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15 mai 2009

Philippe JACCOTTET, Max Jacob, Francis JAMMES - PRINT POÈTES 11 : PAYSAGES en français

Des poètes suisses de langue française sont présents dans cette catégorie : Nicolas Bouvier, Blaise Cendrars, Alexandre Voisard, Charles-Ferdinand Ramuz, et Philippe Jaccottet ci-dessous.

Philippe Jaccottet (deux "t", deux "c") est un poète suisse d'expression française, né en 1925.
En préface du recueil "Poésie, 1946-1967" paru en Poésie/Gallimard, Jean Starobinski écrit : "La poésie de Jaccottet tirera sa force, non de l'énergie improvisatrice ni de l'ingéniosité combinatoire, mais de l'exigence constante de la véracité"...

Quelques passages de ce recueil :

Celui-ci est la première partie du poème "Les eaux et les forêts"

Les eaux et les forêts (début)

I

La clarté de ces bois en mars est irréelle,
tout est encor si frais qu’à peine, insiste-t-elle.
Les oiseaux ne sont pas nombreux ; tout juste si,
très loin, où l’aubépine éclaire les taillis,
le coucou chante. On voit scintiller des fumées
qui emportent ce qu’on brûla d’une journée,
la feuille morte sert les vivantes couronnes,
et suivant la leçon des plus mauvais chemins,
sous les ronces, on rejoint le nid de l’anémone,
claire et commune comme l’étoile du matin.

Philippe Jaccottet ("L'Effraie et autres poésies", Gallimard, 1953 - réédité en Poésie/Gallimard, 1971 sous le titre "Poésie, 1946-1967")

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Nouvelles notes pour la semaison 

Maintenant la terre s’est dévoilée
et la lumière du soleil en tournant comme un phare
fait les arbres tantôt roses tantôts noirs.
Puis elle écrit sur l’herbe avec une encre légère.

Un soir, le ciel resta plus longtemps clair
sur les grands jardins verts et noirs
couleur des pluies de la veille.
Les globes luirent trop tôt.
Alors dans le nid des branches
apparut le chant du merle
et ce fut comme si l'huile de la lumière
brûlait doucement dans cette faible lampe noire,
ou la voix même de la lune
venue prédire la nuit de mars aux passagers..
.

Philippe Jaccottet ("L'ignorant", Gallimard, 1957 - réédité en Poésie/Gallimard, 1971 sous le titre "Poésie, 1946-1967")

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Deux passages de poèmes plus difficiles, réunis sous le titre "Oiseaux, fleurs et fruits" dans le recueil "Airs" :

sans titre

Je marche
dans un jardin de braises fraiches
sous leur abri de feuilles
un charbon ardent sur la bouche

Philippe Jaccottet ("Airs", Gallimard, 1967 - réédité en Poésie/Gallimard, 1971 dans le recueil "Poésie, 1946-1967")

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Fruits

Dans les chambres des vergers
Ce sont des globes suspendus
Que la course du temps colore
Des lampes que le temps allume
Et dont la lumière est parfum
On respire sous chaque branche
Le fouet colorant de la hâte
Ce sont des perles parmi l’herbe
De nacre à mesure plus rose
Que les brumes sont moins lointaines
Des pendeloques plus pesantes
Que moins de linge elles ornent
Comme ils dorment longtemps
Sous les mille paupières vertes !
Et comme la chaleur
Par la hâte avivée
Leur fait le regard avide !

Philippe Jaccottet ("Airs", Gallimard, 1967 - réédité en Poésie/Gallimard, 1971 dans le recueil "Poésie, 1946-1967")

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Du recueil "Pensées sous les nuages" :

L’aurais-je donc inventé ?... (titre suggéré pour ce passage)

L’aurais-je donc inventé, le pinceau du couchant
sur la toile rugueuse de la terre,
l’huile dorée du soir sur les prairies et sur les bois ?

C’était pourtant comme la lampe sur la table avec le pain.

Philippe Jaccottet ("Pensées sous les nuages", Gallimard, 1983)

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Jour à peine plus jaune .... (titre suggéré pour ce passage) 

Jour à peine plus jaune sur la pierre et plus long,
ne vas-tu pas pouvoir me réparer ?
Soleil enfin moins timoré, soleil croissant,
ressoude-moi ce coeur.

Lumière qui te voûtes pour soulever l'ombre
et secouer le froid de tes épaules,
je n'ai jamais cherché qu'à te comprendre et t'obéir.

Ce mois de février est celui où tu te redresses
très lentement comme un lutteur jeté à terre
et qui va l'emporter -
soulève-moi sur tes épaules,
lave-moi de nouveau les yeux, que je m'éveille,
arrache-moi de terre, que je n'en mâche pas
avant le temps comme le lâche que je suis.

Je ne peux plus parler qu'à travers ces fragments pareils
à des pierres qu'il faut soulever avec leur part d'ombre
et contre quoi l'on se heurte,
plus épars qu'elles.

Mais chaque jour, peut-être, on peut reprendre
le filet déchiré, maille après maille,
et ce serait, dans l'espace plus haut,
comme recoudre, astre à astre, la nuit ...

Philippe Jaccottet ("Pensées sous les nuages", Gallimard, 1983)

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Chemins de montagne (titre suggéré pour ce passage)

Maintenant nous montons dans ces chemins de montagne,
Parmi les prés pareils à des litières
D’où le bétail des nuages viendrait de se relever
Sous le bâton du vent.
On dirait que de grandes formes marchent dans le ciel.

La lumière se fortifie, l’espace croît,
les montagnes ressemblent de moins en moins à des murs,
elles rayonnent, elles croissent elles aussi,
les grands portiers circulent au-dessus de nous –
et le mot que la buse trace lentement, très haut,
si l’air l’efface, n’est-ce pas celui que nous pensions
ne plus pouvoir entendre ?
Qu’avons-nous franchi là ?
Une vision, pareille à un labour bleu ?
Garderons-nous l’empreinte à l’épaule, plus d’un instant, de cette main ?

Philippe Jaccottet ("Pensées sous les nuages", Gallimard, 1983)



Max Jacob (1876-1944) était écrivain, poète et peintre, ami de peintres cubistes comme Pablo Picasso, Georges Braque et Juan Gris, et de poètes, comme Guillaume Apollinaire, puis plus tard, de Jean Cocteau, Modigliani, ou encore Marcel Béalu, Michel Manoll, René-Guy Cadou, Jean Rousselot ...
Il est auteur de contes pour enfants, et de nombreux recueils de poésie, certains en prose ("Le Cornet à dés" est d'abord édité en 1917 à compte d'auteur).
Voir la suite de cette présentation
ici sur le blog, avec le poème "Amour du prochain".

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C'est le pays natal, la campagne bretonne, dans l'estuaire de l'Odet, qui est ici évoqué, à l'heure du départ pour la ville :

Le départ

Adieu l’étang et toutes mes colombes
Dans leur tour et qui mirent gentiment
Leur soyeux plumage au col blanc qui bombe,
Adieu l’étang.
Adieu maison et ses toitures bleues
Où tant d’amis, dans toutes les saisons,
Pour nous revoir avaient fait quelques lieues,
Adieu maison.

[...] deux quatrains ont été sautés

Adieu vergers, les caveaux et les planches
Et sur l’étang notre bateau voilier,
Notre servante avec sa coiffe blanche,
Adieu vergers.
Adieu aussi mon fleuve clair ovale,
Adieu montagne ! Adieu arbres chéris !
C’est vous qui êtes ma capitale
Et non Paris.


Max Jacob ("Le laboratoire central", Gallimard, 1921)


Francis Jammes (1868-1938) est l'auteur de "La Prière", poème chanté par Georges Brassens (voir la catégorie BRASSENS chante les poètes) et de "J'aime l'âne si doux" :
"J'aime l'âne si doux / marchant le long des houx. / Il a peur des abeilles /et bouge ses oreilles...
Qualifié parfois de "poète naturaliste", il porte une tendresse particulière à cet animal. Une autre de ses poésies, comme toute son oeuvre empreinte de mysticisme, s'intitule d'ailleurs "Prière pour aller au Paradis avec les ânes".

L'association Francis Jammes possède un site où on trouvera des informations complémentaires, et où nous avons emprunté le poème "Un jour bleu de l'été" :
http://www.francis-jammes.com/index.html

Un jour bleu de l'été ...

Un jour bleu de l'été que nous nous promenions,
Le petit que j'étais et la vieille servante,
Nous vîmes, sur le foin aux vagues reluisantes,
Battre des ailes un énorme papillon.

Et, m’avançant avec mille précautions,
Je posai brusquement sur cette fleur vivante
Mon chapeau, sous lequel je la pris pantelante,
Puis l'emportai dans une boîte à la maison.

Et mon cœur se serra d'indicible tristesse
Quand je montrai l'insecte à mes parents. Qu'était-ce ?
Comment le reconnaître ? Ah ! Il n'était plus tel

Que tout à l'heure... O mes frères en poésie !
Il n'avait plus autour des ailes la prairie
Qui me l'avait fait croire aussi grand que le ciel.

Francis Jammes ("La Vierge et les Sonnets", Sonnets pour commencer, VII - Mercure de France, 1919)

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On choisira des passage de ce texte, qui n'est, on s'en doute, jamais intégralement proposé :

Le vieux village

            À André Gide

Le vieux village était rempli de roses
et je marchais dans la grande chaleur
et puis ensuite dans la grande froideur
de vieux chemins où les feuilles s’endorment.

Puis je longeai un mur long et usé ;
c’était un parc où étaient de grands arbres,
et je sentis une odeur du passé,
dans les grands arbres et dans les roses blanches.

Personne ne devait l’habiter plus...
Dans ce grand parc, sans doute, on avait lu...
Et maintenant, comme s’il avait plu,
les ébéniers luisaient au soleil cru.

Ah ! des enfants des autrefois, sans doute,
s’amusèrent dans ce parc si ombreux...
On avait fait venir des plantes rouges
des pays loin, aux fruits très dangereux.

Et les parents, en leur montrant les plantes,
leur expliquaient : celle-ci n’est pas bonne...
c’est du poison... elle arrive de l’Inde...
et celle-là est de la belladone.

Et ils disaient encore : cet arbre-ci
vient du Japon où fut votre vieil oncle...
Il l’apporta tout petit, tout petit,
avec des feuilles grandes comme l’ongle.

Ils disaient encore : nous nous souvenons
du jour où l’oncle revint d’un voyage aux Indes ;
il arriva à cheval, par le fond
du village, avec un manteau et des armes...

C’était un soir d’été. Des jeunes filles
couraient au parc où étaient de grands arbres,
des noyers noirs avec des roses blanches,
et des rires sous les noires charmilles.

Et les enfants couraient, criant : c’est l’oncle !
Lui descendait avec son grand chapeau,
du grand cheval, avec son grand manteau...
Sa mère pleurait : ô mon fils... Dieu est bon...

Lui, répondait : nous avons eu tempête...
L’eau douce a bien failli manquer à bord.
Et la vieille mère le baisait sur la tête
en lui disant : mon fils tu n’es pas mort...

Mais à présent où est cette famille ?
A-t-elle existé ? A-t-elle existé ?
Il n’y a plus que des feuilles qui luisent,
aux arbres drôles, comme empoisonnés...

Et tout s’endort dans la grande chaleur...
Les noyers noirs pleins de grande froideur...
Personne là n’habite plus...
Les ébéniers luisent au soleil cru.

Francis Jammes ("De l'angélus de l'aube à l'angélus du soir" - Mercure de France, 1898)

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Le texte qui suit n'est pas situé dans l'œuvre de l'auteur. Il est emprunté au site de Tournay (Pyrénées Atlantiques), la ville natale de Francis Jammes. On enquête ... adresse (cliquer ensuite sur "patrimoine") : http://www.ville-tournay.fr/accueil.html

Le pays natal (titre proposé)

Non loin de mon pays natal, les Pyrénées,
Qui jusque-là mêlaient leurs ailes tourmentées,
Se posent comme un vol d’outardes sur les prés.

Elles ont la couleur même des minerais
Qu’elles portent, avec quelques filets de neige.

Cantaoü-Tuzaguet (1) ! Combien mon cœur s’allège
Quand je vois que ta plaine est mêlée à tes cieux,
Et qu’il me suffirait pour arriver chez Dieu,
D’être comme l’enfant que j’étais au village
Et qui touchait du doigt les monts et les nuages.

Francis Jammes - (1) "Cantaoü-Tuzaguet" est le nom occitan de ce village du Pays Basque proche de Lannemezan. On l'écrit en français "Cantaous-Tuzaguet"

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Un autre poème du même recueil, le même village peut-être :

Le village à midi

Le village à midi. La mouche d'or bourdonne
    entre les cornes des bœufs.
    Nous irons, si tu le veux,
si tu le veux, dans la campagne monotone.

Entends le coq... Entends la cloche... Entends le paon...
    Entends là-bas, là-bas, l'âne...
    L'hirondelle noire plane.
Les peupliers au loin s'en vont comme un ruban.

Le puits rongé de mousse ! Écoute sa poulie
    qui grince, qui grince encor,
    car la fille aux cheveux d'or
tient le vieux seau tout noir d'où l'argent tombe en pluie.

La fillette s'en va d'un pas qui fait pencher
    sur sa tête d'or la cruche,
    sa tête comme une ruche,
qui se mêle au soleil sous les fleurs du pêcher.

Et dans le bourg voici que les toits noircis lancent
    au ciel bleu des flocons bleus ;
    et les arbres paresseux
à l'horizon qui vibre à peine se balancent. 

Francis Jammes ("De l'angélus de l'aube à l'angélus du soir" - Mercure de France, 1898)

ajout mai 2012 : un internaute nous fait parvenir cette superbe traduction en espagnol du poème. On se presse de le remercier et de le mettre en ligne :

El pueblo a mediodía

El pueblo a mediodía. La mosca de oro zumba
entre los cuernos de los bueyes.
Iremos si lo quieres,
si lo quieres, por el campo que retumba.

Oye al gallo... Oye la campana... Oye al pavo...
Escucha allí, allí al burro...
La golondrina negra en vuelo duro,
los álamos a lo lejos se van como en desmayo.

El pozo roído de espuma! Escucha la polea
que chirría, que chirría en coro,
pues la chica con cabellos de oro
sostiene el viejo balde negro donde la plata alea.

La chiquilla se va de un paso que tambalea
en su cabeza de oro al cántaro,
su cabeza como un relámpago,
que se enreda en el sol bajo la flor inquieta.

Y en el burgo los tejados ennegrecidos tiran
al cielo azul copos azules;
y los árboles gandules
del horizonte que vibra apenas si suspiran. 

(traduit en espagnol par Robín García)

Francis Jammes ("De l'angélus de l'aube à l'angélus du soir" - Mercure de France, 1898)

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On clôturera ce paragraphe Francis Jammes par un poème dont il n'est pas l'auteur, mais qui lui est chaleureusement adressé par son ami poète Charles Guérin (1873-1907), disparu prématurément bien avant lui. Le poète est ici partie prenante de son paysage natal, ou est-ce l'inverse ? 

Ô Jammes ... (passages)

Ô Jammes, ta maison ressemble à ton visage.
Une barbe de lierre y grimpe ; un cèdre ombrage
de ses larges rameaux les pentes de ton toit,
et comme lui ton coeur est sombre, fier et droit.
Le mur bas de ta cour est habillé de mousse.
La maison n'a qu'un humble étage. L'herbe pousse
dans le jardin autour du puits et du laurier.
Quand j'entendis, comme un oiseau mourant, crier
ta grille, un tendre émoi me fit défaillir l'âme.
Je m'en venais vers toi depuis longtemps, ô Jammes,
et je t'ai trouvé tel que je t'avais rêvé.
[...]
Ta fenêtre pensive encadre l'horizon ;
une vitrine, ouverte auprès d'elle, reflète
la campagne parmi tes livres de poète.
Ami, puisqu'ils sont nés, les livres vieilliront ;
où nous avons pleuré d'autres hommes riront :
mais que nul de nous deux, malgré l'âge, n'oublie
le jour où fortement nos mains se sont unies.
Jour égal en douceur à l'arrière-saison;
nous écoutions chanter les mésanges des haies,
les cloches bourdonnaient, les voitures passaient...
[...]
Jammes, quand on se met à ta fenêtre, on voit
des villas et des champs, la montagne et ses neiges ;
au-dessous c'est la place où ta mère s'assoit.
Demeure harmonieuse, ami, vous reverrai-je ?
[...]
Ce soir, un des plus lourds des soirs où j'ai souffert,
tandis que, de leur flamme éparse sur la mer,
les rayons du soleil couchant doraient la grève,
les cheveux trempés d'air et d'écume, j'allais,
roulé comme un caillou par la force du rêve.
La terrible rumeur des vagues m'appelait,
voix des pays brûlés, des volcans et des îles ;
et, le cœur plein de toi, j'ai marqué d'un galet,
veiné comme un bras pur et blanc comme du lait,
le jour où je passai ton seuil, fils de Virgile.

Charles Guérin ("Le Cœur solitaire", Mercure de France, 1904)



 

 

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15 mai 2009

Georges JEAN, Vénus KHOURY-GHATA - PRINT POÈTES 11 : PAYSAGES en français

Georges Jean, poète et enseignant, est né à Besançon en 1920. Il est l'auteur de recueils de poésie et d'anthologies poétiques pour les enfants.

Paysage urbain où passent des ombres :

Ville inconnue

Dans la ville des murmures
Traînent dans l'ombre
Les gens n'ont pas de visage
Les fenêtres sont fermées
Dans la gorge des passants
Le passé noue ses yeux profonds
Et la rivière des songes
Plonge au puits de solitude
Piétinements Habitudes
Un chat passe dans son ombre
Des enfants traversent la lune
Paumes ouvertes de la nuit
Derrière brûlent les étoiles
Le plâtre tombe des façades
Saga de la ville inconnue
Le vent construit l'espace
Et le Temps

Georges Jean ("Parcours immobiles" - éditions Le dé bleu, 1995)

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Dans un bistrot ...

Dans un bistrot rue de Buci
Plus près de mon cœur est la ville
Une femme sans âge me regarde
Avec des yeux de porcelaine
Puis dans la saveur du matin
Les passants plus lointains que les étoiles
Marchent dans les sandales de l'aube.

Georges Jean ("Parcours immobiles" - éditions Le dé bleu, 1995)



Vénus Khoury-Ghata est une poète libanaise francophone contemporaine.

À Yasmine

Tu es mon point du jour
mon île colorée en bleu
ma clairière odorante

Tu es ma neige volée
mon pétale unique
mon faune apprivoisé

Tu es ma robe de caresses
mon foulard de tendresse
ma ceinture de baisers

Tes cils épis de blé
Tes gestes moulin à vent
et l'on pétrit le rire
Dans la cuve de ta bouche

Tu es mon pain dodu
mon nid

Vénus Khoury-Ghata ("Anthologie personnelle " - Actes Sud, 1999)

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La forêt a peur

Une forêt peureuse
panique à la vue du soir
Tout l'angoisse
les cris des chouettes
leur silence
Le regard froid de la Lune
et l'ombre de son sourcil sur le lac
Le bouleau claque des dents
en se cachant derrière le garde-champêtre
Le frêne s'emmitoufle dans son écorce
et retient sa respiration jusqu'au matin
Le pin essuie sa sueur
et appelle son père le pin parasol
La tête entre les jambes
le saule pleure à chaudes feuilles
et fait déborder le ruisseau
Le roseau qui ne le quitte pas des yeux
L'entend supplier le ver luisant
d'éclairer les ténèbres
Seul le chêne garde sa dignité
à genoux dans son tronc
il prie le dieu de la forêt
de hâter l'arrivée du jour

Vénus Khoury-Ghata ("La voix des arbres" - Le Cherche-midi, 1999)

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La surface d'un automne

La surface d'un automne
est inversement proportionnelle à la hauteur de sa tristesse
le nuage interrogé multiplie sans difficulté le basilic par le safran.

Répète après moi :
la distance entre deux pluies se mesure par arpents de silence
et le périmètre d'un mois est divisible par son rayon de lune.
Cela va de soi.

Vénus Khoury-Ghata ("Quelle est la nuit parmi les nuits" - Mercure de France, 2004)

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Source des textes de Vénus Khoury-Ghata reproduits ci-dessous : http://www.printempsdespoetes.com/

La voie lactée ...

La voie lactée mène à l'école
Les enfants l'empruntent soir et matin
Les tabliers au passage frôlent une étoile dormante
Qui crie dans son sommeil
Et jette des étincelles
La Grande Ourse rêve d'une couette
La Petite Ourse rêve d'un jardin
Et de trèfles à quatre feuilles
Le temps est à la somnolence et à la paresse
L'instituteur dort en marchant
Les élèves sont en papier

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À quoi sert l'école ?
À enfermer entre les mêmes murs livres et enfants

À chaque chose son temps et sa couleur
Dit le peintre
Et il ajoute une aile jaune à l'écureuil
Le cyprès qu'il peint en noir
Fait des grimaces derrière son dos
La vache est très contente
Elle aime le nuage rose dessiné sur son dos


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À quoi sert un nuage ?

À fondre en pluie dès qu'on l'essore de travers

Vénus Khoury-Ghata ("À quoi sert la neige" - Le cherche midi éditeur - Recueil sélectionné pour le prix poésie jeunesse 2010 Lire et Faire Lire)


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15 mai 2009

Alphonse de LAMARTINE, Jules LAFORGUE, Guy LAVAUD - PRINT POÈTES 11 : PAYSAGES en français

Jules Laforgue (1860-1887), est né à Montevideo (Uruguay), de parents français. C'est en France, dans les Pyrénées-Atlantiques, qu'il a passé sa courte vie.

Poète "lunaire" (Il a consacré à notre satellite de nombreux textes), Jules Laforgue n'a vécu que le temps de quelques recueils.

Chanson d'automne (début du poème)

Voici venir l'automne aux averses moroses
Noyant l'été banal béni des amoureux
Qui stupides et lents vont par les chemins creux
Complotant l'héritier de leurs sales névroses.
Adieu lilas, blés d'or, poussière, robes roses.
Dans le spleen désolé des orgues douloureux,
Prés du feu tisonnant aux regrets des jours heureux,
Nous sauvons la tristesse incurable des choses...

[...]

Jules Laforgue ("Œuvres Complètes Tome I ", éditions L'Âge d'Homme, 1986)  

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Couchant d'hiver (début du poème) 

Quel couchant douloureux nous avons eu ce soir !
Dans les arbres pleurait un vent de désespoir,
Abattant du bois mort dans les feuilles rouillées.
À travers le lacis des branches dépouillées
Dont l'eau-forte sabrait le ciel bleu-clair et froid,
Solitaire et navrant, descendait l'astre-roi.
Ô Soleil ! l'autre été, magnifique en ta gloire,
Tu sombrais, radieux comme un grand Saint-Ciboire,
Incendiant l'azur ! À présent, nous voyons
Un disque safrané, malade, sans rayons,
Qui meurt à l'horizon balayé de cinabre,
Tout seul, dans un décor poitrinaire et macabre,
Colorant faiblement les nuages frileux
En blanc morne et livide, en verdâtre fielleux,
Vieil or, rose-fané, gris de plomb, lilas pâle.
Oh! c'est fini, fini ! longuement le vent râle,
Tout est jaune et poussif ; les jours sont révolus,
La Terre a fait son temps ; ses reins n'en peuvent plus.

[...]

Jules Laforgue ("Œuvres Complètes Tome I ", éditions L'Âge d'Homme, 1986) 

Crépuscule de dimanche d'été (début et passage du poème)

Une belle journée, un calme crépuscule
Dans l'odeur des rôtis les promeneurs heureux
Rentrent, sans se douter que tout est ridicule,
Et fouettent du mouchoir leurs beaux souliers poudreux.

[...]

Par l'azur tendre et fin tournoient les hirondelles
Dont je traduis pour moi les mille petits cris,
Et peu à peu je songe aux choses éternelles,
Au-dessus des rumeurs stupides de Paris.

[...]

Jules Laforgue ("Œuvres Complètes Tome I ", éditions L'Âge d'Homme, 1986)



Alphonse de Lamartine (1790-1869), est un grand poète romantique et lyrique, ainsi qu'un écrivain et un homme politique français.

Milly ou la terre natale (I)

Pourquoi le prononcer ce nom de la patrie ?
Dans son brillant exil mon coeur en a frémi ;
Il résonne de loin dans mon âme attendrie,
Comme les pas connus ou la voix d'un ami.
Montagnes que voilait le brouillard de l'automne,
Vallons que tapissait le givre du matin,
Saules dont l'émondeur effeuillait la couronne,
Vieilles tours que le soir dorait dans le lointain,
Murs noircis par les ans, coteaux, sentier rapide,
Fontaine où les pasteurs accroupis tour à tour
Attendaient goutte à goutte une eau rare et limpide,
Et, leur urne à la main, s'entretenaient du jour,
Chaumière où du foyer étincelait la flamme,
Toit que le pèlerin aimait à voir fumer,
Objets inanimés, avez-vous donc une âme
Qui s'attache à notre âme et la force d'aimer ? ... 

Alphonse de Lamartine ("Harmonies poétiques et religieuses", 1830)

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Milly ou la terre natale (II)  (passages)

[...]

Ces bruyères, ces champs, ces vignes, ces prairies,
Ont tous leurs souvenirs et leurs ombres chéries.
Là, mes soeurs folâtraient, et le vent dans leurs jeux
Les suivait en jouant avec leurs blonds cheveux !
Là, guidant les bergers aux sommets des collines,
J'allumais des bûchers de bois mort et d'épines,
Et mes yeux, suspendus aux flammes du foyer,
Passaient heure après heure à les voir ondoyer.
Là, contre la fureur de l'aquilon rapide
Le saule caverneux nous prêtait son tronc vide,
Et j'écoutais siffler dans son feuillage mort
Des brises dont mon âme a retenu l'accord.
Voilà le peuplier qui, penché sur l'abîme,
Dans la saison des nids nous berçait sur sa cime,
Le ruisseau dans les prés dont les dormantes eaux
Submergeaient lentement nos barques de roseaux,
Le chêne, le rocher, le moulin monotone,
Et le mur au soleil où, dans les jours d'automne,
je venais sur la pierre, assis près des vieillards,
Suivre le jour qui meurt de mes derniers regards !

[...]

Alphonse de Lamartine ("Harmonies poétiques et religieuses", 1830)

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Le vallon
  (3 strophes de début et 2 strophes de la dernière partie du poème)

Mon coeur, lassé de tout, même de l'espérance,
N'ira plus de ses voeux importuner le sort ;
Prêtez-moi seulement, vallon de mon enfance,
Un asile d'un jour pour attendre la mort.

Voici l'étroit sentier de l'obscure vallée :
Du flanc de ces coteaux pendent des bois épais,
Qui, courbant sur mon front leur ombre entremêlée,
Me couvrent tout entier de silence et de paix.

Là, deux ruisseaux cachés sous des ponts de verdure
Tracent en serpentant les contours du vallon ;
Ils mêlent un moment leur onde et leur murmure,
Et non loin de leur source ils se perdent sans nom.

[...]

Ah ! c'est là qu'entouré d'un rempart de verdure,
D'un horizon borné qui suffit à mes yeux,
J'aime à fixer mes pas, et, seul dans la nature,
A n'entendre que l'onde, à ne voir que les cieux.

J'ai trop vu, trop senti, trop aimé dans ma vie ;
Je viens chercher vivant le calme du Léthé.
Beaux lieux, soyez pour moi ces bords où l'on oublie :
L'oubli seul désormais est ma félicité.
 

Alphonse de Lamartine ("Méditations poétiques", 1820)



Guy Lavaud (1883-1958), a publié des textes dans "Le Divan" et "La Muse Française", revues du début du XXe siècle, et quelques recueils. Une anthologie : "Les poètes du Divan"‎ (présentation de Pierre Lièvre, n° 92 de la revue "Le Divan", 1923) rend compte de cette époque.‎

Paysage de lumières, la nuit, où glissent les mots comme les choses :

Nocturne

Pareille à ces bateaux qui, sur l’océan, glissent,
Chaque soir appareille, au ras de l’eau, la lune.
Et sa clarté la suit,comme un filet tranquille
Où les étoiles bleues se prennent une à une.

Guy Lavaud ("Sous le signe de l'eau" édité par "La Muse Française", Garnier, 1927)
O
n retrouve ce petit poème dans le recueil "Poèmes de partout et de toujours pour les enfants de 2 à 8 ans", anthologie de textes recueillis par Paulette Lequeux*, Armand Colin, 1978) - * la même auteure dont nombre d'enseignants connaissent les "Jeux de parole de L'école maternelle au CP et au CE" (Colin - Bourrelier, 1979), pas si obsolètes ...

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Un pin

Un pin large, arrondi en une sombre masse
Est comme une île dans l’eau vive de l’espace.
Chaque branche étendue verte sur cet azur
Y jette de longs caps et de sombres presqu’îles
Et ses courbes rameaux captent d’un geste pur
Dans leurs récifs menus des golfes d’air tranquille.

Guy Lavaud ("Art poétique" Editions Émile-Paul frères, 1956)

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Combats

Ainsi que des taureaux, d'un convulsif effort
heurtent leurs fronts brutaux qui s'emmêlent et penchent,
Deux vagues sur la mer, combattent corps à corps
Au souffle furieux de quelque vague blanche !

Guy Lavaud ("Imageries des mers" Editions Émile-Paul frères, 1919)



15 mai 2009

Luce LAURAND, Philéas LEBESGUE, LECONTE DE L'ISLE - PRINT POÈTES 11 : PAYSAGES en français

Luce Laurand a vécu au XXe siècle. C'est sous ce nom de plume, parfois aussi sous le pseudonyme Luce Laurand-Dupin, que Lucie Dupin, romancière et poète native de Saint-Flour mais résidant au Pays-Basque, a publié ses ouvrages. En particulier des romans, des poésies, et  des biographies de poètes et de religieux, ainsi que des ouvrages d'histoire religieuse. Deux recueils de poèmes parmi d'autres écrits : "Le Jardin vert", en 1935 et "L'Herbe au vent " en 1937. références : anthologie d'Armand Got, "Poétes du Béarn et du Pays Basque", 1961.

Le chemin
 
  Chemin, capricieux chemin
Natté de grosses ronces,
Tu remplis ma bouche et mes mains
De mûres sombres ;
Voici que tu offres, sournois,
Ce beau noyer
Plein de jeunes et vertes noix
Et ce talus mauve d'œillets.
Puis une fontaine
Où trois petits oiseaux se baignent …
Et dans le grand air bleu qui palpite,
Toute la vallée pleine de paix
Qui s'étend de Luz à Pierrefitte
(*)
Chemin, nous n'arriverons jamais !

Luce Laurand ("Le Jardin vert", éditions Corymbe, 1935) - (*) Il s'agit du trajet de montagne qui mène de Luz-Saint-Sauveur à Pierrefitte-Nestalas, dans les Hautes-Pyrénées, environ 13 ou 14 kilomètres de chemins de montagne, d'où l'exclamation !



Philéas Lebesgue (1869-1958), poète et paysan, a beaucoup écrit sur le Picardie (cf "Mon pays de Bray") où il est né.

Le même village sans doute, pour deux poèmes d'amour et de nostalgie dans lesquels Philéas Lebesgue montre son attachement à la terre natale, sur le cours entier d'une vie déjà inscrite.

On ne propose pas en principe, (ça se discute) aux classes d'élémentaire, la dernière partie, quand même bien sombre, de ces textes.

 Petit village

Petit village au bord des bois,
Petit village au bord des plaines,
Parmi les pommiers, non loin des grands chênes,
Lorsque j'aperçois
Le coq et la croix
De ton clocher d'ardoises grises,
De ton clocher fin,
A travers ormes et sapins,
D'étranges musiques me grisent ;
Je vois des yeux dans le soir étoilé :
Là je suis né...

Petit village au bord des champs,
Petit village entre les haies,
Tour à tour paré de fleurs et de baies,
Lorsque les doux chants
De ton frais printemps,
Quand l'odeur de tes violettes,
De tes blancs muguets
Pénètrent mon cœur inquiet,
J'oublie et tumulte et tempêtes ;
J'entends des voix dans le soir parfumé :
Là j'ai aimé...

Petit village de hasard
Petit village aux toits de tuiles,
Où rit le mystère aux rêves tranquilles,
Lorsqu’à mon regard
L’horizon picard
Fait ondoyer ses nobles lignes
Ou que la forêt
Qui moutonne aux coteaux de Bray,
De ses bras tendus me fait signe,
Je goûte en paix l’amour et la beauté :
Là j’ai chanté...

Petit village aux courtils verts,
Petit village de silence,
Où la cloche sonne un vieil air de France,
J'aime les éclairs
De tes cieux couverts,
Ton soleil fin entre les arbres,
Les feux de tes nuits,
L'oeil fixe et profond de tes puits,
Ton doux cimetière sans marbres,
Plein d'oiseaux fous et luisant comme pré :
Là je viendrai ...

Philéas Lebesgue ("Œuvres Poétiques" en trois volumes, Tome II, éditions Du Thelle, 1950)

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Le village

Petit village sous les branches, quel est ton nom ?
Tout paré de ta paisible ignorance,
Tu resonges les vieux rêves de l’enfance
Au doux chant des angélus du vallon.

Tu n’as point de hauts frontons de cheminées,
De rails bruyants ;
Tu n’as  que tes courtils pleins d’oiseaux au printemps,
Et de fleurs satinées ;

Tu n’as que ta vieille église
Avec son clocher branlant
Et son toit de tuiles grises ;
Mais tu gardes, solitaire et têtue
Contre l’assaut du vent,
Tout au bout de ta grand’ rue,
La maison que j’aime
Et qui domine les champs !

Ton nom obscur tu l’as donné, petit village
Au sol que je laboure, aux glèbes où je sème,
Au cimetière un peu sauvage
Où mon père
Est endormi pour toujours sous sa pierre
Et, vers plus d’un fourré,
Tu conserves des recoins d’ombre où j’ai pleuré.

Philéas Lebesgue ("Les Servitudes", Mercure De France, 1913)

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D'autres poèmes, et toujours le pays de Bray pour unique terroir.

Terre d'amour

Ô mon pays de Bray picard, peuplé de haies
Quelle âme aromatique, irrésistible et douce
Habite en toi, parmi les myrtils et la mousse
Parmi les prés en fleurs et les hautes futaies !

Parce que nous goûtons la rouille de tes sources,
Le pain de tes froments, le cidre de tes pommes,
Ta glèbe a pénétré dans la chair que nous sommes,
Et tes fils, loin de toi, perdent toutes ressources.

C’est que les morts couchés au flanc de tes collines,
Ont haleté sur toi de toutes leurs poitrines
Et t’ont, le long des jours, baigné de sueurs lentes;

C’est que le ciel, soir et matin, mouille et féconde,
Du magique baiser de ses lèvres sanglantes,
Ton sol amer, où le fer brun gît sous la sonde.

Philéas Lebesgue ("Le Beffroi", revue, 1903)

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Le plus beau pays du monde

Le plus beau pays du monde,
C’est la terre où je naquis ;
Au printemps, la rose abonde
Aux abords de ses courtils,
D’elle émane dans la brise
Un arôme sans pareil,
Au clocher de ses églises
Le coq guette le soleil.

On y parle un doux langage,
Le plus beau qu’on ait formé ;
L’étranger devient plus sage,
Quand il se met à l’aimer.
Heureux qui reçut la chance
De l’ouïr dès son berceau,
Car la langue de la France
Est un chant toujours nouveau.

Parfums de fleurs, chants de cloches,
Bruits d’eaux vives, gais frissons
Des tiges qui se rapprochent,
Quand mûrissent les moissons,
Étoiles dans un ciel tendre,
Sourires d’aubes en éveil :
Ah ! mon pays j’aime entendre
Ta chanson dans le soleil !
 

Philéas Lebesgue ("Les Servitudes", Mercure De France, 1913)



Charles-Marie Leconte de Lisle (1818-1894) se passe de prénom pour signer ses poèmes. Il défend la cause républicaine contre la Monarchie lors des événements de 1848, mais c'est comme figure principale du mouvement parnassien qu'il se fait connaître et qu'il reste dans l'Histoire, avec le "tryptique" Poèmes antiques (1852), Poèmes barbares (1862) et Poèmes tragiques (1884).

Dans les paysages exotiques de Leconte de L'Isle, les héros sont les animaux sauvages :

Les éléphants (début du poème)
 
  Le sable rouge est comme une mer sans limite,
Et qui flambe, muette, affaissée en son lit.
Une ondulation immobile remplit
L'horizon aux vapeurs de cuivre où l'homme habite.

Nulle vie et nul bruit. Tous les lions repus
Dorment au fond de l'antre éloigné de cent lieues,
Et la girafe boit dans les fontaines bleues,
Là-bas, sous les dattiers des panthères connus.

Pas un oiseau ne passe en fouettant de son aile
L'air épais, où circule un immense soleil.
Parfois quelque boa, chauffé dans son sommeil,
Fait onduler son dos dont l'écaille étincelle.

Tel l'espace enflammé brûle sous les cieux clairs.
Mais, tandis que tout dort aux mornes solitudes,
Les éléphants rugueux, voyageurs lents et rudes,
Vont au pays natal à travers les déserts.

D'un point de l' horizon, comme des masses brunes,
Ils viennent, soulevant la poussière, et l'on voit,
Pour ne point dévier du chemin le plus droit,
Sous leur pied large et sûr crouler au loin les dunes.

[..
.]

Leconte de Lisle ("Poèmes Barbares", 1862)

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La panthère noire (début du poème)
 
  Une rose lueur s' épand par les nuées ;
L'horizon se dentelle, à l'est, d'un vif éclair ;
Et le collier nocturne, en perles dénouées,
S'égrène et tombe dans la mer.

Toute une part du ciel se vêt de molles flammes
Qu' il agrafe à son faîte étincelant et bleu.
Un pan traîne et rougit l'émeraude des lames
D'une pluie aux gouttes de feu.

Des bambous éveillés où le vent bat des ailes,
Des letchis au fruit pourpre et des cannelliers
Pétille la rosée en gerbes d'étincelles,
Montent des bruits frais, par milliers.

Et des monts et des bois, des fleurs, des hautes mousses,
Dans l'air tiède et subtil, brusquement dilaté,
S' épanouit un flot d'odeurs fortes et douces,
Plein de fièvre et de volupté.

Par les sentiers perdus au creux des forêts vierges
Où l'herbe épaisse fume au soleil du matin ;
Le long des cours d'eau vive encaissés dans leurs berges,
Sous de verts arceaux de rotin ;

La reine de Java, la noire chasseresse,
Avec l'aube, revient au gîte où ses petits
Parmi les os luisants miaulent de détresse,
Les uns sous les autres blottis.

Inquiète, les yeux aigus comme des flèches,
Elle ondule, épiant l'ombre des rameaux lourds.
Quelques taches de sang, éparses, toutes fraîches,
Mouillent sa robe de velours.
 
[..
.]

Leconte de Lisle ("Poèmes Barbares", 1862)

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Le rêve du jaguar
 
  Sous les noirs acajous, les lianes en fleur,
Dans l'air lourd, immobile et saturé de mouches,
Pendent, et, s'enroulant en bas parmi les souches,
Bercent le perroquet splendide et querelleur,
L'araignée au dos jaune et les singes farouches.
C'est là que le tueur de bœufs et de chevaux,
Le long des vieux troncs morts à l'écorce moussue,
Sinistre et fatigué, revient à pas égaux.
Il va, frottant ses reins musculeux qu'il bossue ;
Et, du mufle béant par la soif alourdi,
Un souffle rauque et bref, d'une brusque secousse,
Trouble les grands lézards, chauds des feux de Midi,
Dont la fuite étincelle à travers l'herbe rousse.

En un creux du bois sombre interdit au soleil
Il s'affaisse, allongé sur quelque roche plate ;
D'un large coup de langue il se lustre la patte ;
Il cligne ses yeux d'or hébétés de sommeil ;
Et, dans l'illusion de ses forces inertes,
Faisant mouvoir sa queue et frissonner ses flancs,
Il rêve qu'au milieu des plantations vertes,
Il enfonce d'un bond ses ongles ruisselants
Dans la chair des taureaux effarés et beuglants.

Leconte de Lisle ("Poèmes Barbares", 1862)

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La forêt vierge (début du poème)
 
  Depuis le jour antique où germa sa semence,
Cette forêt sans fin, aux feuillages houleux,
S'enfonce puissamment dans les horizons bleus
Comme une sombre mer qu'enfle un soupir immense.
   
Sur le sol convulsif l'homme n'était pas né
Qu'elle emplissait déjà, mille fois séculaire,
De son ombre, de son repos, de sa colère,
Un large pan du globe encore décharné.
   
Dans le vertigineux courant des heures brèves,
Du sein des grandes eaux, sous les cieux rayonnants,
Elle a vu tour à tour jaillir des continents
Et d'autres s' engloutir au loin, tels que des rêves.
   
Les étés flamboyants sur elle ont resplendi,
Les assauts furieux des vents l'ont secouée,
Et la foudre à ses troncs en lambeaux s' est nouée ;
Mais en vain : l'indomptable a toujours reverdi.
   
Elle roule, emportant ses gorges, ses cavernes,
Ses blocs moussus, ses lacs hérissés et fumants
Où, par les mornes nuits, geignent les caïmans
Dans les roseaux bourbeux où luisent leurs yeux ternes
...
 
[..
.]

Leconte de Lisle ("Poèmes Barbares", 1862)

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De la forêt vierge au paysage blanc :

Paysage polaire
 
  Un monde mort, immense écume de la mer,
  Gouffre d'ombre stérile et de lueurs spectrales,
  Jets de pics convulsifs étirés en spirales
  Qui vont éperdument dans le brouillard amer.
 
  Un ciel rugueux roulant par blocs, un âpre enfer
  Où passent à plein vol les clameurs sépulcrales,
  Les rires, les sanglots, les cris aigus, les râles
  Qu'un vent sinistre arrache à son clairon de fer.
 
  Sur les hauts caps branlants, rongés des flots voraces,
  Se raidissent les dieux brumeux des vieilles races,
  Congelés dans leur rêve et leur lividité ;
 
  Et les grands ours, blanchis par les neiges antiques,
  Çà et là, balançant leurs cous épileptiques,
  Ivres et monstrueux, bavent de volupté.

Leconte de Lisle ("Poèmes Barbares", 1862)

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Midi
 
  Midi, roi des étés, épandu sur la plaine,
Tombe en nappes d'argent des hauteurs du ciel bleu.
Tout se tait. L'air flamboie et brûle sans haleine :
La terre est assoupie en sa robe de feu.

L'étendue est immense et les champs n'ont point d'ombre,
Et la source est tarie où buvaient les troupeaux ;
La lointaine forêt dont la lisière est sombre,
Dort là-bas, immobile, en un pesant repos.

Seuls, les grands blés mûris, tels qu'une mer dorée,
Se déroulent au loin, dédaigneux du sommeil :
Pacifiques enfants de la terre sacrée,
Ils épuisent sans peur la coupe du soleil.

Parfois, comme un soupir de leur âme brûlante,
Du sein des épis lourds qui murmurent entre-eux,
Une ondulation majestueuse et lente
S'éveille, et va mourir à l'horizon poudreux.

Non loin quelques bœufs blancs, couchés parmi les herbes,
Bavent avec lenteur sur leurs fanons épais,
Et suivent de leurs yeux languissants et superbes
Le songe intérieur qu'ils n'achèvent jamais.

Homme, si le coeur plein de joie ou d'amertume,
Tu passais vers midi dans les champs radieux,
Fuis ! La nature est vide et le soleil consume :
Rien n' est vivant ici, rien n'est triste ou joyeux.

Mais si désabusé des larmes et du rire,
Altéré de l'oubli de ce monde agité,
Tu veux, ne sachant plus pardonner ou maudire,
Goûter une suprême et morne volupté ;

Viens, le soleil te parle en lumières sublimes ;
Dans sa flamme implacable absorbe-toi sans fin ;
Et retourne à pas lents vers les cités infimes,
Le cœur trempé sept fois dans le néant divin
.

Leconte de Lisle ("Poèmes Antiques", 1852)


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15 mai 2009

Jean LEBRAU, Madeleine LE FLOCH, Madeleine LEY - PRINT POÈTES 11 : PAYSAGES en français

Jean Lebrau, (1891-1983), contemporain de Francis Jammes, qu"il a rencontré, est, osons le terme, un "poète-paysan", puisqu'il était aussi viticulteur. Deux métiers, deux passions confondues, ses poésies célèbrent le terroir et le pays des Corbières (il est né et a vécu à Moux, dans l'Aude, au sud-ouest de la France).

Quelques titres de recueils : Sous le signe d'octobre (La Nouvelle Édition, 1943) ; Impasse du romarin (Gallimard, 1953) ;  Corbières (Gallimard, 1959) ; Au secret des pierres (Gallimard, 1962) ; Du cypès tourne l'ombre (éditions Aubanel, 1966). 

Dans les Corbières de Jean Lebrau, un village en novembre :

Dans les Corbières

La route tournait sous la pluie.
Novembre... Les eaux étaient grises.
Les enfants cueillaient des olives,
Le village sentait la suie.

L'église contre la montagne
N'était plus qu'une aile lassée,
Une bourrasque était passée,
Un troupeau regagnait l'Espagne

Sur un tapis de feuilles mortes,
Et la dernière rose blanche
S'ennuyait comme le dimanche
Dont le vent tourmentait les portes.

Jean Lebrau ("Corbières", éditions Gallimard, 1959)

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Poème sur paysage de vigne, attention aux groupes de souffle pour la diction, le découpage n'est pas évident :

Octobre

Octobre a blanchi la montagne
mais de nouveau le jour est bleu
Sur la vigne, attisant le feu
Dont elle empourpre la campagne.
 
Que me font le feu, cet azur ?
Je ne sonde qu'à des villages
Pareils à de vieilles images
Fumant contre le ciel obscur.
 
Des soirs de neige. Le vignoble
Emerveille certes nos yeux,
Mais je préfère ces hauts lieux.
La châtaigne n'est pas moins noble
 
Que le raisin, repas frugal …
Tandis qu'il vente sur l'ardoise,
Que des bêtes se cherchent noise,
Vieillir ainsi, d'un cœur égal.

Jean Lebrau ("Sous le signe d'octobre", Prix de l'Académie Française - La Nouvelle Édition, 1943, et "Florilège poétique", L'Amitié par le livre, 1959)

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La fleur rose (titre proposé)

Des pierres où le vent se pose
Et des cyprès qui font silence
Un fil brillant qui se balance
La fleur des garrigues est rose

Villages gris, villages fauves
Où le mirage d'un peu d'eau
Ne fait qu'altérer le troupeau
La fleur rose est la sœur des mauves

Fontcouverte * où grimpent les chèvres,
Moux * sous un mont couleur de mûre
Qui de son ombre en vain l'azure...
La fleur rose est la fleur des fièvres.
 

Jean Lebrau ("Du cyprès tourne l'ombre", éditions Aubanel, 1966) 

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Fin d'octobre

Le tilleul nu et noir pleure au bout de ses branches,
La grille pleure au long de ses barreaux,
Et la maison pleure au bord de ses tuiles ;
Dans le pin mouillé un nid de chenilles
Brille
Comme un flocon d'argent ;
L'eau de la petite pluie.
En s'écoulant dans le zinc,
Fait un bruit de tambourin ;
L'âtre sent les jours frais, les sarments et la suie.

Jean Lebrau ("La voix de là-bas" - Éditions du Divan, 1914)

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Le vent

Le vent superbe
Dont la caresse
Fait briller l'herbe
Aux cieux vous presse,
Agnelles folles,
Lourdes nuées
Ou fumerolles
D'azur trouées.

Le vent qui mène
Partout son branle,
Qui tout déchaîne
Et tout ébranle,
Les mers, la terre,
Vif comme flamme
Et salutaire,
Le vent est l'âme
De la montagne.

Il sonne aux pierres,
Il m'accompagne
De ses colères.

Jean Lebrau ("Sous le signe d'octobre", Prix de l'Académie Française - La Nouvelle Édition, 1943)



Madeleine Le Floch est une auteure contemporaine, qui a publié en 1975 "Petits contes verts pour le printemps et pour l'hiver". Un recueil dans lequel elle joue avec les différents sens, les à-peu-près et les homonymies du vert, pour l'écriture de (quand même !) soixante-treize petits poèmes. En voici un échantillon :

livre_Madeleine_Le_Floch_contes_vertsVers exclusif *

La mer
en s'en allant
écrivait sur le sable
un poème


que le vent
jaloux
effaçait.

Madeleine Le Floch ("Petits contes verts pour le printemps et pour l'hiver" - Éditions Saint-Germain-des-Prés, 1975)

* Dans le recueil, ce texte porte le titre "Vert exclusif". Puisqu'il s'agit d'un poème que la mer écrit jalousement, il s'agit sans doute d'une coquille, et comme un poème comporte en général plus d'un vers, faudrait-il titrer "Vers exclusifs" ?



Madeleine Ley (1901-1981) est une romancière et poète belge.

Ici, la réparation du paysage, à la fin des vacances :

La fin des vacances

La nuit relèvera les gazons inusables.
Sur les berges de sable
Le ruisseau lavera la trace de vos pas,
Et aux trous de la haie la patiente araignée
Retissera les fils que vous avez brisés.

Madeleine Ley ("Petites voix" - Éditions Stock, 1930)

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En rentrant de l’école (ou Dans les bois noirs)

En rentrant de l’école
Par un chemin perdu,
J’ai rencontré la lune
Derrière les bois noirs.
Elle était ronde et claire
Et brillante dans l’air.

En rentrant de l’école
P
ar un chemin perdu,
A
vez-vous entendu
L
a chouette qui vole
Et le doux rossignol ?

Madeleine Ley ("Petites voix" - Éditions Stock, 1930)



 

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15 mai 2009

Bernard LORRAINE, Olivier de MAGNY - PRINT POÈTES 11 : PAYSAGES en français

Bernard Lorraine (1933-2002) a publié 27 recueils  (Vitriol, Voilà, Provocation, Sentences, Burlesques ...) et 10 anthologies poétiques (Trésors des épigrammes satiriques ; Une Europe des poètes ; Le cœur à l'ouvrage : anthologie de la poésie du travail ; Un poème, un pays, un enfant ...) ainsi que des essais et des pièces de théâtre.

(...)
"Je te porte en mes pas dans le jour des trottoirs
Flânant aveugle et sourd sans ta voix ni tes yeux".

(hommage de Robert Vigneau à Bernard Lorraine)

Le paysage se construit, de l'inanimé au vivant :

Au début ...

Il y avait un ciel
il y eut un nuage
Il y avait la boue
il y eut une plage
Il y avait une eau
il y eut un poisson
Il y avait un arbre
il y eut un oiseau
Il y avait la nuit
il y eut une femme
Il y avait le jour
et il y eut un homme
Il y avait l'amour
il y eut un silence
Mais il y eut un cri
et c'était un enfant
Et ce fut un poète
puisqu'il y eut un chant

Bernard Lorraine



Olivier de Magny (1529-1561) est un poète contemporain de Louise labé (voir la catégorie du blog PRINT POÈTES 2010 : DES FEMMES POÈTES ), dont il tombe amoureux, et de Joachim du Bellay (présenté quelques pages ci-avant). Il est l'auteur de recueils de sonnets, inspirés de Ronsard. (source Wikipédia, recoupée)

À sa demeure des champs

Petit jardin, petite plaine
Petit bois, petite fontaine,
Et petits coteaux d'alentour,
Qui voyez mon être si libre,
Combien serais-je heureux de vivre,
Et mourir en votre séjour !

Bien que vos fleurs, vos blés, vos arbres,
Et vos eaux ne soient près des marbres,
Ni des palais audacieux (1),
Tel plaisir pourtant j'y retire
Que mon heur, si je l'ose dire,
Je ne voudrais quitter aux dieux :

Car ou soit qu'un livre je tienne,
Ou qu'en rêvant je me souvienne
Des yeux qui m'enflamment le sein,
Ou qu'en chantant je me promène,
Toute sorte de dure peine
Et d'ennui me laisse soudain.

Toutes fois il faut que je parte,
Et faut qu'en partant je m'écarte
De vos solitaires détours,
Pour aller en pays étrange
Sous l'espoir de quelque louange
Mâlement travailler mes jours.

Ô chaste vierge Délienne,
De ces montagnes gardienne,
Si j'ai toujours paré ton dos
D'arc, de carquois et de sagettes,
Couronnant ton chef de fleurettes
Et sonnant sans cesse ton los
(2) :

Fais que longtemps je ne séjourne,
Ainçois
(3) que bien tôt je retourne,
En ces lieux à toi dédiés,
Revoir de tes nymphes la bande,
Afin qu'en ces autels j'appende
(4) 
Mille autres hymnes à tes pieds.

Mais soit qu'encore je revienne
Ou que bien loin on me retienne,
Il me ressouviendra toujours
De ce jardin, de cette plaine,
De ce bois, de cette fontaine
Et de ces coteaux d'alentour.

(1) sans doute un clin d'oeil à du Bellay en référence au poème "heureux qui, comme Ulysse" ? - (2) "ton los" : "tes louanges" - (3) "ainçois" peut avoir le sens de "plutôt que", "en attendant", "auparavant ...", on proposera ici, vu le sens général du passage:  "en attendant que", mais il peut y avoir des avis contraires !  - (4 ) "appendre" = suspendre, dans le sens d'accrocher 

Voici de ce poème lexte original en ancien français, juste pour le plaisir :

Petit jardin, petite plaide
Petit boys, petite fontaine,
Et petits coustaux d'alentour,
Qui voyez mon estre si libre,
Combien serois-je heureux de vivre,
Et mourir en vostre séjour I

Bien que vos fleurs, vos bleds, vos arbres.
Et vos eaux ne soyent près des marbres,
Ny des palais audacieux.
Tel plaisir pourtant j'y retire
Que mon heur, si je l'ose dire,
Je ne vouldroy quitter aux dieux :

Car ou soit qu'un livre je tienne.
Ou qu'en resvant il me souvienne
Des yeux qui m'enflamment le sein,
Ou qu'en cliantant je me promeine,
Toute sorte de dure peine
Et d'ennuy me laisse soubdain.

Toutes fois il fault que je parte,
Et fault qu'en partant je m'escarte
De vos solitaires destours,
Pour aller en pays estrange,
Sous l'espoir de quelque louenge
Malement travailler mes jours.

Chaste vierge Delienne,
De ces montagnes gardienne,
Si j'ay tousjours paré ton dos
D'arc, de carquois et de sagettes,
Couronnant ton chef de fleurettes
Et sonnant sans cesse ton los :

Fais que long temps je ne séjourne,
Ainçois que bien tost je retourne.
En ces lieux à toy dédiez.
Revoir de tes nymphes la bande.
Afin qu'en ces autels j'appende
Mille autres hymnes à tes pieds.

Mais soit qu'encore je revienne
Ou que bien loing on me retienne,
Il me resouviendra tousjours
De ce jardin, de ceste plaine,
De ce boys, de ceste fontaine
Et de ces coustaux d'alentour.

Olivier de Magny (textes à retrouver dans ses "Œuvres poétiques complètes", Textes de la Renaissance, 1999)



15 mai 2009

Jeanne MARVIG, Stéphane MALLARMÉ - PRINT POÈTES 11 : PAYSAGES en français

Jeanne Marvig (1882-1956), romancière et poète française, est née en Haute-Garonne. De son nom Jeannne Mary, née Viguier, elle a fait un pseudonyme. Elle est l'auteure de nombreux recueils de poèmes, de pièces de théâtre, et d'une intéressante anthologie : "La Poésie méridionale" (paru en 1939). Le poème le plus connu de l'auteure, "Le petit lapin", est ailleurs sur ce blog.

Le ruisseau

Ce n'est qu'un tout petit ruisseau,
Un peu d'eau vive qui glougloute,
Une vasque fut son berceau,
On ne le voit pas, on l'écoute.

Il a des façons de gamin
Pour sautiller de pierre en pierre,
On y puise au creux de la main
En écartant un brin de lierre.

Il a des franges de roseaux
Sur ses bords fleuris de pervenches
Et des aulnes où les oiseaux
Font du trapèze sur les branches.

Si, dans son lit, le vent brutal
Penche un brin d'osier qui le borde,
Le petit ruisseau de cristal
S'amuse à sauter à la corde.

Puis sous les aulnes chevelus,
Caressant le cresson et l'ache,
Il s'enfonce...On ne l'entend plus...
Sans doute il joue à cache-cache.

Petit ruisseau, je voudrais bien,
Moi qui suis un rêve qui passe,
Que dans mon cœur ainsi qu'au tien
Se mirent le ciel et l'espace !

Jeanne Marvig ("Le jardin d'Isabélou", édité par l'auteure, 1947) et dans l'anthologie d'Armand Got * et de Charles Vildrac , "La Poèmeraie", Armand-Colin, 1963) - * On le trouve aussi dans la précédente anthologie d'Armand Got : "La Poèmeraie", première partie, La Souris verte" (Librairie Gedalge, 1928)

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La voiture roulait

La voiture roulait doucement sous les arbres,
Platanes de novembre aux blondissants rameaux,
Aux fûts du blanc poli de l’ivoire ou des marbres,
Comme un cloître roman unissant leurs arceaux.

Nous nous sentions glisser sous la lente caresse
De la feuille, au matin, toute emperlée encor
Du vent, sur notre front agitant son ivresse
De l’automne accourant vers nous ruisselant d’or ! …

De l’or, de l’or, de l’or ! Or rougeoyant du cuivre,
Or des buires gardant de mystiques encens,
Or des fils de la vierge étincelants de givre,
Acajous mordorés ou chromes flavescents,

Tous les ors en suspens dans le jour et la flamme
Tourbillonnant au rythme lent des feuilles d’or,
Je les ai, frissonnants, recueillis dans mon âme,
Aux vestales du Temps ravissant leur trésor,

Pour qu’un jour très prochain où les corolles mortes
Auront livré leur corps fragile au vent brutal,
Je puisse, en vers dorés, rappeler leurs cohortes,
Et que mon cœur, pareil aux sources de cristal

Où, dans l’arbre penché, se mire tout l’automne,
Où la feuille, en glissant, dit tout le bois vermeil,
Te rende, aux jours éteints de l’hiver monotone,
Avec ses souvenirs émus, tout le soleil !

Jeanne Marvig ("Des riens …  tout l’infini ", Bibliothèque Internationale d'Édition, 1913)

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Ce passage d'une poésie plus longue, ici titré "L'Arbre", est emprunté au site http://arbrealettres.wordpress.com, où on trouvera d'autres textes de l'auteure, (trouvés et mis en ligne par Jean-François Laffont) 

L'Arbre (strophe extraite d'un poème, titre proposé)

Je suis l’Arbre : un tronc droit substantiel et dur,
La lente ascension d’un assemblage pur
De fibres, de rayons, de silence et de sève,
Je suis l’Arbre,une force invincible qui rêve,
La colonne du temple où sans faste et sans bruit
Le firmament s’unit aux mousses dans la nuit.
Je suis l’Arbre porteur de vie et de lumière,
L’eau puisée au cœur sombre et poreux de la terre
Qui rejoint dans l’orgueil du feuillage nombreux
Cette eau vive échappée aux prunelles des dieux.

Jeanne Marvig ("Des riens …  tout l’infini ", Bibliothèque Internationale d'Édition, 1913)



Stéphane Mallarmé  (1842-1898), est identifié comme poète ayant renouvelé le symbolisme, dans un style fermé, "difficile", où la musique du vers prime sur la lisibilité du propos. Il a écrit également des pièces de théâtre et traduit Edgar Poë.

Renouveau (titre original : Vere novo)

Le printemps maladif a chassé tristement
L’hiver, saison de l’art serein, l’hiver lucide,
Et dans mon être à qui le sang morne préside
L’impuissance s’étire en un long bâillement.

Des crépuscules blancs tiédissent sous mon crâne
Qu’un cercle de fer serre ainsi qu’un vieux tombeau,
Et, triste, j’erre après un Rêve vague et beau,
Par les champs où la sève immense se pavane.

Puis je tombe, énervé de parfums d’arbres, las,
Et creusant de ma face une fosse à mon Rêve,
Mordant la terre chaude où poussent les lilas,

J’attends en m’abîmant que mon ennui s’élève…
— Cependant l’Azur rit sur la haie en éveil,
Où les oiseaux en fleur gazouillent au soleil.

Stéphane Mallarmé ("Le Parnasse contemporain -Recueil de vers nouveaux", éditions Lemerre, 1867, et "Poésies complètes", 1887)

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De ce passage, où le poète voudrait, à la manière du "Chinois au coeur limpide et fin", peindre un paysage sur une tasse, on retiendra une étonnante image : "Un clair croissant perdu par une blanche nue / Trempe sa corne calme en la glace des eaux / Non loin de trois grand cils d'émeraude, roseaux." :

Peindre un paysage (titre proposé)
   
(fin du poème  "Las de l'amer repos")

[...]

 Serein, je vais choisir un jeune paysage
Que je peindrais encor sur les tasses, distrait.
Une ligne d'azur mince et pâle serait
Un lac, parmi le ciel de porcelaine nue,
Un clair croissant perdu par une blanche nue
Trempe sa corne calme en la glace des eaux,
Non loin de trois grand cils d'émeraude, roseaux
.

Stéphane Mallarmé ("Le Parnasse contemporain - Recueil de vers nouveaux", éditions Lemerre, 1867, et "Poésies complètes", 1887)


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15 mai 2009

Guy de MAUPASSANT - PRINT POÈTES 11 : PAYSAGES en français

Guy de Maupassant (1850-1893) est un écrivain romancier (Une vie, Bel ami) ; auteur de nouvelles (Boule de Suif , Les Contes de la bécasse). On connaît moins son œuvre poétique. Il écrit des poésies dès son adolescence, et en publie dans des revues, mais le premier recueil  "Des vers" ne paraît qu'en 1880.

Les passages en couleur de la poésie qui suit sont proposés aux élèves d'élémentaire :

Nuit de neige

La grande plaine est blanche, immobile et sans voix.
Pas un bruit, pas un son ; toute vie est éteinte.
Mais on entend parfois, comme une morne plainte,
Quelque chien sans abri qui hurle au coin d'un bois.

Plus de chansons dans l'air, sous nos pieds plus de chaumes.
L'hiver s'est abattu sur toute floraison ;
Des arbres dépouillés dressent à l'horizon
Leurs squelettes blanchis ainsi que des fantômes.

La lune est large et pâle et semble se hâter.
On dirait qu'elle a froid dans le grand ciel austère.
De son morne regard elle parcourt la terre,
Et, voyant tout désert, s'empresse à nous quitter.

Et froids tombent sur nous les rayons qu'elle darde,
Fantastiques lueurs qu'elle s'en va semant ;
Et la neige s'éclaire au loin, sinistrement,
Aux étranges reflets de la clarté blafarde.

Oh ! la terrible nuit pour les petits oiseaux !
Un vent glacé frissonne et court par les allées ;
Eux, n'ayant plus l'asile ombragé des berceaux,
Ne peuvent pas dormir sur leurs pattes gelées.

Dans les grands arbres nus que couvre le verglas
Ils sont là, tout tremblants, sans rien qui les protège ;
De leur œil inquiet ils regardent la neige,
Attendant jusqu'au jour la nuit qui ne vient pas
.

Guy de Maupassant ("Des vers", 1880)

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Le moulin

(fragment) 

                       ... Tandis que devant moi,
Dans la clarté douteuse où s'ébauchait sa forme,
Debout sur le coteau comme un monstre vivant
Dont la lune sur l'herbe étalait l'ombre énorme,
Un immense moulin tournait ses bras au vent.
D'où vient qu'alors je vis, comme on voit dans un songe
Quelque corps effrayant qui se dresse et s'allonge
Jusqu'à toucher du front le lointain firmament,
Le vieux moulin grandir si démesurément
Que ses bras, tournoyant avec un bruit de voiles,
Tout à coup se perdaient au milieu des étoiles,
Pour retomber, brillant d'une poussière d'or
Qu'ils avaient dérobée aux robes des comètes?
Puis, comme pour revoir leurs sublimes conquêtes,
A peine descendus, ils remontaient encor.

Guy de Maupassant ("Le moulin" a été publié par le journal Le Gaulois en 1897)



15 mai 2009

Pierre MENANTEAU - PRINT POÈTES 11 : PAYSAGES en français

Pierre Menanteau (1895-1992) est très présent sur ce blog, dans les poésies pour la classe.

Qu’elle est belle la Terre

Qu’elle est belle la Terre, avec ses vols d’oiseaux
Qu’on entrevoit soudain à la vitre de l’air,
Avec tous ses poissons à la vitre de l’eau !
La peur les force vite à chercher un couvert
Et l’homme reste seul derrière le rideau.

Qu’elle est belle la Terre, avec ses animaux,
Avec sa cargaison de grâce et de mystère !
Le poète se tient à la vitre des mots.
Cette beauté qu’il chante, il la donne à son frère
Qui se lave les yeux dans le matin nouveau.

Pierre Menanteau ("Bestiaire pour un Enfant Poète" - Seghers 1958)

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Ah ! que la Terre est belle

Ah ! que la Terre est belle.
Crie une voix là-haut,
Ah ! que la Terre est belle.
Sous le beau soleil chaud !

Elle est encore plus belle,
Bougonne l’escargot
Elle est encore plus belle
Quand il tombe de l’eau.

Vue d’en bas, vue d’en haut,
La Terre est toujours belle
Et vive l’hirondelle
Et vive l’escargot.

Pierre Menanteau ("Bestiaire pour un enfant poète" - éditions Pierre Seghers, 1958)


15 mai 2009

Henri MICHAUX - PRINT POÈTES 11 : PAYSAGES en français

Henri Michaux (1899-1984), né en Belgique, a acquis en 1955 la nationalité française.
Il découvre Lautréamont (Les chants de Maldoror), dont on retrouve l'empreinte dans son œuvre écrite poétique, à la marge du Surréalisme. Il écrit des carnets de voyages qu'il a réellement effectués ("Écuador", "Un Barbare en Asie"), mais où l'imaginaire transfigure le réel ; d'autres encore en contrées totalement imaginaires (la "Grande-Garabagne"), réunis dans le recueil "Ailleurs".

"De l'Équateur à la Grande Garabagne, de l'expérience de la mescaline au dessein d'une écriture universelle, de la rêverie éveillée du «sportif au lit» aux songes, tout est voyage, exploration de nouveaux territoires, d'autres paysages mentaux dans l'œuvre de Henri Michaux. Ailleurs (1948), qui réunit Voyage en Grande Garabagne ; Au pays de la Magie  et Ici, Poddema ; ne forme qu'une étape sur son itinéraire: il n'est pas le livre de celui qui manque de pérégrinations et tente de s'évader, mais bien le rejeton engendré par la perplexité d'un voyageur trop souvent déçu par le réel, qui découvre, à l'instar de Claude Lévi-Strauss, que tout voyage est avant tout exploration de soi." (Henri Michaux et les "états-tampons", aspects du voyage imaginaire dans "Ailleurs" - étude de Nicolas Ragonneau paru dans la revue "Textyles" 12: «Voyages, Ailleurs», Pierre Halen éditeur, 1995)

On trouve dans l'œuvre de Michaux une grande inventivité de langage (Nicolas Ragonneau note 82 mots inventés dans "Ailleurs").

Quelques titres : Écuador (1929) ; Un Barbare en Asie (1933) ;  La nuit remue (1935) ; Voyage en Grande Garabagne (1936) ; Plume, précédé de Lointain intérieur (1938) ; Au pays de la magie (1941) ; Je vous écris d'un pays lointain (1942) ;  Arbres des tropiques (1942) ; L'Espace du dedans (1944) ; Ici, Poddema (1946) ; Ailleurs (1948) ; La vie dans les plis (1949) ; Passages (1950) ; Connaissance par les gouffres (1961).

Voir sur ce blog la catégorie qui lui est consacrée  : HENRI MICHAUX et ses "Propriétés"

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Arbres des tropiques (passages)

Arbre blasphémateur. Arbre après la transe. Épouvante-arbre.
Arbre hurleur, tripes dehors, tripes de la lamentation.
Arbre à lance, arbre pieuvre, arbre exorbitant.
Arbre obèse, arbre bouteille.
[...]
Arbre à feuilles nageoires, arbre à palmes.
Arbre portant haltères, portant battoirs, portant fourches.
[...]

Henri Michaux ("Arbres des tropiques", éditions Gallimard, 1942)

PP_11_image_blogUne piste pour la création poétique avec ce texte :
On jouera sur les transformations, les métamorphoses possibles des arbres, pour la création poétique et la création graphique.
D'autres éléments du paysage, naturels ou artificiels, peuvent se prêter à l'exercice : nuage, fleuve, maison, ville, océan...

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Les deux passages qui suivent sont tirés, le premier, de la préface du recueil "Ailleurs", et le second de "Passages". Henri Michaux y présente ses pays imaginaires comme des contrées qu'il a parcourues, et en explique les raisons :

"L’auteur a vécu très souvent ailleurs : deux ans en Garabagne, à peu près autant au pays de la magie, un peu moins à Poddema. Ou beaucoup plus.
Les dates précises manquent. Ces pays ne lui ont pas toujours excessivement plu. Par endroits, il a failli s’y apprivoiser. Pas vraiment. Les pays, on ne saurait assez s’en méfier".

Henri Michaux (préface de l'auteur pour son recueil Ailleurs, 1948)

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"Mes pays imaginaires: pour moi une sorte d'États-tampons, afin de ne pas souffrir de la réalité.
En voyage où presque tout me heurte, ce sont eux qui prennent les heurts, dont j'arrive alors, moi, à voir le comique, à m'amuser...
"

Henri Michaux ("Passages", 1950).

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Contre !

Je vous construirai une ville avec des loques, moi !
Je vous construirai sans plan et sans ciment
Un édifice que vous ne détruirez pas,
Et qu’une espèce d’évidence écumante
Soutiendra et gonflera, qui viendra vous braire au nez,
Et au nez gelé de tous vos Parthénons, vos arts arabes, et de vos Mings

Avec de la fumée, avec de la dilution de brouillard
Et du son de peau de tambour,
Je vous assoierai des forteresses écrasantes et superbes,
Des forteresses faites exclusivement de remous et de secousses,
Contre lesquelles votre ordre multimillénaire et votre géométrie
Tomberont en fadaises et galimatias et poussière de sable sans raison
[...]


Henri Michaux ("La nuit remue" - Gallimard, 1935) 

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Dans ce pays, il n'y a pas de feuilles... (titre suggéré)

Dans ce pays, il n'y a pas de feuilles. J'ai parcouru plusieurs forêts. Les arbres paraissent morts. Erreur. Ils vivent. Mais ils n'ont pas de feuilles.
La plupart, avec un tronc très dur, vous ont partout des appendices minces comme des peaux. Les Barimes semblables à des spectres, tout entiers couverts de ces voiles végétaux; on les soulève, on veut voir la personne cachée. Non, dessous, ce n'est qu'un tronc
.
[...]

D'autres avec de grandes branches dansantes, souples comme tout, serpentines.
D'autres avec de courts rameaux fermes et tout en fourchettes.
D'autres, chaque année, forment un dôme ligneux. On en rencontre d'énormes, des vieux, carapace sur carapace, et s'il vient un incendie de forêt (on ne sait ce qu'ils ont), ils cuisent là à petit feu, tout seuls, pendant des six, sept semaines, alors que tout autour d'eux, sur des lieues de parcours, ce n'est que cendre grise et froid de la nature minérale.
D'autres qui se tendent sous la pluie comme des courroies et grincent; on se croirait dans une forêt en cuir.
Les arbres à chapelet et les arbres à relais.
Les arbres à boules terminales creuses, munies de deux rubans. Par grand vent étaient emportées ces boules, et volaient, ou plutôt flottaient lentement, semblables à des poissons, des poissons qui vont enfin regagner la rivière après un voyage pénible, mais le vent les chassait et elles allaient s'empaler sur les arbres à fourchettes, ou roulaient à terre par centaines, formant un immense plancher de billes, se bousculant et comme rieuses.
Les Badèges ont des racines grimpantes. Une racine sort tout à coup, vient s'appuyer contre une branche d'un air décidé, l'air d'une monstrueuse carotte.
Il y en a d'autres, l'écorce de leur tronc s'ouvre le jour, comme des capots d'automobiles avec leurs fentes d'aération; puis la nuit se ferment strictement et jamais on ne croirait qu'ils se sont jamais ouverts. Les indigènes se nourrissent d'une amande dont l'enveloppe est extrêmement dure. Ils la mettent l'après-midi dans les fentes de l'arbre et la retirent le matin, broyée, prête à être mangée.
L'arbre le plus agréable c'est le Vibon. L'arbre à laine. On voudrait vivre dans sa couronne. Quantité innombrable de rameaux ont ses branches, et chacune sécrète une antenne de laine, si bien qu'il y a là une grosse tête laineuse. C'est le Bouddha de la forêt. Mais il arrive que les Balicolica (ce sont des oiseaux) y viennent habiter. Ils crottent partout. Alors c'est une odeur infecte qui se forme là, et il faut brûler l'arbre.

Henri Michaux ("Mes propriétés" - chapitre Notes de Botanique, Gallimard, 1938) 

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Avec la traversée de l'Équateur, l'ouvrage "Ecuador" (1929) inaugure les recueils de voyage d'Henri Michaux, dans lesquels la fine observation, l'imagination et le subjectivisme exacerbé s'interpénètrent.   

Équateur

Équateur, Équateur, j'ai pensé bien du mal de toi.
Toutefois, quand on est près de s'en aller... et revenant à cheval à l'hacienda par un clair de lune comme je fais ce soir (ici les nuits sont toujours claires, sans chaleur, bonnes pour le voyage) avec le Cotopaxi dans le dos, qui est rose à six heures et demie et seulement une masse sombre à cette heure... mais il y a des mois que je ne le regarde plus...
Équateur, tu es tout de même un sacré pays. [...]

Henri Michaux ("Ecuador", éditions Gallimard, 1929)
 

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La forêt

Et l'on rentre dans la forêt. Cette forêt est chauffée. Immense appartement. On se méfie. On est mal à l'aise. C'est la forêt tropicale.
[...]

Quand les poètes chantaient les arbres du Nord, je croyais qu'ils le faisaient exprès. Ces arbres nus, sans famille, lisses, abandonnés, troncs hauts, et branches qui n'offrent aucun ouverture, (je songe surtout à vous, ô hêtres, que j'ai tant maudits, qu'on me voulait faire admirer, qui portez vers le haut le subit rire malin de toutes vos petites feuilles, qui ne veut rien dire), on ne vous réclame pas, vous tous que j'ai haïs.
[...]

Arbres des tropiques, à l'air un peu naïf, un peu bête, à grandes feuilles, mes arbres ! La forêt tropicale est immense et mouvementée, très humaine, haute, tragique, pleine de retours vers la terre. Les parasites veulent bien s'élever. Ils choisissent un arbre, mais après avoir pris quelque hauteur, les voici tous qui bêlent et reserpentent vers la terre.
Très habitée, la forêt, riche en morts et en vivants !

La forêt n'enterre pas ses cadavres ; quand un arbre meurt et tombe, ils sont tous tout autour, serrés et durs pour le soutenir, et le soutiennent jour et nuit. Les morts s'appuient ainsi jusqu'à ce qu'ils soient pourris. Alors suffit d'un perroquet qui se pose, et ils tombent avec un immense fracas, comme s'ils tenaient encore follement à la vie, avec un arrachement indescriptible.
[...]

L'arbre ici ne craint pas d'adopter une grande famille, et mène grand train. Il porte sur lui des orchidées et plus de cinquante lianes l'embrassent à la vie et à la mort. Ses branches largement occupées et à pendentifs, habitées comme au moyen âge les ponts, ont de loin la douceur, le velours des chenilles, et l'apparence sage et réfléchie que donnent les barbes.

Henri Michaux ("Ecuador", éditions Gallimard, 1929)

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La Cordillera de Los Andes

La première impression est terrible et proche du désespoir.
L'horizon d'abord disparaît.
Les nuages ne sont pas tous plus hauts que nous.
Infiniment et sans accidents, ce sont, où nous sommes,
Les hauts plateaux des Andes qui s'étendent, qui s'étendent.

Ne soyons pas tellement anxieux.
C'est le mal de montagne que nous sentons,
L'affaire de quelques jours.
Le sol est noir et sans accueil.
Un sol venu du dedans.
Il ne s'intéresse pas aux plantes.
C'est une terre volcanique.
Nu ! Et les maisons noires par-dessus,
Lui laissent tout son nu ;
Le nu noir du mauvais.

Qui n'aime pas les nuages,
Qu'il ne vienne pas à l'Équateur.
Ce sont les chiens fidèles de la montagne,
Grands chiens fidèles ;
Couronnent hautement l'horizon.
L'altitude du lieu est de 3000 mètres, qu'ils disent,
Est dangereux qu'ils disent, pour le cœur, pour la respiration, pour l'estomac
Et pour le corps tout entier de l'étranger.

Henri Michaux ("Ecuador", éditions Gallimard, 1929)

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Arbres (titre suggéré)

L'arbre ici ne s'occupe pas de la terre,
Il faut en sortir et vite,
Il s'agit de s'élever car on étouffe,
Et il part.
Ni branches, ni fleurs, ni pousses, rien qu'un tronc direct
Et s'il vient une branche elle se colle au tronc
Et fait flèche avec lui.
Il s'élève donc.
[...]
Et quand ils n'en peuvent plus,
les arbres*,
Une fois arrivés à l'extrême bout de leur taille,
Lorsqu'ils s'abandonnent enfin et se répandent en feuilles,
Les voici tous, tous à peu près à la même hauteur,
Et la forêt paraît unie.

Henri Michaux ("Ecuador", éditions Gallimard, 1929) - *les arbres a été ajouté pour assurer le passage du singulier au pluriel, en raison de la suppression d'une partie du texte.


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