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15 mai 2009

Madeleine RIFFAUD, Ann ROCARD, Pierre de RONSARD - PRINT POÈTES 11 : PAYSAGES en français

 

Madeleine Riffaud est née en 1924. Résistante contre le nazisme, journaliste engagée (grand reporter pour le quotidien communiste L'Humanité), elle a publié des romans et des poèmes.

Un magnifique poème court :

Nuit

Il fait noir
Acceptons la nuit,
Nuit :
Terre à étoiles.

Madeleine Riffaud ("On l'appelait Rainer : 1939-1945" - Éditions Julliard, 1994)

 



Ann Rocard est née en 1954. On découvrira ses poèmes et ses nombreuses activités sur son site, ici : http://www.annrocard.com/ 

Bien au chaud

Dans ma maison, bien au chaud,
je vois le jour qui s'enfuit
et les étoiles là-haut
qui s'allument dans la nuit.
J'entends le vent qui s'élance
entre les tuiles du toit
et les grands arbres qui dansent
à la lisière du bois.
Chez moi, je suis à l'abri.
Je bois un bon lait bouillant.
Je n'ai pas peur de la pluie,
de l'hiver et du grand vent.

Ann Rocard



Pierre de Ronsard (1524-1585) a fondé avec Joachim du Bellay (voir son paragraphe dans cette même catégorie), le groupe de sept poètes appelé "La Pléïade".

On a cité, pour la mise en vers de la vallée de la Bièvre, Victor Hugo et Jean Moréas, (voir leurs paragraphes respectifs). Voici l'allusion de Ronsard à cette rivière, du côté d'Arcueil (Val-de-Marne) et de sa "source voisine".
On l'aperçoit au détour d'un des sonnets à Hélène, dont on a conservé le joli langage en ancien français :

XXXIII

[...]

Tu es deux fois venue à Paris, et tu fais
Semblant de n'y venir, afin que mon martire
Ne s'allege, en voyant ton œil que je desire,
Ton œil qui me nourrit par l'objet de ses rais.

Tu vas bien à Hercueil avecque ta cousine
Voir les prez, les jardins, et la source voisine
De l'Antre, où j'ay chanté tant de divers accords.

Tu devois m'appeler, oublieuse Maistresse :
Dans ton coche porté je n'eusse fait grand presse :
Car je ne suis plus rien qu'un fantaume sans corps.

Pierre de Ronsard ("Sonnets pour Hélène", 1578)

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Ronsard a célébré une autre source (ou "fontaine"), dans le Vendômois, qui est sa "terre paternelle". Il chante cette "fontaine" dans plusieurs odes, imitées d'Horace (Ode à la fontaine de Bandusie). Voici la plus connue, accomplissant le souhait du poète : "
Commandant à la mémoire / Que tu vives par mes vers" :

Ode à la Fontaine Bellerie

O fontaine Bellerie
Belle fontaine chérie
De nos nymphes, quand ton eau
Les cache au creux de ta source
Fuyantes le satyreau
Qui les pourchasse à la course
Jusqu’au bord de ton ruisseau ;
Tu es la nymphe éternelle
De ma terre paternelle :
Pour ce, en ce pré verdelet,
Vois ton poète qui t’orne
D’un petit chevreau de lait
À qui l’une et l’autre corne
Sortent du front nouvelet.
L’été je dors ou repose
Sur ton herbe, où je compose,
Caché sous tes saules verts,
Je ne sais quoi, qui* ta gloire
Enverra par l’univers,
Commandant à la mémoire
Que tu vives par mes vers.
L’ardeur de la canicule
Ton vert rivage ne brûle,
Tellement qu’en toutes parts
Ton ombre est épaisse et drue
Aux pasteurs venant des parcs,
Aux bœufs las de la charrue,
Et au bestial épars.
Io, tu seras sans cesse
Des fontaines la princesse,
Moi célébrant le conduit
Du rocher percé, qui darde
Avec un enroué bruit
L’eau de ta source jasarde
Qui trépillante se suit.


Pierre de Ronsard ("Odes", 1553) - * plus justement en français moderne : "que"

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Voici le texte intégral d'un poème, lui aussi des plus connus, écologique avant la lettre. Il reste de cette grande forêt de Gastine, "le bois de Gâtine" et ses étangs, site heureusement protégé du Loir-et-Cher.
On propose en général de ce texte le passage à partir de "
Écoute, bûcheron," passage dont le texte  a été légèrement modernisé :

Contre les bûcherons de la forêt de Gastine

Quiconque aura premier la main embesognée
A te couper, forêt, d’une dure cognée,
Qu’il puisse s’enferrer de son propre bâton,
Et sente en l’estomac la faim d’Erisichton,
Qui coupa de Cérès le Chêne vénérable
Et qui gourmand de tout, de tout insatiable,
Les bœufs et les moutons de sa mère égorgea,
Puis, pressé de la faim, soi-même se mangea :
Ainsi puisse engloutir ses rentes et sa terre,
Et se dévore après par les dents de la guerre.

Qu’il puisse pour venger le sang de nos forêts,
Toujours nouveaux emprunts sur nouveaux intérêts
Devoir à l’usurier, et qu’en fin il consomme
Tout son bien à payer la principale somme !

Que toujours sans repos ne face en son cerveau
Que tramer pour néant quelque dessein nouveau,
Porté d’impatience et de fureur diverse,
Et de mauvais conseil qui les hommes renverse !

Écoute, bûcheron, arrête un peu le bras;
Ce ne sont pas des bois que tu jettes à bas ;
Ne vois-tu pas le sang, lequel dégoutte à force
Des nymphes qui vivaient dessous la dure écorce ?

Sacrilège meurtrier, si on pend un voleur
Pour piller un butin de bien peu de valeur,
Combien de feux, de fers, de morts et de détresses
Mérites-tu, méchant, pour tuer nos déesses ?

Forêt, haute maison des oiseaux bocagers !
Plus le cerf solitaire et les chevreuils légers
Ne paîtront sous ton ombre, et ta verte crinière
Plus du soleil d'été ne rompra la lumière.

Plus l'amoureux pasteur sur un tronc adossé,
Enflant son flageolet à quatre trous percé,
Son mâtin à ses pieds, à son flanc la houlette,
Ne dira plus l'ardeur de sa belle Janette.

Tout deviendra muet, Écho sera sans voix ;
Tu deviendras campagne, et, en lieu de tes bois,
Dont l'ombrage incertain lentement se remue,
Tu sentiras le soc, le coutre et la charrue ;
Tu perdras le silence, et haletants d'effroi
Ni Satyres ni Pans ne viendront plus chez toi.

Adieu, vieille forêt, le jouet de Zéphire,
Où premier j'accordai les langues de ma lyre,
Où premier j'entendis les flèches résonner
D'Apollon, qui me vint tout le coeur étonner,
Où premier, admirant ma belle Calliope,
Je devins amoureux de sa neuvaine trope,
Quand sa main sur le front cent roses me jeta,
Et de son propre lait Euterpe m'allaita.

Adieu, vieille forêt, adieu têtes sacrées,
De tableaux et de fleurs autrefois honorées.
Maintenant le dédain des passants altérés,
Qui, brûlés en l'été des rayons éthérés,
Sans plus trouver le frais de tes douces verdures,
Accusent tes meurtriers et leur disent injures.

Adieu, chênes, couronne aux vaillants citoyens.
Arbres de Jupiter, germes Dodonéens,
Qui premiers aux humains donnâtes à repaître ;
Peuples vraiment ingrats, qui n'ont su reconnaître
Les biens reçus de vous, peuples vraiment grossiers
De massacrer ainsi leurs pères nourriciers !

Que l'homme est malheureux qui au monde se fie !
Ô dieux, que véritable est la philosophie,
Qui dit que toute chose à la fin périra,
Et qu'en changeant de forme une autre vêtira !

De Tempé la vallée un jour sera montagne,
Et la cime d'Athos une large campagne ;
Neptune quelquefois de blé sera couvert :
La matière demeure et la forme se perd.

Pierre de Ronsard ("Élégies", élégie XXIV, 1565)

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Un beau poème d'amour, où le paysage est pris à témoin, proposé pour ce thème 2011 du paysage, par le site du Printemps des Poètes à l'adresse (à copier-coller) : http://www.printempsdespoetes.com

le premier Livre des Amours

consacré à Cassandre (1)

XV

Ciel, air et vents, plains et monts découverts

Ciel, air et vents, plains et monts découverts,
Tertres vineux et forêts verdoyantes,
Rivages torts et sources ondoyantes,
Taillis rasés et vous bocages verts,
Antres moussus à demi-front ouverts,
Prés, boutons, fleurs et herbes roussoyantes*,
Vallons bossus et plages blondoyantes,
Et vous rochers, les hôtes de mes vers,
Puis qu'au partir, rongé de soin et d'ire,
À ce bel œil Adieu je n'ai su dire,
Qui près et loin me détient en émoi,
Je vous supplie, Ciel, air, vents, monts et plaines,
Taillis, forêts, rivages et fontaines,
Antres, prés, fleurs, dites-le-lui pour moi.
 

Pierre de Ronsard ("le premier Livre des Amours", consacré à Cassandre, 1552, puis 1584)
(1) Cassandre est le prénom d'une jeune fille, que Ronsard rencontra à Blois, et dont on peut se douter qu'il fut amoureux, puisqu'il lui a consacré un recueil entier.
* "roussoyantes" n'est pas dérivé de "roux", cet adjectif signifie ici couvertes de rosée



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15 mai 2009

Annie SALAGER, Albert SAMAIN, SAMIVEL, Cécile SAUVAGE - PRINT POÈTES 11 : PAYSAGES en français

Annie Salager  est une romancière et poète contemporaine, auteure également de récits et de traductions de textes espagnols (des poésies essentiellement). Son dernier recueil est paru en 2009 : "Aimez-vous la mer, le tango - Tango und Meer" (Éditions En Forêt/Verlag Im Wald bilingue allemand-français). On trouvera sur son site d'autres poèmes, des éléments de biographie et une bibliographie : http://perso.numericable.fr/asalager/

"Le poème nous mêle à la lumière, la poésie comme la biologie portent à l'admiration du vivant" (A Salager).

Oyats

                       à F-J. Temple

J'aurais seulement besoin
des oyats sur les dunes
éclairés par les lis
et d'une cuillerée d'amour
pour marcher sur les flots
agités d'une illusion de temps
et d'un safran de rire

Tant d'années sans eux les lis
le léger inconfort des étangs
les vieilles cabanes de pêcheurs
les canaux les roselières
l'ennui pour eux de n'être pas la mer
soudain un champ de saladelles
je gémis attachée au train
je guette le mistral les flamants roses
je veux les lis de mer
les lieux d'exil terre ni mer
où travaille l'instable le néant de l'être
fouetté par-dessus tête
des courtes vagues du désir
et tout ce poids du temps
réduit à rien

Annie Salager

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Traces 

Où j’aime tomber
mais dans
l’odeur des roses
les lis de mer
la lumière et le piercing
des martinets
ou encore dans
nos traces de silence
après le bruit
où aurais-je aimé vivre
mais dans
l’air la canopée
au milieu des poissons colorés
finalement où juste un vivre
de lumière j’aurais aimé.

Annie Salager

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Un extrait de son dernier recueil :

    Aimez-vous la mer ? (extrait)

J’entends la mer balayer le rivage
entrer dans la chambre
la rumeur du sablier

le ciel est noir d’étoiles
d’infinis lis en poussière de mer

la nuit me peuple

j’ai soif d’eux

dans les senteurs du maquis
l’instant du vivre
tient en haleine.

[...]
 

Annie Salager ("Aimez-vous la mer, le tango - Tango und Meer", Éditions En Forêt/Verlag Im Wald - bilingue allemand-français)

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Et enfin deux poèmes proposés dans la "poéthèque" du site du Printemps des Poètes à cette adresse : http://www.printempsdespoetes.com

Tu cours superbe, ô Rhosne, flourissant 

Tu cours superbe, ô Rhosne, flourissant
Les bords imaginaires du voyage
les rives vertes où l'on s'use en passant
aux tourbillons, aux rhombes des nuages.
Ton couteau nu entraîne nos images
de vie si promptes à rejoindre les puits
où demain les noiera d'une eau d'oubli
et là s'apaiseront les jours amers
quand jusqu'à l'os léchés nos mots blanchis
seront le temps qui pose sur la mer.

Annie Salager ("Printemps des Poètes 2005" - "Hommage à Maurice Scève, sa Délie aux quatre cent quarante neuf dizains décasyllabiques, rimés en ABAB BC CDCD")

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"poéthèque" du Printemps des Poètes : http://www.printempsdespoetes.com

La mer (titre proposé)

Cousus ensemble à la lumière et aux cailloux, des corps d'algues gigantesques imprégnaient l'horizon. Dressés, de lointains panneaux en plastique bleu arrêtaient le bruit quand on glissait le long d'eux, comme le plongeur de Paestum* dans le monde souterrain qui s'ouvre pour lui au creux des vagues. C'était la mer avec sa hache d'infini. Elle fend l'oeil et la tête, nettoie les paroles, pénètre violemment la mémoire. Son feu est-il celui de Cassandre ? Clos sur ses Méditerranées, qui en regarde la roue peut voir ses propres vies dans le vent solaire danser et disparaître.

*Paestum : cité grecque située en Italie du sud (Campanie), appelée aujourd'hui Poseidonia, et classée au patrimoine mondial de l'Unesco depuis 1998

Annie Salager ("Les dieux manquent de tout" éditions Paroles d'Aube, 1996)



Albert Samain (1858-1900) est un de nos plus importants poètes symbolistes du XIXe siècle (voir Henri de Régnier). 

Le texte original de ce long poème comporte 16 quatrains. Voici le début du texte, dont on ne propose en général que les deux ou trois premières strophes :

Mélancolie

Le vent tourbillonnant, qui rabat les volets,
Là-bas tord la forêt comme une chevelure.
Des troncs entrechoqués monte un puissant murmure,
Pareil au bruit des mers, rouleuses de galets.

L'automne qui descend des collines voilées
Fait, sous ses pas profonds, tressaillir notre cœur
Et voici que s'afflige avec plus de ferveur
Le tendre désespoir des roses envolées.

Le vol des guêpes d'or qui vibrait sans repos
S'est tu : le pêne grince à la grille rouillée ;
La tonnelle grelotte et la terre est mouillée,
Et le linge blanc claque, éperdu, dans l'enclos.

Le jardin nu sourit comme une face aimée
Qui vous dit longuement adieu, quand la mort vient ;
Seul le son d'une enclume ou l'aboiement d'un chien
Monte, mélancolique, à la vitre fermée.

[...]

Albert Samain ("Le Chariot d'Or" - Mercure de France, 1900)

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Chanson d'été

Le soleil brûlant
Les fleurs qu'en allant
Tu cueilles,
Viens fuir son ardeur
Sous la profondeur
Des feuilles.

Cherchons les sentiers
A demi frayés
Où flotte,
Comme dans la mer,
Un demi-jour vert
De grotte.

Des halliers touffus
Un soupir confus
S'éléve
Si doux qu'on dirait
Que c'est la forêt
Qui rêve ...

Chante doucement ;
Dans mon coeur d'amant
J'adore
Entendre ta voix
Au calme du bois
Sonore.

L'oiseau, d'un élan,
Courbe, en s'envolant,
La branche
Sous l'ombrage obscur
La source au flot pur
S'épanche.

Viens t'asseoir au bord
Où les boutons d'or
Foisonnent ...
Le vent sur les eaux
Heurte les roseaux
Qui sonnent.

Et demeure ainsi
Toute au doux souci
De plaire,
Une rose aux dents,
Et ton pied nu dans
L'eau claire.

Albert Samain ("Au jardin de l'Infante", Mercure de France, 1903)

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J’aime l’aube aux pieds nus qui se coiffe de thym

J’aime l’aube aux pieds nus qui se coiffe de thym,
Les coteaux violets qu’un pâle rayon dore,
Et la persienne ouverte avec un bruit sonore,
Pour boire le vent frais qui monte du jardin,

La grand’rue au village un dimanche matin,
La vache au bord de l’eau toute rose d’aurore,
La fille aux claires dents, la feuille humide encore,
Et le divin cristal d’un bel oeil enfantin.

Mais je préfère une âme à l’ombre agenouillée,
Les grands bois à l’automne et leur odeur mouillée,
La route où tinte, au soir, un grelot de chevaux,

La lune dans la chambre à travers les rideaux,
Une main pâle et douce et lente qui se pose,
"Deux grands yeux pleins d’un feu triste" (1), et, sur toute chose

Une voix qui voudrait sangloter et qui n’ose …

Albert Samain ("Le Chariot d'Or" - Mercure de France, 1900) - (1) guillemets dans le texte original



Samivel (1907-1992) est difficile à classer : écrivain, poète, humoriste et illustrateur, et cinéaste-photographe autant que grand randonneur. ... Son talent est reconnu dans toutes ces activités. Il s'appelait pour l'état civil Paul Gayet-Tancrède. Son nom d'auteur est emprunté à Charles Dickens (Samivel, c'est Sam Weller dans "Les Aventures de Mr Pickwick").

Samivel_dessin

Ci-dessus un dessin humoristique de Samivel (source : http://strictement-confidentiel.com/), qui a parcouru, décrit, romancé sa montagne des Alpes. Il a été avec d'autres le créateur du Parc National de la Vanoise, pour lequel il a écrit cette poésie en forme de code de bonne conduite :

La Vanoise

Voici l'Espace, voici l'air pur, voici le Silence
Le Royaume des aurores intactes et des bêtes naïves
Tout ce qui vous manque dans les villes
Est ici préservé pour votre joie

Eaux libres, hommes libres
Ici commence le pays de la liberté.
La liberté de se bien conduire

Récoltez de beaux souvenirs mais ne cueillez pas les fleurs
N'arrachez surtout pas les plantes : il pousserait des pierres !
Il faut beaucoup de brins d'herbe pour tisser un homme.

Ouvrez vos yeux et vos oreilles, fermez vos transistors
Pas de bruit de moteur inutile, pas de klaxons
Écoutez les musiques de la montagne.

Enterrez vos soucis et emmenez vos boites de conserves.
Les papiers gras sont les cartes de visite des mufles.

Oiseaux, chevreuils, lapins, chamois
Et tout ce petit peuple de poil et de plume
Ont désormais besoin de vous pour survivre.
Déclarez la paix aux animaux timides,
Ne les troublez pas dans leurs affaires
L'ennemi des bêtes est l'ennemi de la vie

Afin que les printemps futurs réjouissent encore vos enfants !

Samivel

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L’automne


Quand l'automne en saison revient
La forêt met sa robe rousse
Et les glands tombent sur la mousse
Où dansent en rond les lapins.
Les souris font de grands festins
Pendant que les champignons poussent.
Ah ! Que la vie est douce, douce
Quand automne en saison revient.

Samivel

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Les galets

Sur une plage de galets
Que voit-on s’il vous plaît ?
À perte de vue des galets
Qui vous paraissent tous semblables.
Mais regardez-y de plus près.
Certains sont rond. D’autres carrés,

Or, grenat, jade, bigarrés…
Dans ces foules incalculables
Qui s’effondrent sous les orteils
On en trouve pas deux pareils…

Il voit tous de même fabrique,
Le Sot, jetant un regard hâtif.
Mais le sage, plus attentif,
Sait bien que chaque Être est unique

Samivel



Cécile Sauvage  (1883-1927).

Le jour (début du poème)

Levons-nous, le jour bleu colle son front aux vitres,
La note du coucou réveille le printemps,
Les rameaux folichons ont des gestes de pitres,
Les cloches de l'aurore agitent leurs battants.
La nuit laisse en fuyant sa pantoufle lunaire
Traîner dans l'air mouillé plein de sommeil encor
Et derrière les monts cachant sa face claire
Le soleil indécis darde trois flèches d'or.

[...]

Cécile Sauvage ("Tandis que la terre tourne")

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La lune blanche

Souvent le coeur qu'on croyait mort
N'est qu'un animal endormi ;
Un air qui souffle un peu plus fort
Va le réveiller à demi ;
Un rameau tombant de sa branche
Le fait bondir sur ses jarrets
Et, brillante, il voit sur les prés
Lui sourire la lune blanche.

Cécile Sauvage ("Mélancolie")

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Fumées (début et passages du poème)

Le brouillard fondu
Prend les arbres nus
Dans sa molle haleine.
Le jardin frileux
Sous un voile bleu
Se devine à peine.

Le soleil blafard
Résout le brouillard
En perles d’eau blanche
Dont le tremblement
Miroite et s’étend
À toutes les branches.
…...

L’azur d’un soir gris.
Un vague arc-en-ciel s’allonge et verdit
Sur la côte obscure ;
Sa courbe légère et rose grandit
De plus en plus pure.
À l’endroit où l’arc suave incliné
Rejoint la colline,
Les arbres d’hiver prennent sa clarté,
Dans leurs branches fines.

Un oiseau chante comme une eau
Sur des cailloux et des pervenches.
Quelle odeur de printemps s’épanche
De cette pure voix d’oiseau !
……

La lune pâle, rêveuse
Et transparente à demi,
Glisse sur la vaporeuse
Douceur d’un ciel endormi.
Dans les branches dénudées
Et si grêles d’un bouleau
Une lueur irisée
Incline ses calmes eaux.
C’est l’hiver et sa tristesse
Avec de muets oiseaux
Se berçant à la sveltesse
Sans feuillage des rameaux.
……

J’ai vu ce matin la lune
Pâle dans les longs bouleaux
Et cette image importune
Reviendra dans mon cerveau.
Elle viendra persistante
Comme un avertissement
Dans un rêve qui me hante,
Et j’ai le bref sentiment
Qu’au jour de ma destinée
Dans un bouleau langoureux
Luiront nettement les feux
De cette lune obstinée.
……

La ville sous la fumée
Du soir et des cheminées
Flotte en un rêve étranger
Et s’efface. Son église
De fines colonnes grises,
Pareilles aux pins légers,
Sur le fond de la colline
Grandit, sans âge et divine
Dans le soir désespéré.

Dans l’herbe trottine un chien,
Une brindille remue,
Un oiseau fuit et plus rien
Ne bouge sur l’avenue.
……

Je ne veux qu’un rêve
À demi-flottant,
Que mon âme brève
Passe en voletant,
Que la brume fine
L’enveloppe aussi ;
Qu’elle s’achemine
Sans autre souci
Que celui d’errer
Avec une brise,
Sur l’arbre léger,
Sur la terre grise.

Cécile Sauvage ("Fumées")


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15 mai 2009

Jacques ROUBAUD, Jean ROUSSELOT, Claude ROY, Marc-Antoine de SAINT-AMANT - PRINT POÈTES 11 : PAYSAGES en français

Jacques Roubaud (né en 1932), est un mathématicien-poète (ou poète-mathématicien ?), membre actif de l'OULIPO depuis 1966.
Sur l'OULIPO, voir
dans la catégorie PRINT POÈTES 2009 : L'HUMOUR des poètes la rubrique Raymond Queneau ainsi que d'autres textes de Jacques Roubaud.
La poésie de Jacques Roubaud, très inventive,  obéit à certaines contraintes qui placent(pas toujours, comme ci-dessous, ou dans ses textes "animaux"), les productions en dehors du champ scolaire, du moins pour l'élémentaire et le collège.

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Voici déjà un tableau printanier inhabituel :

Un matin

C'était un beau matin de mai et les oiseaux chantaient délicieusement dans quatre arbres. Les uns chantaient en celte (irlandais, scottish-gaélique, cumbrique, gallois, cornique ou breton) ; les autres en langue romane (oïl, oc, si, catalan, espagnol ou gallego-portugais). Aucun ne chantait en chien. Dans le pin un écureuil lisait le Times. De temps en temps il prenait deux noisettes dans sa bibliothèque, tout en parcourant la rubrique des décès et fiançailles située en première page. Il grignotait l'une et lançait l'autre dans la rivière où un saumon bondissait afin de l'attraper avant qu'elle ne touche l'eau. C'était un moment d'une douceur inexprimable.


Jacques Roubaud

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Rondeau étrange des visages et paysages

La nature a ses visages
Qu'on appelle paysages
Des humains les paysages
Sont ce qu'on appelle visages
On couvre les paysages
De silence et les visages
De nature
Comment rendre les visages
Conformes aux paysages
Et rendre sans paysages
La nature à ses visages ?

Jacques Roubaud ("Rondeaux", Gallimard, Folio-Cadet, 2009) - dans la Poéthèque du Printemps des Poètes 2010 (attention aux quelques erreurs orthographiques ou fautes de frappe dans leur pdf).

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N'aurait-on pas affaire ici à une forme de paysage à portée de plume ?

mettons

mettons de la couleur dans les angles calmes
où le gris d’arche s’étale posément
vérifions le comput des éléments
l’équilibre du dessin et de la trame

contre les bords de chaque page une flamme
souligne de sa fumée, beau condiment
bougie ou filament incandescent griment
les murs du pinceau du stylet du calame

mettons de la permutation dans les lignes
descente des césures vers les débuts
des vers petit à petit circonférences

vers refermés au centre spirale. signes
d’un paraphe-gribouille. le crayon n’eut
besoin que d’un verre d’eau sans incidences

Rome, octobre 2003

Jacques Roubaud ("Churchill 40 et autres sonnets de voyage 2000-2003", Gallimard, 2004)

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Les textes qui suivent, ont été également proposés pour le thème du Printemps des Poètes 2006 ("Le Chant des villes").

Deux paysages parisiens localisés, parmi les vingts (un par arrondissement, le numéro correspond), que Jacques Roubaud a décidé d'appeler sonnets, pas pour la forme en tous cas :

Sonnet II
square de Louvois


Peut-être mille fois en trente ans je me suis
    Assis sur un banc vert dans le square de Louvois
    Le soleil sur les yeux, seul, entouré des bruits
    De fontaines bavant, et traversé de voix.
À l'éblouissement des jets d'eaux j'étais, moi,
    Possesseur du trésor des livres inouï(s)
    Potentiellement convocables(s) depuis
    Les magasins de l'ex-Bibliothèque du Roi.
Saône et Seine et Garonne et Loire, je voyais
    Les quatre nymphes-fleuves aux regards noyés
    Je contemplais leurs seins de bronze allégorique
Puis je retraversais la rue de Richelieu
    Pour rejoindre ma place et, lecteur euphorique,
    Jouir en souverain d'un républicain lieu.

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Sonnet III
(rue de Bretagne)
titre proposé *

   "Cet après-midi là je fus rue de Bretagne
j’ai repensé souvent à cet après-midi"
J’entrai au Prisunic où je pris un caddy
J’y chargeai des sablés, du cidre de Mortagne
   (Mettons). Les gros marchés sont des lieux de cocagne
On y trouve de tout, le beurre et le candy
Le marshmallow vert tendre et le dessous hardi
Pour dames ou messieurs le parfum ou le pagne
   C’était un jour banal d’une époque banale
Il ne s’y passa rien qui mérite mention
Aucun événement à mettre en une annale
   C’était un jour de juin sans complication
Et si je m’en souviens c’est que soudain ces vers
d’Aragon me retraversèrent l’esprit.

* ce sonnet est sans titre, le titre est ici proposé par le blog

Jacques Roubaud ("La forme d'une ville change plus vite, hélas, que le cœur des humains", chapitre "XX sonnets", Gallimard, 1999)

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"Vos gueules, les mouettes !", c'est le titre d'un film de Robert Dhéry (1974), qui a inspiré ce texte à Roubaud. Il n'est pas avare d'invectives et d'insultes dans ses poèmes sur les animaux, si on veut bien explorer les recueils qu'il leur a consacré ("Les animaux de personne", "Les animaux de tout le monde").

Les mouettes

Le poète s'est rendu au bord de la mer pour y écrire
ses œuvres complètes ; mais voilà, il y a les
mouettes ! le poète parle :

"vos gueules ! vos gueules ! les mouettes!
cessez de brailler dans l'écume
pressez-moi plutôt de vos plumes
pour tremper dans de l'encre violette

Je voulais faire mes œuvres complètes
au bord de la mer, dans les brumes
tout ce que j'ai gagné c'est un rhume
et vos cris me cassent la tête

J'en ai marre de vos gueules de scie
je crache je tousse je m'essuie
le nez avec de vieux kleenex

Je deviens bête grognon et sourd
mais comme j'ai une rime en "ex"
*
je vais prendre le train de retour"

Et ainsi le poète est revenu à Paris, après avoir
composé le poème aux mouettes que vous venez
de lire.

*Grâce à un vieil indicateur de chemins de fer qu'on appelle
Chaix.


Jacques Roubaud ("Les animaux de tout le monde", éditions Ramsay 1983  - Poèmes illustrés par Marie Borel et Jean-Yves Cousseau, collection "Volubile" Seghers, 1991, édité en collection "Jeunesse", Seghers, 2004)



Jean Rousselot (1913-2004) a publié, à partir de 1934 de très nombreux recueils de poésie et des anthologies pour la collection "Poètes d'Aujourd'hui" de Pierre Seghers. Il est également l'auteur d'un Dictionnaire de la Poésie Française contemporaine (en 1962) et d'une Histoire de la poésie française en 1976.
On trouvera dans la catégorie hiver, un joli texte sur la neige.

 On n'est pas n'importe qui

Quand tu rencontres un arbre dans la rue,
dis-lui bonjour sans attendre qu'il te salue.
C'est distrait, les arbres.
Si c'est un vieux, dis-lui "Monsieur".
De toutes façons, appelle-le par son nom :
Chêne, Bouleau, Sapin, Tilleul...
Il y sera sensible.
Au besoin aide-le à traverser.
Les arbres, ça n'est pas encore habitué à toutes ces autos.
Même chose avec les fleurs, les oiseaux, les poissons :
appelle-les par leur nom de famille.
On n'est pas n'importe qui !
Si tu veux être tout à fait gentil, dis "Madame la Rose" à l'églantine ;
on oublie un peu trop qu'elle y a droit.

Jean Rousselot ("Petits poèmes pour coeurs pas cuits" - éditions Editions St- Germain-des-Prés, 1979)

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Pas de vacances

Si vous croyez que ça m'amuse
Dit la mer
D'avoir toujours à me refaire
- Un point à l'endroit, un point à l'envers
- Un pas en avant, un pas en arrière

Moi qui aimerais tant aller cueillir des coings
À Tourcoing
Me bronzer dans la neige
À Megève

Hélas pas moyen de fermer boutique
J'ai trop de sprats j'ai trop de pra-
Trop de pratiques

Mais comme elle a des cailloux plein la bouche
Personne ne comprend rien
À ce que raconte la mer.

Jean Rousselot (dans l'anthologie de Jacques Charpentreau, "La nouvelle guirlande de Julie" - éditions Ouvrières, 1976)



Claude Roy (1915-1997), poète français, est au rendez-vous des catégories pour la classe (Le chat blanc - Chevaux : trois ; oiseau : un - J'ai trouvé dans mes cheveux - Les corridors où dort Anne qu'on adore - Le soleil dit bonjour), dans la catégorie PRINT POÈTES 2009 : L'HUMOUR des poètes, et depuis l'an dernier, dans la catégorie PRINT POÈTES 2010 : LE FÉMININ EN POÉSIE

... Le poète n'est pas celui qui dit Je n'y suis pour personne
Le poète dit J'y suis pour tout le monde ...

Extrait du poème, dont le texte est parmi d'autres sur le blog : "Jamais je ne pourrai" ("Les Circonstances", Éditions Gallimard - 1970)

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Certains des textes qui suivent étaient donc déjà présents sur ce blog, d'autres non :

Météorologie

L'oiseau vêtu de noir et vert
m'a apporté un papier vert
qui prévoit le temps qu'il va faire.
Le printemps a de belles manières.
L'oiseau vêtu de noir et de blond
m'a apporté un papier blond
qui fait bourdonner les frelons.
L'été sera brûlant et long.
L'oiseau vêtu de noir et et jaune
m'a apporté un papier jaune
qui sent la forêt en automne.
L'oiseau vêtu de noir et blanc
m'a apporté un flocon blanc.

L'oiseau du temps que m'apportera-t-il ?

Claude Roy

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L'enfant qui battait la campagne

Vous me copierez deux cents fois le verbe:
Je n'écoute pas. Je bats la campagne,

Je bats la campagne, tu bats la campagne,
Il bat la campagne à coups de bâton.

La campagne ? Pourquoi la battre ?
Elle ne m'a jamais rien fait.

C'est ma seule amie, la campagne,
Je baye aux corneilles, je cours la campagne.

Il ne faut jamais battre la campagne :
on pourrait casser un nid et ses oeufs.

On pourrait briser un iris, une herbe,
On pourrait fêler le cristal de l'eau.

Je n'écouterai pas la leçon.
Je ne battrai pas la campagne.

Claude Roy ("Enfantasques" Gallimard, 1974 et 1993 Folio Junior) 

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La clef des champs

Qui a volé la clef des champs ?
La pie voleuse ou le geai bleu ?
Qui a perdu la clef des champs ?
La marmotte ou le hoche-queue ?
Qui a trouvé la clef des champs ?
Le lièvre vert ? Le renard roux ?
Qui a gardé la clef des champs ?
Le chat, la belette ou le loup ?
Qui a rangé la clef des champs ?
La couleuvre ou le hérisson ?
Qui a paumé la clef des champs ?
La musaraigne ou le pinson ?
Qui a mangé la clef des champs ?
Ce n'est pas moi. Ce n'est pas vous.
Elle est à personne et partout,
La clé des champs, la clef de tout.

Claude Roy

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Voici une réhabilitation de l'étourneau, cet animal trop souvent sujet de moquerie chez les humains :

Étourdis étourneaux

Les étourneaux
sont étourdis.
On le dit.

Ils font des tours
et des détours
et ils rient.

Les étourneaux
n'ont pas de tête.
On le dit.

Mais ils sont gais,
les étourneaux,
légers là-haut !

Ils font dans le ciel
des anneaux,
des anneaux gais à tire-d'aile
les étourneaux.

Claude Roy ("La cour de récréation" - Éditions Gallimard)

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Texte proposé pour ce thème 2011 du paysage, par le site du Printemps des Poètes à l'adresse (à copier-coller) : http://www.printempsdespoetes.com

Les quatre éléments

L'air c'est rafraîchissant
le feu c'est dévorant
la terre c'est tournant
l'eau – c'est tout différent.
L'air c'est toujours du vent
le feu c'est toujours bougeant
la terre c'est toujours vivant
l'eau – c'est tout différent.
L'air c'est toujours changeant
le feu c'est toujours mangeant
la terre c'est toujours germant
l'eau – c'est tout différent.
Et combien davantage encore ces drôles
d'hommes
espèces de vivants
qui ne se croient jamais dans leur vrai
élément.

Claude Roy ("Enfantasques" Gallimard, 1974 et 1993 Folio Junior) 



Marc-Antoine de Saint-Amant (1594-1661), ou Marc-Antoine Girard de Saint-Amant (ajout emprunté au nom de l'abbaye proche de Rouen, sa ville de naissance), est un poète "libre", bon-vivant (ce qui lui a valu le qualificatif de poète "libertin"). Sa poésie est parfois humoristique, voire burlesque, et parfois tournée vers la Nature.

"Les Œuvres" (1629) est son premier recueil, et les suivants portent simplement le même titre. L'ensemble de ses poèmes a été réuni en deux tomes dans "Œuvres complètes de Saint-Amant", éditions Livet, 1855, et plus récemment dans "Œuvres" (Kraus Reprint, Nendeln, 1972).

Sa poésie y est ainsi présentée : "Poèmes bachiques, chants à boire, alternent dans l’œuvre de Saint-Amant, avec des odes précieuses consacrées à une solitude fantasque et dolente : les deux faces peut-être d’une même inspi­ration aventureuse vaguant des hôtels aristocratiques aux lieux de débauche de leurs soubassements"...

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On retiendra de lui, pour le Printemps des Poètes 2011, ce paysage des Canaries, où quand même éclate le bonheur de vivre dans une Nature généreuse :

L'automne des Canaries
 
Voici les seuls coteaux, voici les seuls vallons
Où Bacchus et Pomone ont établi leur gloire ;
Jamais le riche honneur de ce beau territoire
Ne ressentit l’effort des rudes aquilons.

Les figues, les muscats, les pêches, les melons
Y couronnent ce dieu qui se délecte à boire ;
Et les nobles palmiers, sacrés à la victoire,
S’y courbent sous des fruits qu’au miel nous égalons.

Les cannes au doux suc, non dans les marécages
Mais sur des flancs de roche, y forment des bocages
Dont l’or plein d’ambroisie éclate et monte aux cieux.

L’orange en même jour y mûrit et boutonne,
Et durant tous les mois on peut voir en ces lieux
Le printemps et l’été confondus en l’automne.

- - - - - - -

en version originale : 

L'autonne des Canaries

Voycy les seuls côtaux, voycy les seuls valons
Où Bacchus et Pomone ont estably leur gloire ;
Jamais le riche honneur de ce beau territoire
Ne ressentit l'effort des rudes aquilons.

Les figues, les muscas, les pesches, les melons
Y couronnent ce dieu qui se delecte à boire
Et les nobles palmiers, sacrez à la victoire,
S'y courbent sous des fruits qu'au miel nous esgalons.

Les cannes au doux suc, non dans les marescages,
Mais sur des flancs de roche, y forment des boccages
Dont l'or plein d'ambroisie eclatte et monte aux cieux.

L'orange en mesme jour y meurit et boutonne,
Et durant tous les mois on peut voir en ces lieux
Le printemps et l'esté confondus en l'autonne.

Marc-Antoine de Saint-Amant (dans"Œuvres complètes")



15 mai 2009

Anne SCHWARZ-HENRICH, Léopold SÉDAR SENGHOR, Victor SEGALEN, Pierre SEGHERS, Alain SERRES - PRINT POÈTES PAYSAGES en français

Anne Schwarz-Henrich est une poète contemporaine, auteure de recueils pour les enfants : "Du coq à l'âne" (paru en 2005), "Au clair de ma plume"...

 L'autre monde

Quand je ferme les yeux,
J'allume les lumières
Des plafonds merveilleux
Que déploient mes paupières

Et qui m'éclairent les lieux
Où je viens, solitaire,
Glaner des rêves bleus
Dans la nuit, sur mes terres.

Anne Schwarz-Henrich



Léopold Sédar Senghor (1906-2001) est un poète, écrivain et homme politique sénégalais. Élu en 1960 président de la République du Sénégal, il a dirigé 20 ans son pays.
source Wikipédia : Sa poésie essentiellement symboliste, fondée sur le chant de la parole incantatoire, est construite sur l'espoir de créer une Civilisation de l'Universel, fédérant les traditions par-delà leurs différences."
Par ailleurs il approfondira le concept de négritude, notion introduite par Aimé Césaire, en la définissant ainsi : "La Négritude est la simple reconnaissance du fait d’être noir, et l’acceptation de ce fait, de notre destin de Noir, de notre histoire et de notre culture".

Un poème descriptif d'un village africain, entrant dans la nuit, dont ces deux strophes sont en général données dans les classes :

Nuit de Siné (passage)

[...]
Qu’il nous berce, le silence rythmé.
Écoutons son chant, écoutons battre notre sang sombre, écoutons
Battre le pouls profond de l’Afrique dans la brume des villages perdus.

Voici que décline la lune lasse vers son lit de mer étale
Voici que s'assoupissent les éclats de rire, que les conteurs eux-mêmes
Dodelinent de la tête comme l'enfant sur le dos de sa mère
Voici que les pieds des danseurs s'alourdissent, que s'alourdit la langue des chœurs alternés.

C'est l'heure des étoiles et de la Nuit qui songe
S'accoude à cette colline de nuages, drapée dans son long pagne de lait.
Les toits des cases luisent tendrement. Que disent-ils, si confidentiels, aux étoiles ?
Dedans, le foyer s'éteint dans l'intimité d'odeurs âcres et douces.

[...]

Léopold Sédar Senghor ("Chants d'Ombre" - Éditions du Seuil, 1945)

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Je suis seul

Je suis seul dans la plaine
Et dans la nuit
Avec les arbres recroquevillés de froid
Qui, coudes au corps, se serrent les uns contre les autres.

Je suis seul dans la plaine
Et dans la nuit
Avec les gestes de désespoir pathétique des arbres
Que leurs feuilles ont quittés pour des îles d'élection.

Je suis seul dans la plaine
Et dans la nuit.
Je suis la solitude des poteaux télégraphiques
Le long des routes
Désertes.

Léopold Sédar Senghor ("Oeuvre poétique" - Éditions du Seuil, 1964)



Pierre Seghers (1906-1987) est un poète et un éditeur de poésie révélateur de poètes (Les éditions Seghers sont toujours actives).
Il est le créateur de la revue des poètes de la Résistance : Poésie 40, qui publie, aussi des textes actuels. Il a créé et dirigé aussi la collection "Poètes d’aujourd’hui", et il est l'auteur de nombreuses anthologies poétiques. On trouve Pierre Seghers avec d'autres textes dans la catégories PRINT POÈTES 2008 : L'AUTRE (France) et  PAROLES et musique sur ce blog, ainsi que dans
PRINT POÈTES 2010 : LE FÉMININ EN POÉSIE.

Les paysages intérieurs, à entretenir :

Décourage en toi le chagrin
(sans titre, ce titre est proposé par le blog)

Décourage en toi le chagrin. Les caroubiers, les lauriers-roses
De ton jardin, arrose-les pour les oiseaux,
Réjouis-toi quand tu t'éveilles d'une journée toujours la même,
Ton coeur te dit à chaque instant que ta durée va de son pas
Régulier comme un pas d'horloge. Invente des gazons
Pour reposer ta vue, et fais, comme à Grenade
Ruisseler l'eau du temps sous les roses. Je sais,
Cette Tour Capitaine est tout imaginaire,
Mais si tu vis comme un poète dans ce haut lieu
Dis-moi, où est la réalité ? Sur le dedans
Ouvre les yeux et découvre en toi d'autres chambres,
D'autres allées. Les narcisses dans le désert
Refleuriront. Invente en toi d'autres rivages
Où le roc se dérobe, où le reflet n'est plus
Qu'un tapis où marcher sur l'eau du ciel. Invente
Une ville déserte, un Pompéï vacant
Et fais tourner sur l'écliptique
Pour mieux jouir de l'ombre et des grands pans déserts
La lumière et l'obscur. Fais-toi de la chaleur
Des souvenirs en creux dans tes mains. Puis, va-t'en
Défricher les cent mille hectares de ton domaine
Intérieur. Décourage en toi le chagrin.

Pierre Seghers ("Dialogue", éditions Seghers, 1965)
 

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Automne

Pour caresser l'odeur des bois
Une main aux cent mille doigts

Pour aller dans l'enfance ancienne
Une main pour tenir la tienne

T'en souvient-il ? Un grand ciel blanc
Dans l'étang luisant et le vent

Passant sur un château détruit
Avec ses feuilles et sa pluie

Sur la route du Cœur-Volant
T'en souvient-il ? C'était au temps

Des saisons, au temps des nuages
Nous étions comme eux de passage

Et si parfois tu sens sur toi
Comme aujourd'hui comme autrefois

Une main aux cent mille doigts
Redis-toi toujours que c'est moi.

Pierre Seghers ("Le Cœur-volant", Les Écrivains réunis, 1954) 



Victor Segalen (1878-1919) est  un poète breton de langue française, médecin de marine, ethnographe et archéologue français. Ses attaches sont partout : grand voyageur et découvreur, c'est en Chine (mais en français) que paraît d'abord Stèles, en 1912, dans une édition très restreinte et non commerciale. Le texte qui suit en est tiré.

Les "stèles" sont des monuments chinois de forme rectangulaire et portant des inscriptions. L'édition de Pékin du recueil de Segalen s'en inspire : format et illustrations bien définis (image). Elle comprend 81 exemplaires hors commerce sur papier de Corée et environ 200 exemplaires sur vélin parcheminé. Elle est en 1914 augmentée de 16 nouveaux poèmes.
Stèles est paru en 1999 en collection Poésie / Gallimard, et on trouve exceptionnellement ici l'intégralité de l'ouvrage original : steles.net

 

Conseils au bon voyageur

 
Ville au bout de la route et route prolongeant la ville : ne choisis donc pas l'une ou l'autre, mais l'une et l'autre bien alternées.
Montagne encerclant ton regard le rabat et le contient que la : plaine ronde libère. Aime à sauter roches et marches ; mais caresse les dalles où le pied pose bien à plat.
Repose-toi du son dans le silence, et, du silence, daigne revenir au son. Seul si tu peux, si tu sais être seul, déverse-toi parfois jusqu'à la foule.
Garde bien d'élire un asile. Ne crois pas à la, vertu d’une vertu durable : romps-la de quelque forte épice qui brûle et morde et donne un goût même à la fadeur.
Ainsi, sans arrêt ni faux pas, sans licol et sans étable, sans mérites ni peines, tu parviendras, non point, ami, au marais des joies immortelles,
Mais aux remous pleins d'ivresses du grand fleuve Diversité.


Victor Segalen ("Stèles", Presses du Pei-t’ang, Pékin, 1912 et éditions Crès, Paris, 1922)
 

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Stèles du bord du chemin

Terre jaune


D'autres monts déchirent le Ciel, et portant le plus haut qu'ils peuvent les tourments de leurs sommets, laissent couler profondément la vallée.

Ici, la Terre inversée cache au creux des flancs ses crevasses, tapit ses ressauts, étouffe ses pics -- et tout en bas

Les vagues de boue chargées d'or, délitées par les sécheresses, léchées par les pleurs souterrains gardent pour quelque temps la forme des tempêtes.

- - - - - - - - -

Alors que, supérieure, ignorant les tumultes, droite comme une table et haute à l'égal des cimes, -- la plaine étendue

Nivelle sa face jaune sous le Ciel quotidien des jours qu'elle recueille dans son plat.
 

Victor Segalen ("Stèles")

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Les trois hymnes primitifs     

 

Les lacs (premier des trois hymnes)  

 
Les lacs, dans leurs paumes rondes noient le visage du Ciel :
J'ai tourné la sphère pour observer le Ciel.
Les lacs, frappés d'échos fraternels en nombre douze :
J'ai fondu les douze cloches qui fixent les tons musicaux.

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Lac mouvant, firmament liquide à l'envers, cloche musicale,
Que l'homme recevant mes mesures retentisse à son tour sous
le puissant Souverain-Ciel.
Pour cela j'ai nommé l'hymne de mon règne : Les Lacs.

[...] deux autres hymnes suivent : "L'abîme" et "Nuées"

Victor Segalen ("Stèles")



Alain Serres est né en 1956. Il a publié de nombreux textes, histoires et poèmes pour enfants et adolescents.

Voici un paysage intérieur caché :

Toi-même

C'est fou ce qu'il y a de merveilles
Dans le creux de ton oreille
C'est fou ce qu'il y a de chemins
Dans le creux de ton poing
C'est fou ce qu'il y a de poèmes
Dans le creux de toi-même.

Alain Serres



15 mai 2009

Andrée SODENKAMP, Philippe SOUPAULT - PRINT POÈTES 11 : PAYSAGES en français

Andrée Sodenkamp (1906-2004), pour l'état-civil Maud-Andrée Sodenkamp, est une poète belge de langue française.

Le printemps

Le printemps garde encor
au bord de la colline
sa face de bois mort.
Un petit arbre neuf, une églantine
blanchi de bas en haut.
L'éclat monte des eaux.
Tout va briller, s'ouvrir
le monde est en soupir
un saule aux clairs cheveux
est si clair qu'il s'efface.
Et le ciel bleu, par place
a des corbeaux heureux.

Andrée Sodenkamp ("Poèmes choisis", Académie Royale de Langue et de Littérature françaises, Bruxelles, 1998)

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Les loups

C'était un beau soir de tempête,
Tant de loups assemblés étaient bons pour mon âme.
J'appelais par-delà la neige de la mort
des êtres bien-aimés encore chauds de fourrure.
C'était un beau soir de tempête.
Les arbres criaient,
le ciel balayé ne pouvait les suivre.
Mon âme ouverte ressemblait à la gueule du loup.
Je marchais avec la tempête,
très vite, par-delà mes horizons vivants
et je mordais comme les loups
la chair blessée des vieux chagrins.

Andrée Sodenkamp ("C'est au feu que je pardonne", André de Rache, Bruxelles, 1976)

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La fenêtre est un livre d'images

La fenêtre a chassé la nuit
de ses vitres qui s'ensoleillent
et cette lune de minuit
qu'on te vola dans ton sommeil.

Elle raconte le vieil arbre
qui ruisselle soudain d'oiseaux,
la rose ouverte et puis les larmes
que va pleurer un soir si beau.

Elle capte pour t'enchanter
le printemps comme une musique,
les voiliers d'air faits de nuées
qui s'en iront vers l'Amérique.

Quelquefois passe une hirondelle
plus bleue encor que le ciel bleu
et les autos moins vives qu'elle.
Les compter te paraît un jeu.

T'offrant le monde en ta maison,
La fenêtre est livre d'images.
Tu peux feuilleter les saisons
sans avoir à tourner la page.

Andrée Sodenkamp ("Poèmes choisis", Académie Royale de Langue et de Littérature françaises, Bruxelles, 1998)

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Terre (passage)

Sur mon pays, jadis, la forêt allait, dit-on, de son pas d'arbres, nonchalamment. Aujourd'hui il ne reste ici qu'une terre en gésine de blé, aussi triste qu'une bête domestique.
Je rêve parfois à cette forêt ancienne, qui viendrait pendant la nuit, prendre ma maison dans sa cage verte et je me réveille entre ses oiseaux suspendus
.
O triste terre, veuve d'arbre, te souviens-tu de ta robe d'épouse, de tes yeux d'ombre ... du passage léger d'un faon sur ton argile attentive ?
[...]

 

Andrée Sodenkamp ("Sainte terre", Librairie des Lettres, 1954)



Philippe Soupault (1897-1990) est un poète et romancier surréaliste . Il a appartenu au mouvement Dada (voir André Breton). Il est l'auteur avec André Breton du premier grand texte surréaliste : Les Champs magnétiques, et comme lui, il s'est éloigné du Mouvement surréaliste qu'il avait contribué à fonder.

Pleine Lune

J’ai ouvert ma fenêtre
et la lune m’a souri
J’ai fermé ma fenêtre
et j’ai entendu un cri
J’ai ouvert ma fenêtre
pour voir tomber la pluie
Et comme c’était dimanche
je me suis rendormi

Philippe Soupault  ("Poèmes et poésies" - Éditions Grasset, collection Les Cahiers rouges, 1987)



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15 mai 2009

Jules SUPERVIELLE - PRINT POÈTES 11 : PAYSAGES en français

Jules Supervielle, poète franco-uruguayen de langue française, est né en 1884 à Montevideo, et il est mort à Paris en 1960.
Il a partagé son existence entre deux pays, deux continents, d'où lui vient peut-être cette approche du monde.

..."L'étoile dit : je tremble au bout d'un fil, si nul ne pense à moi, je cesse d'exister."

Je caresse la mappemonde

Je caresse la mappemonde
Jusqu'à ce que sous mes longs doigts
Naissent des montagnes, des bois,
Et je me mouille en eau profonde
Des fleuves, et je fonce avec eux
Dans l'océan vertigineux
Débordant de partout mes yeux
Dans la fougue d'un autre monde.

Jules Supervielle (poème et citation empruntés à "Poèmes pour les jeunes du temps présent" - Jacques Charpentreau - Les Editions Ouvrières - 1974)

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Le passage de ce poème pourrait être avantageusement titré "Oiseau des Îles" :

Le petit bois

J’étais un petit bois de France
Avec douze rouges furets,
Mais je n’ai jamais eu de chance
Ah ! que m’est-il donc arrivé ?

Je crains fort de n’être plus rien
Qu’un souvenir, une peinture
Ou le restant d’une aventure,
Un parfum, je ne sais pas bien.

Ne suis-je plus qu’en la mémoire
De quelque folle ou bien d’enfants,
Ils vous diraient mieux mon histoire
Que je ne fais en ce moment.

Mais où sont-ils donc sur la terre
Pour que vous les interrogiez,
Eux qui savent que je dis vrai
Et jamais je ne désespère.

Mon Dieu comme c’est difficile
D’être un petit bois disparu
Quand on avait tant de racines. (1)
Comment faire pour n’être plus ?

Jules Supervielle (""1939-1945", Collection Blanche, éditions Gallimard, 1945 et "Le lac endormi et autres poèmes" de  Jules Supervielle,  illustré par Charlotte Labaronne, Gallimard jeunesse / Enfance en poésie) -  (1) En l'absence de ponctuation à la fin de ce vers, nous avons placé un point. C'est évidemment discutable !

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Elle lève les yeux

Elle lève les yeux et la brise s'arrête,
Elle baisse les yeux, la campagne s'étend,
Elle tourne la tête une rose se prend
Au piège et la voilà qui tourne aussi la tête
Et jusqu'à l'horizon plus rien n'est comme avant
.

Jules Supervielle ("Naissances" dans "Naissances, suivi de En songeant à un art poétique", La Pléiade - Gallimard, 1951)

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Le passage de ce poème pourrait être avantageusement titré "Oiseau des Îles" :

Une étoile tire de l'arc (passage, fin du texte)

[...]

Oiseau des Îles outreciel
Avec tes nuageuses plumes
Qui sais dans ton coeur archipel
Si nous serons et si nous fûmes,

Toi qui mouillas un jour tes pieds
Où le bleu des nuits a sa source,
Et prends le soleil dans ton bec,
Quand tu le trouves sur ta course,

La terre lourde se souvient,
Oiseau, d'un monde aérien,

Où la fatigue est si légère
Que l'abeille et le rossignol
Ne se reposent qu'en plein vol
Et sur des fleurs imaginaires.

Une étoile tire de l'arc
Perçant l'infini de ses flèches
Puis soulève son étendard
Qu'une éternelle flamme lèche,

Un chêne croyant à l'été
Quand il n'est que l'âme d'un chêne
Offre son écorce ancienne
Au vent nu de l'éternité
.

Jules Supervielle ("Gravitations", Poésie/Gallimard, 1994)



15 mai 2009

Hamid TIBOUCHI, Henri THOMAS, Paul-Jean TOULET - PRINT POÈTES 11 : PAYSAGES en français

Hamid Tibouchi, poète de langue française, est né en 1951 en Algérie. Il vit en France depuis 1981.

La rouille (titre proposé)

La rouille gagne le paysage
le vent petit à petit y a déposé
        les germes il y a longtemps
depuis, la rouille a fait son
        chemin
C'est incroyable, hier surtout il a rouillé
        toute la nuit
et le paysage a complètement
        changé de visage
bientôt les maisons, rouillées,
        s'écrouleront
les arbres aussi et les hommes
        les tombes les pierres et tout
bientôt il n'y aura plus de
        paysage

Hamid Tibouchi ("Il manque l’amour", Éditions de l’Orycte, Sour-el-Ghozlane, 1977)



Henri Thomas, (1912-1993) publie ses premiers poèmes en janvier 1938 dans le premier numéro de la revue littéraire Mesures. C'est un poète, romancier, qui a également traduit des textes de l(allemand (entre-autres l'écrivain Ernst Jünger).  En 1970, il obtient le prix Valéry Larbaud pour l'ensemble de son œuvre. Il fonde en 1978 la revue de poésie Obsidiane.

Hiver

Il est un torrent de neige
À l’intérieur de la ville,
Quelquefois un homme espère,
Dans la blancheur paraît une île,
Ainsi s’éclaire la Terre.

Sous l’arche recomposée
De sa vie, le torrent passe,
Lui, il se jette à la nage,
Il se brise au frais pilier
Dans le flot qui se partage,

La ville reste éclairée
D’un vestige de blancheur.

Henri Thomas ("Nul désordre", Gallimard, 1950)

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Novembre

Le soleil pâle
T'a quitté
Mais les nuages
T'ont bercé
Pauvre village
Isolé
Tes arbres, tes
Maisons noires,
L'étoile basse
D'une lampe
Et la veillée
Et l'attente.

Henri Thomas ("Nul désordre", Gallimard, 1950)

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Message du bonhomme de neige 

Le bonhomme de neige avant de fondre dit
à l'heure où la barque pose
son flanc sur le sable tiède,
à l'heure des beaux toits d'or,
tambourins de la lumière,
à l'heure des souvenirs,
des voyages terminés,
soudain, j'accusai le jour
et querellai la lumière ;
or mon châtiment fut prompt :
où suis-je, où suis-je, criai-je,
ô douleur en chaque membre,
ô blancheur insupportable,
cependant qu'autour de moi ce village, mon exil,
naissait dans le cirque blanc,
cependant que tous mes cris devenaient corbeaux
méchants,
et moi bonhomme de neige.

Henri Thomas ("Nul désordre", Gallimard, 1950)



Paul-Jean Toulet (1867-1920), écrivain, auteur d'articles littéraires et de pièces de théâtre est surtout connu pour ses poésies, avec le recueil "Les Contrerimes" (textes dispersés rasssemblés et publiés après sa mort, en 1921), dans lequel il réhabilite une forme poétique déjà expérimentée.

La "contrerime" est un poème court alternant des vers de métrique différente (en principe des octosyllabes et des hexasyllabes), aux rimes consécutives et alternées. Tiré de ce recueil, son poème le plus connu ci-dessous, n'obéit pourtant pas strictement à la règle :

En Arles * (titre proposé) (1)

                                   en Arles (2)

Dans Arle
(1) , où sont les Aliscams,
Quand l’ombre est rouge, sous les roses,
 Et clair le temps,

Prends garde à la douceur des choses.
Lorsque tu sens battre sans cause
 Ton cœur trop lourd ;

Et que se taisent les colombes :
Parle tout bas, si c’est d’amour,
         Au bord des tombes.

Paul-Jean Toulet ("Les Contrerimes", Éditions du Divan, 1921 ; régulièrement réédité en Poésie/Gallimard, depuis 1979) - (1) ce texte est le premier (il porte la lettre a) d'une suite de poèmes sous le titre général Romances sans musique, au chapitre Chansons du recueil - (2) c'est le texte original...  en Arles, est une indication de lieu, placée par l'auteur sous le titre. Il devient "Dans Arle" à l'attaque du premier vers du poème. On le propose parfois orthographié dans ce premier vers "Dans Arles" - avec "s", et même "En Arles", dans les éditions modernes.

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L'été (passages, titre proposé)

[...] Souvent, l’été, par la fenêtre d’en haut tournée au midi, de grand matin je regardais. D’abord, adossées à l’horizon, les lointaines Pyrénées, d’un bleu tendre - immédiatement contre, le parc de Pau, cachant les plans intermédiaires de sa colline aux sombres feuillages - puis dans le bas, jusqu’à la prairie d’en face, du brouillard - et enfin, notre jardin, éveillé par le soleil levant, plein de bourdonnement et de parfums, avec ses poiriers symétriques, ses allées de gazon, et sous moi une tonnelle de glycine aux fortes odeurs. Du côté gauche, la caserne envoyait parfois un chant de clairon. 

J’ai vu de beaux paysages depuis, de bien plus beaux paysages (s’il y a des degrés à la beauté toute subjective de la terre). Combien me sont demeurés aussi intenses, combien ont éveillé dans mon cœur cette ivresse presque dangereuse ou entraient pour causes ce parfum de glycine mêlé à la brise des Pyrénées, ces chants de clairon qui enflent la sensation de vivre, et le vague et la beauté dont les brouillards revêtent la terre ?

Mais tout ce charme s'évente à l'écriture, et mes paroles n'ont pas su faire revivre ces sensations d'enfance évanouies, fondues, comme la neige qui blanchissait alors les montagnes.
[...]
Le printemps à Bilhère pendant mon enfance, je me le rappelle singulièrement effervescent et plantureux. Il y avait surtout auprès de la fontaine des Marnières tout plein de bêtes bourdonnantes; beaucoup de fleurs et de papillons dans les prairies ; l'herbe était grasse, l'ombre épaisse : tout cela n'existe-t-il donc pas maintenant et ailleurs ?

Paul-Jean Toulet ("Journal et Voyages", Éditions du Divan, 1934 (posthume) - réédité dans ses Œuvres complètes, chez Robert Laffont, Bouquins, 1986)

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"les Contrerimes" (passages choisis dans le recueil, numérotation originale)


"Extrait des Contrerimes", premier chapitre (qui comporte 70 strophes-poèmes) 

[...]

40

L’immortelle, et l’œillet de mer
    Qui pousse dans le sable,
La pervenche trop périssable,
    Ou ce fenouil amer

Qui craquait sous la dent des chèvres,
    Ne vous en souvient-il,
Ni de la brise au sel subtil
    Qui nous brûlait aux lèvres ?

[...]

43

Ainsi, ce chemin de nuage,
    Vous ne le prendrez point,
D’où j’ai vu me sourire au loin
    Votre brillant mirage ?

Le soir d’or sur les étangs bleus
    D’une étrange savane,
Où pleut la fleur de frangipane,
    N’éblouira vos yeux ;

Ni les feux de la luciole
    Dans cette épaisse nuit
Que tout à coup perce l’ennui
    D’un tigre qui miaule.

[...]

49
...

J’aime mieux le subtil schéma,
    Sur l’hiver d’un ciel morne,
De ton aérien bicorne,
    Noble Foujiyama,

Et tes cèdres noirs, et la source
    Du temple délaissé,
Qui pleurait comme un cœur blessé,
    Qui pleurait sans ressource.

[...]

Ci-dessous, dans le même recueil, le passage 107 (il y en a 109) du chapitre "Coples" * - * couplets


107 (parfois titré "Dimanche")

C’est Dimanche aujourd’hui. L’air est couleur du miel.
Le rire d’un enfant perce la cour aride :
On dirait un glaïeul élancé vers le ciel.
Un orgue au loin se tait. L’heure est plate et sans ride.

Paul-Jean Toulet ("Les Contrerimes", Éditions du Divan, 1921)



15 mai 2009

Paul VALÉRY, Charles VAN LERBERGUE - Angèle VANNIER - PRINT POÈTES 11 : PAYSAGES en français

Paul Valéry (1871-1945), est né et repose à Sète, comme Georges Brassens, dans le cimetière marin que l'un et l'autre ont mis en vers :

Déférence gardée envers Paul Valéry,
Moi, l'humble troubadour, sur lui je renchéris,
Le bon maître me le pardonne,
Et qu'au moins, si ses vers valent mieux que les miens,
Mon cimetière soit plus marin que le sien,
Et n'en déplaise aux autochtones.
Georges Brassens ("Supplique pour être enterré sur la plage de Sète")


Et le cimetière marin de Sète est le sujet d'un long poème, difficile, dont on ne trouvera ici qu'un court extrait .
la première strophe et la dernière sont les plus connues, et restent dans le thème du paysage :

Le cimetière marin (extrait)
 
Ce toit tranquille, où marchent des colombes,
Entre les pins palpite, entre les tombes;
Midi le juste y compose de feux
La mer, la mer, toujours recommencée !
O récompense après une pensée
Qu'un long regard sur le calme des dieux !

Quel pur travail de fins éclairs consume
Maint diamant d'imperceptible écume,
Et quelle paix semble se concevoir !
Quand sur l'abîme un soleil se repose,
Ouvrages purs d'une éternelle cause,
Le temps scintille et le songe est savoir.
[...]
Le vent se lève !... Il faut tenter de vivre !
L'air immense ouvre et referme mon livre,
La vague en poudre ose jaillir des rocs!
Envolez-vous, pages tout éblouies !
Rompez, vagues ! Rompez d'eaux réjouies
Ce toit tranquille où picoraient des focs !

Paul Valéry ("Charmes", 1922)



Charles Van Lerberghe (1861-1907) est un poète et romancier belge de langue française. Le recueil le plus remarquable peut-être : La chanson d'Ève, 1904

Image 

Belle faucheuse, la nuit passe
Dans les champs du ciel, lentement.
Elle va, distraite et songeuse.
La lune est sa faucille d'argent,
Sa moisson blonde sont les étoiles.
Mais la faucheuse marche dans l'ombre ;
Seule, là-haut, sa claire faucille
Se voit qui court, éclate et brille,
Dans les champs,
Et de longs épis d'or tombent
Sur le terre, de temps en temps.

Charles Van Lerberghe ("Entrevisions, suivi de Poèmes posthumes" - éditions Crès et Cie, 1923)



Angèle Vannier (1917-1980) est une romancière et poétesse française de Bretagne (elle écrit ses poèmes en français).

Forêt sans muguet (début du poème)

Au mois de mai
quand les forêts
sont frustrées de fleurs de muguet
elles ressemblent trait pour trait
aux églises désaffectées ...

Angèle Vannier ("Poèmes choisis, 1947-1978" - éditions Rougerie, 1990)


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15 mai 2009

Émile VERHAEREN - PRINT POÈTES 11 : PAYSAGES en français

Émile Verhaeren (1855-1916), poète belge flamand, est (très) présent sur le blog ICI. Si la page est déplacée (aléas du blog), c'est dans la catégorie Des POÈTES et de la POÉSIE. sa poésie lyrique est tour née vers la nature, et la défense des plaines de son pays, défigurées par "les villes tentaculaires" (voir ci-dessous le poème "la plaine" en fin de présentation).

Comme pour les autres textes qui suivent celui-ci, les passages en italique ne sont en principe pas proposés aux élèves d'élémentaire, mais comme toujours, à vous de voir...

Le chant de l'eau

L'entendez-vous, l'entendez-vous
Le menu flot sur les cailloux ?
Il passe et court et glisse
Et doucement dédie aux branches,
Qui sur son cours se penchent,
Sa chanson lisse.

Là-bas,
Le petit bois de cornouillers
Où l'on disait que Mélusine
Jadis, sur un tapis de perles fines,
Au clair de lune, en blancs souliers,
Dansa.

Le petit bois de cornouillers
Et tous ses hôtes familiers
Et les putois et les fouines
Et les souris et les mulots
Écoutent
Loin des sentes et loin des routes
Le bruit de l'eau.

[...]

Pluie aux gouttes rondes et claires,
Bulles de joie et de lumière,
Le sinueux ruisseau gaiement vous fait accueil,
Car tout l'automne en deuil
Le jonche en vain de mousse et de feuilles tombées.
Son flot rechante au long des berges recourbées,
Parmi les prés, parmi les bois ;
Chaque caillou que le courant remue
Fait entendre sa voix menue
Comme autrefois ;
Et peut-être que Mélusine,
Quand la lune, à minuit, répand comme à foison
Sur les gazons
Ses perles fines,
S'éveille et lentement décroise ses pieds d'or,
Et, suivant que le flot anime sa cadence,
Danse encor
Et danse.
 

Émile Verhaeren ("Les blés mouvants", 1912) 

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Le port

Toute la mer va vers la ville !

Son port est surmonté d'un million de croix :
Vergues transversales barrant de grands mâts droits.

Son port est pluvieux et suie à travers brumes,
Où le soleil comme un oeil rouge et colossal larmoie.

Son port est ameuté de steamers noirs qui fument
Et mugissent, au fond du soir, sans qu'on les voie.

Son port est fourmillant et musculeux de bras
Perdus en un fouillis dédalien d'amarres.

Son port est tourmenté de chocs et de fracas
Et de marteaux tournant dans l'air leurs tintamarres.

Toute la mer va vers la ville !

Les flots qui voyagent comme les vents,
Les flots légers, les flots vivants,
Pour que la ville en feu l'absorbe et le respire
Lui rapportent le monde en leurs navires.
Les Orients et les Midis tanguent vers elle
Et les Nords blancs et la folie universelle
Et tous les nombres dont le désir prévoit la somme.
Et tout ce qui s'invente et tout ce que les hommes
Tirent de leurs cerveaux puissants et volcaniques
Tend vers elle, cingle vers elle et vers ses luttes :
Elle est le brasier d'or des humaines disputes,
Elle est le réservoir des richesses uniques
Et les marins naïfs peignent son caducée
Sur leur peau rousse et crevassée,
A l'heure où l'ombre emplit les soirs océaniques.

Toute la mer va vers la ville !

Ô les Babels enfin réalisées !
Et cent peuples fondus dans la cité commune ;
Et les langues se dissolvant en une ;
Et la ville comme une main, les doigts ouverts,
Se refermant sur l'univers !

Dites ! les docks bondés jusques au faite
Et la montagne, et le désert, et les forêts,
Et leurs siècles captés comme en des rets ;
Dites ! leurs blocs d'éternité : marbres et bois,
Que l'on achète,
Et que l'on vend au poids ;
Et puis, dites ! les morts, les morts, les morts
Qu'il a fallu pour ces conquêtes.

Toute la mer va vers la ville !
La mer pesante, ardente et libre,
Qui tient la terre en équilibre;
La mer que domine la loi des multitudes,
La mer où les courants tracent les certitudes ;
La mer et ses vagues coalisées,
Comme un désir multiple et fou,
Qui renversent les rocs depuis mille ans debout
Et retombent et s'effacent, égalisées;
La mer dont chaque lame ébauche une tendresse
Ou voile une fureur ; la mer plane ou sauvage ;
La mer qui inquiète et angoisse et oppresse
De l'ivresse de son image.

Toute la mer va vers la ville !

Son port est parsemé et scintillant de feux
Et sillonné de rails fuyants et lumineux.

Son port est ceint de tours rouges dont les murs sonnent
D'un bruit souterrain d'eau qui s'enfle et ronfle en elles.

Son port est lourd d'odeurs de naphte et de carbone
Qui s'épandent, au long des quais, par des ruelles.
Son port est fabuleux de déesses sculptées
A l'avant des vaisseaux dont les mâts d'or s'exaltent.

Son port est solennel de tempêtes domptées
Et des havres d'airain, de grès et de basalte.
 

Émile Verhaeren ("Les villes tentaculaires", 1895) - * "le bruit de l'eau" ou "s'en aller l'eau"  ? (cette variante, trouvée dans une anthologie, est en cours de vérification).

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À la gloire du vent

- Toi qui t'en vas là-bas,
Par toutes les routes de la terre,
Homme tenace et solitaire,
Vers où vas-tu, toi qui t'en vas ?

- J'aime le vent, l'air et l'espace ;
Et je m'en vais sans savoir où,
Avec mon coeur fervent et fou,
Dans l'air qui luit et dans le vent qui passe.

- Le vent est clair dans le soleil,
Le vent est frais sur les maisons,
Le vent incline, avec ses bras vermeils,
De l'un à l'autre bout des horizons,
Les fleurs rouges et les fauves moissons.

- Le Sud, l'Ouest, l'Est, le Nord,
Avec leurs paumes d'or,
Avec leurs poings de glace,
Se rejettent le vent qui passe.

- Voici qu'il vient des mers de Naple et de Messine
Dont le geste des dieux illuminait les flots ;
Il a creusé les vieux déserts où se dessinent
Les blancs festons de sable autour des verts îlots.
Son souffle est fatigué, son haleine timide,
L'herbe se courbe à peine aux pentes du fossé ;
Il a touché pourtant le front des pyramides
Et le grand sphinx l'a vu passer.

- La saison change, et lentement le vent s'exhume
Vêtu de pluie immense et de loques de brume.

- Voici qu'il vient vers nous des horizons blafards,
Angleterre, Jersey, Bretagne, Ecosse, Irlande,
Où novembre suspend les torpides guirlandes
De ses astres noyés, en de pâles brouillards ;
Il est parti, le vent sans joie et sans lumière :
Comme un aveugle, il erre au loin sur l'océan
Et, dès qu'il touche un cap ou qu'il heurte une pierre,
L'abîme érige un cri géant.

- Printemps, quand tu parais sur les plaines désertes,
Le vent froidit et gerce encor ta beauté verte.

- Voici qu'il vient des longs pays où luit Moscou,
Où le Kremlin et ses dômes en or qui bouge
Mirent et rejettent au ciel les soleils rouges ;
Le vent se cabre ardent, rugueux, terrible et fou,
Mord la steppe, bondit d'Ukraine en Allemagne,
Roule sur la bruyère avec un bruit d'airain
Et fait pleurer les légendes, sous les montagnes,
De grotte en grotte, au long du Rhin.

- Le vent, le vent pendant les nuits d'hiver lucides
Pâlit les cieux et les lointains comme un acide.

- Voici qu'il vient du Pôle où de hauts glaciers blancs
Alignent leurs palais de gel et de silence ;
Apre, tranquille et continu dans ses élans,
Il aiguise les rocs comme un faisceau de lances ;
Son vol gagne les Sunds et les Ourals déserts,
S'attarde aux fiords des Suèdes et des Norvèges
Et secoue, à travers l'immensité des mers,
Toutes les plumes de la neige.

- D'où que vienne le vent,
Il rapporte de ses voyages,
A travers l'infini des champs et des villages,
On ne sait quoi de sain, de clair et de fervent.
Avec ses lèvres d'or frôlant le sol des plaines,
Il a baisé la joie et la douleur humaines
Partout ;
Les beaux orgueils, les vieux espoirs, les désirs fous,
Tout ce qui met dans l'âme une attente immortelle,
Il l'attisa de ses quatre ailes ;
Il porte en lui comme un grand coeur sacré
Qui bat, tressaille, exulte ou pleure
Et qu'il disperse, au gré des saisons et des heures,
Vers les bonheurs brandis ou les deuils ignorés.

- Si j'aime, admire et chante avec folie
Le vent,
Et si j'en bois le vin fluide et vivant
Jusqu'à la lie,
C'est qu'il grandit mon être entier et c'est qu'avant
De s'infiltrer, par mes poumons et par mes pores,
Jusques au sang dont vit mon corps,
Avec sa force rude ou sa douceur profonde,
Immensément il a étreint le monde.
 

Émile Verhaeren (La multiple splendeur, 1906)

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Voici un des nombreux plaidoyers de Verhaeren pour la nature. De ce long poème tiré du recueil "les villes tentaculaires", on pourra proposer tout ou partie des passages qui ne sont pas en italique, ou le poème entier suivant le niveau de la classe et le projet (étude, récitation, commentaire...), en considérant que ce texte est "exploitable" de préférence au collège ou au lycée.

La plaine

La plaine est morne, avec ses clos, avec ses granges
Et ses fermes dont les pignons sont vermoulus,
La plaine est morne et lasse et ne se défend plus,
La plaine est morne et morte - et la ville la mange.

Formidables et criminels,
Les bras des machines diaboliques,
Fauchant les blés évangéliques,
Ont effrayé le vieux semeur mélancolique
Dont le geste semblait d'accord avec le ciel.

L'orde fumée et ses haillons de suie
Ont traversé le vent et l'ont sali :
Un soleil pauvre et avili
S'est comme usé en de la pluie.


Et maintenant, où s'étageaient les maisons claires
Et les vergers et les arbres parsemés d'or,
On aperçoit, à l'infini, du sud au nord,
La noire immensité des usines rectangulaires.

Telle une bête énorme et taciturne
Qui bourdonne derrière un mur,
Le ronflement s'entend, rythmique et dur,
Des chaudières et des meules nocturnes ;

Le sol vibre, comme s'il fermentait,
Le travail bout comme un forfait,
L'égout charrie une fange velue
Vers la rivière qu'il pollue ;
Un supplice d'arbres écorchés vifs
Se tord, bras convulsifs,
En façade, sur le bois proche ;

L'ortie épuise au coeur les sablons et les oches,
Et des fumiers, toujours plus hauts, de résidus
- Ciments huileux, plâtras pourris, moellons fendus -
Au long de vieux fossés et de berges obscures
Lèvent, le soir, des monuments de pourriture.

Sous les hangars tonnants et lourds,
Les nuits, les jours,
Sans air ni sans sommeil,
Des gens peinent loin du soleil :
Morceaux de vie en l'énorme engrenage,
Morceaux de chair fixée, ingénieusement,
Pièce par pièce, étage par étage,
De l'un à l'autre bout du vaste tournoiement.
Leurs yeux sont devenus les yeux de la machine ;
Leur corps entier : front, col, torse, épaules, échine,
Se plie aux jeux réglés du fer et de l'acier ;
Leurs mains et leurs dix doigts courent sur des claviers
Où cent fuseaux de fil tournent et se dévident ;
Et mains promptes et doigts rapides
S'usent si fort,
Dans leur effort

Sur la matière carnassière,
Qu'ils y laissent, à tout moment,
Des empreintes de rage et des gouttes de sang.

Dites ! L'ancien labeur pacifique, dans l'Août
Des seigles mûrs et des avoines rousses,
Avec les bras au clair, le front debout,
Quand l'or des blés ondule et se retrousse
Vers l'horizon torride où le silence bout.

Dites ! Le repos tiède et les midis élus,
Tressant de l'ombre pour les siestes,
Sous les branches, dont les vents prestes
Rythment, avec lenteur, les grands gestes feuillus.
Dites, la plaine entière ainsi qu'un jardin gras,
Toute folle d'oiseaux éparpillés dans la lumière,
Qui la chantent, avec leurs voix plénières,
Si près du ciel qu'on ne les entend pas.

Mais aujourd'hui, la plaine ? - Elle est finie ;
La plaine est morne et ne se défend plus :
Le flux des ruines et leur reflux
L'ont submergée, avec monotonie.


On ne rencontre, au loin, qu'enclos rapiécés
Et chemins noirs de houille et de scories
Et squelettes de métairies
Et trains coupant soudain les villages en deux.

Les Madones ont tu leurs voix d'oracle
Au coin du bois, parmi les arbres ;

Et les vieux saints et leurs socles de marbre
Ont chu dans les fontaines à miracles.

Et tout est là, comme des cercueils vides,
- Seuils et murs lézardés et toitures fendues -
Et tout se plaint ainsi que les âmes perdues
Qui sanglotent le soir dans la bruyère humide.


Hélas ! La plaine, hélas! Elle est finie!
Et ses clochers sont morts et ses moulins perclus.
La plaine, hélas ! Elle a toussé son agonie
Dans les derniers hoquets d'un angélus.

Émile Verhaeren ("Les villes tentaculaires", 1895)



15 mai 2009

Paul VERLAINE, Anne VERNON, Gabriel VICAIRE - PRINT POÈTES 11 : PAYSAGES en français

Paul Verlaine (1844-1896)  est un des poètes français les plus connus. On pourra consulter ici une biographie et une bibliographie détaillées :
http://pagesperso-orange.fr/paul-verlaine/paul-verlaine/

Dans l'interminable ennui de la plaine
 
Dans l'interminable
Ennui de la plaine
La neige incertaine
Luit comme du sable.

Le ciel est de cuivre
Sans lueur aucune.
On croirait voir vivre
Et mourir la lune.

Comme les nuées
Flottent gris les chênes
Des forêts prochaines
Parmi les buées.

Le ciel est de cuivre
Sans lueur aucune.
On croirait voir vivre
Et mourir la Lune.

Corneille poussive
Et vous, les loups maigres,
Par ces bises aigres
Quoi donc vous arrive ?

Dans l'interminable
Ennui de la plaine
La neige incertaine
Luit comme du sable
.

Paul Verlaine ("Romances sans paroles", 1874)

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La lune blanche

La lune blanche
Luit dans les bois
De chaque branche
Part une voix
Sous la ramée...
 
Ô bien-aimée.
 
L'étang reflète,
Profond miroir,
La silhouette
Du saule noir
Où le vent pleure...
 
Rêvons, c'est l'heure.
 
Un vaste et tendre
Apaisement
Semble descendre
Du firmament
Que l'astre irise...
 
C'est l'heure exquise
.

Paul Verlaine ("La bonne chanson", 1872)

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Le ciel est par-dessus le toit

Le ciel est, par-dessus le toit,
Si beau, si calme!
Un arbre, par-dessus le toit,
Berce sa palme.
 
La cloche, dans le ciel qu'on voit,
Doucement tinte,
Un oiseau sur l'arbre qu'on voit,
Chante sa plainte.
 
Mon Dieu, mon Dieu, la vie est là,
Simple et tranquille.
Cette paisible rumeur-là
Vient de la ville.
 
-Qu'as-tu fait, ô toi que voilà
Pleurant sans cesse,
Dis, qu'as-tu fait, toi que voilà,
De ta jeunesse ?

Paul Verlaine ("Sagesse", 1880)

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Soleils couchants

Une aube affaiblie
Verse par les champs
La mélancolie
Des soleils couchants.

La mélancolie
Berce de doux chants
Mon coeur qui s'oublie
Aux soleils couchants.

Et d'étranges rêves,
Comme des soleils
Couchants, sur les grèves,
Fantômes vermeils,

Défilent sans trêve,
Défilent, pareils
A de grands soleils
Couchants sur les grèves.

Paul Verlaine ("Poèmes Saturniens", 1866)

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 Clair de lune

Votre âme est un paysage choisi
Que vont charmant masques et bergamasques
Jouant du luth et dansant et quasi
Tristes sous leurs déguisements fantasques.

Tout en chantant sur le mode mineur
L'amour vainqueur et la vie opportune,
Ils n'ont pas l'air de croire à leur bonheur
Et leur chanson se mêle au clair de lune,

Au calme clair de lune triste et beau,
Qui fait rêver les oiseaux dans les arbres
Et sangloter d'extase les jets d'eau,
Les grands jets d'eau sveltes parmi les marbres
.

Paul Verlaine ("Fêtes galantes", 1869)

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L'heure du berger

La lune est rouge au brumeux horizon ;
Dans un brouillard qui danse, la prairie
S'endort fumeuse, et la grenouille crie
Par les joncs verts où circule un frisson ;

Les fleurs des eaux referment leurs corolles ;
Des peupliers profilent aux lointains,
Droits et serrés, leur spectres incertains ;
Vers les buissons errent les lucioles ;

Les chats-huants s'éveillent, et sans bruit
Rament l'air noir avec leurs ailes lourdes,
Et le zénith s'emplit de lueurs sourdes.
Blanche, Vénus émerge, et c'est la Nuit
.

Paul Verlaine ("Poèmes Saturniens", 1866)

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L'ombre des arbres dans la rivière embrumée

L'ombre des arbres dans la rivière embrumée
Meurt comme de la fumée
Tandis qu'en l'air, parmi les ramures réelles,
Se plaignent les tourterelles.

Combien, ô voyageur, ce paysage blême
Te mira blême toi-même,
Et que tristes pleuraient dans les hautes feuillées
Tes espérances noyées !

Paul Verlaine ("Romances sans paroles", 1874)

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Promenade sentimentale

Le couchant dardait ses rayons suprêmes
Et le vent berçait les nénuphars blêmes ;
Les grands nénuphars, entre les roseaux,
Tristement luisaient sur les calmes eaux.
Moi, j’errais tout seul, promenant ma plaie
Au long de l’étang, parmi la saulaie
Où la brume vague évoquait un grand
Fantôme laiteux se désespérant
Et pleurant avec la voix des sarcelles
Qui se rappelaient en battant des ailes
Parmi la saulaie où j’errais tout seul
Promenant ma plaie ; et l’épais linceul
Des ténèbres vint noyer les suprêmes
Rayons du couchant dans ces ondes blêmes
Et les nénuphars, parmi les roseaux,
Les grands nénuphars sur les calmes eaux
.

Paul Verlaine ("Poèmes Saturniens", 1866)



Anne Vernon, poète contemporaine, publie en 2003 son premier recueil, "Eaux-Fortes", illustré par Adeline Lorthios. Ne pensez pas que cet ouvrage est hors de prix en raison de son titre, non, il est de petit format et vendu 6,10 €.

En voici quelques fragments épars, paysages intimes :

 La plage ...

La plage
l'océan la roule sous ses vagues
et s'en retourne, pareil.

Seuls les récifs provoquent au large des remous.

C'est du moins
ce qu'on croit.

Mais que sait-on des pas perdus
que la plage achemine

sous prétexte de ressac
vers les grands fonds,

avec l'infinie lenteur
de qui peut toujours recommencer ?

Elle n'a pas à compter
elle aura toujours assez

pour qu'au moins quelques-uns parviennent

là où l'océan
fait sa mue d'eau limpide.

Anne Vernon ("Eaux-fortes" - éditions Donner à Voir, 2003)

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Certains jours ...

Certains jours
j'entends
je vois
les odeurs se souviennent de moi.

Je suis l'arbre et le ciel

j'ai des racines qui comprennent
les grouillements obscurs

une écorce pour
les bleus les plus rugueux

des feuilles qui ne craignent pas la chute
elles savent leurs saisons

Anne Vernon ("Eaux-fortes" - éditions Donner à Voir, 2003)

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Parfois ...

Parfois
plus de traces sur le sable

toutes effacées
surtout les tiennes.

Anne Vernon ("Eaux-fortes" - éditions Donner à Voir, 2003)

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Mes questions frangent le silence ...

Mes questions frangent le silence
de la plus sûre lumière

Elles font de mon chemin
un arbre
qui ne craint pas
la brûlure de la sève.

Anne Vernon ("Eaux-fortes" - éditions Donner à Voir, 2003)



Gabriel Vicaire (1848-1900), poète du plaisir de vivre, a passé son enfance dans la Bresse. Il se souvient ici d'un matin de neige dans cette région de l'est de la France :

Matin de neige

Quand j'ouvris ma fenêtre, oh ! quel enchantement !
De la neige partout avec un soleil rose !
Une indicible paix était en toute chose ;
On eût cru voir rêver la Belle au bois dormant.


Gabriel Vicaire ("Émaux Bressans" - 1884 ; et éditions Ferroud, 1929)

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Paysage

Il est charmant ce paysage,
Peu compliqué, mais que veux-tu ?
Ce n'est qu'une mer de feuillage,
Où, timide, à peine surnage
Un tout petit clocher pointu.
Au premier plan, toujours tranquille,
La Saône reluit au matin.
Par instants, de l'herbe immobile
Un bœuf se détache et profile
Ses cornes sur le ciel lointain.
Et moi, distrait à la fenêtre,
Je regarde et n'ose parler.
À quoi je pense ? A rien peut-être.
Je regarde les vaches paître
Et la rivière s'écouler
.


Gabriel Vicaire ("Émaux Bressans" - 1884 ; et éditions Ferroud, 1929)

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La Mer

(passages)

I

Entre les durs rochers qui bordent le ravin
J’ai vu monter au ciel l’éblouissante aurore ;
La face de la mer était d’un bleu divin.

D’une brume idéale enveloppée encore,
La mer ouvre son cœur, indomptable et charmant,
Au soleil matinal dont le feu la colore.

[…]

II

[…]

Au large resplendit le splendide parterre,
Le jardin sans pareil qui s’émaille, au matin,
D’éblouissantes fleurs qu’on ne voit pas sur terre.

Sur des flots de velours, de moire et de satin
Glisse nonchalamment la flotille des fées ;
Leurs rames que j’entends font un bruit argentin.

Elles s’en vont sur l’eau, d’algues vertes coiffées.
Elles vont. Leur gaité s’éparpille dans l’air,
L’odeur de leurs bouquets m’arrive par bouffées.

Plus loin, à l’horizon, les nymphes de la mer
Poussent de joyeux cris sur leurs cavales franches
Et jamais bataillon ne me parut si fer ;

Un flot de verts cheveux leur inonde les hanches,
Une lueur de brume illumine leurs yeux ;
Sur l’azur formidable, elles sont toutes blanches.

Et voici maintenant le rocher merveilleux
D’où, quand la nuit descend, Mary-Morgane chante
Aux matelots perdus son chant délicieux.

Sa voix de pur argent, sa voix qui les enchante
Monte comme un appel au ciel en floraison,
Douce, folle, ironique et quelquefois méchante.

[…]

III

[…]

IV

Ô mer, ô mer, ô mer, coureuse de fortune,
Chercheuse d’infini par delà les grands monts,
Toi que le soleil brûle et que fleurit la lune ;

Belle au front couronné de sombres goémons,
Nous savons le secret de la tendresse brève,
Et tes yeux sont pareils à ceux que nous aimons.

[…]


Gabriel Vicaire ("Au pays des ajoncs", Librairie H. Leclerc, 1901 - publication postume)

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Clairs de lune

(première partie)

I

Ô perle du monde,
Délices des cieux !
Lune aux jolis yeux,
Lune rose et blonde,

Belle au cœur changeant,
Dame de mon rêve,
Dont le vent soulève
Les tresses d’argent,

Par delà les saules
A demi dans l’eau,
Derrière un bouleau
J’ai vu tes épaules,

Dans un halo d’or,
Ta forme hautaine
Apparaît lointaine,
Indécise encor.

Et puis elle passe,
Lente, sur les prés.
Tes cheveux cendrés
Parfument l’espace.

En sa douce fleur,
Ta gorge ressemble
A l’oiseau qui tremble
Devant l’oiseleur.

Où ton doigt se pose,
Frêle papillon,
S’envole un rayon,
S’entr’ouvre une rose.

Ta beauté soudain
Resplendit sans voiles.
Des claires étoiles
Pâlit le jardin.

L’étang qui s’allume
Berce ton corps blanc,
Ton corps nonchalant,
Tout fleuri d’écume.

Est-ce le grand four
Ou la jeune aurore
Qui charme et colore
Les blés d’alentour ?

Ô nuit toute blanche,
Nuit d’enchantements !
De purs diamants
Sont à chaque branche !


Gabriel Vicaire ("L'Heure enchantée" - 1884 ; éditions A Lemerre, 1890)



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