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lieu commun

1 avril 2008

Lucienne Desnoues, Béatrice de Die

Lucienne Desnoues (1921-2004) poète, a également écrit des contes pour les enfants,.

Hiboux (extrait)

Vous hiboux, ténébreux hiboux, ne voyez pas,
Bien que fils des forêts, que les forêts sont vertes.
Comptez-vous comme nous sur l'éclair du trépas
Pour faire du réel l'entière découverte?

Lucienne Desnoues ("Quatrains pour crier avec les hiboux" - Éditions Gérard Oberlé, 1984) source : terresdefemmes.blogs.com

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Rimes riches pour mirliton (extrait)

Pourquoi grognes-tu Gaston ?
T'agace-t-on ?
As-tu pris la grippe ? A-t-on
Écrasé ton ripaton ?
Sur la patte à ton chaton
Marcha-t-on ?
...

Lors des étés à hannetons
Ahane-t-on ?
Quand on est un baryton,
Barrit-on ?
Et python,
Épie-t-on ?
Lorsqu'on est émir, lit-on
En jouant du mirliton ?

Lucienne Desnoues (dans "Mon premier livre de poèmes pour rire" - réunis par Jacques Charpentreau - Éditions Ouvrières, Petite Enfance heureuse, 1986)

Mesures

Les kilomètres signés
Marquise de Sévigné.
Les arpents de La Fontaine
Aux mesures bien certaines
Dans leurs jalons inégaux.
Les hectares de Hugo.
Flaubert qui ponce et qui rogne.
Verlaine en ses doigts d'ivrogne.
Une jauge de cristal.
Le gros tonnage mental
Des Écoles, des Églises,
Quatre vers qui se relisent,
Quatre mille jamais plus,
Quatre millions jamais lus.
Rimbaud, voltage terrible.
Mallarmé, avare crible
Pour des onces, des carats.
Le gramme qui survivra.
Le quintal qu'on enterre.
L'alexandrin solitaire
Qui reverdira pourtant,
Repercement du printemps.
La toise du grand Molière.
Le lourd aunage de lierre
Qui drape Chateaubriand.
Tes sveltes compas brillants,
Tes balances minuscules,
Proust. O Balzac, tes bascules.
L'acre et le mille hantés
De Shakespeare et de Bronté.
Melville, tes encablures
Où des baleines se plurent.
La veste de Féodor,
La lieue où l'ogre s'endort.

Quels mesureurs elles eurent
Nos humaines démesures !

Lucienne Desnoues ("La plume d'oie", 1971)

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Le face-à-face

Toute droite, la violette,
Avec ses oreilles de faon,
Ecoute le chant triomphant
De la source qui la reflète.

A h ! Quelle passion me pousse
A saisir ce gibier subtil,
Ce frais petit fauve d'avril,
Entre mon index et mon pouce ?

je te hausserai vers la nue
Et je renverserai le front
Et face-à-face nous serons,
Moi le géant, toi la menue.

Si claire figure foncée,
Lueur montant du fond du noir,
Mon espoir et mon désespoir,
L'infini dans une pincée,

Fleur enfant, très ancien sourire,
Éternel museau d'un instant,
Qu'avons-nous donc tous les printemps
De si pathétique à nous dire ?

Lucienne Desnoues 



Béatrice de Die (XIIe siècle). C'est en Provence et en langue d'oc que les poèmes de la comtesse Béatrice de Die sont chantés par les troubadours.

Voici un poème, en occitan, suivi de sa traduction en français moderne (source : www.horslesmurs.ning.com )
 

Estat ai en greu cossirier (extrait)

Estat ai en greu cossirier
per un cavallier qu'ai agut,
e vuoil sia totz temps saubut
cum ieu l'ai amat a sobrier;
ara vei qu'ieu sui trahida
car ieu non li donei m'amor
don ai estat en gran error
en lieig e quand sui vestida.

Ben volria mon cavallier
tener un ser en mos bratz nut,
qu'el s'en tengra per ereubut
sol qu'a lui fezes cosseillier;
car plus m'en sui abellida
no fetz Floris de Blanchaflor:
ieu l'autrei mon cor e m'amor
mon sen, mos huoillis e ma vida.
...

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Grande peine m'est advenue
(extrait)

Grande peine m'est advenue
par un chevalier que j'ai eu.
je veux qu'on sache toujours
que j'ai pour lui tant d'amour.
à présent me voilà trahie,
pour ne lui point donner d'amour
quand je fus en grande folie,
au lit comme toute vêtue.

Je voudrais mon chevalier
tenir un soir dans mes bras nus ;
il en serait comblé de joie
si je lui servais de doux coussin;
je suis plus amoureuse de lui
qu'un jour Flore de Blanchefleur,
je lui donne mom amour et ma vie,
mon âme, mes yeux et mon coeur.
...

Béatrice de Die (la traduction en français est de Pierre Seghers)



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1 avril 2008

PP 09 - L'humour d'HENRI HEURTEBISE

- Henri Heurtebise -

Henri Heurtebise est né en 1936. Il est avec René Cazajous, le fondateur en 1970 de la revue poétique Multiples, qu'il dirige toujours.

Pour découvrir l'auteur et la revue sur la Toile : http://www.espritsnomades.com/sitelitterature/heurtebise/heurtebise.html
Adresse postale de la revue : "Multiples" Henri Heurtebise,  9, chemin du Lançon, 31410 Longages.

Dans la présentation qu'il fait de lui-même sur le site du Printemps des Poètes, Henri Heurtebise explique :
"Pour ce qui est de ma poésie, j'ai trois écritures : celle qui pense (dans "discrétions poétiques"), celle qui rit
(Adam et Eve, Monsieur de non Juan), celle qui chante.
Dans mes poèmes, que depuis 1991 j'appelle odes, j'ai toujours chanté. J'entends par là, depuis quelques années, que la musique et le rythme doivent être premiers. Sans négliger le sens (...)
Ecrire pour moi, que je réfléchisse, que je rie ou que je chante, est porter à la meilleure forme (irrécusable et intraduisible) la plus forte humanité dans un monde que je voudrais qualitatif ..."

Tarzan

D'un bond
Tarzan
pénétra l'affiche
Les couleurs giclèrent sur les agents qui ameutèrent le peuple des HLM
Les voitures haletèrent

trop tard
aux quatre coins de l'affiche

Les demoiselles tranquilles et les paisibles mariages reprenaient leur circulation

Henri Heurtebise, 1969 (dans la revue Poésie 1 n°28-29, "L'enfant et la poésie", de janvier-février 1973 - éditions Librairie Saint Germain-des-Prés)

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Prévention   (titre suggéré pour ce poème en forme de publicité)

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À l'usine
Au bureau
Dans les champs

ASSUREZ-VOUS CONTRE L'AMOUR

Un regard est si vite arrivé !

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Henri Heurtebise, 1969 (dans la revue Multiples qu'il dirige, numéro 4, "Spécial Humour",printemps 1971)

logo_cr_ation_po_tique Publicité, slogan poétique
Les publicistes rivalisent d'inventivité pour vendre leurs produits. Les slogans publicitaires usent et abusent des jeux de mots, des quiproquos.

Il faudra  trouver un "produit" (au sens large) à vendre, et un argument humoristique pour inviter à son achat. Autres pistes, comme dans le texte "Prévention", un avertissement, une interdiction ... Les textes seront courts, frappants.
On pourra créer une véritable affiche en mariant création textuelle et arts plastiques

Exemple proposé par le blog :
pour une  jardinerie, ce jeu de mots avec illustration suggérant la force, la puissance :

L'oignon fait la fleur

L'exercice se rapproche du détournement de proverbes (voir Luc Decaunes). 

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1 avril 2008

Hélène Dorion, Denise Dubois-Jallais

Hélène Dorion est une poète du Québec, née en 1958.

On peut très bien vivre ...

On peut très bien vivre
sans rien d'autre que ces tendresses journalières :
une carte postale dans la boîte, un bruit de vague
le bleu sur la plaine, les mots d'un poème.
L'univers réduit à peu d'attaches
au trajet ordinaire
de sa propre mort.

On peut très bien n'être qu'une aventure d'atomes
et de questions dérisoires.

Hélène Dorion

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La terre, l'univers

La terre, l'univers
Quelques traits sur le mur de la grotte
les couleurs de la bête
la forme visible de la vie;
en ce mouvement le monde a commencé.
Par le silence et la nuit
la gravité du noir, la terre
dans les mains qui tâtonnent;
par les galets, l'eau, les fruits
l'oiseau secouant l'espace
et le bruit des pas incertains
nous avons commencé.
Lumières éteintes, portes refermées
au bout de l'horizon, le monde
ne tenait qu'à un fil.

Hélène Dorion ("Les murs de la grotte" - éditions la Différence, 1998)



Denise Dubois-Jallais, romancière et poète, est née en 1932. "Exaltation de la vie quotidienne" rassemble une partie de son oeuvre poétique.

Le temps des mirages

Tu dis
Regarde les cheveux
Et c'est un arbre
Tu dis
Donne la lune
Pour manger
Tu dis
Je t'aime
Grand comme une maison
Tu prends les grains de café
Pour des chocolats
Le mimosa
Pour des œufs durs
Les nuages
Pour des locomotives
Tu crois
Que les phares ont des yeux
Que les autos ont des oreilles
Que les chats parlent
Que les vaches existent
Seulement sur les gruyères.

Denise Dubois-Jallais ("Exaltation de la vie quotidienne"- éditions Stock, 1976)

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Les rites

Je te dis
Bonsoir Cerise
Bonsoir Pain d'épice
Dors bien mon sapin
À demain laitue
Sois sage écureuil à la crème
Et tu ris
Tu ris de toute ta bouche claire
Et j'entends ton cœur qui bat fort
Comme celui d'un faon qui court
Et tu m'embrasses
Et tu jettes tous
les draps
Et tu tires mes tresses
Et tu me dis bonsoir à l'oreille
En trébuchant
Sur tes deux ans
Et ton pyjama

Denise Dubois-Jallais ("Les couleurs de la mer"- éditions Seghers, 1956)

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L'hiver est comme une orange ouverte

L'hiver est comme une orange ouverte
Et je suis assise au fond de l'hiver
A manger des pépins
Toi, tu lis le journal
Et son ombre sur le mur
Est comme une feuille de yucca
Dans un jardin

Denise Dubois-Jallais ("Les couleurs de la mer"- éditions Seghers, 1956)

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Assise sur la dune ...

Assise sur la dune
Je regarde les feux du carrefour

Rouges pour arrêter ton coeur
Jaunes pour t'ensoleiller
Verts pour te permettre

Et les voitures roulent sous la pluie
Comme dans une brume jaillissante
Vers l'odeur mêlée de la plage et des chênes verts

Je regarde les feux du carrefour
Sages comme des phares de mer
Et ton ombre changeante
Qui grandit lentement
Du fond de la route

Mon corps dans tes yeux
Allume de petits poignards verts
Tu aimes mes cheveux et mes jambes
Mon coeur et ma bouche
Mais moi je n'aime plus t'aimer

Denise Dubois-Jallais ("Les couleurs de la mer"- éditions Seghers, 1956)



1 avril 2008

Chantal Dupuy-Dunier, Marie-Jeanne Durry

Chantal Dupuy-Dunier est née en 1949.

Les animaux ...

Les animaux,
Les petits,
Les gros aussi, ils meurent tous,
ceux des maisons
comme ceux qui vivent dehors,
Les fourmis de dix-huit mètres
avec ou sans chapeau,
les étourneaux trop étourdis,
la chèvre de Monsieur Seguin.
Elle s'est battue toute la nuit
avant de se faire bouffer par le loup
au matin
- ça m'fout encore la larme à l'oeil
cette histoire parfumée
d'accent provençal et de serpolet -,
cette chèvre-là, elle est restée,
en quelque sorte,
mon héros dans la vie,
une libertaire,
une vraie résistante.

Chantal Dupuy-Dunier ("Où qu'on va après ?" - éditions Le dé bleu)

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L’hiver baisse la garde

L’hiver baisse la garde.
Convulsions des dernières glaces.
Les rivières sont grosses.
Des lézards réveillent les pierres.
Quelque chose amorce un retour
que les poètes ont trop chanté.

Chantal Dupuy-Dunier (inédit, source du texte : http://ericdubois.over-blog.fr/) 

ce poème se réfère au monastère franciscain de Saorge, dans l’arrière-pays niçois, qui a été aménagé en résidence d’écrivains et où l'auteur a séjourné :

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Saorge

Saorge germinative,
perlée, dépouillée,
humble sous la lombarde
qui manie le fouet
avec sa poigne de vent.

Saorge panifère et abreuvante.

Dehors,
sur une terrasse du jardin,
un laurier amoureux,
dont deux branches enserrent
le tronc entre leurs bras,
fait rougir de désir les orangers voisins.
Déjà, quelques abeilles inventorient
les promesses des mélèzes.

Midi :

Sous les ardoises lisses de la cuisine,
une femme, brune et belle,
fait frire des panisses,
semées de parmesan.
( Nice et l’Italie pacifiées.)

Le miel chante dans la cuillère.

Chantal Dupuy-Dunier ("Saorge, dans la cellule du poème" - Éditions Voix d’encre, 2009 - Illustrations de Michèle Dadolle.)

 



Marie-Jeanne Durry (1901-1980) est une poète, essayiste et universitaire, auteure de recueils de poésie et d'ouvrages sur des écrivains (Chateaubriand, Flaubert ...)

Chanson

J'ai volé un petit nuage
Pour me promener

Je flotte sur les villages
D'un monde abandonné

Vous pouvez vous mettre en chasse
Vous ne m'attraperez pas

Mais d'en haut je tends mes nasses
Viens partager mon repas

De gouttes et d'étincelles
Viens partager mon repas

Je plonge et je te soulève
Jusqu'à mon nid dans le ciel

Le soleil est sur nos lèvres
Un gâteau de miel

Écoute comme je chante
Vois naître dans l'air

Les agiles couleurs changeantes
Qui frémissent sur la mer.

Marie-Jeanne Durry



1 avril 2008

Nouhad Es-Saad, Marie de France

Nouhad Es-Saad, contemporaine, est une poète libanaise de langue française .

Je t’ai suivie

Je t’ai suivie à perdre haleine
Tu marchais vite comme le passé
Je t’ai aimée dans le silence
Des nuits blanchies par tes cheveux
Je te devine ma belle absence
Hier encore
A la fontaine
Je buvais tes baisers
Que de bonheur volé sans peine
Ne pleure pas ma pureté les cyprès savent combien je t’aime
Tu es en moi
Tu es ma peine
Je t’ai construit l’éternité.
 

Nouhad Es-Saad ("Itinéraires", 1972 et dans "Poèmes de Femmes", anthologie de Régine Desforges au cherche midi éditeur, 2009)



Marie de France est une des premières (la première ?) poètes françaises. Elle a vécu au XIIe siècle, comme Claude de Burine (voir page 1) et écrit une série de 12 lais. En voici un, connu pour ses deux derniers vers, très repris :

Le lai du chèvrefeuille

Tristan longtemps a demeuré
Et attendu et séjourné
Pour épier et pour savoir
Comment il la pourra revoir :
Il ne peut vivre sans Iseult
Car il en était ainsi d'eux
Comme il en est du chèvrefeuille
Qui s'est à la coudre attaché :
Quand il s'est enlacé et pris
Et tout autour du fût s'est mis
Ensemble ils peuvent bien durer.
Mais si l'on veut les séparer
La coudre meurt hâtivement
Le chèvrefeuille également.
"Ma belle amie, ainsi de nous,
Ni vous sans moi, ni moi sans vous !"

Marie de France - traduction en français moderne de Gérard Cartier.

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Le corbeau et le goupil

Le corbeau et le goupil

Il advint, la chose est bien possible,
qu'un corbeau vola
devant la fenêtre
d'un garde-manger ; il aperçut
des fromages qui étaient à l'intérieur,
posés sur une claie.
Il en prit un, et s'enfuit avec.
Un goupil passait, qui l'épia ;
il eut grand désir
de manger sa part du fromage.
Il voudra essayer par ruse
d'enjôler le corbeau.
« Ah ! seigneur Dieu, fait-il,
comme cet oiseau est gentil !
Il n'y a au monde tel oiseau,
de mes yeux je n'en vis plus beau.
Si son chant était comme son corps,
il vaudrait mieux qu'or fin ».

Le corbeau s'entendit si bien vanter
qu'il n'y avait son pareil au monde,
qu'il résolut de chanter.
en chantant il ne perdra rien à sa renommée.
Il ouvrit le bec et commença :
le fromage lui échappa
et ne put faire autrement que tomber à terre.
Le goupil s'empresse de le saisir.
Après il n'avait cure du chant du corbeau,
car il avait satisfait son envie du fromage.

Cet exemple s'applique aux orgueilleux
qui convoitent grande renommée.
par flatteries et par mensonges
on peut les servir à leur gré ;
ils dépensent follement ce qu'ils ont
pour être loués des gens.

Marie de France - source du texte : site officiel,  http://www.printempsdespoetes.com/



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1 avril 2008

Rosemonde Gérard

Rosemonde Gérard (1871-1953), épouse d'Edmond Rostand, l'auteur de Cyrano de Bergerac, est la mère du grand biologiste et écrivain Jean Rostand. Elle a écrit des pièces de théâtre et des poèmes, dont le recueil "Les pipeaux". Les deux premiers ci-dessous sont connus de beaucoup d'écoliers :

Bonne année !

Bonne année à toutes les choses :
Au monde ! À la mer ! Aux forêts !
Bonne année à toutes les roses
Que l’hiver prépare en secret.

Bonne année à tous ceux qui m’aiment
Et qui m’entendent ici-bas …
Et bonne année aussi, quand même
À tous ceux qui ne m'aiment pas !

Rosemonde Gérard ("Les pipeaux" éditions Lemerre, 1889 - Fasquelle éditeur, 1923)

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L'année

Janvier nous prive de feuillage ;
Février fait glisser nos pas ;
Mars a des cheveux de nuage,
Avril, des cheveux de lilas ;

Mai permet les robes champêtres ;
Juin ressuscite les rosiers ;
Juillet met l'échelle aux fenêtres,
Août, l'échelle aux cerisiers.

Septembre, qui divague un peu,
Pour danser sur du raisin bleu
S'amuse à retarder l'aurore ;

Octobre a peur ; Novembre a froid ;
Décembre éteint les fleurs ; et moi,
L'année entière je t'adore !

Rosemonde Gérard ("Les pipeaux" éditions Lemerre, 1889 - Fasquelle éditeur, 1923)

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Du texte émouvant qui suit on a déjà rencontré ce passage, commercialisé à l'excès :

"Et, comme chaque jour je t'aime davantage,
Aujourd'hui plus qu'hier et bien moins que demain"

L'éternelle chanson
(mis en musique sous le titre Le dernier rendez-vous)

Lorsque tu seras vieux et que je serai vieille,
Lorsque mes cheveux blonds seront des cheveux blancs,
Au mois de mai, dans le jardin qui s'ensoleille,
Nous irons réchauffer nos vieux membres tremblants.

Comme le renouveau mettra nos coeurs en fête,
Nous nous croirons encor de jeunes amoureux,
Et je te sourirai tout en branlant la tête,
Et nous ferons un couple adorable de vieux ;

Nous nous regarderons, assis sous notre treille,
Avec de petits yeux attendris et brillants,
Lorsque tu seras vieux et que je serai vieille,
Lorsque mes cheveux blonds seront des cheveux blancs.

Sur le banc familier, tout verdâtre de mousse,
Sur le banc d'autrefois nous reviendrons causer ;
Nous aurons une joie attendrie et très douce,
La phrase finissant souvent par un baiser.

Combien de fois jadis j'ai pu dire : « Je t'aime ! »
Alors, avec grand soin, nous le recompterons ;
Nous nous ressouviendrons de mille choses, même
De petits riens exquis dont nous radoterons.

Un rayon descendra, d'une caresse douce,
Parmi nos cheveux blancs, tout rose, se poser,
Quand, sur notre vieux banc tout verdâtre de mousse,
Sur le banc d'autrefois nous reviendrons causer.

Et, comme chaque jour je t'aime davantage -
Aujourd'hui plus qu'hier et bien moins que demain -,
Qu'importeront alors les rides du visage,
Si les mêmes rosiers parfument le chemin.

Songe à tous les printemps qui dans nos coeurs s'entassent,
Mes souvenirs à moi seront aussi les tiens,
Ces communs souvenirs toujours plus nous enlacent
Et sans cesse entre nous tissent d'autres liens ;

C'est vrai, nous serons vieux, très vieux, faiblis par l'âge.
Mais plus fort chaque jour je serrerai ta main,
Car, vois-tu, chaque jour je t'aime davantage :
Aujourd'hui plus qu'hier et bien moins que demain !

Et de ce cher amour qui passe comme un rêve
Je veux tout conserver dans le fond de mon coeur,
Retenir, s'il se peut, l'impression trop brève,
Pour la ressavourer plus tard avec lenteur ;

J'enferme ce qui vient de lui comme un avare,
Thésaurisant avec ardeur pour mes vieux jours ;
Je serai riche alors d'une tristesse rare,
J'aurai gardé tout l'or de mes jeunes amours ;

Ainsi, de ce passé de bonheur qui s'achève,
Ma mémoire parfois me rendra la douceur,
Et de ce cher amour qui passe comme un rêve
J'aurai tout conservé dans le fond de mon coeur.

Lorsque tu seras vieux et que je serai vieille,
Lorsque mes cheveux blonds seront des cheveux blancs,
Au mois de mai, dans le jardin qui s'ensoleille,
Nous irons réchauffer nos vieux membres tremblants.

Comme le renouveau mettra nos coeurs en fête,
Nous nous croirons encore aux heureux jours d'antan,
Et je te sourirai tout en branlant la tête,
Et tu me parleras d'amour en chevrotant ;

Nous nous regarderons, assis sous notre treille,
Avec des yeux remplis des pleurs de nos vingt ans...
Lorsque tu seras vieux et que je serai vieille,
Lorsque mes cheveux blonds seront des cheveux blancs !

Rosemonde Gérard ("Les pipeaux" éditions Lemerre, 1889 - Fasquelle éditeur, 1923)

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Le sommeil

Tout s’endort à son tour : le nuage et la branche,
La fleur, à l’instant même où respire le fruit,
La semaine, aussitôt que sonne le dimanche,
L’été, pendant l’hiver, le jour, pendant la nuit.

Le soleil, sur un lac, et l’oiseau, sur un arbre,
Le grand tigre doré, sur le sable trompeur,
L’ombre, dans un cyprès, la blancheur, dans un marbre,
Tout s’endort à son tour : le rêve et le rêveur.

L’avenir, dans un mot, le passé, dans un livre
Et, dans le jeune corps qui continue à vivre,
L’âme, vieille déjà, peut parfois s’endormir…

Puis elle se réveille ! … et, d’un sursaut de flamme,
Elle voit ce qu’a fait le pauvre corps sans âme…
Et, du cri qu’elle pousse, on peut très bien mourir !

Rosemonde Gérard ("Les pipeaux" éditions Lemerre, 1889 - Fasquelle éditeur, 1923)

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Paysage

Un cimetière et des troupeaux,
C’est ce qu’on voit sur l’autre rive.
Les arbres, de verdure vive,
Semblent faits avec des copeaux.

Côte à côte vont les tombeaux …
Un mouton veut qu’un mouton suive …
Un cimetière et des troupeaux,
C’est ce que l’on voit sur l’autre rive.

Ah ! cher village de repos,
Qu’elle est loin, la locomotive;
Seul, jusqu’à toi, le fleuve arrive;
Et tu dors, entre une lessive,
Un cimetière et des troupeaux !

Rosemonde Gérard ("Les pipeaux" éditions Lemerre, 1889 - Fasquelle éditeur, 1923)

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Une rose

Cette rose vivait au-dessus du jardin,
N’ayant, sur son front pur, qu’une âme pour aigrette,
Et ne comprenant rien à la foule secrète
Qui se cachait le soir et courait le matin.

Aspirant à l’étoile et fuyant le ravin
Il lui fallait le ciel pour appuyer sa tête …
Cette rose vivait au-dessus du jardin,
N’ayant, sur son front pur, qu’une âme pour aigrette.

Elle n’avait jamais, pour lire le destin,
Effeuillé le cœur d’or d’une humble pâquerette ;
Elle n’avait jamais, penchant son cœur lointain,
Vu trembler l’herbe folle ou l’herbe d’amourette …
Cette rose vivait au-dessus du jardin.

Rosemonde Gérard ("Les pipeaux" éditions Lemerre, 1889 - Fasquelle éditeur, 1923) 

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Le dernier papillon

Quand ne chante plus le grillon
Et qu’on est avant dans l’automne,
Quelque matin gris l’on s’étonne
De voir un dernier papillon.

Plus d’or, d’azur, de vermillon ;
Son coloris est monotone ;
La cendre dont il se festonne
Se mêle au sable du sillon.

D’où vient-il ?... et par quelle porte ?...
Est-ce, parmi la feuille morte,
Le seul des papillons vivants ?

Ou, parmi la neige vivante,
La petite ombre transparente
D’un papillon mort au printemps ?

Rosemonde Gérard ("Les pipeaux" éditions Lemerre, 1889 - Fasquelle éditeur, 1923)

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Le crapaud

Perdrix dont le cœur se tracasse
En longeant le pré de colza,
Aronde* dont le chant se casse
Sitôt que le vol se posa,

Lézard dont le rayon traverse,
Vert, le mur des abricotiers,
Colimaçon des jours d’averse,
Rose, au bord de tous les sentiers ;

Nous connaissons votre manière
De vivre, enfantine et légère,
Mais vous, Crapaud, toujours si vieux,

Est-ce vrai qu’une année entière
Vous demeurez dans une pierre
Avec du soleil dans les yeux ?
 

Rosemonde Gérard ("Les pipeaux" éditions Lemerre, 1889 - Fasquelle éditeur, 1923) - * l'aronde : l'hirondelle

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Le recueil "Les Muses françaises" est le dernier véritable recueil poétique de Rosemonde Gérard. C'est une anthologie poétique qui rassemble des textes de 39 auteures, hommage à la poésie féminine des origines à la première moitié du XXe siècle. Rosemonde Gérard y a dédié un poème à chacune d'elles, celui qui suit illustre sa propre poésie, et le suivant est un hommage à Sabine Sicaud, poète qu'on retrouvera plus loin dans cette catégorie du blog.

Le jardin vivant

Quand je n’étais encore au monde qu’une enfant
Qui vivait au jardin et croyait au feuillage,
J’allais souvent revoir, dans un jardin vivant,
Tous ces perroquets bleus qui font tant de tapage.

Je suivais, sur le bord d’un ruisseau palpitant,
Le canard mandarin, cet arc-en-ciel qui nage ;
Et, lorsque je tendais du pain à l’éléphant,
Je lui tendais mon cœur encor bien davantage.

Le singe était partout ; l’ours était dans un coin ;
Sur un petit rocher méditait le pingouin ;
Le monde était absent du rêve qui m’effleure.

Je respirais un chant. Je comprenais un cri.
Et puis, je rapportais quelque lilas fleuri…
Et je n’ai pas beaucoup changé depuis cette heure !

Rosemonde Gérard ("Les Muses françaises", éditions Charpentier, 1943)

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Sabine Sicaud

Douze ans... Une petite fille...
Un jardin... du soleil... des fleurs...
Et chaque instant léger qui brille
Semble rimer avec bonheur.

L'oiseau vient boire à la fontaine...
Le soir s'endort sur un glaïeul...
La poupée, oubliée à peine,
Reste encor là sur un fauteuil...

Et, pris par une âme charmante
Qui palpite avec l'univers,
Les fleurs, les animaux, les plantes
Viennent d'eux-mêmes dans les vers.

Treize ans... Sur la nature tendre,
Elle penche son coeur tremblant...
Mais pourquoi veut-elle comprendre
Tant de choses déjà ?... Treize ans...

Pourquoi cette angoisse si forte
Pour tout ce qui meurt dans les bois ?
Le fruit tombé... la feuille morte...
Est-ce un pressentiment ?... Pourquoi

Interroge-t-elle les choses
Avec des mots illimités ?
Croit-elle un instant que les roses
Lui répondront la vérité ?...

Quinze ans... l'âge de Juliette...
L'âge où l'amour est sans péché...
Pauvre petite âme inquiète,
Sens-tu comme une ombre approcher ?

Tu t'éloignes de la nature
Qui trembla si près de ton coeur...
Et pourtant ta courte aventure
Ressemble à celle de ses fleurs...

Ainsi qu'une fleur infinie
Sous un soleil trop épuisant,
Brûlée à ton propre génie,
Tu meurs !... et tu n'as que quinze ans !

Rosemonde Gérard ("Les Muses françaises", éditions Charpentier, 1943)



1 avril 2008

Marie Gevers, Claire Goll

Marie Gevers (1883-1975) est une romancière et poète belge.

Chanson pour apprendre aux cinq sens à aimer la pluie

Il pleut des résilles d’argent :
Vois, la tintante joie
De l’étang aux roseaux penchants,
Où le jardin se noie.

La saveur d’air des champignons,
Cueillis dans les prairies,
Dans le brouillard du matin fond
En savoureuse pluie.

Sur le toit écoute couler
Les gouttes et bruire
De tuile en tuile les colliers
De perles de leur rire.

Respire le parfum moisi
Et tiède de la terre
Où des bulles glissent ainsi
Que des ronds de lumière.

Ouvre les paumes de tes mains
Pour recueillir l’ondée,
En t’imaginant que tu tiens
Les cheveux des nuées.

Et tâche d’être alors à la fois,
Dans le frais paysage,
L’étang, les champignons, le toit,
La terre et les nuages.
 

Marie Gevers ("Missembourg" - Buschmann, 1917)

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Les poèmes du recueil "Antoinette" sont dédiés à sa fille :

Repas du matin

Dans ce lait où fleurit le printemps des prairies,
Et le sucre où l'hiver des betteraves brille,
dans le pain qui concentre les moissons d'été,
Et dans la confiture où la maturité
De l'automne à ta bouche joyeuse est donnée,

Trouve la saveur des journées
Et la joie diverse des mois
Qui nous amènent trois par trois
Les saisons dont la belle ronde
Sans cesse tourne autour du monde.
 

Marie Gevers ("Antoinette" - Buschmann éditeur, 1925)



Claire Goll (1890-1977) a écrit de nombreux poèmes et publié également des recueils communs avec son époux Yvan Goll.

Danse captive

Éphèbe éclaboussé par le noir
Et le jaune des bougies instables
Homme ailé que les cadences soulèvent
Du tapis vibrant de la chambre
Tourne fouetté par la musique
Dans ton boléro de peau musquée
Mime le rapt de l’âme ivre
Danse sur le sol incertain
Ta rage canaille ta perte
La joie proche des larmes acides
Les lacets de feu contre la neige
Tu ressembles aux bougies
À leur volupté de brûler un soir.
 

Claire Goll

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Démunie

Pourquoi n'ai-je pas conservé
Tes sourires précieux
Et préservé l'ombre
Que tu jetais sur nos routes ?

Pourquoi n'ai-je pas mis de côté
Tes regards d'ambre et d'or,
Fortune fabuleuse pour plus tard
Quand je serai à court de tendresse ?

J'ai gaspillé tes caresses
Je n'ai aucun disque de tes pas
L'orage a éparpillé tes étreintes
Et détruit les silos remplis de baisers.
Le dernier son de ta voix
S'est perdu dans le sable
Et je dessine en vain ton profil
Dans le givre de ma fenêtre.

Claire Goll



1 avril 2008

Luce Guilbaud

Luce Guilbaud , enseignante en arts plastiques, écrivain et poète, est née en 1941.
On trouvera d'autres textes pour la classe dans les catégories rangées par cycles.

Deux ouvrages parmi d'autres : Le dé bleu, ; La petite fille aux yeux bleus.

Pas de rire aux éclats, un sourire, de la gaieté, ou du moins la joie de vivre, dans ces poèmes, dont les titres sont suggérés par le blog.

On retrouvera avec d'autres auteures, les deux premiers textes sur le site du Printemps des poètes : http://www.printempsdespoetes.com/

Grand-mère

Grand-mère sur le seuil
avec son sourire
et autour un visage
bien ridé, déjà
(elle a quel âge ? on ne compte pas!)

Elle est là avec la maison
les chambres les fenêtres
les escaliers la cheminée
tout ça pêle-mêle
avec les valises les raquettes
les épuisettes

et la mer tout à côté
qui commence à chanter.

La maison du matin
habillée de rires
et d'odeurs de pain grillé
de confitures de coing
maison de carrelage frais lavé

c'est une maison qui va et vient
de la cave au jardin
en berçant ses grands pins
une maison avec des bras
si doux si près du rêve

c'est la maison de grand-mère
maison d'été maison d'hier
qui ferme ses volets l'hiver.

Luce Guilbaud

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Attendre

Attendre dans la paix
Tracer une ligne
joignant
main et main
pour serrer
très fort

Attendre dans la paix
Sonner les cloches
pour entendre

à l'horizon
l'heure
du silence

Attendre dans la paix
Règnera le vent
qui souffle
uniformément
du nord
au sud

Attendre dans la paix

Luce Guilbaud

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Dans ma boîte

J’aurai une grande boîte
pleine de soleil
pour les jours de pluie
pleine de sourires
pour les jours de grogne
pleine de courage
pour les jours de flemme.

Et dans ma boîte j’aurai aussi
plein de coquillages
pour écouter la mer.

Luce Guilbaud

fille_verte_cr_ation__PP10À la manière de "Dans ma boîte" ...

Voir ici des productions d'élèves :
en CE1 : http://ecoles18.tice.ac-orleans-tours.fr/php5/rosieres/articles.php?lng=fr&pg=159si
et en CM2 ici, sous forme de petit livre à plier au format pdf :
http://petitslivres.free.fr/petitslivres/AUT/SEB0708002C.pdf

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Un déjeuner de fous

J’organise aujourd’hui
un déjeuner de fous
une chasse à l’herbe folle
un braconnage de fruits verts.
Nous boirons sous les pommiers
du cidre de la pleine lune,
nous ferons un jardin
des moissons d’amitié
de mots sans trèves
et de soleils givrés.
Et dans ce paysage
de rêveries bruissantes
nous danserons
sur l’ennui des dimanches.


Luce Guilbaud ("La petite feuille aux yeux bleus" - Éditions Le farfadet bleu/Le dé bleu, 1998)

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Le nuage

Un joli nuage blanc
arrive sur la ville
il joue
entre les toits
entre les tours
entre les flèches
il passe sur les ponts
et se voit gris
dans les reflets de l'eau
il se sent fatigué
il tousse un peu
il se regarde dans les vitrines
il se fait peur
il est devenu noir

le nuage s'en va
lâchant quelques larmes
quelques gouttes de pluie
il va se refaire une santé
à la campagne.

    Luce Guilbaud

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Une petite maison

Une petite maison de branches
Avec sa porte d’herbes
Et son lit de mousse
Une petite maison dans les bois
Pour cacher ses secrets
Pour inventer le monde.
Une petite maison
Une cabane
Pour être ici
Pour être ailleurs
Dans nos histoires.


Luce Guilbaud ("Une cigale dans la tête" - Éditions Le farfadet bleu/Le dé bleu, 1998)

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Le monstre de pierre

Le vent et la pluie me hantent
Le gel fait craquer mes grimaces
Le soleil me nargue et me brûle
Mais je lui tire la langue !


Je ricane et je vocifère
Je gronde et je balbutie
J’étonne et j’effraie
J’ai mille frères et mille soeurs
Avec des queues des cornes
Des griffes des écailles des hures
Des groins des serres
Des dents pointues
Des trognes ébouriffées
Des nez épatés des yeux exorbités


Armé de piques de fourches
Je harcèle, j’étrangle, j’étripe
J’ouvre les portes de l’enfer
Je suis griffon, cerbère, chimère
Je suis un monstre de pierre.

Luce Guilbaud ("Loup y es-tu ?" - éditions Enfance heureuse)

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Une image

Quel dommage,
Pensait une image
D’être attachée sur cette page !
Car la belle image
Rêvait de voyage
Et de vent du large
Elle en pleurait de rage
Mais un vieux sage
Conseilla l’image :
"Pour partir en voyage ?
Il suffit de tourner la page !"

Luce Guilbaud

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Le petit rêve

C’est un petit rêve léger
Un rêve bien plié sous mon oreiller
C’est un rêve doux et chaud
Qui va pieds nus dans l’herbe fraîche,
Un rêve transparent
Qui glisse entre les yeux
Et se blottit sous les paupières.
C’est un rêve coloré qui murmure
Encore en moi quand le soleil
Ouvre ma porte.
C’est un petit rêve léger
Qui accompagne ma journée.

Luce Guilbaud ("Les oiseaux sont pleins de nuages" - éditions Soc et Foc)

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Le vent

Je plains le vent
Le vent se plaint
le vent gémit
le vent souffre quand il souffle
le vent voudrait se reposer
déposer sa douleur
dans le creux d’un rocher
danser avec les mouettes
doucement tranquillement
les emporter sur un nuage
le vent rêve de tendresse
mais il est condamné à hurler
à déchirer les feuilles mortes
à griffer nos visages dans la pluie
ça le met en colère le vent
d’être si méchant !
Alors il s’emporte et devient fou
le vent tornade tempête
sa douleur n’a plus de bornes
il détruit tout sur son passage
puis il s’arrête essoufflé désespéré
dans un lointain désert
et là-bas il s’endort
en rêvant de caresses.
Je plains le vent.

Luce Guilbaud

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J’étais perdue

J’étais perdue dans la ville
Entre les façades noires
Et les boutiques bariolées
J’étais perdu parmi la foule
J’avais perdu mon nom
Et le chemin de ma maison.
C’est en suivant un pigeon
Puis un couple de pinsons*
Qu’au détour des violettes
Et du bleu des arbres
J’ai retrouvé mon nom
Et le chemin de ma maison.


Luce Guilbaud - * et pas "un couple de personnes", erreur signalée par une lectrice, merci !

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Je t'offre un soleil

Je t'offre un soleil
dans mes mains nues
quelques touches de brume
un dé de pluie
et la ligne bleue des collines

sans guirlande
sans papier cadeau
je t'offre un monde
avec mon coeur

Luce Guilbaud ("La petite feuille aux yeux bleus" - Éditions Le farfadet bleu/Le dé bleu, 1998)

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Je jouais

Je jouais à grimper à l'arc-en-ciel
comme à l'échelle
Sur le jaune
j'ai cueilli des boutons d'or
Sur l'orange
j'ai des clémentines
Sur le rouge
des framboises et des cerises
Plus haut, j'ai respiré les violettes
Dans le bleu
j'ai coupé une fenêtre de ciel
pour voir l'indigo
Et je suis tombé par la fenêtre
sur l'herbe verte.

Luce Guilbaud

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Année nouvelle

Année nouvelle
Donne moi les oiseaux
Qui possèdent les mots
Doux et tendres
Les mots du coeur
Du grand large
Et de l'évasion

Année nouvelle
Donne moi les fruits d'or
Dont chaque graine
Égrène les notes
Qui chantent la douceur
D'aimer en arpège
Jusqu'aux montagnes bleues
Derrière l'horizon.

Luce Guilbaud



1 avril 2008

PP 09 - L'humour de MAX JACOB

- Max Jacob -

Max Jacob (1876-1944) était un écrivain, un poète et un peintre, ami de peintres cubistes comme Pablo Picasso, Georges Braque et Juan Gris, et de poètes, comme Guillaume Apollinaire, puis plus tard, de Jean Cocteau, Modigliani, et encore Marcel Béalu, Michel Manoll, René-Guy Cadou et Jean Rousselot.
Il est auteur de contes pour enfants, et de nombreux recueils de poésie, certains en prose ("Le Cornet à dés" est d'abord édité en 1917 à compte d'auteur).
Voir la suite de cette présentation
ici sur le blog, avec le poème "Amour du prochain".

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Souvent présentés comme deux textes différents, en réalité, il s'agit de deux strophes du même poème. La première strophe est représentée en calligramme (dans l'ouvrage "Il était une fois...les mots" - textes réunis par Yves Pinguilly et typoscénie d'André Belleguie, aux éditions La Farandole/Messidor, 1981) :

calligramme_Max_Jacob_cheval

Pour les enfants et pour les raffinés (extraits)

 

À Paris sur un cheval gris
À Nevers sur un cheval vert
À Issoire sur un cheval noir
Ah ! Qu'il est beau
qu'il est beau
Ah ! Qu'il est beau
Qu'il est beau!
Tiou !

[...]

Je te donne pour ta fête
Un chapeau noisette
Un petit sac en satin
Pour le tenir à la main
Un parasol en soie blanche
Avec des glands
sur le manche
Un habit doré sur tranche
Des souliers couleur orange.
Ne les mets que le dimanche.
Un collier, des bijoux !
Tiou !

Max Jacob ("Les œuvres burlesques et mystiques de Frère Matorel"- Henry Kahnweiler, 1912)

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Avenue du Maine

Les manèges déménagent.
Manège, ménageries, où ?… et pour quels voyages
Moi qui suis en ménage
Depuis… ah ! il y a bel âge !
De vous goûter, manèges,
Je n'ai plus … que n'ai–je ?…
L’âge.
Les manèges déménagent.
Ménager manager
De l’avenue du Maine
Qui ton manège mène
Pour mener ton ménage !
Ménage ton ménage
Manège ton manège.
Ménage ton manège.
Manège ton ménage.
Mets des ménagements
Au déménagement.
Les manèges déménagent,
Ah ! vers quels mirages ?
Dites pour quels voyages
Les manèges déménagent.

Max Jacob ("Les œuvres burlesques et mystiques de Frère Matorel"- Henry Kahnweiler, 1912)

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Souric et Mouric

Souric et Mouric,
Rat blanc, souris noire,
Venus dans l’armoire
Pour apprendre à l’araignée
À tisser sur le métier
Un beau drap de toile.

Expédiez-le à Paris,
à Quimper, à Nantes,
C’est de bonne vente !
Mettez les sous de côté,
Vous achèterez un pré,
Des pommiers pour la saison
Et trois belles vaches,
Un bœuf pour faire étalon.

Chantez, les rainettes,
Car voici la nuit qui vient,
La nuit on les entend bien,
Crapauds et grenouilles,
Écoutez, mon merle
Et ma pie qui parle,
Écoutez, toute la journée,
Vous apprendrez à chanter.

Max Jacob ("Poèmes de Morven le Gaélique" édité en 1953, posthume et en Poésie-Gallimard, 1991). Francis Poulenc a composé une musique sur les paroles de ce poème.

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livre_Max_Jacob_po_mes_MorvenChanson bretonne

J'ai perdu ma poulette
Et j'ai perdu mon chat.
Je cours à la poudrette
Si Dieu me les rendra.
Je vais chez Jean le Coz
Et chez Marie Maria.
Va-t'en voir chez Hérode
Peut-être il le saura.
Passant devant la salle
Toute la ville était là
À voir danser ma poule
Avec mon petit chat.
Tous les oiseaux champêtres
Sur les murs et sur les toits
Jouaient de la trompette
Pour le banquet du roi.

Max Jacob ("Poèmes de Morven le Gaélique" édité en 1953, posthume et en Poésie-Gallimard, 1991)

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1 avril 2008

PP 09 - L'humour de JEAN L'ANSELME

- Jean L'Anselme -

Jean L'Anselme, nom d'auteur de Jean-Marc Minotte (1919- 30 décembre 2011) est un poète vivant, comme on l'écrivait ici. Maintenant qu'il a disparu physiquement de notre horizon, il reste un poète atypique, comme on le dit parfois des auteurs qui déconcertent, qui n'entrent pas dans les catégories normalisées.

Quelques titres d'ouvrages de Jean L'Anselme, tous parus aux éditions Rougerie :
Ça ne casse pas trois pattes à un canard et après (2005) ; La chasse d'eau, les poèmes cons, manifeste suivi d'exemplesLe ris de veau (1995) ; Pensées et proverbes de Maxime Dicton, banalités, bêtises, paradoxes, balivernes, lieux communs et autres propos sérieux de l'auteur (1991).
(2001) ;

Voici un passage à lire aux élèves :
"...On ne naît pas poète, on naît comme on est, c'est-à-dire comme tout le monde. N'importe qui peut être poète, je suis moi-même n'importe qui. Il n'y a d'ailleurs pas d'école où on enseigne la poésie pour en ressortir avec un CAP alors que, dans les autres domaines de l'art, il existe des conservatoires et des académies. C'est une réalité à laquelle on ne songe guère. Nous sommes donc des millions de poètes comme toi. Souvent sans le savoir ..."
et il termine presque par ceci : "À présent oublie tout ce que je viens de te dire et n'écoute pas les autres..."

Jean L'Anselme - Conseils à un jeune poète (éditorial du n° 13 de la revue Poésie Première, à lire intégralement ici : http://poesiepremiere.free.fr/Lanselme.html).

Quelques facettes de l'humour grinçant, noir ou loufoque de l'auteur :

Art poétique

Vingt fois sur le métier
dépolissez l'ouvrage,
un vers trop poli
ne peut pas être...au net.
Méfiez-vous des vers luisants !
Faites du vers dépoli
votre vers cathédrale.
un poème au pied bot
ne peut être que bancal.

Jean L'Anselme (Vers dépolis, dans le recueil "La Foire à la ferraille" - Éditeurs Français Réunis, 1974)

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Congés payés

Moi dit la cathédrale je voudrais être coureur à pied pour
pouvoir lâcher mes béquilles
Moi dit le pont je voudrais être suspendu pour pouvoir sauter
A la corde
Moi dit l’imagination je voudrais être riche pour pouvoir
emmener L’Anselme en vacances
Moi dit la Seine je voudrais être mer pour avoir des enfants
qui jouent dans le sable

Jean L'Anselme ("Il fera beau demain" - Éditions Caractères / Imprimerie de poètes, 1952)

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Le guépard

Le guépard est une magnifique bête de l'espèce des félidés. Mais, à l'encontre des animaux de cette famille, il ne possède pas des griffes mais des ongles, comme le chien.
Sa course est superbe; c'est un spectacle inoubliable mais fort rare car généralement on court devant.

Jean L'Anselme (Vers dépolis, dans le recueil "La Foire à la ferraille" - Éditeurs Français Réunis, 1974 et dans "La nouvelle guirlande de Julie", anthologie de Jacques Charpentreau, - Éditions Ouvrières, 1976)

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Impératifs

Le poulet, une fois cuit, réclame d'être mangé sur-le-champ.
Le veau ne souffre pas d'être consommé cru, le cheval en revanche le tolère.
Le lapin demande à être écorché vif ; le lièvre préfère attendre.
Le homard exige d'être plongé vivant dans l'eau bouillante.
Et nous, plus bêtes que les bêtes, comme toujours, nous nous laissons faire par tout le monde.

Jean L'Anselme (Vers dépolis, dans le recueil "La Foire à la ferraille" - Éditeurs Français Réunis, 1974)

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Un poète (titre suggéré)

- Mais qu’est-ce qu’un poète ?
- C’est quelqu’un qui ne passe jamais à la télévision parce qu’il n’est pas connu.
- Et pourquoi n’est-il pas connu ?
- Parce qu’il ne passe jamais à la télévision.

Jean L'Anselme

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Monsieur X *

C'était un vieux hibou
affreux comme un pou
avec son caillou
nu comme mon genou.

Mais comme il était chou
quand il faisait joujou
avec son chien Bijou !

Jean L'Anselme

* devinette pour les élèves : pourquoi Monsieur "X" ?

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L'éclair au chocolat

Dans l'éclair au chocolat
ce qui est sur le dessus
et ce qui est à l'intérieur
ça n'a pas la même couleur.
Le dessus ressemble à du chocolat
Mais pas le dedans.
On est aussi souvent chocolat
avec les gens qu'on ne connaît pas.

Jean L'Anselme (dans l'anthologie de Jacques Charpentreau, "La poésie comme elle s'écrit" - Éditions Ouvrières, 1979)

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La Darne de Lieu

J'ai déjà pêché l'ablette et l'épinoche, mais jamais la Darne de Lieu. On m'en apporte pourtant sur mon assiette. La Darne de Lieu est un poisson curieux, plat pour le genre mais épais, plutôt rond de forme avec de la peau sur la tranche et non sur le desus et le dessous. Il possède une arête centrale rayonnante. Plus bizarre encore, il n'a ni tête ni queue apparentes. Malgré son nom ce n'est pas, à ce qu"on dit, un poisson noble. Comment peuvent-ils donc, en pêche sous-marine, distinguer cela d'un bifteck ?

Jean L'Anselme ("Très cher Onésime Dupan de Limouse" - éditions Rougerie, 1966)

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