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lieu commun
1 mars 2008

Antoine POL - le féminin en poésie

Antoine POL (1888-1971) a écrit le poème Les passantes en 1911.
Quelques années mis de côté, il le publie en 1918, dans le recueil Émotions poétiques.

Georges Brassens découvre le livre dans les années 40, chez un bouquiniste, mais (encore une longue parenthèse dans les tiroirs), ce n'est qu'en 1972 qu'il compose une musique sur les paroles d'un des textes, Les passantes, et veut rencontrer Antoine Pol.
Le poète meurt quelques mois avant le rendez-vous ... Cette poésie trouve alors un second public. 

Les passantes

Je veux dédier ce poème,
À toutes les femmes qu'on aime
Pendant quelques instants secrets,
À celles qu'on connaît à peine,
Qu'un destin différent entraîne
Et qu'on ne retrouve jamais.

À celle qu'on voit apparaître
Une seconde à sa fenêtre,
Et qui, preste, s'évanouit,
Mais dont la svelte silhouette
Est si gracieuse et fluette
Qu'on en demeure épanoui.

À la compagne de voyage
Dont les yeux, charmant paysage,
Font paraître court le chemin,
Qu'on est seul, peut-être, à comprendre,
Et qu'on laisse pourtant descendre
Sans avoir effleuré sa main.

(1) À la fine et souple valseuse
Qui vous sembla triste et nerveuse,
Par une nuit de carnaval,
Qui voulut rester inconnue,
Et qui n'est jamais revenue,
Tournoyer dans un autre bal.


À celles qui sont déjà prises,
Et qui, vivant des heures grises       
Près d'un être trop différent,
Vous ont, inutile folie,
Laissé voir la mélancolie
D'un avenir désespérant

(2) À ces timides amoureuses
Qui restèrent silencieuses,
Et portent encor votre deuil,
A celles qui s'en sont allées
Loin de vous, tristes esseulées,
Victimes d'un stupide orgueil.


Chères images aperçues,
Espérances d'un jour déçues,
Vous serez dans l'oubli demain,
Pour peu que le bonheur survienne,
Il est rare qu'on se souvienne
Des épisodes du chemin.

Mais si l'on a manqué sa vie,
On songe, avec un peu d'envie,
À tous ces bonheurs entrevus,
Aux baisers qu'on n'osa pas prendre,
Aux cœurs qui doivent vous attendre,
Aux yeux qu'on n'a jamais revus.

Alors, aux soirs de lassitude,
Tout en peuplant sa solitude
Des fantômes du souvenir,
On pleure les lèvres absentes
De toutes ces belles passantes,
Que l'on n'a pas su retenir.

Antoine Pol ("Émotions poétiques" - Éditions du Monde Nouveau, 1918 - publié également dans "La petite illustration-poésie"*(3) - Ce recueil a été réédité en fac-similé en 2005 par le petit-fils de l'auteur, à 500 exemplaires seulement)

(1) Cette strophe est totalement absente de la chanson.
(2) Cette autre strophe n'est chantée que par Maxime Le Forestier (Reprise des chansons de Brassens : "Le Forestier chante Brassens : L'intégrale - 1er et 2e cahiers - Polydor, 2006").
(3)° Ce dernier point est un souvenir personnel contestable, d'ailleurs, malgré moultes recherches,  il n'est pas vérifié !


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1 mars 2008

Jacques PRÉVERT - le féminin en poésie

Jacques Prévert (1900-1977), poète surréaliste à ses débuts, ami entre-autres de Raymond Queneau, s'éloignera de ce mouvement pour une poésie "populaire", frondeuse, parfois très caustique à l'endroit des corps constitués : l'Armée, l'Église, les institutions ... Mais une grande partie de son œuvre poétique, en prose ou en vers libres, est accessible aux plus jeunes, avec des textes pleins d'humour et d'humanité, petites saynètes du quotidien.
Jacques Prévert est très présent dans les cahiers de récitation ("Paroles" - 1945, est un des recueils de poésie les plus vendus et les plus traduits).
Il est aussi auteur de théâtre et parolier ("Les feuilles mortes", pour ne citer qu'une chanson), ainsi que de scénarios de films (Quai des brumes, les Visiteurs du soir, les Enfants du paradis ; réalisés par Marcel Carné).

Frontières

- Votre nom ?
- Nancy.
- D'où venez-vous ?
- Caroline.
- Où allez-vous ?
- Florence.
- Passez.

- Votre nom ?
-
On m'appelle Rose de Picardie, Blanche de Castille,
  Violette de Parme ou Bleue de Méthylène.
-
Vous êtes mariée ?
-
Oui.
-
Avec qui ?
-
Avec Jaune d'Oeuf.
-
Passez.

Jacques Prévert ("Choses et autres" - Gallimard, 1972)

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Barbara

Rappelle-toi Barbara
Il pleuvait sans cesse sur Brest ce jour-là
Et tu marchais souriante
Épanouie ravie ruisselante
Sous la pluie
Rappelle-toi Barbara
Il pleuvait sans cesse sur Brest
Et je t'ai croisée rue de Siam
Tu souriais
Et moi je souriais de même
Rappelle-toi Barbara
Toi que je ne connaissais pas
Toi qui ne me connaissais pas
Rappelle-toi
Rappelle-toi quand même ce jour-là
N'oublie pas
Un homme sous un porche s'abritait
Et il a crié ton nom
Barbara
Et tu as couru vers lui sous la pluie
Ruisselante ravie épanouie
Et tu t'es jetée dans ses bras
Rappelle-toi cela Barbara
Et ne m'en veux pas si je te tutoie
Je dis tu à tous ceux que j'aime
Même si je ne les ai vus qu'une seule fois
Je dis tu à tous ceux qui s'aiment
Même si je ne les connais pas
Rappelle-toi Barbara
N'oublie pas
Cette pluie sage et heureuse
Sur ton visage heureux
Sur cette ville heureuse
Cette pluie sur la mer
Sur l'arsenal
Sur le bateau d'Ouessant
Oh Barbara
Quelle connerie la guerre
Qu'es-tu devenue maintenant
Sous cette pluie de fer
De feu d'acier de sang
Et celui qui te serrait dans ses bras
Amoureusement
Est-il mort disparu ou bien encore vivant
Oh Barbara
Il pleut sans cesse sur Brest
Comme il pleuvait avant
Mais ce n'est plus pareil et tout est abimé
C'est une pluie de deuil terrible et désolée
Ce n'est même plus l'orage
De fer d'acier de sang
Tout simplement des nuages
Qui crèvent comme des chiens
Des chiens qui disparaissent
Au fil de l'eau sur Brest
Et vont pourrir au loin
Au loin très loin de Brest
Dont il ne reste rien.

Jacques Prévert ("Paroles" - Gallimard, 1949 - disponible en collection Folio-Gallimard, 1972 et au "Livre de Poche")

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Le bouquet

Que fais-tu là petite fille
Avec ces fleurs fraîchement coupées
Que faites-vous là jeune fille
Avec ces fleurs ces fleurs séchées
Que faites-vous là jolie femme
Avec ces fleurs qui se fanent
Que faites-vous là vieille femme
Avec ces fleurs qui meurent

J’attends le vainqueur.

Jacques Prévert ("Paroles" - Gallimard, 1949)

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Je suis comme je suis

Je suis comme je suis
Je suis faite comme ça
Quand j'ai envie de rire
Oui je ris aux éclats
J'aime celui qui m'aime
Est-ce ma faute à moi
Si ce n'est pas le même
Que j'aime chaque fois
Je suis comme je suis
Je suis faite comme ça
Que voulez-vous de plus
Que voulez-vous de moi

Je suis faite pour plaire
Et n'y puis rien changer
Mes talons sont trop hauts
Ma taille trop cambrée
Mes seins beaucoup trop durs
Et mes yeux trop cernés
Et puis après
Qu'est-ce que ça peut vous faire
Ce qui m'est arrivé
Oui j'ai aimé quelqu'un
Oui quelqu'un m'a aimée
Comme les enfants qui s'aiment
Simplement savent aimer
Aimer aimer ...
Pourquoi me questionner
Je suis là pour vous plaire
Et n'y puis rien changer.

Jacques Prévert ("Paroles" - Gallimard, 1949)

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La belle saison

À jeun perdue glacée
Toute seule sans un sou
Une fille de seize ans
Immobile debout
Place de la Concorde
À midi le Quinze Août.

Jacques Prévert ("Paroles" - Gallimard, 1949)

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Riviera

Assise sur une chaise longue
une dame à la langue fanée
une dame longue
plus longue que sa chaise longue
et très âgée
prend ses aises
on lui a dit sans doute que la mer est là
alors elle la regarde
mais elle ne la voit pas
et les présidents passent et la saluent très bas
c’est la baronne Crin
la reine de la carie dentaire
son mari c’est le baron Crin
le roi du fumier de lapin
et tous à ses grands pieds sont dans leurs petits souliers
et ils passent devant elle et la saluent très bas
de temps en temps
elle leur jette un vieux cure-dents
ils le sucent avec ravissement
en continuant leur promenade
leurs souliers neufs craquent et leurs vieux os aussi
et des villas arrive une musique blême
une musique aigre
et sure
comme les cris d’un nouveau-né trop longtemps négligé
c’est nos fils
c’est nos fils disent les présidents
et ils hochent la tête doucement et fièrement
et leurs petits prodiges
désespérement
se jettent à la figure leurs morceaux de piano
la baronne prête l’oreille
cette musique lui plaît
mais son oreille tombe
comme une vieille tuile d’un toit
elle regarde par terre
et elle ne la voit pas
mais l’aperçoit seulement
et la prend
tout bonnement
pour une feuille morte apportée par le vent
c’est alors que s’arrête la triste clameur des enfants
que la baronne n’entendait plus d’ailleurs
que d’une oreille distraite
et dépareillée
et que surgissent brusquement
gambadent dans sa pauvre tête
en toute liberté
les vieux refrains puérils méchants et périmés
de sa mémoire inquiète usée et déplumée
et comme elle cherche vainement
pour passer le temps
qui la menace et qui la guette
un bon regret bien triste et bien attendrissant
qui puisse la faire rire aux larmes
ou même pleurer tout simplement
elle ne trouve qu’un souvenir incongru inconvenant
l’image d’une vieille dame assise toute nue
sur la bosse d’un chameau
et qui tricote méchamment une omelette au guano
.

Jacques Prévert ("Paroles" - Gallimard, 1949)

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L'orgue de Barbarie (passage féminin)

[...]

"Moi je joue de l'orgue de Barbarie
et je joue du couteau aussi"
dit l'homme qui jusqu'ici
n'avait absolument rien dit
et puis il s'avança le couteau à la main
et il tua tous les musiciens
et il joua de l'orgue de Barbarie
et sa musique était si vraie
et si vivante et si jolie
que la petite fille du maître de la maison
sortit de dessous le piano
où elle était couchée
endormie par ennui
et elle dit :
"Moi je jouais au cerceau
à la balle au chasseur
je jouais à la marelle
je jouais avec un seau
je jouais avec une pelle
je jouais au papa et à la maman
je jouais à chat perché
je jouais avec mes poupées
je jouais avec une ombrelle
je jouais avec mon petit frère
avec ma petite soeur
je jouais au gendarme
et au voleur
mais c'est fini fini fini
je veux jouer à l'assassin
je veux jouer de l'orgue de Barbarie."
Et l'homme prit la petite fille par la main
et ils s'en allèrent dans les villes
dans les maisons dans les jardins
et puis ils tuèrent le plus de monde possible
après quoi ils se marièrent
et ils eurent beaucoup d'enfants

[...]

Jacques Prévert ("Paroles" - Gallimard, 1949)

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Voyages 

Moi aussi
comme les peintres

j'ai mes modèles

Un jour
et c'est déjà hier
sur la plate-forme de l'autobus
je regardais les femmes
qui descendaient la rue d'Amsterdam
Soudain à travers la vitre du bus
j'en découvris une
que je n'avais pas vue monter
Assise et seule elle semblait sourire
A l'instant même elle me plut énormément
mais au même instant
je m'aperçus que c'était la mienne
J'étais content.

Jacques Prévert ("Histoires" - Gallimard, 1963 - disponible en collection Folio-Gallimard, 1972)

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Voyages 

Ta main
c'est un visage
Ton bracelet
un collier
Tes deux bagues
tes yeux
Le velours de ta robe
le blond de tes cheveux
.

Jacques Prévert ("Fatras" - Gallimard, 1966 - disponible au Livre de Poche, 1971)

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Enfants de la haute ville 

Enfants de la haute ville
filles des bas quartiers
le dimanche vous promène dans la rue de la Paix
Le quartier est désert
les magasins fermés
Mais sous le ciel gris souris
la ville est un peu verte derrière les grilles des Tuileries
Et vous dansez sans le savoir
Vous dansez en marchant sur les trottoirs cirés
Et vous lancez la mode
sans même vous en douter
Un manteau de fou rire
sur vos robes imprimées
Et vos robes imprimées sur le velours potelé
de vos corps amoureux
Tout nouveaux tout dorés
Folles enfants de la haute ville
ravissantes filles des bas quartiers
modèles impossibles à copier
Cover-girls
colored girls
De la Goutte d'Or ou de Belleville
De Grenelle ou de Bagnolet
.

Jacques Prévert ("Grand bal de printemps" - La Guilde du Livre, 1951 - Folio/Gallimard, 1976)

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En passant ... (ce texte n'a pas de titre dans le recueil) 

En passant
quelqu'un a dit d'elle
Si fraîche et si jolie on dirait une fleur

Pourquoi dire on dirait

De même que dans ces caisses tous ces fruits sont
des fruits
cette enfant est une fleur
une fleur de la vie

Menacée comme chaque fleur
on dirait quelle le sait

Pourquoi dire on dirait

Elle se sait menacée
souvent la mauvaise chance traîne dans le quartier
sifflant la même romance entre ses dents serrées

Tout ce qu'une enfant sait
si elle le disait

Non loin de là
énorme et mort
sur son catafalque de glace
un crabe tourteau d'un rouge tenace semble dormir
encore
Et la chorale de l'Armée du Salut debout en rond
devant la poissonnerie on dirait qu'elle chante
pour lui

Pourquoi dire on dirait

Sans aucun doute ce petit chant funèbre jovial et
rassurant le concerne tout particulièrement

Bon voyage bonne nuit
nous te serrons la pince nous sommes tes amis
tu peux dormir tranquille sans le moindre souci
c'est le bon dieu Neptune qui t'a rappelé à lui
.

Jacques Prévert ("Grand bal de printemps" - La Guilde du Livre, 1951 - Folio/Gallimard, 1976)

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Chanson des sardinières

Tournez tournez
petites filles
tournez autour des fabriques
bientôt vous serez dedans
tournez tournez
filles des pêcheurs
filles des paysans

Les fées qui sont venues
autour de vos berceaux
les fées étaient payées
par les gens du château
elles vous ont dit l’avenir
et il n’était pas beau

Vous vivrez malheureuses
et vous aurez beaucoup d’enfants
beaucoup d’enfants
qui vivront malheureux
et qui auront beaucoup d’enfants
qui vivront malheureux
et qui auront beaucoup d’enfants
beaucoup d’enfants
qui vivront malheureux
et qui auront beaucoup d’enfants
beaucoup d’enfants
beaucoup d’enfants

Tournez tournez
petites filles
tournez autour des fabriques
bientôt vous serez dedans
tournez tournez
filles des pêcheurs
filles des paysans.

Jacques Prévert (paru dans "Le Cheval de Trois" - Editions France-Empire, 1946 et dans "Spectacle", 1949)

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On

C'est un mardi vers quatre heures de l'après-midi
au mois de Février*
dans une cuisine
il y a une bonne qui vient d'être humiliée
Au fond d'elle même
quelque chose qui était encore intact
vient d'être abimé
saccagé
Quelque chose qui était encore vivant
et qui silencieusement riait
Mais

on est entré
on a dit un mot blessant
à propos d'un objet cassé
et la chose qui était encore capable de rire
s'est arrêtée de rire à tout jamais
Et la bonne reste figée
figée devant l'evier
et puis elle se met à trembler
Mais il ne faut qu'elle commence à pleurer
Si elle commençait a pleurer
la bonne à tout faire
elle sait bien qu'elle ne pourrait rien faire

pour s'arrêter
Elle porte en elle une si grande misère
elle la porte depuis si longtemps
comme un enfant mort mais tout de même encore un petit peu vivant
elle sait bien que la première larme versée
toutes les autres larmes viendraient
et cela ferait un tel vacarme
qu'on ne pourrait le supporter
et qu'on la chasserait
et que cet enfant mourrait tout à fait

Alors elle se tait.

* Majuscule - Jacques Prévert (paru dans "Le Cheval de Trois" - Editions France-Empire, 1946 et dans "Spectacle", 1949)

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Portraits de Betty
Portrait de Betty*

Visa des visages
vies dévisagées
passeports
pour les étrangers

Il n'y a pas de miroir objectif
pas plus que d'Objectivité
c'est dans la glace des autres
que parfois on se reconnaît

Ici
sur le mur ou chacun se ressemble
en particulier
tous ressemblent tous ensemble
à Betty
qui les a rassemblés.
 

* pas d'erreur, le poème porte bien ce double titre /

Jacques Prévert ("La Pluie et le beau temps" - Gallimard, 1955)

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Où je vais d'où je viens

Où je vais, d'où je viens,
Pourquoi je suis trempée.
Voyons, ça se voit bien.
Il pleut.
La pluie, c'est de la pluie.
Je vais dessous, et puis,
Et puis c'est tout.
Passez votre chemin
Comme je passe le mien.
C'est pour mon plaisir
Que je patauge dans la boue.
La pluie, ça me fait rire.
Je ris de tout et de tout et de tout.
Si vous avez la larme facile
Rentrez plutôt chez vous,
Pleurez plutôt sur vous,
Mais laissez-moi,
Laissez-moi, laissez-moi, laissez-moi, laissez-moi.
Je ne veux pas entendre le son de votre voix,
Passez votre chemin
Comme je passe le mien.

Le seul homme que j'aimais,
c'est vous qui l'avez tué,
Matraqué, piétiné...
achevé.
J'ai vu son sang couler,
couler dans le ruisseau,
dans le ruisseau.
Passez votre chemin
comme je passe le mien.
L'homme que j'aimais
est mort, la tête dans la boue.
Ce que j'peux vous haïr,
vous haïr ... c'est fou ... c'est fou ... c'est fou.
Et vous vous attendrissez sur moi,
vous êtes trop bons pour moi,
beaucoup trop bons, croyez-moi.

Vous êtes bons ... bons comme le ratier est bon pour le rat ...
mais un jour ... un jour viendra où le rat vous mordra ...
Passez votre chemin,
hommes bons ... hommes de bien.
 

Jacques Prévert ("La Pluie et le beau temps" - Gallimard, 1955)

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Voici un court passage du long poème "Intempéries", sous-titré "Féérie" dans le recueil, et dont le ramoneur est le personnage central. On pourra en proposer les passages accessibles :

Intempéries

(Féérie)

[...] Le ramoneur parle de sa belle
Chacun l'écoute tous sourient aucun ne rit de lui

Je suis son œillet
elle est ma boutonnière
Je suis son saisonnier
elle est ma saisonnière
Elle est ma cloche folle
et je suis son battant
Elle est mon piège roux
je suis son oiseau fou
Elle est mon c
œur
je suis son sang mêlé
Je suis son arbre
elle est mon coeur gravé
Je suis son tenon
elle est ma mortaise
Je suis son âne
elle est mon chardon* ardent
Elle est ma salamandre
jet suis son feu de cheminée
Elle est ma chaleur d'hiver
je suis,son glaçon dans son verre l'été
Je suis son ours
elle a son anneau dans mon nez
Je suis le cheveu que les couturières cachaient autrefois dans l'ourlet de la robe de mariée
pour se marier elles aussi dans l'année
[...] 

* c'est bien "chardon" - Jacques Prévert ("La Pluie et le beau temps" - Gallimard, 1955)



1 mars 2008

Raymond QUENEAU - le féminin en poésie

Raymond Queneau (1903-1976) a appartenu au mouvement surréaliste, dont il a été exclu, comme bien d'autres. Il est l'un des fondateurs du mouvement littéraire l'OuLiPo (ou OULIPO : Ouvroir de Littérature Potentielle). Voir plus de détails et de textes ainsi que des idées de création poétique ici : Raymond Queneau et l'OULIPO - lieucommun

On connaît sans doute déjà ce texte, chanté par Juliette Greco :

Si tu t'imagines

Si tu t'imagines
si tu t'imagines
fillette fillette
si tu t'imagines
xa va xa va xa
va durer toujours
la saison des za
la saison des za
saison des amours
ce que tu te goures
fillette fillette
ce que tu te goures

Si tu crois petite
si tu crois ah ah
que ton teint de rose
ta taille de guêpe
tes mignons biceps
tes ongles d'émail
ta cuisse de nymphe
et ton pied léger
si tu crois petite
xa va xa va xa va
va durer toujours
ce que tu te goures
fillette fillette
ce que tu te goures

les beaux jours s'en vont
les beaux jours de fête
soleils et planètes
tournent tous en rond
mais toi ma petite
tu marches tout droit
vers sque tu vois pas
très sournois s'approchent
la ride véloce
la pesante graisse
le menton triplé
le muscle avachi
allons cueille cueille
les roses les roses
roses de la vie
et que leurs pétales
soient la mer étale
de tous les bonheurs
allons cueille cueille
si tu le fais pas
ce que tu te goures
fillette fillette
ce que tu te goures.
 

Raymond Queneau ("L'Instant fatal" - Gallimard, 1948)



1 mars 2008

Charles-Ferdinand RAMUZ - le féminin en poésie

Charles-Ferdinand Ramuz (1878-1947) est un romancier ("La grande peur dans la montagne", 1926) et poète suisse de langue française.

La bergère

Elle a un fouet et des mitaines
elle a un gros fichu de laine,
un bonnet rouge sur la tête,
et ses joues sont sous le bonnet
encore plus rouges qu'il n'est.

Charles-Ferdinand Ramuz ("Le petit village", Ch. Eggimann et Cie, 1903 et "Vers", éditions Mermod, 1946)

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La vieille

Elle était déjà bien vieille
quand les vieux d’à présent étaient petits,
elle est d’un autre temps, elle est restée, et puis
elle s’est oubliée.

Elle est du temps passé où les femmes portaient
des coiffes de dentelles,
des fichus tout brodés, des jupes de milaine
avec beaucoup de plis.

Elle est du temps où on parlait encore patois,
où les gens allaient à la ville,
une fois par année, aux fêtes de la Dame ;
et, montant à la cathédrale
avec des graines dans leur poche,
ils faisaient le tour de la grosse cloche.

Elle est d'un temps si vieux qu'on ne s'en souvient plus.
Mais, elle, elle s'en souvient, elle ferme les yeux
pour mieux s'en souvenir ;
et elle est là, assise au soleil sans rien dire,
songeant à son passé, à ceux qui sont partis
et à sa solitude.

Charles-Ferdinand Ramuz ("Le petit village", Ch. Eggimann et Cie, 1903 et "Vers", éditions Mermod, 1946)



1 mars 2008

Pierre REVERDY - féminin en poésie

Pierre Reverdy (1889-1910) n'est pas à ranger dans les poètes surréalistes. Était-il, pour avoir fréquenté Picasso, un "poète cubiste", comme on l'a dit ? Il a en tous cas inspiré des peintres, Henri Matisse et donc Pablo Picasso, et des écrivains et poètes tels que Louis Aragon, André Breton et Paul Éluard.

La repasseuse

Autrefois ses mains faisaient des taches roses sur le linge éclatant qu’elle repassait. Mais dans la boutique où le poêle est trop rouge son sang s’est peu à peu évaporé. Elle devient de plus en plus blanche et dans la vapeur qui monte on la distingue à peine au milieu des vagues luisantes des dentelles.
Ses cheveux blonds forment dans l’air des boucles de rayons et le fer continue sa route en soulevant du linge des nuages – et autour de la table son âme qui résiste encore, son âme de repasseuse court et plie le linge en fredonnant une chanson – sans que personne y prenne garde.
 

Pierre Reverdy ("Plupart du temps Poèmes" - 1915-1922, éditions Flammarion)



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1 mars 2008

Pierre DE RONSARD - le féminin en poésie

Pierre DE RONSARD (1524-1585) a fondé avec Joachim du Bellay le groupe de sept poètes appelé "La Pléïade".

Bonjour mon coeur, bonjour ...

Bonjour mon coeur, bonjour ma douce vie.
Bonjour mon oeil, bonjour ma chère amie,
Hé ! bonjour ma toute belle,
Ma mignardise, bonjour,
Mes délices, mon amour,
Mon doux printemps, ma douce fleur nouvelle,
Mon doux plaisir, ma douce colombelle,
Mon passereau, ma gente tourterelle,
Bonjour, ma douce rebelle.

Hé ! faudra-t-il que quelqu'un me reproche
Que j'aie vers toi le coeur plus dur que roche
De t'avoir laissée, maîtresse,
Pour aller suivre le Roi,
Mendiant je ne sais quoi
Que le vulgaire appelle une largesse ?
Plutôt périsse honneur, court, et richesse,
Que pour les biens jamais je te relaisse,
Ma douce et belle déesse.

Pierre de Ronsard ("Le Second Livre des Amours", 1555)

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Comme on voit sur la branche au mois de Mai la rose

Comme on voit sur la branche au mois de Mai la rose
En sa belle jeunesse, en sa première fleur
Rendre le ciel jaloux de sa vive couleur,
Quand l’Aube de ses pleurs au point du jour l’arrose :

La grâce dans sa feuille, et l’amour se repose,
Embaumant les jardins et les arbres d’odeur :
Mais battue ou de pluie, ou d’excessive ardeur,
Languissante elle meurt feuille à feuille déclose :

Ainsi en ta première et jeune nouveauté,
Quand la terre et le ciel honoraient ta beauté,
La Parque t’a tuée, et cendre tu reposes.

Pour obsèques reçois mes larmes et mes pleurs,
Ce vase plein de lait, ce panier plein de fleurs,
Afin que vif, et mort, ton corps ne soit que roses.

Pierre de Ronsard ("Sur la mort de Marie", 1578)

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Te regardant assise ...

Te regardant assise auprès de ta cousine,
Belle comme une Aurore, et toi comme un Soleil,
Je pensai voir deux fleurs d'un même teint pareil,
Croissantes en beauté, l'une à l'autre voisine.

La chaste, sainte, belle et unique Angevine,
Vite comme un éclair sur moi jeta son oeil.
Toi, comme paresseuse et pleine de sommeil,
D'un seul petit regard tu ne m'estimas digne.

Tu t'entretenais seule au visage abaissé,
Pensive toute à toi, n'aimant rien que toi-même,
Dédaignant un chacun d'un sourcil ramassé.

Comme une qui ne veut qu'on la cherche ou qu'on l'aime.
J'eus peur de ton silence et m'en ahai tout blërne,
Craignant que mon salut n'eût ton oeil offensé.

Pierre de Ronsard ("Sonnets pour Hélène", 1578)



1 mars 2008

Maurice ROLLINAT - le féminin en poésie

Maurice Rollinat (1846-1903) est un poète français.

Sait-on que le poème connu qui suit se trouve dans un recueil des plus sombres de Maurice Rollinat, "Les névroses". Il s'agit ici d'un animal à qui le poète prête des sentiments humains, ceux d'une mère :

La biche

La biche brame au clair de lune
Et pleure à se fondre les yeux :
Son petit faon délicieux
A disparu dans la nuit brune.

Pour raconter son infortune
À la forêt de ses aïeux,
La biche brame au clair de lune
Et pleure à se fondre les yeux.

Mais aucune réponse, aucune,
A ses longs appels anxieux !
Et le cou tendu vers les cieux,
Folle d'amour et de rancune,
La biche brame au clair de lune.

Maurice Rollinat ("Les Refuges" - recueil "Les Névroses", 1883)

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Du recueil "Paysages et Paysans", quelques portraits féminins dans les paysages Berrichons de la fin du XIXe siècle où a vécu l'auteur une partie de sa vie.

La partie en italique de ce poème n'est en général pas proposée :

La rieuse 

Ses rires grands ouverts qui si crânement mordent
Sur le fond taciturne et murmurant des prés,
Sont métalliques, frais, liquides, susurrés,
Aux pépiements d’oiseaux ressemblent et s’accordent.

Excités par la danse, ils se gonflent, débordent
En cascades de cris tumultueux, serrés,
De hoquets glougloutants, fous et démesurés,
Qui la virent, la plient, la soulèvent, la tordent.

      On la surnomme la Rieuse.
      La santé la fait si joyeuse
Qu’elle vit sa pensée en ses beaux yeux ardents ;

      Son âme chante tout entière
      Dans sa musique coutumière,
Sur le robuste émail de ses trente-deux dents.

— "Est-elle heureuse ! » — mais, la triste expérience
      Vous chuchote sa méfiance :
      « Ici-bas, tout bonheur est court.
      Le ver, comme disent les vieilles,
      Couve aux pommes les plus vermeilles.
      Tôt ou tard, elle aura son tour
      Dans la tristesse. Quelque jour,
      Elle ira, funèbre et chagrine,
      Au long des bois, au bord de l’eau.
      Alors, ce sera le sanglot
      Qui contractera sa poitrine.
      Au lieu de leurs pimpants vacarmes,
      Sur ses lèvres viendront croupir
      Le silence du long soupir,
      Le sel âcre et brûlant des larmes.
      Car, ainsi va notre destin :
      L’illusion flambe et s’éteint.
      Après l’innocence ravie
      Le Mal enlacé du remord !
      Et l’épouvante de la mort
      Après l’ivresse de la vie !"

Maurice Rollinat ("Paysages et paysans", 1898) 

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La veuve 

Hélas oui ! longtemps, son malheur
Lui fut prédit par ses alarmes.
Mais, par ce temps ensorceleur
De bruine dans la chaleur,
Elle pose un peu sa douleur
Comme un soldat pose ses armes.
De l’azur moite il pleut des charmes !
L’arc-en-ciel étend ses couleurs
Sur la molle extase des fleurs,
De l’eau, des frênes, et des charmes.
Et, tendrement, aux longs vacarmes
Des oiseaux plaintifs et siffleurs,
La veuve sourit dans les pleurs
Au soleil qui luit dans les larmes.
 

Maurice Rollinat ("Paysages et paysans", 1898) 

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La mendiante 

Bissac vide, et pas un petit sou dans les poches,
La mendiante, au soir, traîne un pas de crapaud,
Comme un fantôme lent sous son mauvais capot
Que, de chaque côté, vont tirochant ses mioches.

Et puis, tout s’enténèbre. Elle tremble effarée ;
Ses petits, s’envasant, s’accrochent à ses bras,
Et, dans l’obscur opaque, au sein du limon gras,
L’horreur suprême étreint la famille égarée.

Soudain, l’ombre s’entr’ouvre aux glissantes lueurs
De la lune. La mère a souri dans ses pleurs
       Au bon astre livide et jaune...

Et dit : « Personn’ n’ nous fut pitoyable aujourd’hui !
C’est p’têt’ pour ça q’ la lun’, dans l’ si noir de la nuit,
       D’un bout d’ clarté nous fait l’aumône.
 

Maurice Rollinat ("Paysages et paysans", 1898) 

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La baigneuse 

Le temps chauffe, ardent, radieux ;
        Le sol brûle comme une tôle
        Dans un four. Nul oiseau ne piaule,
        Tout l’air vibre silencieux...
Si bien que la bergère a confié son rôle
    À son chien noir aussi bon qu’il est vieux.

        Posant son tricot et sa gaule,
        Elle ôte, à mouvements frileux,
        Robe, chemise, et longs bas bleus :
        Sa nudité sort de sa geôle.
Tout d’abord, devant l’onde aux chatoiements vitreux
        Elle garde un maintien peureux,
        Mais enfin, la chaleur l’enjôle,
        Elle fait un pas et puis deux...
        Mais si l’endroit est hasardeux ?
        Si l’eau verte que son pied frôle
Allait soudainement lui dépasser l’épaule ?
Mieux vaut se rhabiller ! mais avant, sous un saule,
        D’un air confus et curieux,
        Elle se regarde à pleins yeux
        Dans ce miroir mouvant et drôle.

Sur le fond taciturne et murmurant des prés,
Sont métalliques, frais, liquides, susurrés,
Aux pépiements d’oiseaux ressemblent et s’accordent. 

Maurice Rollinat ("Paysages et paysans", 1898)  

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L'aveugle

L’humble vieille qui se désole
       Dit, gémissant chaque parole :
       « Contr’ le sort j’ n’ai plus d’ résistance.
       Que l’ bon Dieu m’appell’ donc à lui !
       La tomb’ s’ra jamais que d’ la nuit
       Ni plus ni moins q’ mon existence.

Mais la fille s’écrie, essuyant une larme :
Parlez pas d’ ça ! J’ vas dire un’ bell’ complaint’ d’aut’fois, »
Et, quenouille à la taille, un fuseau dans les doigts,
Exhale de son cœur la musique du charme.

La vieille aveugle, assise au seuil de sa chaumière,
Écoute avidement la bergère chanter,
Au son de cette voix semblant les enchanter
On dirait que ses yeux retrouvent la lumière.

Tour à tour elle rit, parle, soupire et pleure,
Étend ses maigres doigts d’un geste de désir
Vers quelque objet pensé qu’elle ne peut saisir,
Ou, comme extasiée, immobile demeure.

Et, lorsque la bergère a fini sa chanson,
Elle lui dit : "Merci ! tu m’as rendu l’ frisson,
       La couleur, et l’ bruit du feuillage,

Tu m’as fait r’voir l’eau claire et l’ beau soleil luisant,
Mon enfanc’, ma jeuness’, mes amours ! À présent
       J’ peux ben faire le grand voyage
."

Maurice Rollinat ("Paysages et paysans", 1898) 

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La meunière 

La meunière, une forte et rougeaude jeunesse,
Chantait dans sa charrette en piquant son bardeau ;
Tout à coup, l’animal quittant son pas lourdaud,
Partit brusque ! il venait de sentir une ânesse.

Celle-ci, l’ayant vu du fond du brouillard pâle,
D’un long cri de désir hélait le bourriquot
Lequel hâtait sa course en ébranlant l’écho
D’un grand hi-han tout plein de sa vigueur de mâle.

Jointe, ce fut l’éclair ! Entre ses pieds roidis
Il lui serra les flancs et l’eut toute ! Et, tandis
Qu’allaient se consommant ces amours bucoliques,

Renversée en arrière, avec un œil fripon,
La meunière, à deux mains rabattant son jupon,
Riait, jambes en l’air sur les limons obliques
. 

Maurice Rollinat ("Paysages et paysans", 1898) 

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La petite sœur (passages)

En gardant ses douze cochons
Ainsi que leur mère qui grogne,
Et du groin laboure, cogne,
Derrière ses fils folichons,

La sœurette, bonne d’enfant,
Porte à deux bras son petit frère
Qu’elle s’ingénie à distraire,
Tendre, avec un soin émouvant.

C’est l’automne : le ciel reluit.
Au long des marais de la brande
Elle va, pas beaucoup plus grande,
Ni guère plus grosse que lui.

...

Sa chevelure jaune blé
Gazant son œil bleu qui l’étoile,
Contre le soleil fait un voile,
Au baby frais et potelé.

Ils sont là, parmi les roseaux,
Dans la Nature verte et rousse,
Au même titre que la mousse,
Les insectes et les oiseaux :

Aussi poétiques à l’œil,
Vénérables à la pensée !
Double âme autant qu’eux dispensée
De l’ennui, du mal et du deuil !

Par instants, un petit cochon,
Sous son poil dur et blanc qui brille,
Tout rosâtre, la queue en vrille,
Vient vers eux d’un air drôlichon.

Il s’en approche, curieux,
Les lorgne comme deux merveilles,
Et repart, ses longues oreilles
Tapotant sur ses petits yeux.

Et puis, c’est un lézard glissant,
Ou leur chienne désaccroupie,
Éternuant, tout ébaubie,
Pendant son grattage plaisant.

...

Au souffle du vent caresseur
Chacun fait son bruit monotone :
Ce qu’elle dit — ce qu’il chantonne :
Même vague et même douceur !

Entre des vols de papillons
Leur murmure plein d’indolence
S’harmonise dans le silence
Avec la chanson des grillons.

...

Elle est fatiguée, elle a faim.
Elle va comme une machine,
Renversant un peu son échine
Sous ce poids trop lourd à la fin.

L’enfant recommence à crier :
Sa sœur met sa force dernière
À le porter — taille en arrière
Que toujours plus on voit plier.

... 

Maurice Rollinat ("Paysages et paysans", 1898)



1 mars 2008

Jacques ROUBAUD - le féminin en poésie

Jacques Roubaud (né en 1932), est un mathématicien-poète (ou poète-mathématicien ?), membre actif de l'OULIPO depuis 1966.
Sur l'OULIPO, voir la rubrique Raymond Queneau  et d'autres poèmes de J Roubaud ici : 
PRINT POÈTES 2010 : LE FÉMININ EN POÉSIE.
La poésie de Jacques Roubaud, très inventive,  obéit à certaines contraintes qui placent la plupart des productions en dehors du champ de l'élémentaire et du collège, mais sans doute pas ce poème :

Rues Madame et Monsieur

Il allait un jour par la rue Madame
Un jour elle allait par la rue Monsieur
Dans la rue Madame y a du macadam
Il n'y en a pas moins dans la rue Monsieur.

Il marchait heureux dans la rue Madame
Calme elle passait dans la rue Monsieur
Un beau jour sans drame dans la rue Madame
Un jour délicieux dans la rue Monsieur.

On peut voir le ciel sur la rue Madame
Sur la rue Monsieur on peut voir les cieux
Les chats sont tous gris dans la rue Madame
Dans la rue Monsieur tous les chats sont vieux.

Jamais ell' n'alla par la rue Madame
Jamais il n'alla par la rue Monsieur
Leurs yeux jamais ne s'lancèrent de flammes
Leurs bouches jamais n'échangèrent de vœux

Après tout cela vaut peut-être mieux.

Il s'en est allé par la rue Madame
Ell' s'en est allée par la rue Monsieur
Dans la rue Madame y a du macadam
Il n'y en a pas moins dans la rue Monsieur.

Jacques Roubaud ("La forme d'une ville change plus vite, hélas, que le coeur des humains" - Gallimard, 1999)



1 mars 2008

JEAN ROUSSELOT - le féminin en poésie

Jean Rousselot (1913-2004) a publié, à partir de 1934 de très nombreux recueils de poésie et des anthologies pour la collection "Poètes d'Aujourd'hui" de Pierre Seghers. Il est également l'auteur d'un Dictionnaire de la Poésie Française contemporaine (en 1962) et d'une Histoire de la poésie française en 1976.
On trouvera dans la catégorie hiver, un joli texte sur la neige et d'autres textes ici : PRINT POÈTES 2009 : L'HUMOUR des poètes.

La vie dure

À peine les cosmonautes
Eurent-ils repris leur vol
Que la vieille au fagot
Sortit de sa cachette
Et se remit à marcher sur la lune.
    

Jean Rousselot ("Le spectacle continue" - éditions La Bartavelle, 1992)



1 mars 2008

Claude ROY - le féminin en poésie

Claude Roy (1915-1997), poète français, est au rendez-vous des catégories pour la classe (Le chat blanc - Chevaux : trois ; oiseau : un - J'ai trouvé dans mes cheveux - Les corridors où dort Anne qu'on adore - Le soleil dit bonjour), et d'autres dans la catégorie PRINT POÈTES 2009 : L'HUMOUR des poètes

L'excès des petits noms d'amitié

"Mon petit chat,
mon gros minet,
mon doux mouton, mon chatounet".
disait la mère à son bébé
dans l'excès des diminutifs.

Il ne faut pas trop s'étonner :
enfant d'un amour excessif
le petit se mit à miauler
et la maman à ronronner.

Claude Roy

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Les corridors où dort Anne qu'on adore

        La petite Anne, quand elle dort,
Où s'en va-t-elle ?
Est-elle dedans, est-elle dehors,
Et que fait-elle ?

Pendant la récré du sommeil,
À pas de loup,
Entre la Terre et le soleil,
Anne est partout.

Les pieds nus et à tire-d'aile
Anne va faire
Les quatre cent coups dans le ciel
Anne s'affaire.

La petite Anne, quand elle dort,
Qui donc est-elle ?
Qui dort ? Qui court par-dessus bord ?
Une autre, et elle.

L'autre dort et a des ailes,
Anne dans son lit, Anne dans le ciel.

Claude Roy

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Ce poème a été inspiré à Claude Roy par une jeune nageuse qui dormait sur la plage :

Dormante

Toi ma dormeuse mon ombreuse ma rêveuse
Ma gisante aux pieds nus sur le sable mouillé
Toi ma songeuse mon heureuse ma nageuse
Ma lointaine aux yeux clos mon sommeillant œillet

Distraite comme nuage et fraîche comme la pluie
Trompeuse comme l’eau légère comme vent
Toi ma berceuse mon souci mon jour ma nuit
Toi que j’attends toi qui te perds et me surprends

La vague en chuchotant glisse dans ton sommeil
Te flaire et vient lécher tes jambes étonnées
Ton corps abandonné respire le soleil
Couleur de tes cheveux ruisselants et dénoués

Mon oublieuse ma paresseuse ma dormeuse
Toi qui me trompes avec le vent avec la mer
Avec le sable et le matin ma capricieuse
Ma brûlante aux bras frais mon étoile légère

Je t’attends je t’attends je guette ton retour
Et le premier regard où je vois émerger
Eurydice aux pieds nus à la clarté du jour
Dans cette enfant qui dort sur la plage allongée.

Claude Roy ("Clair comme le jour", 1943)



 

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