920) - * texte original vérifié



Des poètes suisses de langue française sont présents dans cette catégorie : Nicolas Bouvier, Blaise Cendrars, Philippe Jaccottet, Alexandre Voisard, et Charles-Ferdinand Ramuz ci-dessous.

Charles-Ferdinand Ramuz (1878-1947) est un romancier ("La grande peur dans la montagne", 1926) et poète suisse de langue française.

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"Je comprends mal un paysage sans eau ; un ruisseau, d'ailleurs, me suffit. Mais l'immensité des terres, sans une source, sans une fontaine, sans une mare où le ciel vienne se mirer, de tels sites, malgré le charme de leurs lignes ou la grandeur de leurs contours, me semblent vite une prison…"

(extrait du "Journal" de Charles-Ferdinand Ramuz, note datée du 12 mars 1902).

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Le pays

C'est un petit pays qui se cache parmi
ses bois et ses collines ;
il est paisible, il va sa vie
sans se presser sous ses noyers
il a de beaux vergers et de beaux champs de blé,
des champs de trèfle et de luzerne,
roses et jaunes dans les prés,
par grands carrés mal arrangés ;
il monte vers les bois, il s'abandonne aux pentes
vers les vallons étroits où coulent des ruisseaux
et, la nuit, leurs musiques d'eau
sont là comme un autre silence.

Charles-Ferdinand Ramuz ("Le petit village", Ch. Eggimann et Cie, 1903 et "Vers", éditions Mermod, 1946)

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Le recueil "Pénates d'argile" regroupe des textes de différents auteurs suisses, et des poèmes en prose de Ramuz :

Le saule

Il y a un vieux saule tordu qui regarde son image dans le lac ; mais elle lui semble laide, car l'eau la déforme encore et la disperse au remous de ses vagues tant que l'arbre fini par ne plus se voir ; et il se regrette, encore qu'il se sache privé de beauté ; mais il est seul à s'aimer sous la figure où il se reconnaît, parce qu'on passe sans prendre garde à lui ou que les femmes ont peur, se jetant de côté avec un petit cri et croyant voir devant elles un pendu.
Et quand il ne peut plus s'admirer; il se tourne vers les peupliers qui sont rangés sur le rivage ; ils sont souples et ils cèdent au vent, balancés en mesure et agitant leurs petites feuilles vertes comme des fumées d'autel. Le saule s'étonne de cette façon qu'ils ont de ne jamais rester immobiles et, comme il est dans l'eau, ils sont dans l'air où il attend debout, condamné au repos par la rigidité de son tronc ; alors il les méprise et rentre sa tête dans ses épaules comme un qui ne s'inquiète de personne.

Charles-Ferdinand Ramuz ("Pénates d'argile", Ch. Eggimann et Cie, 1904)

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Chaleur

L'ombre du tilleul tourne dans la cour.
La fontaine fait un bruit de tambour.

Un oiseau s'envole du poirier ; le mur
brûle ; sur le toit brun et rouge,
La fumée d'un feu de bois bouge
contre le ciel tellement bleu qu'il est obscur.

On n'entend pas un bruit dans les champs
personne n'est en vue sur la route ;
seules dans les poulaillers, les poules
gloussent encore, de temps en temps.

Puis plus rien qu'un arbre qui penche,
dans l'opacité de ses branches,
avec son ombre de côté,
comme sous un poids qui l'accable ;
et cet autre se laisse aller
en avant, comme un dormeur
qui a les coudes sur la table.

Charles-Ferdinand Ramuz ("Le petit village", Ch. Eggimann et Cie, 1903 et "Vers", éditions Mermod, 1946)

 

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Le silence
(titre proposé, passages du poème)

[...]

J'aime ce silence au-dessus des toits,
j'aime la fontaine et son bruit de voix.

Elle parle à la nuit qui l'écoute,
et la voix s'en va le long de la route.

[...]

Il fait sommeil, le vent s'est tu,
et la douce lune se penche
comme un visage entre les branches.

Charles-Ferdinand Ramuz ("Le petit village", Ch. Eggimann et Cie, 1903 et "Vers", éditions Mermod, 1946)



Henri de Régnier (1864-1936) est un romancier et poète, qualifié de néo-parnassien, ou de symboliste. Les Symbolistes, de Jean Moréas à Stéphane Mallarmé, en passant par Lautréamont, Baudelaire, Rimbaud, Samain ... dans des registres et des styles très variés, se sont attachés aux rapports entre l'homme et la Nature, en peignant impressions et mystère.

Henri de Régnier a épousé Marie de Hérédia, fille du poète José-Maria de Hérédia (voir dans cette même catégorie), et poète elle-même sous le pseudonyme de Gérard d’Houville, obligée de "masculiniser" son nom pour exister comme auteure (voir textes sur ce blog dans la catégorie PRINT POÈTES 2010 : DES FEMMES POÈTES).

Henri_de_R_gnier_plaque_maison

plaque apposée sur une façade à Paris (rue Boissière, XVIe arrdt - source : http://fr.wikipedia.org)

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" L'averse semble maille à maille
Tisser la terre avec le ciel ...
"

Ces deux vers, qui pourraient passer pour un poème court, avec leur force d'évocation, sont extraits de ce poème :

Le jardin mouillé

La croisée est ouverte, il pleut
Comme minutieusement,
À petit bruit et peu à peu
Sur le jardin frais et dormant.

Feuille à feuille la pluie éveille
L'arbre poudreux qu'elle verdit ;
Au mur, on dirait que la treille
S'étire d'un geste engourdi.

L'herbe frémit, le gravier tiède
Crépite et l'on croirait là-bas
Entendre sur le sable et l'herbe
Comme d'imperceptibles pas.
Le jardin chuchote et tressaille,
Furtif et confidentiel ;
L'averse semble maille à maille
Tisser la terre avec le ciel ...

Il pleut, et les yeux clos, j'écoute,
De toute sa pluie à la fois,
Le jardin mouillé qui s'égoutte
Dans l'ombre que j'ai faite en moi.

Henri de Régnier ("Les Médailles d'argile" - Mercure de France, 1903)

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Le poème qui suit, est un paysage symboliste, où déjà s'installent les pins (comme pour d'autres poésies de l'auteur, les pointillés qui ferment le texte en font partie. Ils ne signifient pas que le texte est incomplet) :

Paysage

On voit de cette place*, entre ces deux pins verts
Dont l'écorce est vermeille,
La douceur d'un beau ciel au-dessus d'une mer
À son azur pareille.

Les beaux arbre égaux que balance le vent,
En leurs fines aiguilles
Laissent pendre leurs fruits, écailleux et vivants,
Ainsi que des coquilles.

Dans le flot invisible et transparent de l'air
Elles baignent, bercées,
Tant le ciel semble bien continuer la mer
Jusques en nos pensées

Où se confond, avec le murmure marin,
De la vague  à la grève,
Le doux, le doux soupir que fait, parmi les pins,
La brise la plus brève ...
 

 

Henri de Régnier ("Le Miroir des heures" - Mercure de France, 1910) - *on attendrait "plage", mais non, c'est place

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L'arbre, et la forêt de pins ont encore inspiré l'auteur, pour ce poème tout d'une traite. Il faudra trouver en arrivant aux points-virgules des espaces pour souffler un peu :

Les pins

Les pins chantent, arbre par arbre, et tous ensemble ;
C'est toute une forêt qui sanglote et qui tremble,
Tragique, car le vent, ici, vient de la mer ;
Sa douceur est terrible et garde un goût amer
Et d'endormir nos soirs il se souvient encore
D'être né du sursaut d'une farouche aurore
Dans l'écume qui bave et la houle et l'embrun ;
Et, sous les hauts pins roux qui chantent, un à un,
Ou qui grondent en unissant de cime à cime
Le refrain éternel de leur flot unanime,
Le bonheur qui s'endort et qui ferme les yeux
Croit entendre, en un rêve encore soucieux,
La rancune ancienne et la rauque colère,
Couple hargneux qui hurle et se guette et se flaire,
Passer dans sa mémoire et mordre son sommeil ;
Et la joie, au sommet des grands arbres vermeils
Que le soir fait de pourpre et que l'heure ensanglante,
Ressemble à la colombe hamonieuse et lente
Et dont le chant roucoule et se perd et s'éteint
Dans la rouge rumeur que murmurent les pins.

 

Henri de Régnier ("Les Jeux rustiques et divins", 1897)

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Le bois de pins (titre proposé pour différencier du précédent)

J'aime ce bois de pins dont vous avez chanté
La verdure marine,
Qui sent bon la chaleur, le soleil et l'été,
L'écorce et la résine.
La coquille en craquant s'y mêle sous les pas
À la pomme écailleuse.
Entre les troncs on voit la mer border, là-bas,
La plage sablonneuse.
 

Henri de Régnier

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*Ce poème est titré Soir d'automne, quand il est donné en classe, mais son titre original est simplement Soir. La troisième strophe, jugée trop sombre et plus difficile, est en général laissée dans l'ombre... du soir :

Soir d'automne *

Il est doux, ô mes yeux, lorsque le vent d'automne
Cesse de s'acharner à l'arbre dont frissonne
Le spectre dépouillé qui craque et tremble encor,
De voir, dans l'air muet, où son vol se balance,
Tomber en tournoyant à travers le silence,
Une dernière feuille d'or.

Quand au jour éclatant qui se voile succède
Le crépuscule lent, humide, mol et tiède,
Qui fait perler la mousse au dos des bancs velus,
Il est doux, au jardin mystérieux, d'entendre
Résonner dans le soir le rire obscur et tendre
Des visages qu'on ne voit plus.

Il est doux, ô mon cœur, lorsque la route est noire,
D'écouter longuement au fond de sa mémoire
Le pas du Souvenir aux échos de la nuit.
Si le divin flambeau est mort en sa main sombre,
Et s'il n'est pas l'Amour, peut-être en est-ce l'ombre,
Au moins, qu'il ramène avec lui ! ...

Henri de Régnier ("Le Miroir des heures" - Mercure de France, 1910)

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Un autre classique des écoles :

La lune jaune

Savions-nous, quand, tous deux, sous le soleil torride
Foulions la terre rouge et le chaume blessant,
Savions-nous, quand nos pieds sur les sables arides
Laissaient leurs pas empreints comme des pas de sang,

Savions-nous, quand l’amour brûlait sa haute flamme
En nos cœurs déchirés d’un tourment sans espoir,
Savions-nous, quand mourait le feu dont nous brûlâmes
Que sa cendre serait si douce à notre soir,

Et que cet âpre jour qui s’achève et qu’embaume
Une odeur d’eau qui songe entre les joncs mouillés
Finirait mollement par cette lune jaune
Qui monte et s’arrondit entre les peupliers ?
 

 

Henri de Régnier ("La Cité des eaux" - Mercure de France, 1902) 

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Le lieu de cette "Promenade", dans le même recueil, n'est pas difficile à situer :

Promenade

Sur l'eau verte, bleue ou grise,
Des canaux et du canal,
Nous avons couru Venise
De Saint-Marc à l'Arsenal.

Au vent vif de la lagune
Qui l'oriente à son gré
J'ai vu tourner ta Fortune,
O Dogana di Mare !

Souffle de l'Adriatique,
Brise molle ou sirocco,
Tant pis, si son doigt m'indique
La Cà d'Or ou San Rocco !

La gondole nous balance
Sous le felze, et, de sa main,
Le fer coupe le silence
Qui dormait dans l'air marin.

Le soleil chauffe les dalles
Sur le quai des Esclavons ;
Tes détours et tes dédales,
Venise, nous les savons !

L'eau luit ; le marbre s'ébrèche;
Les rames se font écho
Quand on passe à l'ombre fraîche
Du Palais Rezzonico.

Henri de Régnier ("La Cité des eaux" - Mercure de France, 1902)

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En forêt

On quitte le grand'route et l'on prend le sentier
Où flotte un bon parfum d'arôme forestier.
 
Dans le gazon taché du rose des bruyères,
Surgissent, ça et là, des ajoncs et des pierres.
 
Un tout petit ruisseau que verdit le cresson
Frôle l'herbe, en glissant, d'un rapide frisson.
 
Nul horizon. Le long de cette sente étroite,
Une futaie à gauche, un haut taillis à droite.
 
Rien ne trouble la paix et le repos du lieu ;
Au-dessus, un ruban très mince de ciel bleu
 
Que traverse parfois, dérangé dans son gîte,
Un oiseau voletant, qui siffle dans sa fuite.
 
Puis, c'est, plus loin, une clairière à l'abandon,
Où noircissent encor des places à charbon ;
 
Des hêtres chevelus se dressent, en un groupe,
Des arbres épargnés à la dernière coupe.
 
De grands troncs débités s'étagent en monceau.
C'est tout auprés que prend sa source le ruisseau.

qui longe le sentier et traverse la route ;
Il sort d'un bassin rond qui filtre goutte à goutte.

Où tremble, reflété comme dans un miroir,
L'œil vacillant et clair de l'étoile du soir.

Henri de Régnier ("Apaisement", 1886" - réédition dans "Premiers poèmes" - Apaisement - Mercure de France, 1899)



Pierre Reverdy (1889-1960) n'est pas à ranger dans les poètes surréalistes. Était-il, pour avoir fréquenté Picasso, un "poète cubiste", comme on l'a dit ? Il a en tous cas inspiré des peintres, Henri Matisse et donc Pablo Picasso, et des écrivains et poètes tels que Louis Aragon, André Breton et Paul Éluard.

Les Œuvres complètes de Pierre Reverdy sont maintenant disponibles, le deuxième tome est paru (Flammarion, Collection Mille & une pages, 2010)

Calme intérieur

Tout est calme
Pendant l'hiver
Au soir quand la lampe s'allume
À travers la fenêtre où on la voit courir
Sur le tapis des mains qui dansent
Une ombre au plafond se balance
On parle plus bas pour finir
Au jardin les arbres sont morts
Le feu brille
Et quelqu'un s'endort
Des lumières contre le mur
Sur la terre une feuille glisse
La nuit c'est le nouveau décor
Des drames sans témoin qui se passent dehors.

Pierre Reverdy ("Plupart du temps -  Poèmes" - 1915-1922, éditions Flammarion et Gallimard, 1969)

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De la pierre à l’eau

Le ciel est trop bas
 Pour qu’on puisse rire
 La mer se retire
 Et le jour s’en va
Les lumières poussent au ras du sol
Au bord de l’eau crépitent les étoiles
l’odeur des arbres morts
les cris pris dans les voiles
Et le bras vigoureux qui dresse le décor
Les hommes
Les vaisseaux
Les feux du sémaphore
Sur le sable mouvant et les pas de la nuit
Dans le même rayon l’eau qui se décolore
Et le visage rond qui monte
 ou l’oeil qui rit
Ce coin où les signaux sont plus loin que le monde
Où le feu qui se pose est plus vite englouti
Quand le soleil éclate et que l’air devient rose
Ce coin sous les rochers humides
 Et à midi

Pierre Reverdy ("Main d'oeuvre - 1913-1949", Les œuvres libres, 1949)

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Horizon

Mon doigt saigne
Je t'écris
Avec

[...]

Au détour du chemin
Les arbres saignent
Le soleil assassin
Ensanglante les pins
Et ceux qui passent dans la prairie humide

[...]

Ma main rouge est un mot
Un appel bref où palpite un sanglot

Du sang versé sur le papier buvard
L'encre ne coûte rien

Je marche sur des taches qui sont des mares
Entre les ruisseaux noirs qui vont plus loin
Au bout du monde où l'on m'attend
C'est la fontaine ou les gouttes de sang qui coulent
    de mon cœur que l'on entend
Un clairon dans l'azur sonne la générale.

Pierre Reverdy ("Plupart du temps -  Poèmes" - 1915-1922, éditions Flammarion et Gallimard, 1969)

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Heure

Un œil se ferme à l’horizon
                     L’autre se lève
Combien de temps faut-il pour parcourir la nuit
Le bruit et la lumière
Étoiles et grelots
            Quelqu’un sur la montagne a jeté son manteau
                     Et derrière
                                       L’eau
            Le soleil éteint qui tombe
Et le chant plus gai d’un oiseau
            Le tour du monde
                              Tout se dresse autour du rideau
                       Les voix qui montent vont plus haut
                       ou les marches plus basses
                              Celui qui redescend
                              Marche la tête basse
L’ombre s’allonge
                              Le ciel s’éclaire
On écoute les bruits tomber tout près du mur
                                     Contre la terre

Pierre Reverdy ("Autres poèmes retrouvés" dans "Oeuvres complètes", Tome I, Flammarion, 2010)

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Son de cloche

Tout s'est éteint
Le vent passe en chantant
Et les arbres frissonnent
Les animaux sont morts
Il n'y a plus personne
Regarde
Les étoiles ont cessé de briller
La terre ne tourne plus
Une tête s'est inclinée
Les cheveux balayant la nuit
Le dernier clocher resté debout
Sonne minuit.

Pierre Reverdy ("Plupart du temps -  Poèmes" - 1915-1922, éditions Flammarion et Gallimard, 1969)

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 La neige tombe 

La neige tombe
Et le ciel gris
Sur ma tête où le toit est pris
La nuit
Où ira l'ombre qui me suit
À qui est-elle
Une étoile ou une hirondelle
Au coin de la fenêtre
La lune
Et une femme brune
C'est là
Quelqu'un passe et ne me voit pas
Je regarde tourner la grille
Et le feu presque éteint qui brille
Pour moi seul
Mais là où je m'en vais il fait un froid mortel.

Pierre Reverdy ("Sources du vent" - 1929)

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Temps couvert

Je suis au milieu d’un nuage
de neige
ou de fumée
L’éclat du jour fait son tapage
la fenêtre en battant
ouvre le mur du coin
la paupière assoupie
et l’œil déjà baissé
Plus loin
sur le détour où aurait dû tomber
le grand vent qui passait
en roulant l’atmosphère
la neige et la fumée
Quelques grains de soleil
et le poids de la terre
à peine soulevée

Pierre Reverdy ("Cravates de chanvre" - 1922)

 

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Deux poèmes graphiques et parallèles :

En face

                 Au bord du toit

Un nuage danse

Trois gouttes d'eau pendent à

La gouttière

Trois étoiles

Des diamants

Et vos yeux brillants qui regardent

Le soleil derrière la vitre

Midi
 

Pierre Reverdy ("Plupart du temps -  Poèmes" - 1915-1922, éditions Flammarion et Gallimard, 1969)

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  Les ardoises du toit

Sur chaque ardoise

                              qui glissait du toit

                                            on

                                      avait écrit

                                                         un poème


La gouttière est bordée de diamants

                                              les oiseaux les boivent
   

Pierre Reverdy ("Plupart du temps -  Poèmes" - 1915-1922, éditions Flammarion et Gallimard, 1969)



 

Jean Richepin  (1849-1926), romancier, auteur pour le théâtre et poète, est l'auteur de La Chanson des gueux (1876), son premier recueil de poèmes sur la misère de son époque, qui lui a valu un mois de prison. La Chanson des gueux est restée longtemps censurée.

"Venez à moi, claquepatins,
Loqueteux, joueurs de musettes,
Clampins, loupeurs, voyous, catins,
Et marmousets, et marmousettes,
Tas de traîne-cul-les-housettes,
Race d'indépendants fougueux !
Je suis du pays dont vous êtes :
Le poète est le Roi des Gueux." [...]

début de la "Ballade du Roi des Gueux", dans "La Chanson des gueux"

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On trouvera dans l'œuvre de Richepin, plus de lieux de misère, comme ce "chemin creux", que de paysages idylliques :

Le chemin creux

Le long d'un chemin creux que nul arbre n'égaie,
Un grand champ de blé mûr, plein de soleil, s'endort,
Et le haut du talus, couronné d'une haie,
Est comme un ruban vert qui tient des cheveux d'or.

De la haie au chemin tombe une pente herbeuse
Que la taupe soulève en sommet inégaux,
Et que les grillons noirs à la chanson verbeuse
Font pétiller de leurs monotones échos.

Passe un insecte bleu vibrant dans la lumière,
Et le lézard s'éveille et file, étincelant,
Et près des flaques d'eau qui luisent dans l'ornière
La grenouille coasse un chant rauque en râlant.

Ce chemin est très loin du bourg et des grand'routes.
Comme il est mal commode, on ne s'y risque pas.
Et du matin au soir les heures passent toutes
Sans qu'on voie un visage ou qu'on entende un pas.

C'est là, le front couvert par une épine blanche,
Au murmure endormeur des champs silencieux,
Sous cette urne de paix dont la liqueur s'épanche
Comme un vin de soleil dans le saphir des cieux,

C'est là que vient le gueux, en bête poursuivie,
Parmi l'âcre senteur des herbes et des blés,
Baigner son corps poudreux et rajeunir sa vie
Dans le repos brûlant de ses sens accablés.

Et quand il dort, le noir vagabond, le maroufle
Aux souliers éculés, aux haillons dégoûtants,
Comme une mère émue et qui retient son souffle
La nature se tait pour qu'il dorme longtemps.

Jean Richepin ("La Chanson des gueux", 1876, BNF 1881 - édition intégrale illustrée par Steinlen, parue en 1910 aux éditions Édouard Pelletan - réédition posthume aux Éditions De La Belle Étoile, 1933, et d'autres éditions plus récentes)

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La neige est belle
 
La neige est belle. Ô pâle, ô froide, ô calme vierge,
Salut ! Ton char de glace est traîné par des ours,
Et les cieux assombris tendent sur son parcours
Un dais de satin jaune et gris couleur de cierge.

Salut ! dans ton manteau doublé de blanche serge,
Dans ton jupon flottant de ouate et de velours
Qui s'étale à grands plis immaculés et lourds,
Le monde a disparu. Rien de vivant n'émerge.

Contours enveloppés, tapages assoupis,
Tout s'efface et se tait sous cet épais tapis.
Il neige, c'est la neige endormeuse, la neige

Silencieuse, c'est la neige dans la nuit.
Tombe, couvre la vie atroce et sacrilège,
Ô lis mystérieux qui t'effeuilles sans bruit !

Jean Richepin ("La Chanson des gueux", 1876)


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15 mai 2009

Madeleine RIFFAUD, Ann ROCARD, Pierre de RONSARD - PRINT POÈTES 11 : PAYSAGES en français

 

Madeleine Riffaud est née en 1924. Résistante contre le nazisme, journaliste engagée (grand reporter pour le quotidien communiste L'Humanité), elle a publié des romans et des poèmes.

Un magnifique poème court :

Nuit

Il fait noir
Acceptons la nuit,
Nuit :
Terre à étoiles.

Madeleine Riffaud ("On l'appelait Rainer : 1939-1945" - Éditions Julliard, 1994)

 



Ann Rocard est née en 1954. On découvrira ses poèmes et ses nombreuses activités sur son site, ici : http://www.annrocard.com/ 

Bien au chaud

Dans ma maison, bien au chaud,
je vois le jour qui s'enfuit
et les étoiles là-haut
qui s'allument dans la nuit.
J'entends le vent qui s'élance
entre les tuiles du toit
et les grands arbres qui dansent
à la lisière du bois.
Chez moi, je suis à l'abri.
Je bois un bon lait bouillant.
Je n'ai pas peur de la pluie,
de l'hiver et du grand vent.

Ann Rocard



Pierre de Ronsard (1524-1585) a fondé avec Joachim du Bellay (voir son paragraphe dans cette même catégorie), le groupe de sept poètes appelé "La Pléïade".

On a cité, pour la mise en vers de la vallée de la Bièvre, Victor Hugo et Jean Moréas, (voir leurs paragraphes respectifs). Voici l'allusion de Ronsard à cette rivière, du côté d'Arcueil (Val-de-Marne) et de sa "source voisine".
On l'aperçoit au détour d'un des sonnets à Hélène, dont on a conservé le joli langage en ancien français :

XXXIII

[...]

Tu es deux fois venue à Paris, et tu fais
Semblant de n'y venir, afin que mon martire
Ne s'allege, en voyant ton œil que je desire,
Ton œil qui me nourrit par l'objet de ses rais.

Tu vas bien à Hercueil avecque ta cousine
Voir les prez, les jardins, et la source voisine
De l'Antre, où j'ay chanté tant de divers accords.

Tu devois m'appeler, oublieuse Maistresse :
Dans ton coche porté je n'eusse fait grand presse :
Car je ne suis plus rien qu'un fantaume sans corps.

Pierre de Ronsard ("Sonnets pour Hélène", 1578)

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Ronsard a célébré une autre source (ou "fontaine"), dans le Vendômois, qui est sa "terre paternelle". Il chante cette "fontaine" dans plusieurs odes, imitées d'Horace (Ode à la fontaine de Bandusie). Voici la plus connue, accomplissant le souhait du poète : "
Commandant à la mémoire / Que tu vives par mes vers" :

Ode à la Fontaine Bellerie

O fontaine Bellerie
Belle fontaine chérie
De nos nymphes, quand ton eau
Les cache au creux de ta source
Fuyantes le satyreau
Qui les pourchasse à la course
Jusqu’au bord de ton ruisseau ;
Tu es la nymphe éternelle
De ma terre paternelle :
Pour ce, en ce pré verdelet,
Vois ton poète qui t’orne
D’un petit chevreau de lait
À qui l’une et l’autre corne
Sortent du front nouvelet.
L’été je dors ou repose
Sur ton herbe, où je compose,
Caché sous tes saules verts,
Je ne sais quoi, qui* ta gloire
Enverra par l’univers,
Commandant à la mémoire
Que tu vives par mes vers.
L’ardeur de la canicule
Ton vert rivage ne brûle,
Tellement qu’en toutes parts
Ton ombre est épaisse et drue
Aux pasteurs venant des parcs,
Aux bœufs las de la charrue,
Et au bestial épars.
Io, tu seras sans cesse
Des fontaines la princesse,
Moi célébrant le conduit
Du rocher percé, qui darde
Avec un enroué bruit
L’eau de ta source jasarde
Qui trépillante se suit.


Pierre de Ronsard ("Odes", 1553) - * plus justement en français moderne : "que"

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Voici le texte intégral d'un poème, lui aussi des plus connus, écologique avant la lettre. Il reste de cette grande forêt de Gastine, "le bois de Gâtine" et ses étangs, site heureusement protégé du Loir-et-Cher.
On propose en général de ce texte le passage à partir de "
Écoute, bûcheron," passage dont le texte  a été légèrement modernisé :

Contre les bûcherons de la forêt de Gastine

Quiconque aura premier la main embesognée
A te couper, forêt, d’une dure cognée,
Qu’il puisse s’enferrer de son propre bâton,
Et sente en l’estomac la faim d’Erisichton,
Qui coupa de Cérès le Chêne vénérable
Et qui gourmand de tout, de tout insatiable,
Les bœufs et les moutons de sa mère égorgea,
Puis, pressé de la faim, soi-même se mangea :
Ainsi puisse engloutir ses rentes et sa terre,
Et se dévore après par les dents de la guerre.

Qu’il puisse pour venger le sang de nos forêts,
Toujours nouveaux emprunts sur nouveaux intérêts
Devoir à l’usurier, et qu’en fin il consomme
Tout son bien à payer la principale somme !

Que toujours sans repos ne face en son cerveau
Que tramer pour néant quelque dessein nouveau,
Porté d’impatience et de fureur diverse,
Et de mauvais conseil qui les hommes renverse !

Écoute, bûcheron, arrête un peu le bras;
Ce ne sont pas des bois que tu jettes à bas ;
Ne vois-tu pas le sang, lequel dégoutte à force
Des nymphes qui vivaient dessous la dure écorce ?

Sacrilège meurtrier, si on pend un voleur
Pour piller un butin de bien peu de valeur,
Combien de feux, de fers, de morts et de détresses
Mérites-tu, méchant, pour tuer nos déesses ?

Forêt, haute maison des oiseaux bocagers !
Plus le cerf solitaire et les chevreuils légers
Ne paîtront sous ton ombre, et ta verte crinière
Plus du soleil d'été ne rompra la lumière.

Plus l'amoureux pasteur sur un tronc adossé,
Enflant son flageolet à quatre trous percé,
Son mâtin à ses pieds, à son flanc la houlette,
Ne dira plus l'ardeur de sa belle Janette.

Tout deviendra muet, Écho sera sans voix ;
Tu deviendras campagne, et, en lieu de tes bois,
Dont l'ombrage incertain lentement se remue,
Tu sentiras le soc, le coutre et la charrue ;
Tu perdras le silence, et haletants d'effroi
Ni Satyres ni Pans ne viendront plus chez toi.

Adieu, vieille forêt, le jouet de Zéphire,
Où premier j'accordai les langues de ma lyre,
Où premier j'entendis les flèches résonner
D'Apollon, qui me vint tout le coeur étonner,
Où premier, admirant ma belle Calliope,
Je devins amoureux de sa neuvaine trope,
Quand sa main sur le front cent roses me jeta,
Et de son propre lait Euterpe m'allaita.

Adieu, vieille forêt, adieu têtes sacrées,
De tableaux et de fleurs autrefois honorées.
Maintenant le dédain des passants altérés,
Qui, brûlés en l'été des rayons éthérés,
Sans plus trouver le frais de tes douces verdures,
Accusent tes meurtriers et leur disent injures.

Adieu, chênes, couronne aux vaillants citoyens.
Arbres de Jupiter, germes Dodonéens,
Qui premiers aux humains donnâtes à repaître ;
Peuples vraiment ingrats, qui n'ont su reconnaître
Les biens reçus de vous, peuples vraiment grossiers
De massacrer ainsi leurs pères nourriciers !

Que l'homme est malheureux qui au monde se fie !
Ô dieux, que véritable est la philosophie,
Qui dit que toute chose à la fin périra,
Et qu'en changeant de forme une autre vêtira !

De Tempé la vallée un jour sera montagne,
Et la cime d'Athos une large campagne ;
Neptune quelquefois de blé sera couvert :
La matière demeure et la forme se perd.

Pierre de Ronsard ("Élégies", élégie XXIV, 1565)

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Un beau poème d'amour, où le paysage est pris à témoin, proposé pour ce thème 2011 du paysage, par le site du Printemps des Poètes à l'adresse (à copier-coller) : http://www.printempsdespoetes.com

le premier Livre des Amours

consacré à Cassandre (1)

XV

Ciel, air et vents, plains et monts découverts

Ciel, air et vents, plains et monts découverts,
Tertres vineux et forêts verdoyantes,
Rivages torts et sources ondoyantes,
Taillis rasés et vous bocages verts,
Antres moussus à demi-front ouverts,
Prés, boutons, fleurs et herbes roussoyantes*,
Vallons bossus et plages blondoyantes,
Et vous rochers, les hôtes de mes vers,
Puis qu'au partir, rongé de soin et d'ire,
À ce bel œil Adieu je n'ai su dire,
Qui près et loin me détient en émoi,
Je vous supplie, Ciel, air, vents, monts et plaines,
Taillis, forêts, rivages et fontaines,
Antres, prés, fleurs, dites-le-lui pour moi.
 

Pierre de Ronsard ("le premier Livre des Amours", consacré à Cassandre, 1552, puis 1584)
(1) Cassandre est le prénom d'une jeune fille, que Ronsard rencontra à Blois, et dont on peut se douter qu'il fut amoureux, puisqu'il lui a consacré un recueil entier.
* "roussoyantes" n'est pas dérivé de "roux", cet adjectif signifie ici couvertes de rosée



15 mai 2009

Jacques ROUBAUD, Jean ROUSSELOT, Claude ROY, Marc-Antoine de SAINT-AMANT - PRINT POÈTES 11 : PAYSAGES en français

Jacques Roubaud (né en 1932), est un mathématicien-poète (ou poète-mathématicien ?), membre actif de l'OULIPO depuis 1966.
Sur l'OULIPO, voir
dans la catégorie PRINT POÈTES 2009 : L'HUMOUR des poètes la rubrique Raymond Queneau ainsi que d'autres textes de Jacques Roubaud.
La poésie de Jacques Roubaud, très inventive,  obéit à certaines contraintes qui placent(pas toujours, comme ci-dessous, ou dans ses textes "animaux"), les productions en dehors du champ scolaire, du moins pour l'élémentaire et le collège.

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Voici déjà un tableau printanier inhabituel :

Un matin

C'était un beau matin de mai et les oiseaux chantaient délicieusement dans quatre arbres. Les uns chantaient en celte (irlandais, scottish-gaélique, cumbrique, gallois, cornique ou breton) ; les autres en langue romane (oïl, oc, si, catalan, espagnol ou gallego-portugais). Aucun ne chantait en chien. Dans le pin un écureuil lisait le Times. De temps en temps il prenait deux noisettes dans sa bibliothèque, tout en parcourant la rubrique des décès et fiançailles située en première page. Il grignotait l'une et lançait l'autre dans la rivière où un saumon bondissait afin de l'attraper avant qu'elle ne touche l'eau. C'était un moment d'une douceur inexprimable.


Jacques Roubaud

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Rondeau étrange des visages et paysages

La nature a ses visages
Qu'on appelle paysages
Des humains les paysages
Sont ce qu'on appelle visages
On couvre les paysages
De silence et les visages
De nature
Comment rendre les visages
Conformes aux paysages
Et rendre sans paysages
La nature à ses visages ?

Jacques Roubaud ("Rondeaux", Gallimard, Folio-Cadet, 2009) - dans la Poéthèque du Printemps des Poètes 2010 (attention aux quelques erreurs orthographiques ou fautes de frappe dans leur pdf).

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N'aurait-on pas affaire ici à une forme de paysage à portée de plume ?

mettons

mettons de la couleur dans les angles calmes
où le gris d’arche s’étale posément
vérifions le comput des éléments
l’équilibre du dessin et de la trame

contre les bords de chaque page une flamme
souligne de sa fumée, beau condiment
bougie ou filament incandescent griment
les murs du pinceau du stylet du calame

mettons de la permutation dans les lignes
descente des césures vers les débuts
des vers petit à petit circonférences

vers refermés au centre spirale. signes
d’un paraphe-gribouille. le crayon n’eut
besoin que d’un verre d’eau sans incidences

Rome, octobre 2003

Jacques Roubaud ("Churchill 40 et autres sonnets de voyage 2000-2003", Gallimard, 2004)

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Les textes qui suivent, ont été également proposés pour le thème du Printemps des Poètes 2006 ("Le Chant des villes").

Deux paysages parisiens localisés, parmi les vingts (un par arrondissement, le numéro correspond), que Jacques Roubaud a décidé d'appeler sonnets, pas pour la forme en tous cas :

Sonnet II
square de Louvois


Peut-être mille fois en trente ans je me suis
    Assis sur un banc vert dans le square de Louvois
    Le soleil sur les yeux, seul, entouré des bruits
    De fontaines bavant, et traversé de voix.
À l'éblouissement des jets d'eaux j'étais, moi,
    Possesseur du trésor des livres inouï(s)
    Potentiellement convocables(s) depuis
    Les magasins de l'ex-Bibliothèque du Roi.
Saône et Seine et Garonne et Loire, je voyais
    Les quatre nymphes-fleuves aux regards noyés
    Je contemplais leurs seins de bronze allégorique
Puis je retraversais la rue de Richelieu
    Pour rejoindre ma place et, lecteur euphorique,
    Jouir en souverain d'un républicain lieu.

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Sonnet III
(rue de Bretagne)
titre proposé *

   "Cet après-midi là je fus rue de Bretagne
j’ai repensé souvent à cet après-midi"
J’entrai au Prisunic où je pris un caddy
J’y chargeai des sablés, du cidre de Mortagne
   (Mettons). Les gros marchés sont des lieux de cocagne
On y trouve de tout, le beurre et le candy
Le marshmallow vert tendre et le dessous hardi
Pour dames ou messieurs le parfum ou le pagne
   C’était un jour banal d’une époque banale
Il ne s’y passa rien qui mérite mention
Aucun événement à mettre en une annale
   C’était un jour de juin sans complication
Et si je m’en souviens c’est que soudain ces vers
d’Aragon me retraversèrent l’esprit.

* ce sonnet est sans titre, le titre est ici proposé par le blog

Jacques Roubaud ("La forme d'une ville change plus vite, hélas, que le cœur des humains", chapitre "XX sonnets", Gallimard, 1999)

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"Vos gueules, les mouettes !", c'est le titre d'un film de Robert Dhéry (1974), qui a inspiré ce texte à Roubaud. Il n'est pas avare d'invectives et d'insultes dans ses poèmes sur les animaux, si on veut bien explorer les recueils qu'il leur a consacré ("Les animaux de personne", "Les animaux de tout le monde").

Les mouettes

Le poète s'est rendu au bord de la mer pour y écrire
ses œuvres complètes ; mais voilà, il y a les
mouettes ! le poète parle :

"vos gueules ! vos gueules ! les mouettes!
cessez de brailler dans l'écume
pressez-moi plutôt de vos plumes
pour tremper dans de l'encre violette

Je voulais faire mes œuvres complètes
au bord de la mer, dans les brumes
tout ce que j'ai gagné c'est un rhume
et vos cris me cassent la tête

J'en ai marre de vos gueules de scie
je crache je tousse je m'essuie
le nez avec de vieux kleenex

Je deviens bête grognon et sourd
mais comme j'ai une rime en "ex"
*
je vais prendre le train de retour"

Et ainsi le poète est revenu à Paris, après avoir
composé le poème aux mouettes que vous venez
de lire.

*Grâce à un vieil indicateur de chemins de fer qu'on appelle
Chaix.


Jacques Roubaud ("Les animaux de tout le monde", éditions Ramsay 1983  - Poèmes illustrés par Marie Borel et Jean-Yves Cousseau, collection "Volubile" Seghers, 1991, édité en collection "Jeunesse", Seghers, 2004)



Jean Rousselot (1913-2004) a publié, à partir de 1934 de très nombreux recueils de poésie et des anthologies pour la collection "Poètes d'Aujourd'hui" de Pierre Seghers. Il est également l'auteur d'un Dictionnaire de la Poésie Française contemporaine (en 1962) et d'une Histoire de la poésie française en 1976.
On trouvera dans la catégorie hiver, un joli texte sur la neige.

 On n'est pas n'importe qui

Quand tu rencontres un arbre dans la rue,
dis-lui bonjour sans attendre qu'il te salue.
C'est distrait, les arbres.
Si c'est un vieux, dis-lui "Monsieur".
De toutes façons, appelle-le par son nom :
Chêne, Bouleau, Sapin, Tilleul...
Il y sera sensible.
Au besoin aide-le à traverser.
Les arbres, ça n'est pas encore habitué à toutes ces autos.
Même chose avec les fleurs, les oiseaux, les poissons :
appelle-les par leur nom de famille.
On n'est pas n'importe qui !
Si tu veux être tout à fait gentil, dis "Madame la Rose" à l'églantine ;
on oublie un peu trop qu'elle y a droit.

Jean Rousselot ("Petits poèmes pour coeurs pas cuits" - éditions Editions St- Germain-des-Prés, 1979)

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Pas de vacances

Si vous croyez que ça m'amuse
Dit la mer
D'avoir toujours à me refaire
- Un point à l'endroit, un point à l'envers
- Un pas en avant, un pas en arrière

Moi qui aimerais tant aller cueillir des coings
À Tourcoing
Me bronzer dans la neige
À Megève

Hélas pas moyen de fermer boutique
J'ai trop de sprats j'ai trop de pra-
Trop de pratiques

Mais comme elle a des cailloux plein la bouche
Personne ne comprend rien
À ce que raconte la mer.

Jean Rousselot (dans l'anthologie de Jacques Charpentreau, "La nouvelle guirlande de Julie" - éditions Ouvrières, 1976)



Claude Roy (1915-1997), poète français, est au rendez-vous des catégories pour la classe (Le chat blanc - Chevaux : trois ; oiseau : un - J'ai trouvé dans mes cheveux - Les corridors où dort Anne qu'on adore - Le soleil dit bonjour), dans la catégorie PRINT POÈTES 2009 : L'HUMOUR des poètes, et depuis l'an dernier, dans la catégorie PRINT POÈTES 2010 : LE FÉMININ EN POÉSIE

... Le poète n'est pas celui qui dit Je n'y suis pour personne
Le poète dit J'y suis pour tout le monde ...

Extrait du poème, dont le texte est parmi d'autres sur le blog : "Jamais je ne pourrai" ("Les Circonstances", Éditions Gallimard - 1970)

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Certains des textes qui suivent étaient donc déjà présents sur ce blog, d'autres non :

Météorologie

L'oiseau vêtu de noir et vert
m'a apporté un papier vert
qui prévoit le temps qu'il va faire.
Le printemps a de belles manières.
L'oiseau vêtu de noir et de blond
m'a apporté un papier blond
qui fait bourdonner les frelons.
L'été sera brûlant et long.
L'oiseau vêtu de noir et et jaune
m'a apporté un papier jaune
qui sent la forêt en automne.
L'oiseau vêtu de noir et blanc
m'a apporté un flocon blanc.

L'oiseau du temps que m'apportera-t-il ?

Claude Roy

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L'enfant qui battait la campagne

Vous me copierez deux cents fois le verbe:
Je n'écoute pas. Je bats la campagne,

Je bats la campagne, tu bats la campagne,
Il bat la campagne à coups de bâton.

La campagne ? Pourquoi la battre ?
Elle ne m'a jamais rien fait.

C'est ma seule amie, la campagne,
Je baye aux corneilles, je cours la campagne.

Il ne faut jamais battre la campagne :
on pourrait casser un nid et ses oeufs.

On pourrait briser un iris, une herbe,
On pourrait fêler le cristal de l'eau.

Je n'écouterai pas la leçon.
Je ne battrai pas la campagne.

Claude Roy ("Enfantasques" Gallimard, 1974 et 1993 Folio Junior) 

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La clef des champs

Qui a volé la clef des champs ?
La pie voleuse ou le geai bleu ?
Qui a perdu la clef des champs ?
La marmotte ou le hoche-queue ?
Qui a trouvé la clef des champs ?
Le lièvre vert ? Le renard roux ?
Qui a gardé la clef des champs ?
Le chat, la belette ou le loup ?
Qui a rangé la clef des champs ?
La couleuvre ou le hérisson ?
Qui a paumé la clef des champs ?
La musaraigne ou le pinson ?
Qui a mangé la clef des champs ?
Ce n'est pas moi. Ce n'est pas vous.
Elle est à personne et partout,
La clé des champs, la clef de tout.

Claude Roy

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Voici une réhabilitation de l'étourneau, cet animal trop souvent sujet de moquerie chez les humains :

Étourdis étourneaux

Les étourneaux
sont étourdis.
On le dit.

Ils font des tours
et des détours
et ils rient.

Les étourneaux
n'ont pas de tête.
On le dit.

Mais ils sont gais,
les étourneaux,
légers là-haut !

Ils font dans le ciel
des anneaux,
des anneaux gais à tire-d'aile
les étourneaux.

Claude Roy ("La cour de récréation" - Éditions Gallimard)

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Texte proposé pour ce thème 2011 du paysage, par le site du Printemps des Poètes à l'adresse (à copier-coller) : http://www.printempsdespoetes.com

Les quatre éléments

L'air c'est rafraîchissant
le feu c'est dévorant
la terre c'est tournant
l'eau – c'est tout différent.
L'air c'est toujours du vent
le feu c'est toujours bougeant
la terre c'est toujours vivant
l'eau – c'est tout différent.
L'air c'est toujours changeant
le feu c'est toujours mangeant
la terre c'est toujours germant
l'eau – c'est tout différent.
Et combien davantage encore ces drôles
d'hommes
espèces de vivants
qui ne se croient jamais dans leur vrai
élément.

Claude Roy ("Enfantasques" Gallimard, 1974 et 1993 Folio Junior) 



Marc-Antoine de Saint-Amant (1594-1661), ou Marc-Antoine Girard de Saint-Amant (ajout emprunté au nom de l'abbaye proche de Rouen, sa ville de naissance), est un poète "libre", bon-vivant (ce qui lui a valu le qualificatif de poète "libertin"). Sa poésie est parfois humoristique, voire burlesque, et parfois tournée vers la Nature.

"Les Œuvres" (1629) est son premier recueil, et les suivants portent simplement le même titre. L'ensemble de ses poèmes a été réuni en deux tomes dans "Œuvres complètes de Saint-Amant", éditions Livet, 1855, et plus récemment dans "Œuvres" (Kraus Reprint, Nendeln, 1972).

Sa poésie y est ainsi présentée : "Poèmes bachiques, chants à boire, alternent dans l’œuvre de Saint-Amant, avec des odes précieuses consacrées à une solitude fantasque et dolente : les deux faces peut-être d’une même inspi­ration aventureuse vaguant des hôtels aristocratiques aux lieux de débauche de leurs soubassements"...

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On retiendra de lui, pour le Printemps des Poètes 2011, ce paysage des Canaries, où quand même éclate le bonheur de vivre dans une Nature généreuse :

L'automne des Canaries
 
Voici les seuls coteaux, voici les seuls vallons
Où Bacchus et Pomone ont établi leur gloire ;
Jamais le riche honneur de ce beau territoire
Ne ressentit l’effort des rudes aquilons.

Les figues, les muscats, les pêches, les melons
Y couronnent ce dieu qui se délecte à boire ;
Et les nobles palmiers, sacrés à la victoire,
S’y courbent sous des fruits qu’au miel nous égalons.

Les cannes au doux suc, non dans les marécages
Mais sur des flancs de roche, y forment des bocages
Dont l’or plein d’ambroisie éclate et monte aux cieux.

L’orange en même jour y mûrit et boutonne,
Et durant tous les mois on peut voir en ces lieux
Le printemps et l’été confondus en l’automne.

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en version originale : 

L'autonne des Canaries

Voycy les seuls côtaux, voycy les seuls valons
Où Bacchus et Pomone ont estably leur gloire ;
Jamais le riche honneur de ce beau territoire
Ne ressentit l'effort des rudes aquilons.

Les figues, les muscas, les pesches, les melons
Y couronnent ce dieu qui se delecte à boire
Et les nobles palmiers, sacrez à la victoire,
S'y courbent sous des fruits qu'au miel nous esgalons.

Les cannes au doux suc, non dans les marescages,
Mais sur des flancs de roche, y forment des boccages
Dont l'or plein d'ambroisie eclatte et monte aux cieux.

L'orange en mesme jour y meurit et boutonne,
Et durant tous les mois on peut voir en ces lieux
Le printemps et l'esté confondus en l'autonne.

Marc-Antoine de Saint-Amant (dans"Œuvres complètes")



15 mai 2009

Annie SALAGER, Albert SAMAIN, SAMIVEL, Cécile SAUVAGE - PRINT POÈTES 11 : PAYSAGES en français

Annie Salager  est une romancière et poète contemporaine, auteure également de récits et de traductions de textes espagnols (des poésies essentiellement). Son dernier recueil est paru en 2009 : "Aimez-vous la mer, le tango - Tango und Meer" (Éditions En Forêt/Verlag Im Wald bilingue allemand-français). On trouvera sur son site d'autres poèmes, des éléments de biographie et une bibliographie : http://perso.numericable.fr/asalager/

"Le poème nous mêle à la lumière, la poésie comme la biologie portent à l'admiration du vivant" (A Salager).

Oyats

                       à F-J. Temple

J'aurais seulement besoin
des oyats sur les dunes
éclairés par les lis
et d'une cuillerée d'amour
pour marcher sur les flots
agités d'une illusion de temps
et d'un safran de rire

Tant d'années sans eux les lis
le léger inconfort des étangs
les vieilles cabanes de pêcheurs
les canaux les roselières
l'ennui pour eux de n'être pas la mer
soudain un champ de saladelles
je gémis attachée au train
je guette le mistral les flamants roses
je veux les lis de mer
les lieux d'exil terre ni mer
où travaille l'instable le néant de l'être
fouetté par-dessus tête
des courtes vagues du désir
et tout ce poids du temps
réduit à rien

Annie Salager

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Traces 

Où j’aime tomber
mais dans
l’odeur des roses
les lis de mer
la lumière et le piercing
des martinets
ou encore dans
nos traces de silence
après le bruit
où aurais-je aimé vivre
mais dans
l’air la canopée
au milieu des poissons colorés
finalement où juste un vivre
de lumière j’aurais aimé.

Annie Salager

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Un extrait de son dernier recueil :

    Aimez-vous la mer ? (extrait)

J’entends la mer balayer le rivage
entrer dans la chambre
la rumeur du sablier

le ciel est noir d’étoiles
d’infinis lis en poussière de mer

la nuit me peuple

j’ai soif d’eux

dans les senteurs du maquis
l’instant du vivre
tient en haleine.

[...]
 

Annie Salager ("Aimez-vous la mer, le tango - Tango und Meer", Éditions En Forêt/Verlag Im Wald - bilingue allemand-français)

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Et enfin deux poèmes proposés dans la "poéthèque" du site du Printemps des Poètes à cette adresse : http://www.printempsdespoetes.com

Tu cours superbe, ô Rhosne, flourissant 

Tu cours superbe, ô Rhosne, flourissant
Les bords imaginaires du voyage
les rives vertes où l'on s'use en passant
aux tourbillons, aux rhombes des nuages.
Ton couteau nu entraîne nos images
de vie si promptes à rejoindre les puits
où demain les noiera d'une eau d'oubli
et là s'apaiseront les jours amers
quand jusqu'à l'os léchés nos mots blanchis
seront le temps qui pose sur la mer.

Annie Salager ("Printemps des Poètes 2005" - "Hommage à Maurice Scève, sa Délie aux quatre cent quarante neuf dizains décasyllabiques, rimés en ABAB BC CDCD")

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"poéthèque" du Printemps des Poètes : http://www.printempsdespoetes.com

La mer (titre proposé)

Cousus ensemble à la lumière et aux cailloux, des corps d'algues gigantesques imprégnaient l'horizon. Dressés, de lointains panneaux en plastique bleu arrêtaient le bruit quand on glissait le long d'eux, comme le plongeur de Paestum* dans le monde souterrain qui s'ouvre pour lui au creux des vagues. C'était la mer avec sa hache d'infini. Elle fend l'oeil et la tête, nettoie les paroles, pénètre violemment la mémoire. Son feu est-il celui de Cassandre ? Clos sur ses Méditerranées, qui en regarde la roue peut voir ses propres vies dans le vent solaire danser et disparaître.

*Paestum : cité grecque située en Italie du sud (Campanie), appelée aujourd'hui Poseidonia, et classée au patrimoine mondial de l'Unesco depuis 1998

Annie Salager ("Les dieux manquent de tout" éditions Paroles d'Aube, 1996)



Albert Samain (1858-1900) est un de nos plus importants poètes symbolistes du XIXe siècle (voir Henri de Régnier). 

Le texte original de ce long poème comporte 16 quatrains. Voici le début du texte, dont on ne propose en général que les deux ou trois premières strophes :

Mélancolie

Le vent tourbillonnant, qui rabat les volets,
Là-bas tord la forêt comme une chevelure.
Des troncs entrechoqués monte un puissant murmure,
Pareil au bruit des mers, rouleuses de galets.

L'automne qui descend des collines voilées
Fait, sous ses pas profonds, tressaillir notre cœur
Et voici que s'afflige avec plus de ferveur
Le tendre désespoir des roses envolées.

Le vol des guêpes d'or qui vibrait sans repos
S'est tu : le pêne grince à la grille rouillée ;
La tonnelle grelotte et la terre est mouillée,
Et le linge blanc claque, éperdu, dans l'enclos.

Le jardin nu sourit comme une face aimée
Qui vous dit longuement adieu, quand la mort vient ;
Seul le son d'une enclume ou l'aboiement d'un chien
Monte, mélancolique, à la vitre fermée.

[...]

Albert Samain ("Le Chariot d'Or" - Mercure de France, 1900)

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Chanson d'été

Le soleil brûlant
Les fleurs qu'en allant
Tu cueilles,
Viens fuir son ardeur
Sous la profondeur
Des feuilles.

Cherchons les sentiers
A demi frayés
Où flotte,
Comme dans la mer,
Un demi-jour vert
De grotte.

Des halliers touffus
Un soupir confus
S'éléve
Si doux qu'on dirait
Que c'est la forêt
Qui rêve ...

Chante doucement ;
Dans mon coeur d'amant
J'adore
Entendre ta voix
Au calme du bois
Sonore.

L'oiseau, d'un élan,
Courbe, en s'envolant,
La branche
Sous l'ombrage obscur
La source au flot pur
S'épanche.

Viens t'asseoir au bord
Où les boutons d'or
Foisonnent ...
Le vent sur les eaux
Heurte les roseaux
Qui sonnent.

Et demeure ainsi
Toute au doux souci
De plaire,
Une rose aux dents,
Et ton pied nu dans
L'eau claire.

Albert Samain ("Au jardin de l'Infante", Mercure de France, 1903)

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J’aime l’aube aux pieds nus qui se coiffe de thym

J’aime l’aube aux pieds nus qui se coiffe de thym,
Les coteaux violets qu’un pâle rayon dore,
Et la persienne ouverte avec un bruit sonore,
Pour boire le vent frais qui monte du jardin,

La grand’rue au village un dimanche matin,
La vache au bord de l’eau toute rose d’aurore,
La fille aux claires dents, la feuille humide encore,
Et le divin cristal d’un bel oeil enfantin.

Mais je préfère une âme à l’ombre agenouillée,
Les grands bois à l’automne et leur odeur mouillée,
La route où tinte, au soir, un grelot de chevaux,

La lune dans la chambre à travers les rideaux,
Une main pâle et douce et lente qui se pose,
"Deux grands yeux pleins d’un feu triste" (1), et, sur toute chose

Une voix qui voudrait sangloter et qui n’ose …

Albert Samain ("Le Chariot d'Or" - Mercure de France, 1900) - (1) guillemets dans le texte original



Samivel (1907-1992) est difficile à classer : écrivain, poète, humoriste et illustrateur, et cinéaste-photographe autant que grand randonneur. ... Son talent est reconnu dans toutes ces activités. Il s'appelait pour l'état civil Paul Gayet-Tancrède. Son nom d'auteur est emprunté à Charles Dickens (Samivel, c'est Sam Weller dans "Les Aventures de Mr Pickwick").

Samivel_dessin

Ci-dessus un dessin humoristique de Samivel (source : http://strictement-confidentiel.com/), qui a parcouru, décrit, romancé sa montagne des Alpes. Il a été avec d'autres le créateur du Parc National de la Vanoise, pour lequel il a écrit cette poésie en forme de code de bonne conduite :

La Vanoise

Voici l'Espace, voici l'air pur, voici le Silence
Le Royaume des aurores intactes et des bêtes naïves
Tout ce qui vous manque dans les villes
Est ici préservé pour votre joie

Eaux libres, hommes libres
Ici commence le pays de la liberté.
La liberté de se bien conduire

Récoltez de beaux souvenirs mais ne cueillez pas les fleurs
N'arrachez surtout pas les plantes : il pousserait des pierres !
Il faut beaucoup de brins d'herbe pour tisser un homme.

Ouvrez vos yeux et vos oreilles, fermez vos transistors
Pas de bruit de moteur inutile, pas de klaxons
Écoutez les musiques de la montagne.

Enterrez vos soucis et emmenez vos boites de conserves.
Les papiers gras sont les cartes de visite des mufles.

Oiseaux, chevreuils, lapins, chamois
Et tout ce petit peuple de poil et de plume
Ont désormais besoin de vous pour survivre.
Déclarez la paix aux animaux timides,
Ne les troublez pas dans leurs affaires
L'ennemi des bêtes est l'ennemi de la vie

Afin que les printemps futurs réjouissent encore vos enfants !

Samivel

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L’automne


Quand l'automne en saison revient
La forêt met sa robe rousse
Et les glands tombent sur la mousse
Où dansent en rond les lapins.
Les souris font de grands festins
Pendant que les champignons poussent.
Ah ! Que la vie est douce, douce
Quand automne en saison revient.

Samivel

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Les galets

Sur une plage de galets
Que voit-on s’il vous plaît ?
À perte de vue des galets
Qui vous paraissent tous semblables.
Mais regardez-y de plus près.
Certains sont rond. D’autres carrés,

Or, grenat, jade, bigarrés…
Dans ces foules incalculables
Qui s’effondrent sous les orteils
On en trouve pas deux pareils…

Il voit tous de même fabrique,
Le Sot, jetant un regard hâtif.
Mais le sage, plus attentif,
Sait bien que chaque Être est unique

Samivel



Cécile Sauvage  (1883-1927).

Le jour (début du poème)

Levons-nous, le jour bleu colle son front aux vitres,
La note du coucou réveille le printemps,
Les rameaux folichons ont des gestes de pitres,
Les cloches de l'aurore agitent leurs battants.
La nuit laisse en fuyant sa pantoufle lunaire
Traîner dans l'air mouillé plein de sommeil encor
Et derrière les monts cachant sa face claire
Le soleil indécis darde trois flèches d'or.

[...]

Cécile Sauvage ("Tandis que la terre tourne")

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La lune blanche

Souvent le coeur qu'on croyait mort
N'est qu'un animal endormi ;
Un air qui souffle un peu plus fort
Va le réveiller à demi ;
Un rameau tombant de sa branche
Le fait bondir sur ses jarrets
Et, brillante, il voit sur les prés
Lui sourire la lune blanche.

Cécile Sauvage ("Mélancolie")

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Fumées (début et passages du poème)

Le brouillard fondu
Prend les arbres nus
Dans sa molle haleine.
Le jardin frileux
Sous un voile bleu
Se devine à peine.

Le soleil blafard
Résout le brouillard
En perles d’eau blanche
Dont le tremblement
Miroite et s’étend
À toutes les branches.
…...

L’azur d’un soir gris.
Un vague arc-en-ciel s’allonge et verdit
Sur la côte obscure ;
Sa courbe légère et rose grandit
De plus en plus pure.
À l’endroit où l’arc suave incliné
Rejoint la colline,
Les arbres d’hiver prennent sa clarté,
Dans leurs branches fines.

Un oiseau chante comme une eau
Sur des cailloux et des pervenches.
Quelle odeur de printemps s’épanche
De cette pure voix d’oiseau !
……

La lune pâle, rêveuse
Et transparente à demi,
Glisse sur la vaporeuse
Douceur d’un ciel endormi.
Dans les branches dénudées
Et si grêles d’un bouleau
Une lueur irisée
Incline ses calmes eaux.
C’est l’hiver et sa tristesse
Avec de muets oiseaux
Se berçant à la sveltesse
Sans feuillage des rameaux.
……

J’ai vu ce matin la lune
Pâle dans les longs bouleaux
Et cette image importune
Reviendra dans mon cerveau.
Elle viendra persistante
Comme un avertissement
Dans un rêve qui me hante,
Et j’ai le bref sentiment
Qu’au jour de ma destinée
Dans un bouleau langoureux
Luiront nettement les feux
De cette lune obstinée.
……

La ville sous la fumée
Du soir et des cheminées
Flotte en un rêve étranger
Et s’efface. Son église
De fines colonnes grises,
Pareilles aux pins légers,
Sur le fond de la colline
Grandit, sans âge et divine
Dans le soir désespéré.

Dans l’herbe trottine un chien,
Une brindille remue,
Un oiseau fuit et plus rien
Ne bouge sur l’avenue.
……

Je ne veux qu’un rêve
À demi-flottant,
Que mon âme brève
Passe en voletant,
Que la brume fine
L’enveloppe aussi ;
Qu’elle s’achemine
Sans autre souci
Que celui d’errer
Avec une brise,
Sur l’arbre léger,
Sur la terre grise.

Cécile Sauvage ("Fumées")


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15 mai 2009

Anne SCHWARZ-HENRICH, Léopold SÉDAR SENGHOR, Victor SEGALEN, Pierre SEGHERS, Alain SERRES - PRINT POÈTES PAYSAGES en français

Anne Schwarz-Henrich est une poète contemporaine, auteure de recueils pour les enfants : "Du coq à l'âne" (paru en 2005), "Au clair de ma plume"...

 L'autre monde

Quand je ferme les yeux,
J'allume les lumières
Des plafonds merveilleux
Que déploient mes paupières

Et qui m'éclairent les lieux
Où je viens, solitaire,
Glaner des rêves bleus
Dans la nuit, sur mes terres.

Anne Schwarz-Henrich



Léopold Sédar Senghor (1906-2001) est un poète, écrivain et homme politique sénégalais. Élu en 1960 président de la République du Sénégal, il a dirigé 20 ans son pays.
source Wikipédia : Sa poésie essentiellement symboliste, fondée sur le chant de la parole incantatoire, est construite sur l'espoir de créer une Civilisation de l'Universel, fédérant les traditions par-delà leurs différences."
Par ailleurs il approfondira le concept de négritude, notion introduite par Aimé Césaire, en la définissant ainsi : "La Négritude est la simple reconnaissance du fait d’être noir, et l’acceptation de ce fait, de notre destin de Noir, de notre histoire et de notre culture".

Un poème descriptif d'un village africain, entrant dans la nuit, dont ces deux strophes sont en général données dans les classes :

Nuit de Siné (passage)

[...]
Qu’il nous berce, le silence rythmé.
Écoutons son chant, écoutons battre notre sang sombre, écoutons
Battre le pouls profond de l’Afrique dans la brume des villages perdus.

Voici que décline la lune lasse vers son lit de mer étale
Voici que s'assoupissent les éclats de rire, que les conteurs eux-mêmes
Dodelinent de la tête comme l'enfant sur le dos de sa mère
Voici que les pieds des danseurs s'alourdissent, que s'alourdit la langue des chœurs alternés.

C'est l'heure des étoiles et de la Nuit qui songe
S'accoude à cette colline de nuages, drapée dans son long pagne de lait.
Les toits des cases luisent tendrement. Que disent-ils, si confidentiels, aux étoiles ?
Dedans, le foyer s'éteint dans l'intimité d'odeurs âcres et douces.

[...]

Léopold Sédar Senghor ("Chants d'Ombre" - Éditions du Seuil, 1945)

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Je suis seul

Je suis seul dans la plaine
Et dans la nuit
Avec les arbres recroquevillés de froid
Qui, coudes au corps, se serrent les uns contre les autres.

Je suis seul dans la plaine
Et dans la nuit
Avec les gestes de désespoir pathétique des arbres
Que leurs feuilles ont quittés pour des îles d'élection.

Je suis seul dans la plaine
Et dans la nuit.
Je suis la solitude des poteaux télégraphiques
Le long des routes
Désertes.

Léopold Sédar Senghor ("Oeuvre poétique" - Éditions du Seuil, 1964)



Pierre Seghers (1906-1987) est un poète et un éditeur de poésie révélateur de poètes (Les éditions Seghers sont toujours actives).
Il est le créateur de la revue des poètes de la Résistance : Poésie 40, qui publie, aussi des textes actuels. Il a créé et dirigé aussi la collection "Poètes d’aujourd’hui", et il est l'auteur de nombreuses anthologies poétiques. On trouve Pierre Seghers avec d'autres textes dans la catégories PRINT POÈTES 2008 : L'AUTRE (France) et  PAROLES et musique sur ce blog, ainsi que dans
PRINT POÈTES 2010 : LE FÉMININ EN POÉSIE.

Les paysages intérieurs, à entretenir :

Décourage en toi le chagrin
(sans titre, ce titre est proposé par le blog)

Décourage en toi le chagrin. Les caroubiers, les lauriers-roses
De ton jardin, arrose-les pour les oiseaux,
Réjouis-toi quand tu t'éveilles d'une journée toujours la même,
Ton coeur te dit à chaque instant que ta durée va de son pas
Régulier comme un pas d'horloge. Invente des gazons
Pour reposer ta vue, et fais, comme à Grenade
Ruisseler l'eau du temps sous les roses. Je sais,
Cette Tour Capitaine est tout imaginaire,
Mais si tu vis comme un poète dans ce haut lieu
Dis-moi, où est la réalité ? Sur le dedans
Ouvre les yeux et découvre en toi d'autres chambres,
D'autres allées. Les narcisses dans le désert
Refleuriront. Invente en toi d'autres rivages
Où le roc se dérobe, où le reflet n'est plus
Qu'un tapis où marcher sur l'eau du ciel. Invente
Une ville déserte, un Pompéï vacant
Et fais tourner sur l'écliptique
Pour mieux jouir de l'ombre et des grands pans déserts
La lumière et l'obscur. Fais-toi de la chaleur
Des souvenirs en creux dans tes mains. Puis, va-t'en
Défricher les cent mille hectares de ton domaine
Intérieur. Décourage en toi le chagrin.

Pierre Seghers ("Dialogue", éditions Seghers, 1965)
 

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Automne

Pour caresser l'odeur des bois
Une main aux cent mille doigts

Pour aller dans l'enfance ancienne
Une main pour tenir la tienne

T'en souvient-il ? Un grand ciel blanc
Dans l'étang luisant et le vent

Passant sur un château détruit
Avec ses feuilles et sa pluie

Sur la route du Cœur-Volant
T'en souvient-il ? C'était au temps

Des saisons, au temps des nuages
Nous étions comme eux de passage

Et si parfois tu sens sur toi
Comme aujourd'hui comme autrefois

Une main aux cent mille doigts
Redis-toi toujours que c'est moi.

Pierre Seghers ("Le Cœur-volant", Les Écrivains réunis, 1954) 



Victor Segalen (1878-1919) est  un poète breton de langue française, médecin de marine, ethnographe et archéologue français. Ses attaches sont partout : grand voyageur et découvreur, c'est en Chine (mais en français) que paraît d'abord Stèles, en 1912, dans une édition très restreinte et non commerciale. Le texte qui suit en est tiré.

Les "stèles" sont des monuments chinois de forme rectangulaire et portant des inscriptions. L'édition de Pékin du recueil de Segalen s'en inspire : format et illustrations bien définis (image). Elle comprend 81 exemplaires hors commerce sur papier de Corée et environ 200 exemplaires sur vélin parcheminé. Elle est en 1914 augmentée de 16 nouveaux poèmes.
Stèles est paru en 1999 en collection Poésie / Gallimard, et on trouve exceptionnellement ici l'intégralité de l'ouvrage original : steles.net

 

Conseils au bon voyageur

 
Ville au bout de la route et route prolongeant la ville : ne choisis donc pas l'une ou l'autre, mais l'une et l'autre bien alternées.
Montagne encerclant ton regard le rabat et le contient que la : plaine ronde libère. Aime à sauter roches et marches ; mais caresse les dalles où le pied pose bien à plat.
Repose-toi du son dans le silence, et, du silence, daigne revenir au son. Seul si tu peux, si tu sais être seul, déverse-toi parfois jusqu'à la foule.
Garde bien d'élire un asile. Ne crois pas à la, vertu d’une vertu durable : romps-la de quelque forte épice qui brûle et morde et donne un goût même à la fadeur.
Ainsi, sans arrêt ni faux pas, sans licol et sans étable, sans mérites ni peines, tu parviendras, non point, ami, au marais des joies immortelles,
Mais aux remous pleins d'ivresses du grand fleuve Diversité.


Victor Segalen ("Stèles", Presses du Pei-t’ang, Pékin, 1912 et éditions Crès, Paris, 1922)
 

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Stèles du bord du chemin

Terre jaune


D'autres monts déchirent le Ciel, et portant le plus haut qu'ils peuvent les tourments de leurs sommets, laissent couler profondément la vallée.

Ici, la Terre inversée cache au creux des flancs ses crevasses, tapit ses ressauts, étouffe ses pics -- et tout en bas

Les vagues de boue chargées d'or, délitées par les sécheresses, léchées par les pleurs souterrains gardent pour quelque temps la forme des tempêtes.

- - - - - - - - -

Alors que, supérieure, ignorant les tumultes, droite comme une table et haute à l'égal des cimes, -- la plaine étendue

Nivelle sa face jaune sous le Ciel quotidien des jours qu'elle recueille dans son plat.
 

Victor Segalen ("Stèles")

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Les trois hymnes primitifs     

 

Les lacs (premier des trois hymnes)  

 
Les lacs, dans leurs paumes rondes noient le visage du Ciel :
J'ai tourné la sphère pour observer le Ciel.
Les lacs, frappés d'échos fraternels en nombre douze :
J'ai fondu les douze cloches qui fixent les tons musicaux.

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Lac mouvant, firmament liquide à l'envers, cloche musicale,
Que l'homme recevant mes mesures retentisse à son tour sous
le puissant Souverain-Ciel.
Pour cela j'ai nommé l'hymne de mon règne : Les Lacs.

[...] deux autres hymnes suivent : "L'abîme" et "Nuées"

Victor Segalen ("Stèles")



Alain Serres est né en 1956. Il a publié de nombreux textes, histoires et poèmes pour enfants et adolescents.

Voici un paysage intérieur caché :

Toi-même

C'est fou ce qu'il y a de merveilles
Dans le creux de ton oreille
C'est fou ce qu'il y a de chemins
Dans le creux de ton poing
C'est fou ce qu'il y a de poèmes
Dans le creux de toi-même.

Alain Serres



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