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lieu commun
1 mai 2008

le féminin des autres - Amérique du Nord - Etats-Unis

AMÉRIQUE DU NORD

ÉTATS-UNIS

Émily Dickinson (1830-1886) est une des plus importantes poètes des États-Unis d'Amérique.
"Je donnerais tous les poètes pour Emily Dickinson". (Cioran)

 La traduction en français est suivie du texte original

Je reviens du Ciel

Je reviens du Ciel.
C'est un village ;
Pour lampe, un rubis ;
Du coton pour lattes.

Calme - plus qu'un champ
Au fort de la rosée ;
Plus beau qu'une image
Inventée par l'homme.
Les gens, tels des phalènes,
Etaient faits de dentelle ;
De gaze étaient leurs devoirs,
Et leur nom, de duvet.
Contente - ou presque,
Je pourrais être
En compagnie
Si singulière.

I went to Heaven

I went to Heaven –
‘Twas a small Town –
Lit – with a Ruby –
Lathed – with Down –

Stiller – than the fields
At the full Dew –
Beautiful – as Pictures –
No Man drew.
People – like the Moth –
Of Mechlin – frames –
Duties – of Gossamer.
And Eider – names –
Almost – contented
I – could be –
‘Mong such unique
Society –

Émily Dickinson

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On apprend l'eau par la soif
La terre par les mers qu'on traverse
L'exaltation  par l'angoisse
La paix en comptant ses batailles
L'amour par une image qu'on garde
Et les oiseaux  par la neige

texte original réorganisé

Water is taught by thirst
Land, by the ocean passed
Transport, by throe
Peace, by it's battle told
Love, by memorial mold
Birds, by the snow.

Émily Dickinson

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Un texte en anglais, si quelqu'un veut se coller à la traduction ...

The Robin (Le rossignol)

The Robin is the one

That interrupts the morn
With hurried, few, express reports
When March is scarcely on.

The robin is the one
That overflows the noon
With her cherubic quantity,
An April but begun.

The robin is the one
That speechless from her nest
Submits that home and certainty
And sanctity are best.

Émily Dickinson

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Et un poème directement traduit, pour faire bonne mesure :

Fleurir est aboutir

Qui rencontre une fleur
Et l’observe en passant
Soupçonne à peine le rôle d’un détail mineur
Dans l’entreprise brillante et compliquée
Qui se présente sous la forme d’un papillon
Offert au méridien.

Remplir le bourgeon, combattre le ver,
Obtenir un droit de rosée,
Régler la chaleur, échapper au vent,
Éviter l’abeille qui rôde ;

Ne pas décevoir la belle nature,
L’attendre ce jour-là.
Être fleur est une profonde
Responsabilité.

Émily Dickinson

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Edgar Allan Poe (1809-1849) est un romancier connu. On connaît moins ses poésies.

Annabel Lee (extrait)

C’était il y a bien et bien des années,
dans un royaume près de la mer,
que vivait une jeune fille que vous pouvez connaître
par le nom d’Annabel Lee ;
et cette jeune fille vivait sans autre pensée
que d’aimer et d’être aimée de moi.

J’étais un enfant et elle était une enfant
dans ce royaume près de la mer ;
mais nous nous aimions d’un amour qui était plus que de l’amour,
moi et mon Annabel Lee ;
d’un amour que les séraphins ailés du ciel
enviaient à elle et à moi.

Et ce fut la raison pour laquelle, il y a longtemps
dans ce royaume près de la mer,
un vent souffla d’un nuage, glaçant
ma belle Annabel Lee ;
de sorte que ses parents de haute naissance vinrent
et l’emportèrent loin de moi,
pour l’enfermer en un sépulcre
dans ce royaume près de la mer.

(...)


Mais notre amour était de beaucoup plus fort que l’amour
de ceux qui étaient plus vieux que nous
de plusieurs bien plus sages que nous
et ni les anges dans les cieux là-haut,
ni les démons là-bas sous la mer
ne pourront jamais séparer mon âme de l’âme
de la belle Annabel Lee.

Car la lune ne brille jamais sans me porter les rêves
de la belle Annabel Lee ;
et les étoiles ne surgissent jamais sans que je sente les yeux brillants
de la belle Annabel Lee ;
et ainsi, pendant tout le flux de la nuit, je me couche à côté
de ma chérie, ma chérie, ma vie et mon épouse,
dans son sépulcre, là, près de la mer,
dans sa tombe à côté de la mer.
traduction de Gabriel Mourey

Edgar Allan Poe ("Poésies complètes d’Edgar Poe", traduction de Gabriel Mourey - Mercure de France) - La traduction de Gabriel Mourey est celle qui nous semble la plus réussie (d'autres s'y sont essayés avec moins de brio, même le grand Stéphane Mallarmé).



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1 mai 2008

féminin des autres - Amérique du Nord - Québec, Amérindiens

CANADA (QUÉBEC)

voir également la catégorie PRINT POÈTES 2010 : DES FEMMES POÈTES

Anne Hébert (1916-2000) est une poète francophone du Québec.

La page blanche

La page blanche
Devant moi
N’espère que toi
Sur la feuille nue

Lisse neigeuse à perte de vue
Belle page étale
Ne vient que la finesse de tes os
Subtile apparition

Grand squelette debout
En filigrane gravé
Au bout de mes doigts
Sur la transparence du jour.
 

Anne Hébert

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La neige

La neige nous met en rêve
sur de vastes plaines,
sans traces ni couleur

Veille mon coeur,
la neige nous met en selle
sur des coursiers d'écume

Sonne l'enfance couronnée,
la neige nous sacre en haute-mer,
plein songe,
toutes voiles dehors

La neige nous met en magie,
blancheur étale,
plumes gonflées
où perce l'oeil rouge de cet oiseau.

Mon coeur,
trait de feu sous des palmes de gel
file le sang qui s'émerveille.

Anne Hébert

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Il y certainement quelqu'un ...

Il y a certainement quelqu'un
Qui m'a tuée
Puis s'en est allé
Sur la pointe des pieds
Sans rompre sa danse parfaite.

A oublier de me coucher
M'a laissée debout
Toute liée
Sur le chemin
Le coeur dans son coffre ancien
Les prunelles pareilles
A leur plus pure image d'eau

A oublié d'effacer la beauté du monde
Autour de moi
A oublié de fermer mes yeux avides
Et permis leur passion perdue.
 

Anne Hébert

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Rencontre

L’homme qui marche dans la nuit
Brille à travers ses larmes
Comme un feu sourd dans le brouillard
Halo du prisme autour de ses épaules
L’ombre portée de son coeur à ses pieds.

Anne Hébert

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Hélène Dorion est une poète du Québec, née en 1958.

On peut très bien vivre ...

On peut très bien vivre
sans rien d'autre que ces tendresses journalières :
une carte postale dans la boîte, un bruit de vague
le bleu sur la plaine, les mots d'un poème.
L'univers réduit à peu d'attaches
au trajet ordinaire
de sa propre mort.

On peut très bien n'être qu'une aventure d'atomes
et de questions dérisoires.

Hélène Dorion

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La terre, l'univers

La terre, l'univers
Quelques traits sur le mur de la grotte
les couleurs de la bête
la forme visible de la vie;
en ce mouvement le monde a commencé.
Par le silence et la nuit
la gravité du noir, la terre
dans les mains qui tâtonnent;
par les galets, l'eau, les fruits
l'oiseau secouant l'espace
et le bruit des pas incertains
nous avons commencé.
Lumières éteintes, portes refermées
au bout de l'horizon, le monde
ne tenait qu'à un fil.

Hélène Dorion ("Les murs de la grotte" - éditions la Différence, 1998)

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Félix Leclerc est un poète et un auteur-compositeur-interprète du Québec.  

Chanson de femme d'autrefois et d'aujourd'hui

Tu t'absentais un jour et je voulais mourir
J'épiais les passants, je n'étais que soupir
Enfin je te voyais sur la route venir
Femme jeune, j'étais dehors pour t'accueillir

Après quelques saisons, tu t'absentais un an
Tu me téléphonais, m'envoyais de l'argent
J'essayais de comprendre, je savais qu'un beau soir
Sans trop le désirer, tu reviendrais pour voir

Si tes enfants sont là, quelle affreuse morale
Tes enfants sont partis, ils ne t'ont pas connu
J'ai des dettes, des deuils et je me porte mal
Qui est cet étranger à ma porte venu ?

Tu es mort mon amour, emporté par le vent
C'était un pionnier, disait-on, un géant
J'ai oublié tes mains, ton rire et ton visage
Ton nom est déserteur dans mon âme, chère image

Veuve heureuse aujourd'hui
Voilà ce que je suis

Félix Leclerc

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Lorsque la famille ...

Lorsque la famille était réunie à table, et qui la soupière fumait, maman disait parfois :
" Cessez un instant de boire et de parler".
Nous obéissions.
Nous nous regardions sans comprendre, amusés.
"C'est pour vous faire penser au bonheur, ajoutait-elle."
nous n'avions plus envie de rire ...

Félix Leclerc

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Gilles Vigneault est un autre poète et auteur-compositeur-interprète du Québec. 

Je n'ai pas cessé de t'aimer

Dans la nuit des jours sans paroles
Dans l'ennui des projets fermés
Et l'oubli des mots qui consolent
Je n'ai pas cessé de t'aimer

Au beau jeu d'un autre langage
Quelques mots de vous m'ont charmé
Chacun vient avec son bagage
Je n'ai pas cessé de t'aimer

Au carreau glacé de décembre
Aux vergers pleins du mois de mai
Même au lit défait dans la chambre
Je n'ai pas cessé de t'aimer

Au jardin secret des tendresses
Dans les fleurs qu'amour a semées
Tant de fruits nouveaux m'intéressent
Je n'ai pas cessé de t'aimer

Je n'ai pas fini de t'aimer

Gilles Vigneault

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Berceuse pour Marion

Pour Marion qui sommeille
Le faiseur de rêves est prêt
Un grand navire appareille
Pour des rivages secrets
Moussaillon Marion
Va faire un joli voyage
Marion moussaillon
Fend le rêve, nous veillons

Mais quand Marion s'éveille
Le lait du soleil est chaud
Raconte-nous les merveilles
Des îles de ton dodo
Sourions Marion
Maman et papa t'écoutent
Sourions Marion
Nous t'écoutons, les yeux ronds

Gilles Vigneault

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Lynda lemay est une québécoise poète, "auteure-compositrice" et interprète de ses textes, ironiques et tendres.

Une mère

Une mère
Ca travaille à temps plein
Ca dort un œil ouvert
C’est d’garde comme un chien
Ca court au moindre petit bruit
Ca s’lève au petit jour
Ca fait des petites nuits.
C’est vrai
Ca crève de fatigue
Ça danse à tout jamais une éternelle gigue
Ça reste auprès de sa couvée
Au prix de sa jeunesse
Au prix de sa beauté.

Une mère
Ca fait ce que ça peut
Ca ne peut pas tout faire
Mais ça fait de son mieux.

Une mère
Ca calme des chamailles
Ca peigne d’autres cheveux que sa propre broussaille.

Une mère
C’est plus comme les autres filles
Ca oublie d’être fière
Ca vit pour sa famille

Une mère
Ca s’confie nos bercails
C’est pris comme un noyau dans l’fruit de ses entrailles

Une mère
C’est là qu’ça nous protège
Avec les yeux pleins d’eau
Les cheveux pleins de neige

Une mère
A un moment, ça s’courbe,
Ca grince quand ça s’penche
Ca n’en peut plus d’être lourde
Ca tombe, ça se brise une hanche
Puis rapidement, ça sombre
C’est son dernier dimanche
Ca pleure et ça fond à vue d’oeil
Ca atteint la maigreur des plus petits cercueils
Oh, bien sûr, ça veut revoir ensemble
Toute sa progéniture entassée dans sa chambre
Et ça fait semblant d’être encore forte
Jusqu’à c’que son cadet ait bien r’fermé la porte.

Et lorsque, toute seule ça se retrouve
Ça attend dignement qu’le firmament s’entrouvre
Et puis là, ça se donne le droit
De fermer pour la première fois
Les deux yeux à la fois.

Une mère
Ca n’devrait pas partir
Mais on n’y peut rien faire
Mais on n’y peut rien dire.

Une mère …

Linda Lemay

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Mes chemins à l'envers

Après avoir volé
Et fait un tour du monde complet
Après avoir fouillé
Le coeur de tous les hommes secrets
Après avoir traîné mes semelles
Sur les montagnes les plus belles
C'est ici que je reviendrai

Je reviendrai au bord
D'un fleuve que j'adore
Je déposerais mes yeux
Sur son grand ventre bleu
Ici les arbres ont des humeurs
Y changent de tête de de couleur
C'est ici qu'le gazon sent mon enfance
Que les merles font les plus grands nids
Oui c'est ici que tout commence et que tout finit
Que tout finit

Après m'être grisée
De poésie les plus vibrantes
Après avoir goûté
Les épices les plus violentes
Et compris toutes les dentelles
Des langues les plus sensuelles
D'est ici que je reviendrais

Je reviendrai au bord
D'un fleuve que j'adore
Je déposerai mes yeux
Sur son grand ventre bleu
Ici les arbres ont des humeurs
Y changent de tête de de couleur
C'est ici qu'le gazon sent mon enfance
Que les merles font les plus grands nids
Oui c'est ici que tout commence
Et que tout finit

Après avoir crevé
Tous les mystères, toutes les frontières
Je referais mes chemins a l'envers

Je reviendrai au bord
D'un fleuve que j'adore
Je déposerai mes yeux
Sur son grand ventre bleu
Ici les arbres ont des humeurs
Y changent de tête de de couleur
C'est ici qu'le gazon sent mon enfance
Que les merles font les plus grands nids
Oui c'est ici que tout commence
Et que tout finit

Je reviendrai au bord
D'un fleuve que j'adore
Je déposerai mes yeux
Sur son grand ventre bleu
Ici les arbres ont des humeurs
Y changent de tête et de couleur
C'est ici qu'le gazon sent mon enfance
Que les merles font les plus grands nids
Oui c'est ici que tout commence
Et que tout finit
Que tout finit

Linda Lemay

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Michel Rivard (1879-1941) a écrit les paroles et composé la musique de cette chanson (chantée par "Beau Dommage") : 

La complainte du phoque en Alaska

Cré-moé, cré-moé pas
Quéqu' part en Alaska
Y a un phoque qui s'ennuie en maudit
Sa blonde est partie
Gagner sa vie
Dans un cirque aux États-Unis

Le phoque est tout seul
Y r'garde le soleil
Qui descend doucement sur le glacier
Y pense aux États
En pleurant tout bas
C'est comme ça quand ta blonde t'a lâché


Ça vaut pas la peine
De laisser ceux qu'on aime
Pour aller faire tourner
Des ballons sur son nez
Ça fait rire les enfants
Ça dure jamais longtemps
Ça fait plus rire personne
Quand les enfants sont grands

Quand le phoque s'ennuie
Y r'garde son poil qui brille
Comme les rues de New York après la pluie
Y rêve à Chicago
À Marilyn Monroe
Y voudrait voir sa blonde faire un show

C'est rien qu'une histoire
J' peux pas m'en faire accroire
Mais des fois j'ai l'impression qu' c'est moé
Qui est assis sur la glace
Les deux mains dans la face
Mon amour est partie pis j' m'ennuie

Michel Rivard


INDIENS D'AMÉRIQUE DU NORD

Chants traditionnels et auteurs contemporains.

La tribu Creek, tribu indienne d'Amérique du Nord, occupait à l'origine une très grande partie des plaines des actuels états de Georgie et d'Alabama, aux États-Unis d'Amérique.

Chant Creek

Un homme a demandé : O'pa le hibou,
Ulules-tu quand vient la mort ?
O'pa le hibou répondit : Hoorooooo.
L'homme a demandé : O'pa le hibou,
Ulules-tu quand vient le mensonge ?
O'pa le hibou répondit : Hoorooooo,
L'époux a demandé : O'pa le hibou,
Ulules-tu quand viennent les pleurs de l'épouse ?
O'pa le hibou répondit : Hoo.
L'époux blessé a demandé :
J'entends au loin un soupir,
J'entends au loin un soupir.
O'pa le hibou répondit : C'est ta femme qui
Soupire dans les bras d'un autre.

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Les Iroquois, tribu indienne d'Amérique du Nord, qu'on appelle aussi Cinq-Nations (à l'origine) compteront en tout six nations amérindiennes de langues iroquoises vivant historiquement dans le nord de l'État de New York, aux États-Unis d'Amérique.

Chant Iroquois

Nous rendons grâces à notre mère la terre, qui nous soutient.
Nous rendons grâces aux rivières et aux ruisseaux qui nous donnent l'eau.
Nous rendons grâces à toutes les plantes qui nous donnent les remèdes contre nos maladies.
Nous rendons grâces au maïs et à ses soeurs les fèves et les courges, qui nous donnent la vie.
Nous rendons grâces aux haies et aux arbres qui nous donnent leurs fruits.
Nous rendons grâces au vent qui remue l'air et chasse les maladies.
Nous rendons grâces à la lune et aux étoiles qui nous ont donné leur clarté après le départ du Soleil.
Nous rendons grâces à notre grand-père Hé-no, pour avoir protégé ses petits-enfants des sorcières et des reptiles, et nous avoir donné sa pluie.
Nous rendons grâces au Soleil qui a regardé la terre d'un oeil bienfaisant.
Enfin, nous rendons grâces au Grand Esprit en qui s'incarne toute bonté et qui mène toutes choses pour le bien de ses enfants.

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Plenty Coups (1848-1932) était le chef de la tribu des Crows, tribu amérindienne qui vivait historiquement dans la vallée du fleuve Yellowstone, et qui ont été déplacés par le gouvernement des États-Unis d’Amérique dans une réserve au sud du Montana. "Plenty Coups" signifie "beaucoup de coups, ou de victoires", surnom gagné contre les ennemis traditionnels des Crows, les Cheyennes, les Lakotas ou les Blackfeet.

Message d'adieu

Passent encore quelques soleils, et on ne nous verra plus ici.
Notre poussière et nos ossements se mèleront à ces prairies.
Je vois comme dans une vision, mourrir la lueur de nos feux du conseil, leurs cendres devenues froides et blanches.
Je ne vois plus s'élever les spirales de fumée au-dessus de nos tentes.
Je n'entends plus le chant des femmes préparant le repas.
Les entilopes ont fui ; les terres des bisons sont vides.
On n'entend plus que la plaite des coyottes.
La "médecine" de l'homme blanc est plus forte que la nôtre ;
le cheval de fer s'élance sur les pistes du bison.
Il nous parle à travers son "esprit qui murmure"(le telephone).
Nous sommes comme des oiseaux à l'aile brisée.
Mon coeur est froid au-dedans de moi.
Mes yeux se troublent ! Je suis vieux.

Plenty Coups, en 1909

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Éléonore Sioui est une écrivaine contemporaine du Québec, d'origine Amérindienne huronne-wendate, à qui on a imposé la langue française. Elle veut "donner la parole à celles qui se sont tues", et pratique la langue française à sa manière, nous rendant sa culture accessible..

* La mer

Je ramasse tout près d'elle*
Toutes sortes d'herbes
Et j'en fais des bouquets
Pour offrir à ceux
Qui peut-être
Viendront m'aimer.

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Le cœur de l’Amérindien

Le cœur de l’Amérindien
Renferme l’essence
Les larmes, les sourires
De l’âme de la Terre Mère
Fécondée du Soleil
D’un bruissement de l’esprit
Encerclant son peuple
Dans sa Re-naissance

Éléonore Sioui ("Andatha") Andatha signifie : 'Là où tout converge"

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Les hurons sont riches (Oukihouen Wendat)

En l'Amérindien
Sont contenus
Les larmes, les sourires et les cris
De l'âme de la terre-mère
Parce qu'enfanté par elle
Fécondée du soleil
Dans un bruissement de l'Esprit
Encerclant ses frères
Dans sa re-naissance.

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Obedjiwan

Obedjiwan
La ouate
De tes neiges
Sans fin
Renferme
Les glaçons
Aigus
Argentés
Des sanglots
Perdus.

Éléonore Sioui

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Gilles Hénault (1920-1996). C'est (selon Paul-Marie Lapointe dans son ouvrage "Poètes québécois"), un "québécois rouge, abénaki, maya, nègre de Birmingham".

Ce premier texte n'est pas vraiment dans le thème du féminin, mais il peut compléter, par sa poésie documentée, d'autres poèmes de cette catégorie.

Je te salue

Peaux-rouges
Peuplades disparues dans la conflagration de l’eau de feu et des tuberculoses
Traquées par la pâleur de la mort et des Visages-Pâles
Emportant vos rêves de mânes et de manitou
Vos rêves éclatés aux feux des arquebuses
Vous nous avez légué vos espoirs totémiques
Et notre ciel a maintenant la couleur des fumées de vos calumets de paix.

Nous sommes sans limites
Et l’abondance est notre mère.
Pays ceinturé d’acier
Aux grands yeux de lacs
A la bruissante barbe résineuse
Je te salue et je salue ton rire de chutes.
Pays casqué de glaces polaires
Auréolé d'aurores boréales
Et tendant aux générations futures
L'étincelante gerbe de tes feux d'uranium.
Nous lançons contre ceux qui te pillent et t'épuisent
Contre ceux qui parasitent sur ton grand corps d'humus
et de neige
Les imprécations foudroyantes
Qui naissent aux gorges des orages.

J'entends déjà le chant de ceux qui chantent :
Je te salue la vie pleine de grâces
le semeur est avec toi
tu es bénie par toutes les femmes
et l'enfant fou de sa trouvaille
te tient dans sa main
comme le caillou multicolore de la réalité.

Belle vie, mère de nos yeux
vêtue de pluie et de beau temps
que ton règne arrive
sur les routes et sur les champs
Belle vie
Vive l'amour et le printemps.

Gilles Hénault ("Signaux pour les voyants, poèmes, 1941-1962" - éditions de l'Hexagone, 1972)

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Miroir transparent

L’amour est plus simple qu’on le dit
Le jour est plus clair qu’on le croit
La vie est plus forte que la mer
La poésie coule dans la plaine
où s’abreuvent les peuples.

L’absence est un glacier
L’hiver de l’amour nous fait un cœur très sec
Mais que viennent deux ou trois flèches de soleil
Un seul printemps debout sur la montagne de neige
Et refleurira la simplicité des temps sur les tempes
Des doigts entrelacés au-dessus des ruisseaux du cœur.

Gilles Hénault ("Signaux pour les voyants, poèmes, 1941-1962" - éditions de l'Hexagone, 1972)



1 mai 2008

le féminin des autres - Amérique du Sud - Chili - Violeta Parra

AMÉRIQUE DU SUD

CHILI 

Violeta Parra (1917-1967) est une artiste chilienne plasticienne et poète, et "auteure-compositrice-interprète".

Ce premier texte traduit* en français est suivi de sa version originale en espagnol :

la jardinière (extrait)

Pour t'oublier
je vais cultiver la terre,
j'espère trouver en elle
un remède à mes peines.

Ici je planterai le rosier
aux plus grosses épines,
J'aurai la couronne prête
quand tu mourras en moi.
(…)
Coeur de mélisse,
quand mes peines augmenteront
les fleurs de mon jardin
devront être infirmières ....

La jardinera

Para olvidarme de tí
voy a cultivar la tierra,
en ella espero encontrar
remedio para mis penas.

Aquí plantar el rosal
de las espinas más gruesas,
tendré lista la corona
para cuando en mí te mueras.

(...) 

Cogollo de toronjil,
cuando me aumentan las penas
las flores de mi jardín
han de ser mis enfermeras.

Violeta Parra (*texte français dans l'anthologie poétique "Voix", de Fanchita Gonzales Batlle - Petite collection Maspero, 1977)

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La plus connue de ses chansons, la première strophe en espagnol pour donner la musique de la langue, et le texte intégral en français (traduction adaptée par le blog lieucommun) :

Gracias a la vida

Gracias a la vida que me ha dado tanto
me dio dos luceros que cuando los abro
perfecto distingo lo negro del blanco
y en el alto cielo su fondo estrellado
y en las multitudes el hombre que yo amo.

- - - -

Merci à la vie 

Merci à la vie qui m'a tant donné
Elle m'a donné deux yeux et quand je les ouvre
Je distingue parfaitement le noir du blanc
et
là-haut le fond du ciel étoilé
et parmi la foule l'homme que j'aime

Merci à la vie qui m'a tant donné
Elle m'a donné une ouïe sensible
qui enregistre nuit et jour criquets et canaris
Marteaux, turbines, aboiements, averses
Et la voix si douce de mon bien-aimé

Merci à la vie qui m'a tant donné
Elle m'a donné la parole et l'alphabet
et avec lui les mots que je pense et que je dis :
mère, ami, frère, et la lumière éclairant

la route pour celui que j'aime

Merci à la vie qui m'a tant donné
Elle a donné l'allure à mes pieds fatigués
Avec eux j'ai marché dans les villes et les flaques d'eau
les plages et les déserts, les montagnes et les plaines
et vers ta maison, ta rue et ta cour

Merci à la vie qui m'a tant donné

Elle m'a donné un coeur qui  accélère son rythme
Quand je regarde l'œuvre du cerveau humain
Quand je regarde le bien si loin du mal
Quand je regarde dans le fond de tes yeux clairs

Merci à la vie qui m'a tant donné
Elle m'a donné les rires et m'a donné les pleurs
Ainsi je distingue la misère de la douleur
Les deux matériaux qui forment mon chant
et votre chant à vous qui est le même chant
et le chant de tous qui est mon propre chant

Merci à la vie ...

Violeta Parra


1 mai 2008

le féminin des autres - Huidobro - Chili - Amérique du Sud - Vicente Huidobro

Vicente Huidobro (1893-1948).

Le début d'un premier poème :

Balada de lo que no vuelve

Venía hacia mí por la sonrisa
Por el camino de su gracia
Y cambiaba las horas del día
El cielo de la noche se convertía en el cielo del amanecer
El mar era un árbol frondoso lleno de pájaros
Las flores daban campanadas de alegría
Y mi corazón se ponía a perfumar enloquecido
(…)

- - - -

traduction (adaptée) par le blog lieucommun :

Ballade de ce qui ne revient pas 
 
Elle venait vers moi par le chemin de son sourire
Par le sentier de sa grâce
Elle changeait les heures du jour
Le ciel de la nuit devenait ciel d'aurore
La mer était un arbre au feuillage plein d'oiseaux
Les fleurs lançaient des chants joyeux
Et mon coeur affolé s'emplissait de parfums
(…)

Vicente Huidobro



1 mai 2008

le féminin des autres - Neruda, Mistral - Chili - Amérique du Sud

Pablo Neruda (1904-1973) est le poète chilien le plus connu dans le monde.
Dans le recueil "Vingt poèmes d'amour et une chanson désespérée" les poèmes ne portent aucun titre, ils sont numérotés de I à XX.

(Passages de 3 poèmes consécutifs du recueil)

XIV

"Juegas todos los días con la luz del universo" ...

Tu joues tous les jours avec la lumière de l'univers ...

Tu joues tous les jours avec la lumière de l'univers.
Subtile visiteuse, tu viens sur la fleur et dans l'eau.
Tu es plus que cette blanche et petite tête que je presse
Comme une grappe entre mes mains chaque jour.

Tu ne ressembles à personne depuis que je t'aime.
Laisse-moi t'étendre parmi les guirlandes jaunes.
Qui inscrit ton nom avec des lettres de fumée parmi les étoiles du sud ?
Ah laisse-moi me souvenir comment tu étais alors, quand tu n'existais pas encore.

(...)

Je te crois même reine de l'univers.
Je t'apporterai des fleurs joyeuses des montagnes, des copihues,
des noisettes foncées, et des paniers sylvestres de baisers.

Je veux faire avec toi
ce que le printemps fait avec les cerisiers.

XV

"Me gustas cuando callas porque estas como ausente" ...

Je t'aime quand tu te tais ...

Je t'aime quand tu te tais, parce que tu es comme absente,
et tu m'entends au loin, et ma voix ne t'atteint pas.
On dirait que tes yeux se sont envolés,
et on dirait qu'un baiser t'a clos la bouche

(...)

Je t'aime quand tu te tais et que tu es comme distante.
Et tu es comme plaintive, papillon que l'on berce.
Et tu m'entends au loin, et ma voix ne t'atteint pas :
laisse-moi me taire avec ton silence.

Laisse-moi aussi te parler avec ton silence,
clair comme une lampe, simple comme un anneau.
Tu es comme la nuit, silencieuse et constellée.
Ton silence est d'étoile, si lointain et si simple.

Je t'aime quand tu te tais, parce que tu es comme absente,
distante et dolente, comme si tu étais morte.
Un mot alors, un sourire suffisent,
et je suis heureux, heureux que ce ne soit pas vrai.

XVI

"En mi cielo al crepúsculo, eres como una nube" ...

Tu es au crépuscule ...

Tu es au crépuscule un nuage dans mon ciel,
ta forme, ta couleur sont comme je les veux.
Tu es mienne, tu es mienne, ma femme à la lèvre douce
et mon songe infini s'établit dans ta vie.

(...)

Tu es prise au filet de ma musique, amour,
aux mailles de mon chant larges comme le ciel.
Sur les bords de tes yeux de deuil mon âme est née.
Et le pays du songe avec ces yeux commence.

Pablo Neruda ("Vingt poèmes d'amour et une chanson désespérée", 1998 - paru en Poésie/Gallimard)

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Gabriela Mistral (1889-1957), est une poètesse chilienne, contemporaine de Pablo Neruda, qu’elle a côtoyé en Europe.

Ses premiers poèmes, dont "Junto al Mar" (Au bord de la mer) sont publiés en 1904 dans un journal chilien local.
Son pseudonyme, Mistral est emprunté au poète provençal français Frédéric Mistral.
Elle reçoit en 1945 le Prix Nobel de Littérature.

¿ En dónde tejemos la ronda ?

¿ En dónde tejemos la ronda ?
¿ La haremos a orillas del mar ?
El mar danzará con mil olas,
haciendo una trenza de azahar.
¿ La haremos al pie de los montes ?
El monte nos va a contestar.
¡Será cual si todas quisiesen,
las piedras del mundo, cantar !
¿ La haremos, mejor, en el bosque ?
La voz y la voz va a trenzar,
y cantos de niños y de aves
se irán en el viento a besar.
¡Haremos la ronda infinita!
¡ La iremos al bosque a trenzar,
la haremos al pie de los montes
y en todas las playas del mar !

Gabriela Mistral

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Où ferons-nous la ronde ?

Où ferons-nous* la ronde ?
La ferons-nous au bord de la mer ?
La mer dansera de toutes ses vagues,
tressant des fleurs d’oranger.
La ferons-nous au pied de la montagne ?
La montagne nous répondra :
Ce sera comme si les pierres du monde entier
Se mettaient à chanter.
Mieux, la ferons-nous dans la forêt ?
Des chants d’enfants et d’oiseaux
tresseront des baisers dans le vent.
Nous ferons une ronde infinie :
Nous irons la danser dans la forêt,
nous la ferons au pied de la montagne,
et sur toutes les plages du monde.

Gabriela Mistral ("Désolation"  - 1922) - (traduction proposée par le blog lieucommun) -  * traduction littérale : "où tresserons-nous ..."

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Tout n'est que ronde

Les astres sont ronde
de garçons qui jouent
à voir sur la terre.
Les blés sont des tailles
de petites filles
qui jouent à ployer.

Les fleuves sont ronde
de garçons qui jouent
à se retrouver
dans la mer. Les vagues
sont ronde de filles
qui jouent à serrer
dans leurs bras la Terre.

Gabriela Mistral (source : site officiel du Printemps des Poètes - "Couleur femme")

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Dans le texte suivant, l'auteur décrit "trois arbres" de Patagonie, cette région à l'extrème pointe de l'Amérique du Sud, à la frontière du Pôle sud. Terre de glace et "terre de feu" (les volcans), avec à l'ouest des forêts millénaires.
C'est en Patagonie que se trouve la ville d' Ushuaïa (l'émission de télévision sur la nature sauvage lui a emprunté son nom : "baie qui pénètre vers le couchant" dans la langue des indiens).

Trois arbres

Trois arbres tombés
sont restés au bord du sentier.
Oubliés du bûcheron, ils s'entretiennent*,
fraternellement serrés, comme trois aveugles.

Le soleil couchant verse
son sang vif dans les troncs éclatés,
les vents emportent le parfum
de leur flanc ouvert.

L'un, tout tordu, tend un bras immense,
frissonnant de feuillage, vers l'autre
et ses blessures sont pareilles
à des yeux pleins de prière.

Le bûcheron les a oubliés.
La nuit viendra. Je resterai avec eux.
Je recueillerai dans mon cœur
leurs douces résines, elles me tiendront lieu de feu.
Muets, pressés les uns contre les autres,
que le jour nous trouve monceau de douleur**.

Gabriela Mistral ("Paysages de Patagonie, dans le recueil "Désolation"  - 1922).

* dans le sens de converser     -   ** traduction de Mathilde Pomès : "deuil" - lieucommun a préféré traduire par "douleur".
Traduction de Mathilde Pomès, auteure de "
Gabriela Mistral" (collection Poètes d'aujourd'hui - éd Pierre Seghers - 1963)



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1 mai 2008

féminin des autres - Arctique Groenland

ARCTIQUE - GROENLAND

LES INUITS

Les Inuits vivent dans les régions arctiques de la Sibérie, de l'Amérique du Nord (l'Alaska, les Territoires du Nord-Ouest, le Nunavut, le Québec, le Labrador) ainsi que du Groenland ('île la plus étendue de la planète après l'Australie, c'est un territoire autonome rattaché au Danemark).
Les Eskimo (ou "esquimaux") préfèrent qu'on les nomme "Inuit" (pluriel du mot "Inuk", qui signifie "l'homme par excellence").
En 1935 et 1936, à l'est du Groenland, l'explorateur Paul-Émile Victor a  collecté des récits, des chants et des poèmes traditionnels, réunis sous le titre "Poèmes eskimo" (Seghers jeunesse - 2005).

Le corbeau

Je suis montée sur le rocher
Sur le rocher de Krartoudouk*.
Comme un corbeau est ce rocher
Comme un corbeau posé sur le terre.
Derrière ce rocher j'ai vu les glaces
J'ai vu les glaces jusqu'au loin
Et je me suis assise sur ce rocher
Qui a l'air d'un corbeau.

poème anonyme (Krartoudouk* = corbeau)

Chant d'Anudadak

Je marchais au bord d'un lac
il y avait un renard qui grapillait des baies
il est venu vers moi, je lui ai pris la queue
et il m'a tiré jusqu'au sommet d'une montagne
ça soufflait un peu de l'intérieur
il y avait un petit vent.

Paroles d'un chant de la chamane Kaga  (collectées par Paul-Émile Victor - expédition à Ammassalik, 1935)



1 mai 2008

féminin des autres - Asie - Proche et Moyen Orient

ASIE - PROCHE ORIENT

IRAK

Salah Al Hamdani est né en 1951 à Bagdad. Exilé depuis 30 ans en France. il écrit en arabe et en français, des pièces de théâtre, des récits, des nouvelles et des poèmes (Bagdad mon amour, 2003 - Ce qu’il reste de lumière, 1999 -  Au large de Douleur, 2000 - Le Doute, 1992).

Seul le vieux tapis fleurissait le sol

La maison avait changé d’adresse
ma photo avait changé de place
la table avait été pliée derrière la porte
la chaise de mon père, aussi,
seul le vieux tapis fleurissait le sol

 

Je t’ai trouvée enfin
dans un jardin nu
avec ton grand châle noir
l’esprit en dérive
enfilée dans tes prières
l’âge cousu sur le visage

J’ai cru serrer un palmier agonisant
Puis dans mes bras,
j’ai reconnu ma mère.

Salah Al Hamdani - écrit en 2004 ("Poèmes de Bagdad", à paraître)

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Un poème écrit après la guerre d'Irak et la chute du régime de Saddam Hussein :

Trente jours après trente ans
 
N’ai-je pas à nommer les choses
comme une main tendue au naufragé,
comme le déroulement des saisons ?
 
N’ai-je pas dit
qu’une chose s’achève toujours au dépens de ce qui commence ?
 
Un flux de poussière achemine une odeur d’enfance
tandis que son cortège emporte mon incertitude
lentement
glissant sur la racine du jour ...
 
Je veux venir tout près de toi,
avec, dans les mots, ce que l’exilé laisse d’inachevé
 
L’aurore se lève sur Bagdad
et sa morsure se répand sur moi
 
Ma mère, comme la lumière,
n’a pas besoin du procès de l’obscurité
mais d’un peu de silence
quand son fils, l’exilé de retour,
se pose sur sa branche
en compagnie d’une étoile tatouée par la brume
 
Car il revient chez lui
comme un réfugié de passage
un fugitif qui cherche le partage :
un sourire,
un morceau de pain
un coin de lit
et le témoignage de la noyade du crépuscule.

Salah Al Hamdani ("Bagdad à ciel ouvert, illustrations de Salah Ghiad" - éditions Écrits des forges, 2007)


ISRAËL

Marlena Braester est une poète contemporaine israëlienne. Le recueil "Caractères" est paru en 2009.

les couleurs dansent

les couleurs dansent jusqu’au noir
dans la lumière
à un signe de l’air
elles se jettent aveugles de tous côtés
dans le vertige éblouissant
elles dansent jusqu’au noir
les ombres saignent
soudain
une couleur passe
les autres rentrent en-dessous
comme des pas étouffés dans les tapis de lumière
puis reprennent
la danse jusqu’au noir
derrière les couleurs
guette la lumière

Marlena Braester ("Poèmes" - Caractères, 2009)

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quelle langue parlent ces rues ?

quelle langue parlent ces rues
qui viennent vers nous
de leur lointain
horizon éclaté ?

Marlena Braester ("Poèmes" - Caractères, 2009)


LIBAN

On trouvera des poètes libanaises d'expression française (certaines ont vécu une grande partie de leur vie en France), dans la catégorie : PRINT POÈTES 2010 : DES FEMMES POÈTES

Vénus Khoury-Ghata,  Etel Adnan, Nouad Es-Sahad

sans oublier Andrée Chedid ici : PRINT POÈTES 2010 : ANDRÉE CHEDID


PALESTINE

Palestine, région du Proche-Orient aux contours incertains, tourmentés, revendiqués, inclus, exclus, paradoxale Terre Sainte-terre d'affrontements. La poésie de Palestine est à la fois poésie ancienne de toute la région, avant les découpages historiques, et poésie contemporaine de résistance et d'identité des "Territoires palestiniens".

Mahmoud Darwich est né en Galilée en 1941. Il est mort en 2008. ” Je suis celui que l’on désigne comme "le poète de la Palestine", et l’on requiert de moi de fixer mon lieu dans la langue, de protéger ma réalité du mythe et de maîtriser l’une et l’autre, pour être tout à la fois partie de l’Histoire et témoin de ce qu’elle m’a fait subir. C’est pourquoi mon droit à un lendemain requiert révolte contre le présent et défense de la légitimité de mon existence dans le passé. Mon poème se retrouve ainsi changé en preuve d’existence ou de néant"...

À ma mère

je me languis du pain de ma mère
du café de ma mère
des caresses de ma mère
jour après jour
l’enfance grandit en moi
j’aime mon âge
car si je meurs
j’aurai honte des larmes de ma mère

si un jour je reviens
fais de moi un pendentif à tes cils
recouvre mes os avec de l’herbe
qui se sera purifiée à l’eau bénite de tes chevilles
attache moi avec une natte de tes cheveux
avec un fil de la traîne de ta robe
peut-être deviendrai-je un dieu
oui un dieu
si je parviens à toucher le fond de ton cœur

si je reviens
mets-moi ainsi qu’une brassée de bois dans ton four
fais de moi une corde à linge sur la terrasse de ta maison
car je ne peux plus me lever
quand tu ne fais pas ta prière du jour

j’ai vieilli
rends-moi la constellation de l’enfance
que je puisse emprunter avec les petits oiseaux
la voie du retour
au nid de ton attente

Mahmoud Darwich ("Ashiq min filastin, Un amoureux de Palestine" - 1966)

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Les oiseaux meurent en Galilée (passages)

pluie douce en un automne lointain
les oiseaux sont bleus, bleus
la terre en fête
Ne dis pas : Je suis un nuage suspendu sur le port
car je ne veux
de mon pays tombé de la fenêtre du train
que le mouchoir brodé de ma mère
et les raisons d’une mort nouvelle

pluie douce en un automne étrange
les fenêtres sont blanches, blanches
le soleil, un verger vespéral
et moi
je suis une orange spoliée
Pourquoi donc t’évades-tu de mon corps
alors que je ne veux
du pays des couteaux et du rossignol
que le mouchoir brodé de ma mère
et les raisons d’une mort nouvelle ?

pluie douce en un automne triste
les rendez-vous sont verts, verts
et le soleil argile
Ne dis pas : Nous t’avons vu quand le jasmin fut piétiné
vendant la mort et les calmants
ma face était nuit
ma mort un embryon
et moi je ne veux
de mon pays qui a oublié le langage des absents
que le mouchoir brodé de ma mère
et les raisons d’une mort nouvelle

pluie douce en un automne lointain
les oiseaux sont bleus, bleus
la terre en fête
les oiseaux se sont envolés vers un temps irrévocables
veux-tu malgré tout connaître mon pays
et ce qui nous unit ?

(...)

... je ne veux
de mon pays qui m’a tranché la gorge
que le mouchoir brodé de ma mère
et les raisons d’une mort nouvelle

(...)

Mahmoud Darwich ("Al-'Asafir tamut fi al-jalil, Les oiseaux meurent en Galilée" - 1970)



1 mai 2008

féminin des autres - Asie - Extrême Orient

ASIE - EXTRÊME ORIENT

CHINE

Tu Fu (712-770) est un grand poète chinois de la dynastie des Tang. Il a produit près de 1500 poèmes.

Village près d'une rivière

Eau claire, méandres qui enserrent le village.
Longues jourbées d'été où tout est poésie.
Sans crainte vont et viennent les couples d'hirondelles ;
Les mouettes, les unes contre les autres, dans l'étang.
Ma vieille épouse dessine un échiquier sur papier.
Mon fils, pour pêcher, tord son hameçon d'une aiguille.
Souvent malade, je cherche les plantes qui guérissent :
Quoi d'autre peut-il désirer, mon humble corps ?

Tu Fu - 1938  (extrait de "L'Écriture poétique chinoise", de François Cheng)

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JAPON (haïkus)

Le haïku (prononcez : “haïkou”) est un court poème japonais classique, comportant trois versets de 5, 7 et 5 pieds et visant à traduire une forte émotion face à la nature et à une saison.
Mais, même au Japon, le haïku a beaucoup évolué : on trouve maintenant des haïkus “libres” (qui ne respectent pas la métrique) et des haïkus politiques, érotiques, gastronomiques." (Georges Friedenkraft, dans la revue Marco Polo n° 10, d'octobre 2005).

Les haïkus sont rangés sur ce blog ici (colonne de gauche) : HAÏKUS - poésies des saisons
et pour le thème "Couleur femme" à la première page de la catégorie PRINT POÈTES 2010 : LE FÉMININ DES AUTRES

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VIÊT-NAM

Cù Huy Cân (1919-2005), auteur francophone bilingue, est un poète du Vietnam moderne ("Messages stellaires et terrestres" ; "Le temps des passages " ; "Écrits des Forges"). Engagé dans la lutte pour l'indépendance, il est en 1945, l’un des signataires de la Déclaration d’indépendance du Viêt-Nam, sous la présidence d' Hô-Chi-Minh. Il occupera différentes fonctions au sein du gouvernement de la République Démocratique du Viêt-Nam, dont celle de ministre de la Culture.

Je renais à toi chaque matin

Je renais à toi chaque matin
Et je regarde, émerveillé, la vie avec ton regard.
Je marche sur les bords de ta mer profonde
Et je rentre au plus profond de moi-même
En suivant ton sillage.
Nos deux destinées jumelles
Auront été deux vagues mêlées
Sur la grande Mer.
Nous écroulerons-nous en touchant les rivages ?
Je m’adosse aux bords de ton soir
Pour t’aimer dans tes racines
Pour avoir ta rose et tes épines.
Je renais à toi chaque matin.
Tu es mon aube et mon aurore,
Mon horizon fuyant et ma fixe horloge
Qui sonne gravement les heures de mon destin.
Saveur du jour, saveur de la nuit.
Tu es, mon amour, saveur de sève et de fruit
Que je hume et qui assouvit ma gourmandise.

Cù Huy Cân  ("Le Temps des Passages")
"Le Temps des Passages" réunit 24 poètes illustrés par des peintures de Chantal Legendre, dont le site est ici)

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INDONÉSIE

Asrul Sani est né en 1926.

Lettre d'une mère

Va dans le vaste monde, mon cher enfant,
Va vers une vie libre !
Tant que le vent souffle en poupe.

Va vers la vaste mer, mon cher enfant,
Va vers le monde libre !
Tant qu’il ne fait pas encore noir
Et que le crépuscule ne rougit pas le ciel.

Lorsque les ombres s’effaceront,
Que l’aigle de mer sera retourné à son nid,
Que le vent soufflera vers la terre
Et que le timonier sera sans boussole,
Alors tu pourras revenir vers moi !

Reviens alors, mon cher enfant,
Reviens de l’autre côté de la nuit !
Et lorsque ton navire sera près du rivage,
Alors nous parlerons
De l’amour et de ta vie demain matin.

Asrul Sani  ("Le Temps des Passages")



1 mai 2008

féminin des autres - Europe - Europe Centrale et Europe de l'Est

 EUROPE de l'EST et ORIENTALE 

POLOGNE

Isaïe Spiegel (1906-1990), Juif polonais survivant d'Auschwitz, n'a cessé de témoigner de l'holocauste.

La dernière fois
 
Je t'ai vue, la dernière fois, dans le wagon encore ouvert,
Parmi le troupeau effaré, les visages des enfants juifs,
Je n'ai pu te tendre la main même pour le dernier voyage
Déjà le camion fermé m'emportait vers la grande route.
Et je ne savais pas que c'était le dernier,
Le dernier voyage de tous nos rêves,
Au loin les monts bleuis vers nous semblaient geler
Et près d'eux, sur le ciel, crachaient les crématoires.
 

Isaïe Spiegel ("Une échelle vers le ciel" - Gallimard, 1979)

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ALBANIE

Ismaïl Kadaré, né en 1936, est un grand écrivain ("Le Général de l'armée morte") et poète albanais.
Il a obtenu l’asile politique en France en 1990.

Un poème en albanais, la langue officielle du pays :

Peisazh (Paysage)

Ç'janë ato plaka me të zeza që flasin një gjuhë të vdekur
Sillen në fushën e ngrirë
Shkelin mbi ngricë gjithkund.
Korbat mbi kokat e tyre
Enden kërcënueshëm.
Krokama
E tyre tregon se në kodin
E lashtë diçka nuk punon.

Ç'janë ato plaka me të zeza që flasin një gjuhë të vdekur:
Korba mbi fushën e ngrirë.
Krokama të shkreta plot hutim.


Ismaïl Kadaré

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et sa traduction en français :

Paysage (Peisazh)

Qui sont ces vieilles tout en noir parlant une langue morte?
Elles errent parmi les labours
durcis par le gel,
foulant la glace qui craque sous leurs pas.
Au-dessus d'elles,
menaçants, les corbeaux tournoient.
Leurs croassements semblent indiquer
qu'il y a quelque chose de détraqué dans le Code de l'espèce.

Qui sont ces vieilles tout en noir parlant une langue morte?
Quelques corneilles foulant le gel des labours.
De pauvres croassements égarés.
                                                                      

Ismaïl Kadaré ("Poèmes" - Éditions Fayard 1997) version française établie par Claude Durand et l’auteur
avec la collaboration de Mira Mexi, Edmond Tupja et Jusuf Vrioni

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Même quand mon souvenir ... 

Même quand mon souvenir affaibli,
pareil aux trams d'après minuit,
ne s'arrêtera plus qu'aux principaux arrêts,
jamais je ne t'oublierai.

Je garderai en mémoire
le crépuscule immense et silencieux de ton regard,
et ce gémissement étouffé contre mon épaule
comme les flocons d'une neige un peu folle.

C'est l'heure de se séparer.
Je vais m'en aller loin de toi.
Rien là qui puisse étonner.

Pourtant, une autre nuit, les doigts
d'un autre dans tes cheveux viendront
s'entrelacer aux miens, mes doigts
de milliers de kilomètres de long.

Ismaïl Kadaré ("Poèmes" - Éditions Fayard 1997) 

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RUSSIE

Youna Morits est née en 1937.

Je voudrais savoir

Je voudrais bien savoir,
je voudrais qu’on me dise
pourquoi tombe le soir
sur le jour par traîtrise,
pourquoi le roseau chante
mais pas les autres plantes,
pourquoi dans sa tanière
l’ours peut dormir l’hiver
mais moi, qu’il pleuve ou vente,
je dois aller apprendre
l’histoire et la grammaire!

Je voudrais bien savoir
qui a donné leur nom
aux pommes et aux poires
et à chaque saison;
qui a fait qu’on appelle
éléphant l’éléphant
alors qu’il n’a pas d’ailes,
bien plus lourd qu’un enfant;
pourquoi a-t-on nommé
ainsi le crocodile,
lui qui n’a pas croqué
ma petite soeur Odile?

Je voudrais bien savoir
pourquoi la pauvre chèvre
ne fait que bégayer,
pourquoi toujours mes lèvres
ont comme un goût salé
quand je dis des sottises ?

Je voudrais tant savoir,
je voudrais qu’on me dise
pourquoi tous les regards
et aussi les nuages
se lisent comme un livre,
pourquoi sur le visage
il y a des yeux qui vivent,
il y a des yeux qui vivent ?

Youna Morits (dans l'Anthologie de la poésie russe pour enfants" -  Circé poésie, 2000) - source : Printemps des Poètes, site officiel

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Vera Pavlova, poétesse et musicienne russe, est née à Moscou en 1963. Elle y vit toujours. "L'Animal céleste", paru en 2004 est le premier de ses recueils traduit en français :

La balance

Sur un des plateaux la joie.
Sur l'autre le chagrin.
Le chagrin est lourd.
Voilà pourquoi
la joie est plus haute.

Vera Pavlova ("L'Animal céleste" - traduit du russe par Jean-Baptiste et Hugo Para - éditions L'Escampette, 2004).

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Je voudrais t’écrire une lettre ...

Je voudrais t’écrire une lettre
dans laquelle il n’y aurait pas un mot
de reproche, de rancune, d’insolence,
pas de coquetterie, de caprice, de bravade,
pas de flatterie, de mensonge, d’entourloupe,
pas la moindre billevesée, pas de vaine philosophie…
Je voudrais t’écrire une lettre
dans laquelle il n’y aurait pas un mot.

Vera Pavlova ("L'Animal céleste" - traduit du russe par Jean-Baptiste et Hugo Para - éditions L'Escampette, 2004).

On peut lire ce poème de Vera Pavlova  dans "Poètes russes d’aujourd’hui" - Éditions La Différence, en collaboration avec l'université Natalia Nesterova de Moscou, 2005) - Cette anthologie bilingue est préfacée par Konstantin Kedrov :  "Par la diversité de ses courants, de ses écoles, la poésie russe contemporaine est aussi foisonnante que celle du début du siècle dernier".

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Maria Tsetaeva (ou Tsvetaïeva), (1892-1941).

"la plus belle victoire
sur le temps et la pesanteur
c'est peut-être de passer
sans laisser de trace
de passer sans laisser d'ombre".
Maria Tsetaeva

L'auteure a passé une partie de son existence à Paris. C'est en français qu'elle écrit ce texte :

Neige

Neige, neige
Plus blanche que linge,
Femme lige
Du sort : blanche neige.
Sortilège !
Que suis-je et où vais-je ?
Sortirai-je
Vif de cette terre

Neuve ? Neige,
Plus blanche que page
Neuve neige
Plus blanche que rage
Slave ...
Rafale, rafale
Aux mille pétales,
Aux mille coupoles,
Rafale-la-Folle !

Toi une, toi foule,
Toi mille, toi râle,
Rafale-la-Saoule
Rafale-la-Pâle
Débride, dételle,
Désole, détale,
À grands coups de pelle,
À grands coups de balle.

Cavale de flamme,
Fatale Mongole,
Rafale-la-Femme,
Rafale : raffole.

Marina Tsetaeva (cité par Eveline Amoursky - texte emprunté au site : www.espritsnomades.com )

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Poèmes à Blok (extrait)

Ton nom - un oiseau dans la main,
Ton nom - sur la langue un glaçon.
Un seul mouvement de lèvres.
Quatre lettres*.
La balle saisie au bond,
Dans la gorge un grelot d'argent.

Une pierre jetée dans l'étang
Sangloterait ainsi quand on t'appelle.
Dans le piaffement léger des sabots la nuit
Ton nom, son éclat, retentit.
Le chien du fusil qui claque à la tempe
Le dit.

Ton nom -
ah, impossible!
Ton nom - le baiser sur les yeux,
Sur le tendre froid des paupières.

Ton nom - le baiser sur la neige.
Gorgée d'eau bleue qui sourd, glaciale,
Avec ton nom - le sommeil est profond.

* BLOK, à qui est adressé ce texte
Marina Tsvetaïeva ("Marina Tsvetaïeva par Véronique Lossky" - Poètes d'Aujourd'hui, Seghers 1990)

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Ma journée est absurde ...

Ma journée est absurde non-sens
J'attends du pauvre une aumône,
Je donne au riche généreusement.

J'enfile dans l'aiguille un rayon,
Je confie ma clef au brigand
Et je farde mes joues de blanc.

Le pauvre ne me donne pas de pain,
Le riche ne prend pas mon argent,
Dans l'aiguille le rayon ne passe pas.

Il entre sans clef, le brigand,
Et la sotte pleure à seaux
Sur sa journée de non-sens. 

Marina Tsvetaïeva ("Marina Tsvetaïeva par Véronique Lossky" - Poètes d'Aujourd'hui, Seghers 1990)

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Pour grand-mère

L’ovale allongé, sévère,
Les plis de la robe noire …
Jeune grand-mère ! Qui baisait
Vos lèvres hautaines ?
Ces mains qui dans les salles de Chopin …
De chaque côté du visage glacé
Les boucles en spirales.
Le regard sombre, droit et exigeant,
Le regarde prêt de la bataille.
Les jeunes femmes ne regardent pas ainsi.
Jeune grand-mère, qui êtes-vous ?
Que d’occasions vous avez emportées,
Que de choses impossibles aussi
Dans le sein affamé de la terre,
Polonaise de vingt ans !
Le jour était innocent, le vent frais.
Les sombres étoiles mouraient.
Grand-mère! Ce cruel tourment
Dans mon coeur, serait-ce vous ? ...

Marina Tsvetaïeva ("Le ciel brûle", 1914 - éditions Gallimard, Poésie/Gallimard, 2002)

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Antonina Kimitval est née en 1940.

Le caneton

Le lac se couvrait de glace, le froid devenait plus âpre,
Par un jour sombre d’automne, j’aperçus un caneton.

Sans ami, seul, il nageait, barbotant dans les glaçons,
Luttant seul contre le gel qui figeait les eaux profondes.

Il désirait s’envoler mais il ne pouvait le faire.
La mort froide le guettait, l’oiseau voulait vivre, vivre.

Je voulus aller vers lui, il ne me comprenait pas.
Il s’enfuyait, déchirant la glace fragile encore ...

Il est resté seul ainsi, mourant sur le lac gelé
Et sa mort m’a rappelé le passé de mon pays..

Antonina Kimitval (dans la revue "Europe",  n° 607-608 de nov-déc 1979 : "Le livre, l'enfant dans le monde" - Les Éditeurs Français Réunis, 1979)


ROUMANIE

Magda Isanos (1916-1944).

 Le poème de la femme qui aimait le printemps (extrait)

Le printemps viendra.
Les fleurs porteront au sommet
La lumière qui brille
Du soleil
Et de la grande
Saison rêveuse.
"Pousse, fleur",
Murmurera la lumière de mai.
Des ailes
S'ouvriront à l'instant juste,
Et chaque chose se prolongera dans l'ombre secrète.
On aura beau changer d'habit pour l'amour,
La fleur, l'homme et l'élan
N'en resteront pas moins éphémères.

Magda Isanos ("Poésies" traduction d'Alain Bosquet, 1943) - source : site officiel du Printemps des Poètes ; "Couleur femme"


TURQUIE

Orhan Veli Kanik (1914 - 1950) est né à Istanbul.
C'est un poète populaire. Il a traduit en turc des poètes français, et a été Influencé par différentes écoles et mouvements poétiques, le dernier étant le Surréalisme.

J’écoute Istanbul (extrait)

Les yeux fermés, j’écoute Istanbul
Tout d’abord, le souffle du vent
Et le feuillage qui tangue
Lentement dans les arbres ;
Loin, très loin, les cloches des
Porteurs d’eau qui chantent,
Les yeux fermés, j’écoute, Istanbul.

Les yeux fermés, j’écoute Istanbul
Un oiseau passe,
Des oiseaux passent, leurs cris, leurs cris,
Filets qu’on retire des pêcheries,
Orteil d’une femme qui barbotte dans l’eau,
Les yeux fermés, j’écoute, Istanbul

(...)

Les yeux fermés, j’écoute Istanbul
Sur le trottoir passe une élégante,
De dépit, elle chante, chante, passe ;
Quelque chose tombe de ta main
Par terre
Une rose, sûrement.
Les yeux fermés, j’écoute Istanbul.

Les yeux fermés, j’écoute Istanbul
autour de ta taille volette un oiseau ;
Je sais si ton front est moite ou froid
Si tes lèvres sont humides et sèches ;
Ou si une lune blanche s’élève au-dessus du pistachier
Mon cœur qui bat me parle…
Les yeux fermés, j’écoute Istanbul
.

Orhan Veli



1 mai 2008

féminin des autres - Europe méditerranéenne

EUROPE MÉDITERRANÉENNE

GRÈCE 

Constantin Cavafy (1863-1933), ou Konstandínos Kaváfis, est considéré comme l'un des plus importants poètes grecs modernes, avec le poète contemporain Yannis Ritsos. Il est pourtant né et a passé la plupart de sa vie en Égypte, à Alexandrie, où il est né et où il repose.

Il n'a rien publié de son vivant, se contentant de distribuer des feuillets imprimés de ses poèmes.

J'ai regardé si fixement la beauté ...

J'ai regardé si fixement la beauté que mes yeux sont tout pleins d'elle.
Lignes du corps, lèvres empourprés, membres voluptueux,
chevelures évoquant celles des statues grecques, toujours belles,
même quand elles sont en désordre et tombent un peu sur les fronts blancs.
Visages de l'amour, tels que les désirait mon art…
Visages rencontrés furtivement dans mes nuits,
dans les nuits de ma jeunesse…

Constantin Cavafy

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Yannis Ritsos (1909-1990)

Jour vert

Jour vert ardent, bonne pente parsemée
Clochettes et bêlements, myrtes et coquelicots...
La jeune fille tricote les objets de sa dot
Le jeune homme tresse des paniers
Et les boucs, le long du rivage
Lèchent le sel blanc.

Yannis Ritsos

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Des filles grêles

Des filles grêles
Sur le rivage
Récoltent le sel
Courbées, elles ne voient pas la mer
Une voile
Une voile blanche leur fait signe du large
Elles ne l'ont pas aperçue et la voile noircit de tristesse 

Yannis Ritsos

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Costas Kalatzis est un poète grec contaemporain.

La mère du proscrit (passages)

(...)

Tu es mon dernier fils et ton absence pèse
Et va peser encore pendant des siècles
Plus noire que la nuit je m'en vais devenir
Et me mettre à errer telle un spectre
J'entends au dehors comme une plainte
La plainte déchirante de notre chien
Je m'en vais errer et les montagnes les vallons
Les plaines les torrents m'interrogeront.
A mon passage les sources feront silence
Des incendies s'allumeront à ma poitrine
Les étoiles la lune le soleil m'interrogeront
Et je n'aurai le coeur de leur répondre

(...)

J'ai reçu ta lettre si amère
Comme tes nouvelles sont navrantes
O reviens mon enfant je t'attends
Reviens et moi l'infortunée j'ouvrirai mes ailes
Pour t'en recouvrir tendrement
Mon coeur ressentira une douceur infinie
Quand il t'aura près de lui, mon fils
Que de fois j'aurai nourri la mort
L'aurai nourri jusqu'à satiété
Dans ma vieillesse pour me contenter
Je n'attends plus qu'un signe de toi.

Costas Kalatzis


ITALIE 

Giacomo Leopardi (1798-1837), est un grand poète et philosophe italien.

À Silvia (extraits)

Silvia, te souvient-il encore
Du temps de cette vie mortelle,
Quand la beauté brillait
Dans tes yeux fugitifs et riants,
Et que, pensive et gaie, tu gravissais
Le seuil de la jeunesse ?

Sonnaient les calmes
Voûtes, et les rues alentour,
À ta chanson sans fin,
Alors qu’assise à ton œuvre de femme
Tu t’appliquais, heureuse
De ce vague avenir que tu rêvais en toi.
C’était mai plein d’odeurs, et tu aimais
Passer ainsi le jour.

(...)

Je tendais mon oreille au son de ta voix
Et de ta main rapide
Qui parcourait l’âpre toile.
Je contemplais le ciel serein,
Les rues dorées et les vergers,
Là-bas la mer, au loin, et là les monts,

(...)
Avant que l’hiver même eût desséché les feuilles,
Toi, frappée, vaincue d’un mal obscur,
Tu périssais, fillette. Et tu n’as point connu
La fleur de tes années,
Ton cœur ne s’est ému
Sous la tendre louange de tes cheveux de jais,
De tes yeux amoureux et craintifs,
Et près de toi tes amies, aux jours de fête,
D’amour n’ont pas parlé.

... Ah ! comme,
Comme tu t’es enfuie,
Chère compagne de mon jeune âge,
Mon espérance pleine de larmes !
C’est donc cela, le monde ? Cela, l’amour,
Et les plaisirs, les aventures, les travaux
Dont nous avions tant devisé ensemble ?
(...)

Giacomo Leopardi ("Chants", traduction de Michel Orcel)

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Patrizia Cavalli est née en 1947.

Même quand la journée ... (extrait)

Même quand il semble que la journée
a passé comme une aile d’hirondelle,
comme une poignée de poussière
jetée et qu’il n’est pas possible
de ramasser et que la description
le récit ne trouvent nécessité
ni écoute, il y a toujours un mot
un petit mot pour dire
qu’il n’y a rien à dire.

Patrizia Cavalli ("Mes poèmes ne changeront pas le monde"- traduction de Danièle Faugeras et Pascale Janot - Éditions des Femmes, 2007)

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Sandro Penna (1906-1977). 

Femme dans le tram

Tu veux embrasser ton enfant qui ne veut pas :
il aime regarder la vie, dehors.
Alors tu es déçue, mais tu souris :
ce n'est pas l'angoisse de la jalousie
même si déjà il ressemble à l'autre homme
qui pour "regarder la vie, dehors"
t'a laissée ainsi ...

Sandro Penna ("Une ardente solitude" - traduit par Bernard Simeone, éditions La Différence, 1989) 



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